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Sujet : La métaphysique de l'économie ou le fétichisme moderne
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NekBallad
Niveau 15
13 mai 2018 à 22:49:36

En sortant de toute considération métaphysique, on peut affirmer que ce qui est réel est indissociable de ce qui est concret. L’individu, en tant que corps subjectif et vivant, évolue dans un environnement concret qu’il va expérimenter par sa sensibilité et transformer par son action. Mais l’individu est aussi un être conscient, et comme tel, il se représente cette réalité, s’en fait une certaine idée. Cette représentation abstraite cependant n’est jamais qu’ontologiquement dépendante de la vie concrète ; l’abstrait n’a pas d’autonomie propre, une représentation est toujours représentation de quelque chose ; de la vie. Or il se peut que, dans cette vie, l’individu soit dominé par ses représentations. C’est le cas du sauvage qui se soumet à son totem auquel il transfère inconsciemment ses propres pouvoirs de façon mystifiée et fantasmé. Le totem n’est qu’une création de mains humaines, et pourtant, il s’abaisse devant lui.
Remplacez « totem » par « marchandise », et vous avez là la condition de l’homme moderne. Ceci peut sembler curieux, puisque la marchandise apparait n'être qu'un objet concret, produit de l’industrie humaine, et s’échangeant selon les désirs et les besoins des individus. L’économie moderne ne serait donc qu’affaire de rareté des ressources matérielles et de leur répartition ; conformément, d’ailleurs, à l’étymologie du mot « économie ». Il ne viendrait pas à l’esprit que, dans notre société moderne et rationnelle, dominée par les sciences naturelles ayants balayées la superstition et la théologie qui régnaient jusqu’alors, les hommes puissent être dominés par leurs propres créations. En réalité, il faut interroger la nature même de la marchandise pour se rendre compte que la métaphysique a depuis bien longtemps pointée le bout de son nez.

Avant de s’adonner à cette étude, quelques éléments méthodologiques s’imposent.
L’homme étant par nature un animal social, celui-ci évolue toujours en rapport avec d’autres hommes. Étant bien sûr, aussi, un être tout à fait naturel, il existe une étroite relation entre le rapport des individus à la nature et le rapport des individus entre eux, leur rapport social. Ces deux rapports, nous les distinguerons en deux niveaux :

  • L’un que nous qualifierons d’aspect matériel-technique, en ce qu’il concerne les conditions strictement matérielles et naturelles d’existence des individus. La matérialité des corps concrets, vivants et inertes, tels que les outils et la technique dans son ensemble, concernent cet aspect.
  • Le deuxième, que nous qualifierons simplement d’aspect social, ou autrement dit que nous qualifierons de forme sociale. Ici tout ce qui relève du premier niveau est considéré, mais tel que ces éléments s’imbriquent dans les rapports sociaux des individus.

Précisons que ces deux aspects sont strictement indissociables, qu’ils se déterminent réciproquement et qu’ils forment à eux deux la réalité. Le rapport social des hommes détermine partiellement leur rapport à la nature, et inversement la nature détermine partiellement leur rapport social. Des outils, par exemple, s’ils relèvent du premier niveau matériel-technique, n’en relèvent pas moins du deuxième niveau également, en ce qu’un outil est toujours utilisé dans un rapport social déterminé.
Cette distinction est nécessaire, car elle permet de comprendre comment dans telle société, les rapports sociaux, les conditions d’existences des individus, prennent telle forme. Une catégorie logique simple, telle que nous l’utilisons pour mener à bien une analyse quelconque, peut ainsi abstraitement correspondre à tout un tas d’ordres sociaux pourtant spécifiques. C’est le cas, par exemple, de la catégorie de production. Toute société ne peut se passer de la production pour vivre, ne serait-ce que pour les biens de subsistances. Malgré cela, la forme que prend cette catégorie se modifie selon les rapports sociaux. Ainsi la production sociale, dans un mode de production féodal n’a pas la même forme que la production sociale dans un mode de production capitaliste. Dans les deux cas, cela reste abstraitement de la production ; mais la question est de savoir comment, concrètement, ladite production féodale ou capitaliste est effectuée.
Cela concerne également toute autre catégorie logique (argent, marchandise, capital, travail…) qui nous permet de mener à bien notre analyse. Je me permets, pour clarifier d’un exemple supplémentaire mon propos, d’anticiper sur la suite : la marchandise, comme on le sait, est un produit destiné à la vente. Telle est la nature de ce que nous désignons par le concept de « marchandise ». Mais comme tel, aucun objet, par nature, n’est marchandise. Un objet ne le devient que lorsque, précisément, il s’imbrique dans un rapport social qui le destine à l’échange contre un autre objet ou de l’argent ; ainsi il prend la forme sociale de marchandise, ou simplement forme-marchandise. Dans sa réalité purement matérielle, une chaise est un certain amas de matière utilisé par l’homme. Dans sa réalité sociale, par sa forme marchandise, elle est un certain rapport entre des individus : elle suppose d’une part, un acheteur, et d’autre part, un vendeur. Nous en concluons que, par sa forme, la marchandise est un rapport social. La marchandise a en effet une double face : l’une naturelle, concrète, et l’autre sociale, abstraite. Que ce soit sa nature concrète, en tant qu’elle est le produit d’un travail, ou sa nature sociale, en tant qu’elle est une marchandise, cela suppose les deux aspects méthodologiques que nous avons posés, mais à des niveaux logiques différents.
Maintenant que ces éclaircissements concernant la méthodologie à adopter sont faits, nous pouvons commencer.

1) La formation de la valeur

Dans la société capitaliste, la production sociale se présente comme une immense production d’objets destinés à l’échange. Ceci parce que, dans le mode de production capitaliste, la production n’est pas réalisée en coopération directe entre les diverses entreprises de la société. Le travail, en effet, est privé. C’est-à-dire que les travailleurs sont employés par des entreprises indépendantes les unes des autres. Personne ne planifie à l’avance ce qui doit être produit et en quelles quantités ; personne ne planifie combien de temps de travail la société doit dépenser pour la production de telles sortes de marchandises. Néanmoins si les différentes entreprises ne coopèrent pas directement entre elles, il y a une coopération indirecte. Elle est indirecte car elle se fait par l’intermédiaire du marché. C’est ici que tous les produits des différents travaux se rencontrent, se font face et s’échangent. La vente de ces produits, qui est l’objectif de toute la production sociale, rapporte une certaine quantité de valeur (d’argent) aux entreprises. Ces ventes constituent les informations que ces dernières vont prendre en compte pour adapter leur production. La « régulation » de la production sociale, dès lors, se fait tout à fait inconsciemment, dans l’immanence des lois du marché, c’est-à-dire des fluctuations chaotiques des prix. Notre première conclusion est la suivante : tous les produits du travail sont destinés à s’échanger contre de l’argent. Voici notre deuxième : l’argent, étant la marchandise universelle s’échangeant contre toutes les autres, représente ainsi des équivalences, et exprime le fait que tous les objets sont égalisés.

Les produits des différents travaux sont concrètement différents. Partant, leur utilité est différente. Cette utilité, en rapport avec la réalité matérielle des objets et donc à la consommation des individus, nous l’appelons valeur d’usage. Mais ces objets, fruits de la production sociale, n’ont pas pour but premier, du point de vue de l’entreprise et donc du capital, d’être consommés. Ils ont pour but, nous l’avons dit, d’être vendus, et comme tel, comme fruits de travaux privés, ils se rencontrent tous sur un marché où ils peuvent être échangés contre une seule et même marchandise universelle : l’argent. Cela veut dire que tous ces produits totalement différents sont mis en équivalence relativement à cette marchandise universelle. Ce caractère d’équivalence des objets, nous l’appelons valeur d’échange. La raison en est simple. Lorsqu’avec une valeur de 30€ sous forme d’argent, je peux acheter une table IKEA, je peux aussi bien acheter tous les autres produits d’une valeur équivalente, par exemple, une poubelle et un sac à dos à 30€ chacun, ou encore 10 stylos à 3€ chacun. Cela veut dire que la valeur d’échange d’une table IKEA est égale à 1 poubelle, 1 sac à dos, 10 stylos, ou encore x disques vinyles, y sodas ou z jeux vidéos ; bref, de toute autre marchandise du marché en une certaine quantité.
Avec de l’argent, je peux tout acheter malgré des différences qualitatives manifestes. Comment cet échange est-il rendu possible ? Comment se fait-il qu’avec une seule sorte de marchandise, l’argent, je puisse tout aussi bien acheter une voiture, une console de jeu, un lit, etc. ? La question n’est pas de savoir comment deux objets peuvent s’échanger entre eux ; la question est de savoir comment tous les objets de la société deviennent échangeables entre eux par une seule marchandise ; comment tous les objets se représentent dans l’argent.
Car toutes ces marchandises sont différentes du point de vue concret. Mais toutes ces marchandises deviennent échangeables entre elles. Certes, selon des rapports de quantité différents, mais il y a un rapport de qualité qui est sous-jacent à cette soudaine échangeabilité universelle de toutes les marchandises. Les valeurs d’échange de toutes ces marchandises sont relatives entre elles, et expriment donc quelque chose de quantitatif. Mais elles expriment aussi quelque chose de qualitatif ; quelque chose d’égal et quelque chose qui rend possible cette égalisation. En d'autres termes, savoir dans quelles proportions les marchandises s'échangent (valeur d'échange) renvoie à la question de la possibilité même de cet échange universel. Mais comment peuvent-elles être égalisées alors qu’elles sont concrètement différentes et donc inégales ?

Résumons d’abord notre développement. Les produits du travail sont, dans le mode de production capitaliste, destinés à la vente, c’est-à-dire à être jetés sur un marché. Ainsi, ces produits du travail acquièrent la forme-marchandise. Ces marchandises le sont comme tel (c’est-à-dire comme objets destinés à l’échange/vente) pour la simple raison que les travaux qui les ont produites sont privés, et qu’ainsi, ces travaux ne sont sociaux, n’ont de rapport entre eux que par l’intermédiaire du marché. Puisque les marchandises n’acquièrent cette forme que parce que le travail a lui-même une certaine forme socialement déterminée, c’est vers ce dernier qu’il faut se pencher pour élucider le mystère de la marchandise.

Les travaux étants privés et n’étants en rapport entre eux que par l’intermédiaire de leurs marchandises, il est donc totalement fait abstraction des conditions concrètes dans lesquelles celles-ci ont été produites. Il est fait abstraction du travail ; le travail est abstrait.
Rappelons-nous aussi d’une chose : personne, dans une société où les producteurs sont indépendants les uns des autres, ne planifie le temps que chacun d’eux consacre à la production des marchandises. Nombre de questions naissent alors dans l’esprit du lecteur assidu. Comment la production sociale peut fonctionner ? Comment, en d’autres termes, les quantités de travail se répartissent-elles entre les différentes branches de production ? Comment le temps de travail est-il « utilisé » par la société, si personne n’en décide pour les autres ?

Toute marchandise met un temps déterminé à être produite. Cela est naturellement inévitable. Et c’est justement par ce moyen que la répartition du travail se réalise dans la société : par l’intermédiaire des marchandises, qui ne sont dès lors que du temps de travail cristallisé. Les marchandises représentent du travail. Ce temps de travail cristallisé, c’est-à-dire effectué pour produire les marchandises, est précisément la grandeur de leur valeur.

Les marchandises sont en fait égalisées sur le marché en tant que valeurs. Cela revient à dire que ce qui est égalisé par l’intermédiaire du marché, ce sont les travaux eux-mêmes, qui pour autant qu’ils sont certes concrètement différents, ne deviennent que du temps de travail.
Ce n’est que de cette manière que l’on peut égaliser toutes les marchandises concrètement différentes sur le marché, et ainsi les rendre échangeables contre une marchandise universelle dans laquelle elles s’expriment en tant que valeurs d’échange. Égaliser les marchandises, c’est égaliser les travaux qui les ont produites. Les marchandises ne peuvent pas être égalisées du point de vue de leur valeur d’usage, car elles sont qualitativement différentes, incommensurables, inégales. Elles ne le sont que du point de vue de leur valeur.

Nous avons donc une double face de la marchandise : l’une concrète, en tant qu’objet matériel, valeur d’usage, et l’autre sociale et abstraite, en tant que valeur, dont la valeur d’échange en est la manifestation phénoménale.
Nous connaissons maintenant les deux faces de la marchandise. La valeur est une forme sociale que les produits n’acquièrent que lorsqu’ils sont destinés à l’échange universel pour cause de travail abstrait. Nous pourrions tout autant appeler cette forme-valeur « forme d’échangeabilité » universelle. Cette étude de la double face de la marchandise nous a néanmoins amené à la double face du travail dans le MDP capitaliste : l’une concrète, et l’autre abstraite. La face concrète du travail produit la face concrète de la marchandise, sa valeur d’usage, et la face abstraite produit la face abstraite de celle-ci, sa valeur.
Dire, conformément à notre méthodologie, que c’est le « travail abstrait qui produit la valeur », c’est dire qu’un objet n’a pas de valeur naturellement, mais seulement dans un rapport social spécifique dans lequel le travail est abstrait et ne produit qu’en vue de l’échange.
La valeur est une forme ; comme toute forme, elle a sa substance : c’est le travail abstrait. Sa grandeur est le temps de travail.

Concluons. La production, dans sa forme capitaliste, n’est pas guidée consciemment par les différents individus de la société. Elle est au contraire guidée par le mouvement des marchandises. Ce sont elles qui créent le lien universel entre les différents individus qui se rapportent aux autres comme possesseurs de marchandises. Comme tels, les rapports sociaux sont réifiés, en ce qu’ils prennent la forme des choses ; en parallèle de cette réification, les choses sont personnifiées, en ce que les individus, dans le rapport de production, ne sont plus qu’une personnification de leurs objets (le cas le plus manifeste est celui du capitaliste, qui en tant que tel, n’est qu’un rouage se pliant aux nécessités du marché, et fonctionne comme personnification de son capital).
C’est donc la valeur, produite par le travail abstrait, qui guide la production sociale. Ainsi, la société capitaliste est guidée par le mouvement autonome d’une abstraction. C’est ce que nous allons voir plus précisément.

NekBallad
Niveau 15
13 mai 2018 à 22:50:03

2) Le cycle du capital ou les métamorphoses de la valeur

Toute entreprise a pour objectif de produire en vue de la vente afin de retirer de cette vente une somme d’argent supérieure à celle investie au début du procès. C’est le profit. La production capitaliste prend ainsi cette forme : A-M-A’. A, d’abord comme capital-argent investi par le producteur qui se présente sur le marché pour acheter les moyens de production Mp d’une part, et la force de travail T d’autre part ; ce capital-marchandise, se divisant en une part objective et l’autre subjective, constitue le M de notre formule. Enfin A’ comme capital-argent précédemment avancé qui est revenu du procès, mais augmenté d’un incrément. Tel est le cycle de la valeur-capital. La valeur (l’argent) constitue le début et la fin du cycle. Dans ce mouvement, elle ne se perd néanmoins jamais, contrairement à ce que pourrait laisser croire notre étape M.
Dans ce cycle, la valeur-capital de départ, A, s’investit donc pour acheter M. L’unique objectif de cet achat, c’est de produire des marchandises. Ainsi des marchandises M produisent d’autres marchandises ; cela parce que, si le producteur investit une somme d’argent dans le procès, c’est pour s’en retrouver avec davantage à la fin. Il faut donc produire plus de valeur qu’il n’en investit. L’étape M qui représente l’achat du capital constant Mp et de la force de travail T représente en réalité l’étape de la consommation productive ; c’est-à-dire que, dans l’acte de production du travailleur, celui-ci consomme les moyens de production mis à sa disposition par l’entreprise. Cette consommation productive, appelons-la P. De cette production, il en ressort une masse de marchandises dont la valeur est supérieure à celle de départ, M’. M’ n’aura qu’un seul objectif : être réalisé sur le marché et rapporter A’.

En décortiquant le cycle, nous avons donc A-M…P…M’-A’. Prenons un exemple concret pour illustrer. Un capitaliste possède un capital de 10 000 (A) et l’investit totalement dans le procès ; celui-ci se divise en 5 000 Mp et 5 000 T (M). Cet investissement, cet achat de marchandises, il compte l’utiliser pour produire une plus-value. Si nous supposons que le travailleur met 6 heures à reproduire une valeur de 5 000€, il mettra alors 12 heures à produire une valeur totale de 10 000€ dont une plus-value de 5 000€. Dans cette consommation productive (P), le capitaliste en tire donc 15 000€ sous forme de marchandise (M’). En admettant qu’il parvienne à réaliser totalement cette valeur sur le marché, il en tire, au final, 15 000€, mais sous forme d’argent (A’). S’il s’est présenté sur le marché avec de l’argent, il se retrouve, à la fin du cycle, avec de l’argent.

Bien sûr, l’histoire ne s’arrête pas là. On pourrait penser que cette plus-value, constituant le profit du capitaliste, est utilisée par ce dernier pour sa consommation personnelle. Ce n’est que partiellement le cas.
Le cycle se reproduit constamment, et à une échelle élargie. À la fin du premier cycle, le capitaliste se retrouve avec une plus-value de 5 000€. Il divise cette plus-value en diverses fractions, l’une pour la rente et l’autre pour sa consommation personnelle, par exemple. Disons qu’avec cette division, il reste de cette plus-value 3 000€. Le capitaliste, pour perpétuer le cycle et continuer, rationnellement, à faire du profit, va ajouter cette plus-value restante au capital précédent (10 000€) pour former un capital-argent supérieur (13 000€) et l’investir dans un nouveau procès, constituant un cycle nouveau, et ainsi de suite. Cette reproduction élargie, où de la plus-value vient toujours s’ajouter à la valeur initiale afin de commencer un nouveau cycle, constitue l’accumulation du capital.
Le mouvement de la production capitaliste est donc, finalement, celui-ci : A-M…P…M’-A’. A-M…P…M’-A’…. et ainsi de suite. Il ne faut pas se méprendre. Puisqu’il y a reproduction élargie, Le premier A du deuxième cycle constitue bien le capital-argent A du premier cycle, mais tel qu’il s’était valorisé en A’. Il en est de même pour les cycles suivants. Il y a une ascension constante, d’où le concept de reproduction élargie.

Plusieurs remarques.

  • Dans ces cycles interminables, nous remarquons, outre que la valeur se retrouve au début et à la fin, que la production P de marchandises proprement dites M’, n’a pour fonction que de mettre en valeur la valeur-capital. M n’est en fait que de la valeur sous une forme particulière. Lorsque le capitaliste achète M (Mp + T), il ne voit que la valeur de ces éléments : dans notre exemple, 10 000€. Lorsqu’il produit 15 000 marchandises à 1€ chacune, il ne voit que leur valeur ; pour lui, ces 15 000 objets ne sont que de l’argent potentiel. Au stade M’, il a déjà sa plus-value, son profit, mais qui n’est pas encore réalisée. En bref, dans le cycle, tout n’est que valeur, tout ne représente que de l’argent. Le capital-argent, le capital-productif, le capital-marchandise… ne sont que des formes particulières de la valeur, qui ne fait que se métamorphoser dans le procès de production. La matérialité des marchandises produites, leur valeur d’usage, n’est qu’un support, un moyen pour réaliser le mouvement automate de la valeur.
  • On le voit, aux deux extrémités de la formule se trouve la valeur sous la forme d’argent. Mais comme nous l’avons montré, la valeur n’est qu’une abstraction. Elle se caractérise par sa pure quantité. Du point de vue de la qualité en effet, de l’argent est toujours de l’argent. Nulle différence qualitative entre 10, 100 et 200€ ; seulement quantitative. Dans ce mouvement automate, le procès n’a donc ni mesure ni fin.
  • Or, nous l’avons vu également, ce mouvement sans fin ni mesure de la valeur nécessite une phase de production P, car étant une abstraction, elle nécessite toujours un support concret ; ce support, c’est la matérialité de la marchandise, qui en tant que valeur d’usage, pourra satisfaire les besoins des individus ; en un mot, être consommée. Puisque cette valeur d’usage n’est qu’un moyen pour réaliser la valeur de la marchandise, il faut toujours plus de marchandise pour reproduire le cycle précédent, mais à une échelle élargie. De M, nous passons à M’, puis à un M’ encore supérieur, etc. Pour le formuler autrement, le qualitatif concret, dans le mode de production capitaliste, n’est plus qu’un moyen nécessaire à l’augmentation infinie de l’abstraite quantité.
  • Cette reproduction toujours plus élargie de la production capitaliste, ne constitue pas un fait contingent, résultat de quelques individus avides d’augmenter leurs capitaux. La reproduction élargie, au contraire, constitue une nécessité du point de vue des lois mêmes de la production capitaliste. Dans la concurrence, les producteurs s’opposent et n’ont de cesse d’élargir leur production, d’avoir les dernières technologies, de produire davantage et en moins de temps que leurs concurrents. Inutile de dire que si l’un d’entre eux en venait à éprouver quelques remords quant à ce mouvement fou et destructeur, et qu'il souhaitait adapter sa production à quelque valeur morale, il serait éliminé de la course avant même d’avoir pu en prendre conscience. Le capitalisme n’attend pas.
  • Enfin, on peut être tenté d’affirmer, à première vue, que la valeur d’usage et son corollaire la consommation, ne constituent pas le moyen mais la fin. C’est une conception erronée qui nait dans l’esprit de celui qui observe le système capitaliste par le prisme du consommateur. En effet pour celui-ci, pour le travailleur par exemple, le cycle se présente sous la forme M-A-M. Contrairement au capitaliste qui se présente d’abord comme possesseur de capital-argent, le travailleur se présente comme possesseur de sa marchandise-force de travail M, qu’il va vendre pour recevoir un salaire sous forme-argent A, et qu’il va utiliser pour acheter ses biens de consommation M. On pourrait alors en conclure que le marché n’incite à aucun résultat en particulier, ne définissant pas à l’avance quels biens doivent être produits ; que celui-ci n’est qu’un « réceptacle » aux but des individus. Mais une telle pensée est l’aveu d’une incompréhension totale de la nature double de la richesse, de la marchandise, du travail ; c’est ne considérer le tout que par le prisme du premier niveau méthodologique que nous avons posé au-dessus ; par le prisme du matériel-technique seul.

Malheureusement, nous le voyons, ce point de vue, bien que réel et important, ne doit pas cacher la nature de la production sociale, fondée exclusivement sur l’adage : faire du plus avec du plus.

NekBallad
Niveau 15
13 mai 2018 à 22:50:25

3) Remarques générales

Comme nous l’avons vu, la marchandise possède une double nature. L’une concrète, l’autre abstraite. Il en va de même pour le travail. Mais de ces deux faces, il y en a une qui s’impose et rabaisse l’autre à l’état de simple support. Nous savons désormais laquelle. Dans le mode de production capitaliste, c’est une abstraction qui guide toute la productions sociale. Comme dirait Marx, la marchandise est ainsi, de par sa double nature, une « chose sensible supra-sensible ». De par le mouvement inconscient des produits du travail, destinés à la seule vente du point de vue du capital, ce sont des abstractions (l’argent, les marchandises, le capital, la valeur…) qui dominent. L’envahissement de l’économie dans la vie sociale des individus de la modernité signifie l’envahissement d’une métaphysique fétichiste et mortifère.

Que la production sociale ne considère que la valeur et non la valeur d’usage, cela implique notamment une indifférence totale pour le contenu de celle-ci. Qu’il soit produit des kalachnikov, des jouets en bois, des bombes ou des chemises… cela n’a aucune importance tant que ces objets ont une forme-marchandise et peuvent ainsi rapporter de l’argent. Que ce soit une bombe ou un livre, du point de vue du capital, ces objets ne sont qu'une forme concrète singulière de la valeur. 10€ pour l'une de ces formes ou 10€ pour l'autre, aucune importance, cela est toujours 10€. Il n’y a qu’à l’époque moderne que des activités aussi concrètement différentes les unes des autres, comme fabriquer des vêtements, fabriquer une bombe ou tirer sur des individus puissent être subsumées sous la même catégorie abstraite de « travail » ; pour autant que ces activités génèrent de l’argent, ou en langage économique, de la valeur/plus-value.

La valeur marchandise, ou l’argent, constitue le seul but nécessaire de la production, dont la production de valeurs d’usage censées satisfaire des besoin n’est qu’un moyen. Le télos de la société moderne est le télos de l’économie. Économie comprise non en tant que simple gestion des « ressources » naturelles, mais en tant que chrématistique, telle que la définissait Aristote. L’économie moderne n’est en fait rien d’autre qu’une chrématistique géante structurant toute la société, alors qu’à l’époque d’Aristote, elle n’était qu’une pratique marginale et condamnée ; l’économie moderne n’a rien à voir avec une simple « oikonomia » qui ne serait qu’affaire de gestion et de répartition des ressources naturelles.
Ne considérant qu’une seule valeur : celle de l’argent, et ayant toujours besoin de s’accroître et de s’élargir, le mode de production capitaliste tend à annihiler toutes autres valeurs, notamment morales, qui pourraient compromettre le mouvement saint de son sujet automate fétiche. La valeur de la vie elle-même, désormais relative et considérée à la mesure de l’« économique », se retrouve dépréciée.

Il en est de même pour l’environnement naturel. Puisque le contenu n’importe aucunement et que la concurrence contraint les entreprises à toujours augmenter leur productivité à l’aide de machines, il devient sans importance que l’environnement concret subisse l’exploitation la plus destructrice. Il faudra toujours aller plus loin, plus vite. Le problème qui vient rapidement est que l’environnement étant concret, celui-ci ne peut subir éternellement la folie d’une mégamachine qui ne peut s’arrêter. Les individus eux-mêmes, en tant que subjectivités corporelles et conscientes, ne peuvent subir sans limite l’exploitation au nom d’une abstraction.

Il devient alors nécessaire de reconsidérer la place de l’homme dans le monde et de reconsidérer nos rapports sociaux. Si la science moderne nous a permis d’acquérir un incroyable pouvoir sur notre environnement, et s’il devient coutume de considérer la nature comme pur objet pour l’homme, la réalité nous rappelle toujours à l’ordre quant à une chose qui semble nous avoir échappé : nous ne sommes pas un empire dans un empire. Nous sommes des êtres naturels ; naturels et sociaux. Agir dans une totale indifférence pour l’extérieur : la nature et les autres, c’est aussi participer, in fine, à notre propre destruction.
Certes, le mode de production capitaliste a permis de produire une masse incroyable de marchandises et de faire progresser à une vitesse incroyable la technologie, permettant un confort matériel non négligeable pour certains. Il a aussi permis un tas de choses tout à fait attrayantes. Mais, outre le fait qu’il ait aussi contribué à détruire la vie de nombreux individus au cours de l’histoire, il apparait qu’il devient nécessaire de s’en débarrasser.

Albert Camus disait certes que notre tâche n’était pas de changer le monde, mais de l’empêcher de s’effondrer. Ce qu’il n’avait pas compris, c’est que pour l’en empêcher, il faut précisément le changer. Que ce changement soit aussi en tout état de cause personnel, cela est une certitude. Que ce changement personnel soit des plus difficile, cela l’est également. Mais y participer, c’est peut-être aussi ça, finalement, faire preuve d’une véritable et authentique humilité qui se révélera salvatrice...

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NOTE : J'ai écrit ce texte relativement rapidement, car je ne me sens pas vraiment d'humeur en ce moments à structurer strictement un plan pour proposer un texte de meilleure qualité. Aussi c'est un exercice qui m'aura été difficile car je ne savais pas comment aborder le sujet. Il me paraissait intéressant de développer quelques une des idées que j'avais évoqué dans mon précédent topic sur la question de l'individu chez Marx.
Mais s'est posé un problème : comment rendre le plus succinct possible un tel développement ? Plus je l'aurais rendu court, plus les arguments auraient manqué. De surcroit, j'ai préféré ne me donner que peu de limites quant à la longueur du texte, car étant donné la nature hautement abstraite du sujet, il peut être difficile, si l'on est totalement extérieur à ces discussions, de bien s'imprégner des concepts. Autant dire que vu cette nature abstraite, tenter, en quelques paragraphes, d'expliquer une théorie que son auteur aura mis plusieurs milliers de pages à démontrer en détail, est un pari impossible. Mais soit.

Malgré tout, ce texte est fortement lacunaire. Il se peut qu'il y ait quelques coquilles et quelques confusions par quelques moments. Mais je préfère le poster comme tel plutôt que de laisser éternellement dans mon ordinateur sans le partager. Bien sûr, je pourrai développer certaines idées en commentaires. Aussi, j'ai choisi, pour ne pas alourdir le texte, de choisir parfois des termes qui, d'un point de vue logique, sont approximatifs.

appiodici_bis
Niveau 28
14 mai 2018 à 15:32:03

Merci de ton topic qui fût probablement un des meilleurs topics de ces dernières semaines. Il explique particuliérement bien le premier chapitre sur la monnaie du Capital de Marx. La distinction entre valeur d'usage et valeur d'échange est fondamental pour comprendre la nature du capitalisme. Il y a plein de corrolaires intéressants que tu fais qui ne sont que partiellement développé (et je comprends vu déjà la nature du travail) notamment ceux 1) De la destruction de la nature comme un caractére systémique et non comme une simple erreur du capitalisme 2) De la non possibilité de la régulation du marché par lui-même 3) De l'accumulation primitive du capitalisme qui a toujours lieu et qui n'est pas que primitive 4) De l'extension sans fin de la vitesse et de la technologie pour sauver la concurrence (je compte faire un topic sur Moishe Postone pour développer ce point ; je me permettrais de me référencer à ton topic pour expliquer les bases de Marx car c'est un très bon résumé).

Je ne sais pas si c'est le fait que tu utilises en fin de troisième partie la phrase de Camus soit une réponse volontaire à un libéral de ce forum qui a justement mis cette phrase pour justifier le systéme actuel mais si c'est le cas ; c'est particuliérement salace :noel:

Je me contenterai de montrer mon désaccord sur un point où je ferai aussi un bon topic prochainement à partir de Fischbach. Tu as dis que tu te situais hors du marxisme pour revenir au texte de Marx or justement, la réification est un thème du marxisme et non de Marx. Le thème de la réification est issu de la pensée de Lukacs pas de Marx lui-même qui finalement n'avait pas une théorie de la réification humaine mais une théorie de l'aliénation (qui n'est pas une réification) ; la chose la plus fondamentale (et c'est ici que je te renvois au livre Sans objets de Fischbach) est que nous sommes coupés du lien avec la nature et sommes sans objets (et non pas devenu des objets). Je pense que ce texte a le mérite de montrer que Lukacs a mal interpréter Marx (ce que lui-même finira par dire dans un de ces derniers ouvrages sur la réification ; je peux te filer les liens si tu veux).

Sinon tout le reste est impeccable ; donc j'ai envie de dire merci :hap:

OvenDodger
Niveau 9
14 mai 2018 à 17:08:03

Le catéchisme est impeccablement récité, c'est super. :)

NekBallad
Niveau 15
14 mai 2018 à 17:37:40

@Appio

Merci tout d'abord.

Sur la réification, c'est un concept qui certes a été explicitement développé par Lukacs (selon son interprétation) mais qui est déjà présent dans la pensée de Marx ; le concept est d'ailleurs éminemment lié au concept d'aliénation.

Pour faire court, les rapports sociaux sous le capitalisme prennent la forme des choses, puisque les choses, entendu par là les marchandises, en tant que valeurs (donc abstraction), médiatisent le rapport social entre les individus. C'est une réification, une « objectivation » des rapports entre les différentes subjectivités vivantes de la société. Et cette objectivation est aliénante, car elle échappe au pouvoir des individus qui - inconsciemment - ont placés leur interdépendance dans des abstractions ; l'argent notamment. Le mouvement de l'abstraction-valeur devient autonome et c'est finalement le procès de production, ou ce qui revient au même d'un point de vue capitaliste, procès de valorisation, qui finit par maitriser les individus. D'où le caractère de contrainte impersonnelle et objective que constitue la valeur.

La réification des rapports sociaux est un concept constitutif du concept de fétichisme de la marchandise, qui en soi, est le fondement de toute la théorie de la valeur de Marx.

appiodici_bis
Niveau 28
14 mai 2018 à 18:39:03

Le 14 mai 2018 à 17:37:40 NekBallad a écrit :
@Appio

Merci tout d'abord.

Sur la réification, c'est un concept qui certes a été explicitement développé par Lukacs (selon son interprétation) mais qui est déjà présent dans la pensée de Marx ; le concept est d'ailleurs éminemment lié au concept d'aliénation.

Pour faire court, les rapports sociaux sous le capitalisme prennent la forme des choses, puisque les choses, entendu par là les marchandises, en tant que valeurs (donc abstraction), médiatisent le rapport social entre les individus. C'est une réification, une « objectivation » des rapports entre les différentes subjectivités vivantes de la société. Et cette objectivation est aliénante, car elle échappe au pouvoir des individus qui - inconsciemment - ont placés leur interdépendance dans des abstractions ; l'argent notamment. Le mouvement de l'abstraction-valeur devient autonome et c'est finalement le procès de production, ou ce qui revient au même d'un point de vue capitaliste, procès de valorisation, qui finit par maitriser les individus. D'où le caractère de contrainte impersonnelle et objective que constitue la valeur.

La réification des rapports sociaux est un concept constitutif du concept de fétichisme de la marchandise, qui en soi, est le fondement de toute la théorie de la valeur de Marx.

Justement c'est sur ce point que je ne suis pas d'accord (ou plutôt que Fischbach n'est pas d'accord) ; il s'agit pas d'une réification au sens Lukacs du terme ou du sens "l'homme devient marchandise" mais d'un autre type. La thèse de Fischbach est de dire que l'objectification n'est pas une réification mais une coupure entre la nature et l'homme (pour la bonne raison que l'homme ne peut pas être ontologiquement réduit à une marchandise). Il y a des idées qui vont dans ce sens chez Marx aussi mais je pense que ce sera plus clair si j'en fais une réponse plus sérieuse quand j'aurai le temps en privé ou ici.

Finalement, tu réponds par ce topic à ma demande en privé :noel:

appiodici_bis
Niveau 28
14 mai 2018 à 18:54:44

Mais je comprends ce que tu veux dire et je suis parfaitement d'accord. La différence fondamentale se situe entre "L'homme est une marchandise" et "L'homme est vu et fait comme si il était marchandise". Sinon biensûr que Fischbach est d'accord avec ce qui a été mis sur le caractère impersonnel et objectif de la valeur.

NekBallad
Niveau 15
14 mai 2018 à 21:03:44

Il n'a jamais été dit que l'homme était « ontologiquement » une marchandise. Il a été dit que le rapport social des individus entre eux était médiatisé par les choses ; et que le mouvement de ces « choses », en tant qu'abstractions, tend à s'ériger en puissance autonome semblant être indépendante, rendant alors cette objectivation des rapports sociaux - propre au rapport social capitaliste - aliénante.

Je ne peux pas être plus clair.

appiodici_bis
Niveau 28
14 mai 2018 à 21:18:55

Oui c'est ce que Marx dit mais pas Lukacs ou la théorie de la réification du marxisme traditionnel. Or c'est la vision de Lukacs faussé sur l'interprétation de Marx qui l'a faite qui va influencer tout le 20 eme siècle.

appiodici_bis
Niveau 28
17 mai 2018 à 21:27:19

http://www.liberation.fr/debats/2018/05/16/a-200-ans-jamais-marx-n-a-ete-aussi-jeune-et-utile_1650575?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#link_time=1526543783

Voici un article d'aujourd'hui par rapport au sujet initial de ce topic sur la pertinence toujours actuelle des analyses de Marx.

Pseudo supprimé
Niveau 10
18 mai 2018 à 12:00:24

Sujet brillant. Vraiment c'est bien développé mais surtout démontré.

Bizarrement le sujet date de plusieurs jours et on n'y voit aucun défenseur du néo-liberalisme, capitalisme ou encore de leur système général visant à la "flexibilité" :bravo:
Ou alors ils ne sont pas foutus de lire 15 minutes car cela effleurerait leur sainte croyance en un système dont ils sont pour la plupart les victimes ? Ou alors leurs idéaux politiques/économiques n'en sont pas car ils ne reposent sur aucune autre valeur que la cupidité ? Sont ils incapables de venir opposer mais surtout tenter de prouver que le capitalisme est bénéfique à la société ?

NekBallad
Niveau 15
18 mai 2018 à 20:18:28

Le sujet de ce texte a été l'objet de nombreux débats antérieurs sur le forum, ceci expliquant en partie l'absence de réponses. Je dis bien en partie car le manque d'arguments de certains en est la raison principale.

Du reste, hors du brouhaha des différentes joutes verbales ponctuées de mauvaise foi et de malhonnêteté intellectuelle, j'ai voulu développer partiellement certains concepts en un topic, me permettant de les rendre plus limpides mais aussi de structurer les arguments. Ce texte s'adresse dès lors à ceux qui pourraient être tentés d'approfondir le sujet. Comme je le dis souvent, le manque de réponses n'est pas si grave tant que le lecteur curieux a pu apprendre quelque chose.

Merci en tout cas.

acbd
Niveau 9
18 mai 2018 à 20:25:57

Bravo Neck,
c’est limpide et brillamment structuré.
On sent l’empreinte de Jappe et son aventure de la marchandise :-))) (j’ai vu qu’il l’avait ré-édité y’a pas longtemps).

Il ne manque plus que les tenants de l’utilité marginal et de la valeur « consciente » pour donner une tonalité polémique au sujet.
(Quoique ton but était peut être juste didactique).

Tris0m
Niveau 10
18 mai 2018 à 20:32:18

tant que le lecteur curieux a pu apprendre quelque chose.

C'est le cas merci bien :oui: :hap:

NekBallad
Niveau 15
18 mai 2018 à 21:34:19

Le 18 mai 2018 à 20:25:57 acbd a écrit :
Bravo Neck,
c’est limpide et brillamment structuré.
On sent l’empreinte de Jappe et son aventure de la marchandise :-))) (j’ai vu qu’il l’avait ré-édité y’a pas longtemps).

Il ne manque plus que les tenants de l’utilité marginal et de la valeur « consciente » pour donner une tonalité polémique au sujet.
(Quoique ton but était peut être juste didactique).

Ah tiens salut acbd, ça faisait longtemps.

C'est marrant que tu évoques Anselm Jappe, car je n'ai encore jamais lu ses Aventures de la marchandise ; ni son dernier ouvrage d'ailleurs !

Effectivement sinon, mon but était principalement didactique. J'aurais pu explicitement évoquer le cas de la théorie marginaliste de la valeur mais le texte était déjà trop long, j'ai donc préféré couper court. Il reste que les arguments que j'ai développé infirment implicitement cette théorie qui se révèle incapable ne serait-ce que de répondre à la question de la répartition du travail dans la société capitaliste ; et qui se révèle d'autant plus stérile qu'elle ne peut rendre compte du « deuxième niveau méthodologique » dont j'ai parlé, soit de la forme sociale, et qui, ainsi, ne peut faire la distinction entre valeur d'usage et valeur/valeur d'échange. Distinction pourtant nécessaire.

Le 18 mai 2018 à 20:32:18 Tris0m a écrit :

tant que le lecteur curieux a pu apprendre quelque chose.

C'est le cas merci bien :oui: :hap:

Avec plaisir :hap:

JehanSnow
Niveau 4
18 mai 2018 à 22:20:01

Ce que tu dis est très intéressant, mais ta réflexion présente plusieurs défauts.

Tout d'abord tu prends le point de vue adopté pour le processus de production par le capitaliste (objectivisation des personnes...), et tu l'étends à toute l'économie comme si tous ses acteurs adoptaient ce point de vue, ce qui n'est pas le cas (le consommateur se préoccupent beaucoup de la valeur d'usage). L'économie n'est pas dirigée par les seuls producteurs, en témoigne les crises de sur-production.

Ensuite j'ai l'impression que tu considères que c'est uniquement le travailleur qui produit, or celui qui apporte les outils de production y participe également. Le degré de participation est débattable, mais on ne peut en négliger aucun. Et les conditions de travail de même que sa qualité influent sur la valeur et le prix des marchandises produites.

Enfin tu ignores tout un tas de facteurs telles que les valeurs sociales ou l'intervention de l'État. Je pense que notre système actuel fonce dan le mur avec la crise écologique actuelle. Mais l'État a les moyens de réformer ce système. Et mettre en place un système complètement nouveau et fonctionnel me paraît extrêmement difficile voire impossible.

Désolé de ne pas faire une réponse précise j'en rédigeait une depuis au moins une heure quand j'ai rechargé la page par erreur :snif2:

NekBallad
Niveau 15
18 mai 2018 à 23:27:17

Tout d'abord tu prends le point de vue adopté pour le processus de production par le capitaliste (objectivisation des personnes...), et tu l'étends à toute l'économie comme si tous ses acteurs adoptaient ce point de vue, ce qui n'est pas le cas (le consommateur se préoccupent beaucoup de la valeur d'usage). L'économie n'est pas dirigée par les seuls producteurs, en témoigne les crises de sur-production.

J'ai explicitement évoqué le point de vue du consommateur pour qui c'était la valeur d'usage qui importait, cf. la seconde partie, cinquième remarque. Mais, précisément, que la valeur d'usage soit effectivement considérée et même nécessaire - car celle-ci est le support de la valeur - n'empêche pas que cette dernière, du point de vue du procès de production, ne constitue pas la fin mais le moyen.

La consommation est un facteur économique à prendre évidemment en compte, mais là n'est pas mon propos. Ce dont il s'agit pour moi, c'est de montrer qu'un mode de production fondé sur une abstraction quantitative qui en constitue la fin et pour lequel la consommation n'est précisément qu'un moyen, a pour effet des conséquences dévastatrices. Tu parles d'ailleurs de « crise de surproduction » ; il faudrait expliciter ce que tu entends par là, mais si tu en parles comme concept « marxien », alors sache qu'une telle crise tient justement ses causes dans les lois de la production capitaliste en tant que telle.

Tu as l'air de te fourvoyer quant à ta compréhension des enjeux du texte.

Ensuite j'ai l'impression que tu considères que c'est uniquement le travailleur qui produit, or celui qui apporte les outils de production y participe également. Le degré de participation est débattable, mais on ne peut en négliger aucun. Et les conditions de travail de même que sa qualité influent sur la valeur et le prix des marchandises produites.

Je ne cerne pas bien le rapport de ta remarque avec mon propos.

Enfin tu ignores tout un tas de facteurs telles que les valeurs sociales ou l'intervention de l'État. Je pense que notre système actuel fonce dan le mur avec la crise écologique actuelle. Mais l'État a les moyens de réformer ce système. Et mettre en place un système complètement nouveau et fonctionnel me paraît extrêmement difficile voire impossible.

L'État peut « réformer » mais il ne peut pas modifier l'essence même du mode de production capitaliste, qui est d'être production de plus-value. Or les conséquences écologiques désastreuses ont pour source cette essence. L'État a certes la possibilité d'intervenir dans l'économie mais ses fonctions restent dépendantes de cette dernière et de son bon fonctionnement. En clair, l'accumulation du capital que constitue la reproduction élargie dont j'ai parlé constitue une nécessité du point de vue des lois économiques mêmes du capitalisme. Cette accumulation ne constitue pas un fait contingent tenant sa cause dans la personnalité des différents producteurs. Si tel était le cas, alors l'État pourrait certes intervenir et limiter une telle avidité. Mais il n'en est rien. C'est pourquoi toute tentative réformiste est vaine ; et c'est pourquoi un tartuffe comme Mélenchon qui se revendique écologiste ne remet pas en question le mode de production capitaliste mais, bien au contraire, fonde son programme sur des promesses de croissance économique...

JehanSnow
Niveau 4
20 mai 2018 à 12:54:30

@NekBallad

Tu as l'air de te fourvoyer quant à ta compréhension des enjeux du texte.

Si c'est le cas j'en suis profondément désolé, je ne conteste pas la distinction valeur d'usage-valeur d'échange, mais je conteste la condamnation sans appel du capitalisme et surtout l'affirmation de l'impossibilité de le réformer, ainsi que certains points de ton analyse que je n'ai sûrement pas bien compris :)

J'ai explicitement évoqué le point de vue du consommateur pour qui c'était la valeur d'usage qui importait, cf. la seconde partie, cinquième remarque. Mais, précisément, que la valeur d'usage soit effectivement considérée et même nécessaire - car celle-ci est le support de la valeur - n'empêche pas que cette dernière, du point de vue du procès de production, ne constitue pas la fin mais le moyen.

Je suis d'accord d'un manière générale, mais il ne faut pas non plus ignorer les patrons d'entreprises, généralement pas les plus petites il est vrai, qui exercent une activité de production dans un but autre que le profit (but social, soutien d'une idéologie, conviction que cette production particulière est bénéfique pour la société).

La consommation est un facteur économique à prendre évidemment en compte, mais là n'est pas mon propos. Ce dont il s'agit pour moi, c'est de montrer qu'un mode de production fondé sur une abstraction quantitative qui en constitue la fin et pour lequel la consommation n'est précisément qu'un moyen, a pour effet des conséquences dévastatrices.

Dans la situation actuelle, c'est vrai, bien qu'il ne faut pas oublier que la consommation n'est qu'un moyen pour les producteurs d'accumuler du profit, mais un moyen qu'ils ne contrôlent pas, ou très partiellement. Mais je pense que le capitalisme est réformable, puisque les producteurs ne sont pas exempts de contrôles. Cette réforme est malheureusement empêchée par la corruption des gouvernants et la peur des contraintes qu'entraînerait l'adoption de mesures écologiques efficaces. Cette corruption n'est cependant pas propre au système capitaliste. Le problème est moins la recherche de profit que son manque de contrôle et de limites imposées.

L'État peut « réformer » mais il ne peut pas modifier l'essence même du mode de production capitaliste, qui est d'être production de plus-value. Or les conséquences écologiques désastreuses ont pour source cette essence. L'État a certes la possibilité d'intervenir dans l'économie mais ses fonctions restent dépendantes de cette dernière et de son bon fonctionnement. En clair, l'accumulation du capital que constitue la reproduction élargie dont j'ai parlé constitue une nécessité du point de vue des lois économiques mêmes du capitalisme. Cette accumulation ne constitue pas un fait contingent tenant sa cause dans la personnalité des différents producteurs. Si tel était le cas, alors l'État pourrait certes intervenir et limiter une telle avidité. Mais il n'en est rien.

La recherche de profit n'est désastreuse que lorsqu'elle se fait au détriment de l'environnement. Or toutes les activités capitalistes n'ont pas le même impact écologique. Les activités industrielles sont bien plus polluantes que les activités du secteur tertiaire par exemple. Les activités industrielles sont bien sûr nécessaires, et des limites contraignantes doivent leur être imposées. Mais cette nécessité ne se retrouve pas dans les activités du secteur tertiaire, on peut donc y laisser une plus grande marge de manœuvre à la recherche de profits. Si la croissance économique se fonde principalement sur les activités non polluantes ou peu polluantes, où est le problème ? (je ne dis pas que c'est le cas maintenant, ou que c'est ce que propose Mélenchon, mais dans l'absolu ?)

De plus une politique de décroissance économique devra répondre à de nombreux problèmes, comme la répartition de l'emploi ou encore la perte de puissance internationale induite (à moins d'une prise de conscience et d'une politique internationale concertée mais on risque d'attendre longtemps).

Tu parles d'ailleurs de « crise de surproduction » ; il faudrait expliciter ce que tu entends par là, mais si tu en parles comme concept « marxien », alors sache qu'une telle crise tient justement ses causes dans les lois de la production capitaliste en tant que telle.

Je ne sais pas pour le concept "marxien" mais je pensais par exemple à la crise des années 1930. Et ce que j'entends par là c'est une crise économique où la consommation est inférieure à la production, ce qui provoque une sur-production de marchandises qui ne pourront pas être échangées.

Je ne cerne pas bien le rapport de ta remarque avec mon propos.

C'est juste que j'avais l'impression que tu ignorais le rôle du capital dans le processus de production, alors qu'il en est une part essentielle tout comme le travailleur.

NekBallad
Niveau 15
20 mai 2018 à 14:21:40

Je suis d'accord d'un manière générale, mais il ne faut pas non plus ignorer les patrons d'entreprises, généralement pas les plus petites il est vrai, qui exercent une activité de production dans un but autre que le profit (but social, soutien d'une idéologie, conviction que cette production particulière est bénéfique pour la société).

Mais il n'a pas été question de dire que certains individus n'entreprennent pas pour des buts autres que le profit. Seulement, cette question n'entre pas dans le périmètre du sujet, qui n'est pas la personnalité altruiste ou non de certains individus, mais des « lois » du mode de production capitaliste ; lois économiques qui, comme j'ai voulu le faire entendre (cf. seconde partie, quatrième remarque), vont au-delà de la personnalité de chacun et qui s'imposent à la société.

Dans la situation actuelle, c'est vrai, bien qu'il ne faut pas oublier que la consommation n'est qu'un moyen pour les producteurs d'accumuler du profit, mais un moyen qu'ils ne contrôlent pas, ou très partiellement. Mais je pense que le capitalisme est réformable, puisque les producteurs ne sont pas exempts de contrôles. Cette réforme est malheureusement empêchée par la corruption des gouvernants et la peur des contraintes qu'entraînerait l'adoption de mesures écologiques efficaces. Cette corruption n'est cependant pas propre au système capitaliste. Le problème est moins la recherche de profit que son manque de contrôle et de limites imposées.

Encore une fois, ton erreur est de considérer que la production sociale, dans sa forme capitaliste, n'est qu'affaire de « volonté ». Ce n'est pas le cas. L'essence, c'est-à-dire la nature intrinsèque du mode de production capitaliste est d'être production de plus-value. Le capitalisme ne peut pas fonctionner sans cette production de valeur ; la croissance économique constitue un impératif. Or, - et il est vrai, je n'ai pas pu m'atteler à expliciter ce point - cette production de valeur implique que soit toujours produit davantage de marchandises, que soit accumulé toujours davantage de capital. Comme Marx le montre dans le Capital, seul le travail vivant (c'est-à-dire humain) produit de la plus-value, alors que les machines ne font que transmettre leur valeur au produit sans en ajouter de nouvelle. Le profit global des différentes entreprises de la société n'est qu'un partage de cette plus-value sociale produite par chacune d'elles à leur échelle particulière. Mais le but de ces entreprises est bien évidemment de grapiller un maximum de parts de marché, en un mot, de s'accaparer le plus possible cette plus-value sociale. Pour cela, la mécanisation de la production s'avère être un moyen nécessaire afin de baisser leur temps de travail et pouvoir produire davantage, et à moindre coût. Les entreprises qui parviennent à produire plus et plus vite, en un mot, qui parviennent à augmenter leur productivité engrangent dès lors davantage de profit. Seulement, vient le temps où les autres entreprises s'alignent sur la productivité et, à terme, la mécanisation du procès de production diminue la part vivante globale du travail social et donc la plus-value produite ; ce qu'il faut dès lors compenser en produisant davantage de marchandises pour la simple raison que, puisque le temps de travail a diminué, la valeur unitaire des marchandises a baissée. Ainsi il faut produire plus de marchandises pour à peu près la même masse de valeur qu'auparavant, et ainsi de suite.

Je me permets de ne faire ici qu'un portrait très succinct, et donc très lacunaire, du phénomène de la concurrence et de ses implications, mais il faut comprendre que l'augmentation de la productivité n'est pas affaire de volonté ; c'est un phénomène intrinsèque au mode capitaliste de production. Qu'importe que les politiques soient corrompus. Cela est certainement vrai, mais aucunement cela n'influe sur les lois profondes du système capitaliste.

Il est tout à fait hors de portée de quelque politique que ce soit d'agir en profondeur sur ces « lois ». Les politiques ne peuvent agir qu'en superficie, qu'en modifier l'application. Sous le mode capitaliste de production, sans production de valeur, pas de production tout court, et donc pas de consommation. Or la production de valeur implique nécessairement, au-delà de toute volonté, cette fuite en avant constante et destructrice.

La recherche de profit n'est désastreuse que lorsqu'elle se fait au détriment de l'environnement. Or toutes les activités capitalistes n'ont pas le même impact écologique. Les activités industrielles sont bien plus polluantes que les activités du secteur tertiaire par exemple. Les activités industrielles sont bien sûr nécessaires, et des limites contraignantes doivent leur être imposées. Mais cette nécessité ne se retrouve pas dans les activités du secteur tertiaire, on peut donc y laisser une plus grande marge de manœuvre à la recherche de profits. Si la croissance économique se fonde principalement sur les activités non polluantes ou peu polluantes, où est le problème ? (je ne dis pas que c'est le cas maintenant, ou que c'est ce que propose Mélenchon, mais dans l'absolu ?)

Ceci est une question qui dépasse le périmètre du sujet mais la tertiarisation de l'économie capitaliste qu'a connue la société à la fin du XXe siècle ne constitue pas une base solide pour la valorisation. Il faut différencier la catégorie empirique de profit et la catégorie « théorique » de plus-value. Les deux sont éminemment liées mais non identifiables, en ce que tout profit trouve sa source ultime dans la production sociale de plus-value, mais n'en vient pas directement pour certaines entreprises. En bref, les entreprises du secteur tertiaire peuvent faire du « profit » mais, dans leur grande majorité, ne produisent soit pas de valeur, soit pas assez. Leurs profits proviennent généralement d'autres sphères. Mais je ne poursuivrai pas sur ce point car nous nous égarons. Si tu veux creuser le sujet, je te conseille La grande dévalorisation de Lohoff et Trenkle.

De plus une politique de décroissance économique devra répondre à de nombreux problèmes, comme la répartition de l'emploi ou encore la perte de puissance internationale induite (à moins d'une prise de conscience et d'une politique internationale concertée mais on risque d'attendre longtemps).

Je ne sais pas ce que tu entends exactement par « décroissance », donc je ne saurai répondre dans l'immédiat.

C'est juste que j'avais l'impression que tu ignorais le rôle du capital dans le processus de production, alors qu'il en est une part essentielle tout comme le travailleur.

Je ne comprends pas bien ta remarque. Le capital a bien sûr un rôle fondamental dans le processus de production puisque c'est lui qui engage le travail afin de se valoriser. Du reste, c'est bien le travail qui permet au capital de se valoriser. Ce dernier ne peut se valoriser par lui-même, car il y a toujours besoin d'un processus de production concret de valeurs d'usage pour « supporter » la valeur dans un cycle A-M-A' ; sauf cas, bien sûr, de capital fictif où l'argent passe directement de A à A', mais ceci est une autre histoire.

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Sujet : La métaphysique de l'économie ou le fétichisme moderne
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