La folle aventure politique de notre pays continue. Ce n'est plus un post par jour qu'il faudrait pour réagir à l'actualité et la commenter, mais deux, ou trois : en moins de vingt-quatre heures, les républicains se scindent en deux et trois ministres Modem démissionnent.
Que les têtes d'affiche du Modem sortent du gouvernement, indépendamment de leurs petits ennuis, ce n'est pas une surprise : François Bayrou n'a jamais été aussi bon qu'en s'opposant, car soit il est président de la république, soit il est libre de sa parole. Quant à Emmanuel Macron, il a tout à gagner dans l'opération : une crédibilité certaine quant à sa ligne de conduite, autant que l'intransigeance que nous attendons d'un chef auto-proclamé "jupitérien".
Après celle de Sylvie Goulard, les démissions de François Bayrou et de Marielle de Sarnez ne méritent donc pas qu'on s'y arrête et qu'on en fasse l'analyse, tant elles étaient prévisibles. D'aucuns nous expliquaient encore avant-hier que le coût politique de leur éviction était trop important, que c'était trop risqué et trop tôt ; mais d'aucuns n'avaient pas vu que, depuis le début, Emmanuel Macron, à tort ou à raison, a un cap et une vision, et que l'opportunité de rester droit dans ses bottes, de prouver aux français qu'il est cohérent et qu'il ne s’en laisse pas conter est bien plus payante politiquement que de plonger à nouveau dans le hollandisme.
Alors... Laissons pour l'instant de côté ce Modem, dont on ne sait plus très bien, du coup, où il se trouve ; laissons de côté ce Modem qui va, comme les autres, devoir se confronter à l'indépendance des pouvoirs politiques et judiciaires.
Car avec le recul, ce qui semble important dans cette actualité, ce n'est pas ce jeu de chaises musicales somme toute banal, mais c'est la scission des républicains.
Il y aura, donc, comme prévu, deux groupes. L'un "constructif", l'autre opposant. Des mots dont on se demande ce qu'ils veulent dire exactement…
Les constructifs/UDI, si l'on tente de comprendre leur posture en nous basant juste sur la manière dont ils se nomment eux-mêmes, vont donc voter les lois qu'ils jugent aller dans le bon sens. Dixit Thierry Solère qui l'a confirmé hier en conférence de presse. Quant aux opposants, leur président, Christian Jacob, nous a expliqué sa différence : "Il n'est pas question pour nous de nous opposer bêtement à des réformes portées par le gouvernement qui s'inspireraient de nos idées." (source : Le Figaro)
Subtile, tout de même, la différence. Donc, un groupe votera peut-être les lois. Et l'autre groupe... Eh bien il votera peut-être les lois. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la recomposition politique que nous avons vécue a décomposé les lignes de conduite et de pensée.
On voit bien ici la quintessence de la stratégie d'Emmanuel Macron, assez malin pour passer du "ni droite ni gauche" de François Bayrou en 2007, à son "et droite et gauche" de 2017.
En changeant une conjonction de coordination et une date, il a engrangé au passage deux atouts essentiels pour être élu : la conjonction de coordination « et » qui lui a donné une équipe de gouvernement que Bayrou n'avait pas en 2007 avec son « ni droite ni gauche» ; mais aussi la date, 2017, qui après une alternance bien décevante de deux présidents, fut une bien meilleure opportunité à saisir que celle de François Bayrou il y a dix ans.
Et donc, au passage, Emmanuel Macron a quand même réussi ce tour de force de séparer en deux, de façon parfaitement artificielle, la famille politique des républicains. Car se définir, à droite comme à gauche d’ailleurs, autour de la césure « constructif » ou « opposant » n'a strictement aucun sens. Tous nos députés, sans exception, n’ont qu’à voter ce qui leur semble utile et s'opposer à ce qui leur semble nuisible, comme ils auraient toujours dû le faire.
Depuis que l'homme est homme et vit en société, le clivage n’a jamais été je suis d’accord / je m’oppose. Il s’est toujours cristallisé, au pire autour de groupes d’individus défendant leurs intérêts communs, au mieux autour d'idées, si ce n’est d’idéaux, partagés par les uns, rejetés par les autres. Que ce soient les plébéiens opposés aux patriciens, les capitalistes opposés aux communistes, ou encore la montagne opposée à la Gironde, quand on prend le recul de l’histoire, les hommes se sont toujours battus pour ou contre quelque chose, pas au nom d'un principe d'action politique.
Mais depuis 1981, 36 ans d’alternance sont passés par là, et pas n’importe quelle alternance. Celle de la discipline de parti où nous nous opposons à toute loi venant du camp adverse quelles que soient nos convictions. Cette logique de parti – en réalité de pouvoir – a marqué les comportements. C’est ainsi, au fil du temps, que le problème a fini par être mal posé. Résultat : les élus LR se sont fait berner par Macron qui est le seul, et pour cause, à avoir vraiment compris la manœuvre. Car la vraie ligne de partage n'est pas de collaborer ou de s'opposer comme il a réussi à le faire croire. La vraie ligne de partage est sur les valeurs.
Ainsi, en nous faisant prendre des vessies pour des lanternes, la grenouille En Marche continue donc d’enfler. Si un tiers des républicains et un tiers des socialistes la rejoignent et si le Modem, comme cela semble être le cas pour l’instant, pense que son intérêt est de rester dans la majorité, la grenouille aura alors grossi jusqu’à atteindre plus de 400 députés. 70 % des voix.
Où est le débat ?
Mais tout cela est bien fragile. Car la véritable opposition, à droite comme à gauche, celle fondée sur les idéaux, celle qui ne rechigne pas nécessairement à voter les lois de la majorité mais qui défend et fait valoir son point de vue, renaîtra inévitablement de ses cendres.
Nos députés LREM seront le grain de sable de la belle machine d’Emmanuel Macron. Ils seront le revers de la médaille. Car beaucoup d'entre eux ne se sentent pas liés. Beaucoup d’entre eux ne se sentent liés à rien, car la liberté qu’En Marche a fait miroiter depuis un an à coups de sincérité, de bienveillance et de renouveau politique, ils l’interprètent ou l’interprèteront comme celle de voter en leur âme et conscience.
La discipline de parti va être difficile à imposer pour Richard Ferrand qui, pour peu qu'il soit élu président de groupe et arrive à cornaquer cahin-caha ses troupes, a du souci à se faire. Car inévitablement l'humain reprendra le dessus. Les valeurs de ces femmes et de ces hommes qui ne viennent pas du sérail transcenderont les mécanismes politiques. La véritable opposition viendra finalement d’eux, elle viendra de cette inévitable humanité ; elle viendra de ces débats sans fin entre droite et de gauche, entre patriciens et plébéiens, entre montagnards et girondins ; elle viendra de ces débats sans fin peut-être, mais sur des valeurs qui, depuis toujours, font notre richesse et tracent notre route.
L’opposition ne va donc pas renaître de ce qu’il en reste aujourd’hui et de ses tristes représentants des extrêmes, la France insoumise et le front national. Elle va renaître au sein même de ce mouvement En Marche qui, en prônant « et droite et gauche », a balayé nos affrontements stériles, certes, mais a oublié 2.500 ans d'histoire politique et de batailles d’idées.
Ainsi, la grenouille, grignotant tous ses opposants ou presque et oubliant le passé, finira bien par éclater.
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