Petit topic sur l'histoire de la République turque en 2017 : https://m.jeuxvideo.com/forums/42-55-50239520-1-0-1-0-referendum-turc-du-23-avril-2017.htm
Bilan du référendum du 16 avril 2017 :
Le référendum a été emporté par le président Erdogan et le gouvernement Yildirim à 51,4%.
La présence de fraudes locales ne semble pas avoir été assez massive pour contester le résultat.
Une énorme surprise eut lieu à Istanbul qui vote majoritairement non, avec un reflux du soutien au gouvernement dans des quartiers conservateurs par exemple à Eyup, voire même le non qui arrive en tête à Üsküdar.
La mise en application des modifications constitutionnelles (excepté la tenue conjointe des présidentielles et législatives) suivra les élections du 24 juin, en cas de victoire d'Erdogan.
Evenements depuis :
Fondation du Iyi Parti (= le Bon Parti) le 25 octobre 2017 par Meral Aksener, leader ultranationaliste du "non".
20 janvier 2018, intervention turque à Afrin qui se poursuit encore.
1er mars 2018, officialisation du lancement des travaux du 2e Canal d'Istanbul, devant faire 45km de long et 600m de large, coupant à l'Ouest du Bosphore : https://cdn1.ntv.com.tr/gorsel/ekonomi/kanal-istanbulda-ikinci-halic-plani/,uwPwojlhBECJ1mmu_LJyRg.jpg?w=960&mode=max&v=20161117093744786
21 mars 2018, rachat de médias (Hürriyet, CNN Türk notamment) du groupe Dogan par le groupe Demirören, proche du pouvoir.
Forte croissance sur l'année 2017 (7,4%) via une politique de relance (forte conso intérieure avec notamment le BTP ou l'industrie manufacturière qui tire des +10%) mais minée par une forte inflation (10%).
De plus, la lire turque continue à perdre de la valeur à un rythme spectaculaire :
https://www.xe.com/fr/currencycharts/?from=TRY&to=EUR&view=5Y
Pourquoi une élection anticipée ?
La rumeur d'une élection anticipée tenait depuis longtemps, y compris dans les discours de l'opinion.
Je citerais 3 raisons :
- 1 raison pragmatique : il s'agit d'anticiper les municipales de mars 2019 qui devaient avoir lieu avant les législatives et présidentielles de novembre 2019. Une perte d'Istanbul notamment serait désastreuse pour l'AKP en mars et engendrerait une mauvaise dynamique, d'où l'idée de sauter.
- 1 "piège" : Selon les règles strictes (ancienneté de plus de 6 mois ou au moins 20 députés au Parlement), le Iyi Parti ne pouvait pas participer aux élections si elles étaient annoncées avant le 25 avril. Erdogan a annoncé les élections le 18 avril, mais le Iyi Parti peut participer grâce au désistement de 15 députés CHP rejoignant le groupe du Iyi Parti au Parlement.
- 1 raison symbolique : Une victoire d'Erdogan cette année lui permettrait de caler la prochaine grande élection en 2023. 2023, c'est le centenaire de la République fondée par Atatürk et l'année donnée comme objectif par Erdogan pour que la Turquie atteigne le top 10 des économies mondiales.
Les dates ont une immense symbolique dans l'imaginaire nationaliste turc, avec des évocations aujourd'hui de 2053 (600 ans de la prise de Constantinople) et 2071 (1000 ans de Manzikiert).
Concurrents "crédibles" aux législatives (au moins susceptibles de faire 10% et donc d'être au Parlement) :
A la gauche radicale, il y a le HDP (Halklarin Democratik Partisi ; Parti démocratique des peuples), un parti nationaliste kurde. La plupart de ses dirigeants sont en prison pour complicité avec le PKK. Oscillait en 2015 entre 10 et 13% à peu près.
Le pouvoir a formé également une alliance : la Cumhur Ittifak (Alliance de la République) avec :
- L'AKP (Adalet ve Kalkinma Partisi : Parti de la justice et du développement), droite, parti au pouvoir depuis 2002 et dirigé par Recep Tayyip Erdogan. Il tient les mairies de 7 des 10 plus grandes villes de Turquie (dont Ankara et Istanbul). Capable de faire 40% de l'électorat.
- Le MHP (Milliyetçi Hareket Partisi : Parti de l'action nationaliste), historiquement le parti fort de la droite ultra-nationaliste et dirigé par Devlet Bahçeli, il tient les mairies de 2 des 10 plus grandes villes de Turquie (Mersin et Adana, situées dans le Sud). Peut osciller entre 8 et 16% de l'électorat selon les années.
L'opposition a formé une alliance comprenant 4 partis :
- Le CHP (Cumhuriyet Halk Partisi : Parti républicain du peuple) : Premier parti d'opposition, il tient la mairie d'Izmir. Historiquement l'héritier de la gauche kémaliste (autoritaire, laïque, progressiste, nationaliste). Mobilise généralement entre 20 et 30% des voix.
- Le Iyi Parti (Bon Parti) : Issu d'une scission de la droite ultra-nationaliste, il est mené par Meral Aksener, ministre de l'Intérieur entre 1996 et 1997 et leader du non conservateur l'an dernier. Ce nouveau parti cherche à rallier un électorat centriste modéré opposé à l'autoritarisme d'Erdogan aux groupes ultra-nationalistes opposés à Bahceli et Erdogan.
- Le Saadet Partisi (Parti de la félicité), parti islamiste, hériter du Refah Partisi d'où est issu Erdogan. Tourne autour de 3% dans les sondages après avoir fait 2% en juin 2015 et 0,6% en novembre, a beaucoup mobilisé dans les rues après la décision de Trump de déplacer l'ambassade américaine à Jérusalem.
- Le Demokrat Parti (Parti démocrate), parti conservateur. Héritier de la droite au pouvoir pré-Erdogan (DYP), il porte le nom du parti au pouvoir entre 1950 et 1960. 0,14% aux dernières élections.
L'avantage des alliances est qu'elle permet la représentation au Parlement de partis susceptibles de passer en-dessous de 10%.
Concurrents aux présidentielles :
La présidentielle se tient sur 2 tours, sauf si un candidat obtient 50% dès le premier tour. Les 2 candidats en lice s'affrontent alors au second tour (système à la Ve République, quoi).
Recep Tayyip Erdogan, AKP (sûr) : Au pouvoir depuis 2002 sous les casquettes de Premier Ministre puis de Président depuis 2014.
Meral Aksener, Iyi Parti (sûr) : Issue des ultra nationalistes du MHP et de la frange "idéaliste", elle intègre le gouvernement comme Ministre de l'Intérieur entre 1996 et 1997, gouvernement renversé par un coup d'Etat. Elle rejoint ensuite le MHP. En 2017, elle atteint une notoriété nationale par son opposition au non, menant une fronde à l'intérieur du MHP. Elle fonde ensuite le Iyi Parti. Bonne oratrice, elle incarne
Selahattin Demirtas, HDP (probable) : Leader du parti kurde de gauche radicale, il est en prison depuis près de 2 ans, mais est autorisé à participer comme candidat. Le 4 mai, le HDP statuera sur son candidat, mais Demirtas semble le plus probable, malgré sa possibilité d'être emprisonné à vie. Il avait été candidat en 2014 (9,76%) ainsi qu'aux législatives de 2015 (13 et 10,7%).
Temel Karamollahoglu, Saadet Partisi (sûr) : Leader du parti islamiste, le vétéran (77 ans, n'a occupé aucune charge publique depuis 2002) mène son parti sur une pente positive depuis plusieurs mois, la cause palestinienne lui permettant de tenir un grand meeting en décembre dernier.
Candidat CHP (?) : Inconnu pour l'heure, Kliçdaroglu ne semblant pas vouloir y aller, malgré son rôle de leader du parti. Muharrem Ince, second du parti, pourrait également y aller.
Sondages :
Les sondages turcs sont à prendre avec des pincettes, certains étant encore plus partisans qu'un Rasmussen Reports aux USA.
Un lien :
https://en.wikipedia.org/wiki/Opinion_polling_for_the_Turkish_general_election,_2018#Parliamentary_election
Pour l'élection présidentielle, les sondages donnent l'impression d'un premier tour avec un Erdogan autour de 40% avec derrière soit le candidat CHP ou Aksener à 20%. Demirtas tournerait autour de 12%.
Pour le second tour, PIAR semble indiquer une victoire d'Aksener 50.1 contre 49.9.
Pour les législatives, les sondages indiquent un seul cas (le PIAR aussi) avec l'alliance de l'opposition et il donne 44,7 pour le pouvoir, 40,4 pour l'opposition avec le HDP à 15% comme arbitre (!).
A part l'ORC, le pouvoir (AKP-MHP) ne semble pas pouvoir atteindre 50% alors même qu'il atteignait plus de 60% en novembre 2015.
Pronostics :
C'est encore trop tôt pour émettre un pronostic, mais il est assez évident que le résultat se jouera selon la capacité d'Aksener et Karamollahoglu à siphonner l'électorat de droite ultra nationaliste et islamiste anti-Erdogan en le faisant accepter une lutte commune avec le CHP.
Erdogan devrait jouer sur la rhétorique nationaliste contre" l'alliance des ennemis de la Turquie" en passant par les kurdes du PKK, les kémalistes qui veulent imiter l'Occident et les gülenistes infiltrés à droite.
Le pouvoir peut aussi se laisser aller à des fraudes massives, notamment en vue d'un second tour serré. Voire même de ne pas reconnaître le scrutin, de réprimer pénalement l'opposition CHP-Iyi et de refaire le scrutin après comme après juin 2015.
Pour aller plus loin :
PRESSE
En français, les articles d'Ariane Bonzon dans Slate sont à peu près ce qui se fait de mieux et de plus renseigné dans la presse mainstream française (pas très dur, cela dit) avec notamment un portrait intéressant de Meral Aksener :
http://www.slate.fr/source/ariane-bonzon
https://twitter.com/arianebonzon?lang=fr
Turquieplus est un petit site anti-Erdogan qui regroupe des articles, traduits la plupart du temps :
https://www.turquieplus.fr/
Tout à gauche en soutien à la cause kurde, Kedistan produit des articles intéressants et multilingues :
http://www.kedistan.net/
A gauche, on retrouve aussi Orient XXI, qui a publié quelques articles sur la Turquie comme celui-là sur l'université Galatasaray : https://orientxxi.info/magazine/les-tribulations-d-une-universite-francophone-en-turquie,2412
Et également à gauche (considérant que la Turquie sous Atatürk est un fascisme, ce qui est assez controversé), Etienne Copeaux a un blog avec des articles historiques détaillés très intéressants sur la Turquie avec une soixantaine d'esquisses plongeant dans l'imaginaire et la symbolique nationaliste turque http://www.susam-sokak.fr/
A droite, il y a le relais de la parole d'Etat turc.
http://www.trt.net.tr/francais/
Vous pouvez notamment lire ici ( http://www.trt.net.tr/francais/turquie/2018/04/25/turquie-les-32e-elections-legislatives-et-la-premiere-election-presidentielle-etude-958126 ) que la Turquie est un "éclaireur démocratique" pour l'Allemagne, les Pays-Bas ou l'Autriche.
Zaman France, qui était un journal güléniste à droite plutôt bon, est out depuis 1 an, quelques mois après son équivalent turc.
Je connais mal tout ce qui est activité éditoriale des ultranationalistes à vrai dire, donc je ne m'aventurerais pas trop.
En anglais, Hürriyet Daily News est l'émanation du groupe turc Hürriyet (càd Liberté), mais avec sa propre ligne, plutôt centriste, pro-business. Critique de l'AKP.
http://www.hurriyetdailynews.com/
PUBLICATIONS
Parmi les publications universitaires ou éditoriales les plus récentes, je conseille aussi 20 idées reçues sur la Turquie de Benjamin Gourisse ainsi qu'"Istanbul planète" de Jean-François Pérouse.
Il y a en français différents observatoires qui relaie des travaux de l'IFEA (Institut français d'Etudes Anatoliennes) :
https://ovipot.hypotheses.org/
https://dipnot.hypotheses.org/
https://oui.hypotheses.org/
Enfin, bien qu'éloigné temporellement, je vous conseille le cours au Collège de France d'Edhem Eldem (franco-turc professeur à Bogazici) sur les rapports entre Empire Ottoman et Occident :
https://www.college-de-france.fr/site/edhem-eldem/index.htm
Ce cours a la qualité de beaucoup revenir sur la Turquie moderne et notamment comment l'historiographie ottomane est dominée par les historiens stambouliotes, faisant de l'histoire ottomane une histoire purement turque.
Et je vous laisse de la musique turque :
Altin Gün et son album (On) réarrange les classiques du rock anatolien des 60-70s
https://www.youtube.com/watch?v=WXTIJzPg1H4&list=PLOzWZ0eVxLqtPXIuCHe0Bk9D3_SK9BC0q
Chansons historiquement à gauche :
https://www.youtube.com/watch?v=t6V1wXu7ZmA (Günzel Günler Görecegiz -> reprise d'un poème de Nazim Hikmet Ran)
https://www.youtube.com/watch?v=BHg9Gae1IR4 (Chant du 1er mai)
https://www.youtube.com/watch?v=Kt6Pc1WWKqM (Bekle Bizi Istanbul avec notamment la phrase "Haramiler saltanatini yikacagiz" aka Nous démolirons le règne des tyrans ou Nous renverserons le règne des voleurs)
Chansons nationalistes :
https://www.youtube.com/watch?v=kxyifJ2ELD8 (Izmir Marsi)
https://www.youtube.com/watch?v=6FkSafA2dpA (Canakkale Türküsü)
https://www.youtube.com/watch?v=aULM7vv8llk (Türkiyem)
Chaîne de rock anatolien (avec sous-titres des paroles en anglais) :
https://www.youtube.com/user/AnatolianRockRevival
avec des classiques :
https://www.youtube.com/watch?v=0nonCuddOac (Selda Bagcan - Ince Ince Bir Kar Yagar)
https://www.youtube.com/watch?v=CW006rg_D28 (Erkin Koray - Sarhos Gibiyim)
https://www.youtube.com/watch?v=IwNjBeIIWpo (Baris Manco - Sari Cizmeli Mehmet Aga)
https://www.youtube.com/watch?v=388-ZnlMoO4 (Cem Karaca - Tamirci Ciragi)
https://www.youtube.com/watch?v=bP1lG7AAKE0 (Cem Karaca et Baris Manco - Uzun Ince Bir Yoldayim)