Chapitre second : Terry McCoy
Il faisait noir et froid. Son corps n’était que douleur, il sentait comme une brulure au niveau de la poitrine et de son œil gauche…ou était-il ? Était-il mort ? Non, si c’était le cas la douleur ne serait plus. Un nom résonna dans son esprit « Seishin …Yamato Seishin » … qui était-ce ? Pourquoi y penser lui faisait mal ? Il entendait un brouhaha dans le lointain…une petite voix lui dit de se concentrer sur ce brouhaha, que c’était là où résidait la vie. Mais c’était trop dur, ça demandait trop d’effort…il préférait dormir. Oui, dormir.
Et il dormit.
-Alors, docteur ? demanda une voix tendue
-Je ne sais toujours pas monsieur le maire, il n’a toujours pas ouvert les yeux.
-Au bout de trois jours quand même ! Pas le moindre de signe de vie ?! Peut-être est-il mort…
-Je connais mon métier ! Cet homme est bel et bien vivant mais il a dû se faire attaquer par je ne sais quel monstre marin car son corps était couvert de coupures en tout genre. Et je ne parle pas de son état de déshydratation avancé. Encore un ou deux jours et il mourrait.
-Peut être que cela aurait été pour le mieux…
-Comment osez-vous ?! s’indigna le médecin.
-J’ose car je ne sais pas, et vous non plus d’ailleurs, qui est cet homme. Ce qui m’importe le plus c’est la sécurité de ce village et de ses habitants. Il est peut-être un pirate, peut être que ses camarades le rejoindront bientôt. C’est peut-être pire…
-D’après ce que j’ai entendu, il n’y avait aucun drapeau sur son bateau donc je ne pense pas que ce soit un pirate
-Oh vous savez, ces forbans usent de tous les stratagèmes pour infiltrer des villages. Certains se font parfois passer pour des marines, d’autres pour des cuisiniers, voir mêmes pour des agents du gouvernement…on n’est jamais assez prudent
-Huuum...
-Bon, je ne peux pas rester éternellement ici, j’ai d’autres sujets plus urgents à traiter ! En tout cas, dès qu’il ouvre les yeux vous n’hésitez pas et vous m’envoyez prévenir, d’accord ?
-Oui oui, répondit le docteur d’un ton las.
C’était déjà la sixième fois en 3 jours qu’il venait le voir et qu’ils avaient la même discussion.
Le père d’Eloïse comprenait tout à fait les inquiétudes du maire Sawyer, lui aussi était un des membres fondateurs de ce village et avait connu la vague continue d’attaque pirate. Toutefois, il estimait que sa méfiance était bien trop exagérée. Mais elle faisait écho à l’inquiétude qui animait les autres membres du village. Nombreux étaient ceux qui lui avaient demandé des renseignements sur le naufragé et toujours avec cette anxiété indicible.
Il avait répété et assuré que cet homme ne serait un danger pour personne avant au moins deux bons mois et il était généreux sur son pronostic. Bien qu’ayant un corps musculeux et certainement taillé pour le combat, le naufragé aurait du mal à se remettre des multiples lacérations dont souffrait son enveloppe charnelle. Pourtant même sa femme semblait douter de son jugement et ne comprenait pas pourquoi il était si persuadé que son nouveau patient resterait inoffensif pour le village une fois remit sur pied. Il se rendit compte à quel point les attaques pirates avaient « abimés » ses concitoyens…
Terry McCoy avait été médecin dans la marine marchande avant de tout quitter il y a dix ans pour se trouver un coin tranquille où vivre avec sa femme et sa fille qui allait naitre. Il avait trente ans à l’époque et il naviguait depuis ses vingt ans. Il avait déjà vu ce genre de blessures et il savait qu’elles étaient dues à une épée et non à un quelconque monstre marin. Il ne pouvait pas le dire à Sawyer ou aux autres (sa femme incluse) de peur d’augmenter leur angoisse. Il se navrait juste que Sawyer ne soit pas de son côté mais il était habitué à ce que ce ne soit jamais le cas.
Il avait aussi des doutes sur la probité de son patient et peut être qu’il soignait une de ces vermines de pirates mais en tant que médecin il était de son devoir de soigner toute personne qui nécessitait son assistance, il aviserait ensuite :
-Chérie, le repas est prêt !! lui cria sa femme
-J’arrive, répondit-il enthousiaste.
Sa femme Maria était une très belle rouquine de trente-cinq ans. Il l’a trouvait aussi belle aujourd’hui que le jour où il l’avait rencontré il y a de ça quinze ans alors qu’il n’était qu’un assistant dans un pauvre port de pécheur. Depuis ils s’étaient mariés, avaient eu Eloïse (le soleil de leur vie) et s’étaient lancés dans cette aventure folle de construire un village de leurs mains sur une ile inhabitée. Il sortit de son cabinet, passa par le salon de sa maison et se rendit dans la cuisine.
Eloïse était déjà attablée et prête à être servie quand il arriva. Ce matin elle avait eu un cours de pêche avec Henry, le chef des pécheurs du village, et apparemment elle était déjà en tenue pour aller jouer avec ses amis sur la plage. Terry adorait le côté téméraire de sa fille :
-Papa !!
-Ça va ma fille ? Alors ce cours de pêche ?
-Bah c’était nul et puis Griffin n’a pas arrêté de m’embêter
-Hahahaha !! Je vois que c’est toujours le grand amour entre vous
-De...de quoi tu parles ? Je le déteste
-Tu sais, l’amour et la haine sont les deux faces d’un même piece.
-Qu’est-ce que tu veux dire?
-Je veux dire qu’il est fort probable que d’ici quelques années…Griffin et toi…
-Oui?
-Vous vous marierez!!!
-Alors ça jamais!! Beurk!!!
-Hahahahaha!!
-Terry ! Arrête de taquiner ta fille! le sermona sa femme. Allez, mangez ! dit elle en posant le plat sur ma table
Et ils mangèrent. Ils parlèrent de tout un tas de choses comme à chaque fois qu’ils mangeaient ensemble. Dans ces moment-là, Terry ne regrettait absolument pas son choix d’avoir quitté la marine marchande, il pouvait passer des moments délicieux avec sa famille et voir sa fille grandir. Perdu dans ses pensées il ne l’entendit pas lui demander :
-Au fait papa, ton malade il s’est réveillé ?
-…
-Papa?
-O-oui?
-Ton malade? Il s’est réveillé?
Elle essaya de poser sa question avec le plus de détachement possible mais il savait bien que la question lui brulait les lèvres depuis qu’il était rentré dans la salle à manger. Bien que son cabinet soit dans une pièce adjacente à sa maison, Eloïse avait interdiction d’y aller et encore plus quand il y a eu un malade en convalescence :
-Non, toujours pas, je pense que ça prendra du temps.
Au moment où il finit sa phrase, on en entendit un grand fracas dans son cabinet. Il se leva d’un coup et couru voir ce qui s’y passait. Mille idées lui passèrent pas la tête le temps qu’il atteigne son lieu de travail. Quand il arriva il vit le naufragé debout, appuyé sur une chaise, qui essayait de reprendre difficilement son souffle, à côté de lui gisait la table de chevet sur laquelle reposait les instruments du grand brun aux tempes grisonnantes qui servait de médecin dans ce village. Il était complètement nu si ce n’était pour les bandages qui couvrait son corps des pieds à la tête.
L’homme essaya de parler, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge puis Terry entendit un cri dans son dos. Il se retourna et vu Eloïse qui fixait l’homme de haut en bas, sa mère était sur ses talons :
-Eloïse tu sors tout de suite !! cria-t-il à l’adresse de sa fille
Elle resta prostrée, certainement choquée par la nudité de l’homme en face d’elle, si bien qu’elle n’entendit pas son père. Elle senti juste la main de sa mère qui la tirait en arrière puis sa vision fut bloquée par la porte du cabinet.
Eloïse sortit, Terry se retourna vers son patient qui essaya de nouveau de lui parler sans succès :
-Taisez-vous ! Pour l’instant vous allez vous asseoir et boire un peu d’eau.
Son patient obéi puis croassa :
-Où…où suis...je ?
-Vous êtes au village d’Ananakini…comment vous appelez vous et d’où venez-vous ?
-Je…m’appelle…Venec…Venec Blint, il bu de nouveau une gorgée d’eau, je suis un chasseur de prime.
-Vraiment ? demanda Terry dubitatif
-…..
-On verra ça plus tard, pour l’instant rallongez-vous et reposez-vous, si jamais ne vous avez besoin de quelque chose vous tirez sur cette corde et ma femme ou moi-même nous viendrons nous occuper de vous, compris ?
Venec hocha de la tête pour toute réponse.
Terry retourna auprès de sa famille dans la cuisine :
-Qu’est-ce qui s’est passé mon chéri ? demanda Maria
-Il s’est levé tout seul et évidemment dans son état ce n’est pas très bon. Il est un peu déboussolé pour le moment. Il s’est recouché, j’irais lui parler plus tard, répondit-il en s’asseyant.
-Tu veux que j’appelle le maire pour lui dire ?
-Non, laisse le en dehors de ça pour le moment. Je n’ai pas envie de l’avoir dans les pattes.
Il se tourna vers sa fille qui était perdue dans ses pensées :
-Eloïse, je compte sur toi pour ne pas en parler à tes copains, d’accord ?
-O-oui papa, répondit elle a demi-mot. Je peux y aller ?
-Oui, vas-y !
Il la regarda sortir et se dit qu’il devrait avoir une discussion avec elle plus tard concernant ce qu’elle avait vu. Mais son esprit revient vite sur son patient…Venec Blint…le chasseur de prime…pourtant il n’avait trouvé aucune trace de licence dans ses affaires ou sur son bateau.
Depuis l’avènement du nouveau gouvernement mondial l’activité de chasseur de prime a été réglementé. On ne peut plus être chasseur de prime sans s’être déclaré, au préalable, aux autorités pour avoir une licence. Seul cette licence permet de toucher les primes quand on amène un ou plusieurs forbans aux personnes compétentes. Bien sûr, certains avaient trouvé le moyen de contourner cette règle soit en ayant des liens avec des marines qui n’étaient pas très regardant soit en « vendant » leurs prises à des chasseurs de primes licenciés. Le gouvernement essayait de combattre cela mais sans véritable résultat jusqu’à maintenant.
Que faire ? L’homme ne semblait pas dangereux, en tout cas il n’avait rien vu de tel dans son regard violet mais il avait une vigueur exceptionnelle, être déjà capable de se lever avec de telles blessures relevait du miracle. De toute évidence, il se remettrait bien plus vite que Terry ne l’avait diagnostiqué et si jamais il était vraiment un pirate, comme le craignait le maire, alors la sécurité du village pourrait être compromise.
Il fut tiré de ses pensées par le bruit de la sonnette, il se leva et dirigea vers son cabinet. Quand il entra il trouva Venec assit sur son lit, visiblement il n’arrivait pas à dormir :
-Docteur, ça fait combien de temps que je suis ici ?
Il avait déjà retrouvé une locution normal, Terry allait de surprise en surprise :
-On vous a trouvé sur la plage il y a trois jours de cela. Mais vu l’état de votre peau je pense que vous avez eu…ce que vous avez eu, il y a peu près six à sept jours. D’ailleurs que vous est-il arrivé ? demanda-t-il en s’appuyant sur son bureau qui se trouvait en face du lit de son malade
-…
-Vous savez il va falloir vous expliquer car ici nous sommes très méfiants concernant les étrangers.
-…J’ai affronté un homme qui était bien plus fort que moi…et j’ai perdu…, dit-il en baissant la tête
-Et vous l’avez affronté parce que… ?
-Parce qu’il est une étape sur l’objectif que je me suis fixé…
-Vous n’êtes pas vraiment chasseur de prime n’est-ce pas ? Etes-vous un pirate ?
-Non, je ne suis pas un pirate mais oui, je ne suis pas un chasseur de prime. Du moins pas vraiment…il m’arrive de chasser les pirates pour récupérer leur prime quand j’ai besoin d’argent mais je ne suis pas licencié.
-C’est bien ce que je soupçonnais, dit le médecin pensif, j’espère que vous dites vrai.
-Combien de temps pour que je me rétablisse docteur ?
-Pour être rétabli complètement il faudra certainement plusieurs mois mais pour pouvoir vous extraire de ce lit certainement une semaine vu la vitesse à laquelle vous récupérez
-Il y a va-t-il un forgeron dans votre village ?
-Oui, pourquoi ?
-Il me faudrait une épée, j’ai perdu la mienne dans mon dernier combat…
-Notre forgeron va pouvoir vous faire ça pour peu que vous puissiez payer et quand nous, bien sur, serons assurés de vos intentions pacifiques à notre égard.
-D’ailleurs, je vous dois combien docteur ?
-Nous verrons ça plus tard, reposez-vous c’est tout ce qui compte pour le moment, répondit terre avec un sourire chaleureux sur le visage.
Sur ces mots Terry se leva et quitta son cabinet. Il alla embrasser sa femme puis sorti et se dirigea vers la mairie.