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Savoir & Culture

Politique

Sujet : Passer du Savoir Partagé au Savoir Commun
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MarasmeNatus
Niveau 38
12 juillet 2018 à 11:30:22

Plop !

A - Pour commencer, les termes Savoir Partagé et Savoir Commun nous viennent de la théorie des jeux (j'ai traduit, respectivement, Shared Knowledge et Common Knowledge, abrégés SK et CK), avant d'avoir vu des disciplines diverses s'y intéresser.
Ainsi, dans une situation donnée, si tous les agents savent que x (proposition quelconque), il y a Savoir Partagé.
MAIS, pour qu'il y ait Savoir Commun, il faut que tout le monde sache que tout le monde sait x. On pourrait même ajouter la condition que tout le monde sache que tout le monde sait que tout le monde sait x, et ainsi de suite ad infinitum.

Bref.
Il y a peut donc y avoir Savoir Partagé avec ou sans Savoir Commun.

B - Maintenant, je veux démontrer qu'en présence de Savoir Partagé, l'absence de Savoir Commun est parfois très préjudiciable.

Prenons les cas suivants :
- Beaucoup de massacres ont eu lieu parce qu'on avait toujours présenté à leurs auteurs leurs victimes comme des barbares. Et ils ont pris peur, peur d'être eux-mêmes massacrés, au point qu'un accès de monstruosité collective ont fait d'hommes ordinaires d'odieux criminels.

- bien que cela soit multifactoriel, le vote utile, aberration de nos démocraties, repose, en partie donc, sur l'ignorance qu'autrui est prêt à voter sans quelconque calcul pour le même candidat que celui que l'on plébiscite soi-même.

- bien que cela soit légèrement différent, il y a également un très grand nombre de situations où une croyance perd son sens quand elle consiste à se croire relever de l'exception et qu'on la découvre nettement partagée par les autres vis-à-vis d'eux-mêmes :
1. L'immense majorité des gens pensent être moins vaniteux (cf. une étude aux Pays-Bas) et matérialistes (cf.une étude états-unienne) que la moyenne.
2. Je citais le cas guerrier ; or, on a également pu dire au camp A qu'ils devaient donner leur vie pour défendre la civilisation, et au camp B la même chose...
3. Le third-person effect est l'idée, elle aussi nettement partagée que "je suis moins influençable par les médias généralistes et dominant le marché que la moyenne".

Ce qui ressort dans cette catégorie est soit que la logique statistique est attentée, soit qu'il y a conflits entre des valeurs (au sens philosophique du terme) ou entre des croyances, tandis que s'en rendre compte permettrait (en théorie) d'ouvrir un débat, de prendre du recul, et tutti quanti ; c'est sans doute parce qu'il y a une différence fondamentale entre dire qu'un camp représente la justice et qu'un autre représente son absence jusqu'à son principe-même, et dire qu'un camp avec une certaine conception de la justice va entrer en conflit avec un camp avec une autre conception de la justice qu'on a pu voir fleurir des termes utilisés en diplomatie comme l'Empire du Mal, l'Axe du Mal, le Grand Satan, et j'en passe : il est sans doute plus commode de faire passer le camp opposé pour tout simplement amoral et nihiliste.

titre anecdotique, on peut voir tout le potentiel de joindre le Savoir Commun au Savoir Partagé avec l'exemple des applications d'appariement comme Tinder, qui reposent sur l'association systématique des deux Savoirs. Analyser les effets de ces applications via ce prisme pourrait également s'avérer intéressant.

C - Et donc, si obtenir le SC à partir du SP est parfois si souhaitable, reste à déterminer dans quelle mesure l'entreprise est possible.

Je dirais, pour illustrer mon propos et le rendre moins abstrait, que les hashtags partagés en masse pour montrer l'ampleur d'un sentiment, ne sont pas la voie optimale.

D'abord, parce qu'il n'y a pas nécessairement total anonymat. Quand bien même il y aurait pseudonymat, cela n'empêche qu'on puisse avoir des considérations d'image, et d'évitement de répercussions pour soi.

Ensuite, il y a le souci de l'association temporalité-visibilité des informations :
Je peux recevoir inconsciemment l'influence des personnes ayant avant moi partagé le hashtag en question, ou simplement exploiter le mouvement, avoir un comportement dépendant de ce que je sais ou crois savoir de ce mouvement (par exemple, si je suis intimement contre et qu'il me semble minoritaire, je peux lancer un hashtag aux antipodes en réponse, ce à quoi on est généralement bien moins disposé si le mouvement a acquis une importance extrême), et ainsi de suite.

Ce que je propose ?
Une sorte de service accessible généralement en réseau où l'on a un identifiant unique et engendré aléatoirement, avec la possibilité d'inviter un maximum de personnes à participer, avec donc des sondages en proposition libre et cette-fois-ci anonyme (on pourrait imaginer que lesdits sondages doivent déjà faire l'objet d'un consensus pour éviter les questions engagées ou qu'ils ne proposent pas suffisamment de nuances, etc.), auxquels les réponses, au bout d'un certain temps (ou d'un très grand nombre de réponses) soient révélées simultanément pour chaque question, avec impossibilité de consulter les réponses à mi-chemin.
Il y aurait également la possibilité de renseigner son appartenance à des catégories sous la forme factuelle ou celles du ressenti -avec un voile jeté sur quel profil correspond à quelle catégorie- afin, d'une part de montrer la diversité des profils exprimant le même ressenti (autre considération que celle de la pure ampleur arithmétique), et d'autre part, de limiter certains sondages à certaines catégories.
En outre, on ne pourra identifier quelqu'un par ses réponses.
Enfin, il faudra, pour véritablement passer au SC, que chaque participant au sondage doive accuser réception des résultats dudit sondage.

  1. RéinventonsLaDémocratie !

Maintenant, on va me dire que ledit système prêterait à la tyrannie de la majorité, voire à l'ochlocratie. J'ai deux remarques :
Effectivement, la majorité des gens pourraient vouloir dépouiller Bernard Arnault de ses milliards, ou faire torturer des terroristes ou des pédophiles célèbres.
Et il est vrai que si la chose prend une certaine ampleur, peu de fondements sociaux mêmes ne seraient pas remis en question : l'État et les institutions reposent sur la confiance publique, la monnaie fiduciaire, naturellement, aussi, etc.
"L'ordre public repose sur le consentement : le fait que l'on se lève à l'heure, cela suppose qu'on accepte l'heure.", écrivait Bourdieu.
J'ai trois choses à y objecter. Premièrement, un espace de dialogue, mêlant spécialistes, intellectuels, et masses pourrait obvier aux problèmes cités sous certaines réserves. Deuxièmement, il me semble que Durkheim avait mis en évidence qu'un certain tabou était un Savoir Commun, mais que l'ethnie en question y tenait tant que cela n'avait pas d'incidence. Troisièmement, si la confiance publique n'est pas la somme des confiances individuelles, est-elle légitime ?

Nonobstant quelques aspects, je crois au projet. Sa portée serait en grande partie politique, domaine dans lequel on a rarement connu de grands changements, les choses se répétant étant donné notre manque de réels garde-fous, tandis que ce que je propose serait peut-être éligible à ce titre...

Je précise tout de même que je suis décroissant avec des sympathies pour l'anarchisme, et que mon idée ferait doublement mon affaire. :hap:
Dans le premier cas, ce qui ressort d'énormément d'études, c'est que plus personne ne veut du productivisme actuel. Le problème, c'est que chacun s'imagine que son rejet lui est propre.

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Sujet : Passer du Savoir Partagé au Savoir Commun
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