L'une des caractéristiques principales du capitalisme est d'être une économie monétaire. Cette caractéristique entraîne l'existence d'une contrainte budgétaire chez chaque agent économique. Que ce soit les ménages, les entreprises, ou les États, ceux-ci ne peuvent continuellement dépenser plus que ce qu'ils gagnent. Ils peuvent bien s'endetter, ce qui correspond à une consommation temporairement supérieure à leurs revenus permise par l'étalement de leurs paiements dans le temps ; mais ils ne peuvent s'endetter continuellement car ils font face à des contraintes de solvabilité (la valeurs totale de leurs actifs ne peut être inférieure à la valeur de leurs dettes, du moins pour les entreprises) et de liquidité (ils doivent respecter leurs engagements en temps et en heures, en ce qui concerne le paiement des intérêts de leurs dettes, ou l'échéance de remboursement de celles-ci par exemple).
On voit ainsi comment la contrainte budgétaire est au cœur même du fonctionnement du capitalisme, et de la nécessité pour les agents de gérer leurs budgets rationnellement au risque d'être mis en redressement judiciaire. Mais cette contrainte budgétaire nous amène nécessairement à nous questionner sur la création monétaire puisque un assouplissement de la contrainte budgétaire globale des agents économiques, requis par exemple par une offre plus large de biens et services disponibles correspondant à la croissance, nécessite l'élargissement de la quantité de monnaie.
Mais qui dispose donc du pouvoir de création monétaire ?
Il s'agit des banques commerciales, ainsi que des banques centrales. Les banques centrales (Fed, BCE et ses antennes nationales comme la BDF par exemple, etc...) émettent les billets et les pièces, tandis que les banques commerciales (Société générale, Banque populaire, etc...) créent la monnaie fiduciaire, cette monnaie électronique que vous utilisez de plus en plus lorsque vous faites vos achats par tout autre moyen que les pièces et les billets. La monnaie centrale, c'est à dire les pièces et les billets, ne représentent qu'à peine 8% de la monnaie utilisée par les agents économiques lambdas. Les banques commerciales créent de leur côté la monnaie fiduciaire lorsqu'elles octroient des crédits à leurs clients.
Cependant pour créer de la monnaie fiduciaire, les banques commerciales doivent se soumettre à certaines contraintes. Elles doivent respecter un ratio de réserves obligatoires, c'est à dire qu'elles ne peuvent émettre plus de 100 fois la quantité de monnaie que la quantité de monnaie centrale dont elles disposent dans leurs réserves.
La monnaie centrale est la monnaie créée par les banques centrales.
Les banques commerciales ne s'échangent que de la monnaie centrale entre elles. Lorsque vous faites un virement vers le compte d'une tierce personne qui n'est pas dans la même banque que vous, votre banque effectuera une transaction en monnaie centrale vers la banque de cette personne. La monnaie fiduciaire n'a donc cours qu'entre les clients d'une même banque commerciale.
Pour se procurer la monnaie centrale, les banques commerciales peuvent l'emprunter auprès de la banque centrale, mais elles doivent lui payer un intérêt, qui est le taux de facilité de prêt marginal. Généralement, les banques commerciales empruntent cette monnaie centrale aux autres banques commerciales sur le marché inter-bancaire, car celles-ci se prêtent leurs excédents de monnaie centrale à un taux inférieur à celui proposé par la banque centrale.
D'autre part, les banques commerciales disposent donc de réserves de monnaie centrale, comme il l'a été précisé, et ces réserves sont rémunérées par la banque centrale au taux de facilité de dépôt (pour les réserves obligatoires) et au taux de refinancement (pour les réserves excédentaires).
Les trois taux évoqués sont les taux directeurs de la banque centrale pour piloter la création monétaire par les banques commerciales, et donc le taux d'inflation dans l'économie.
Cependant un problème est intervenu avec la crise de l'euro : la BCE a abaissé ses taux directeurs au plancher, mais les banques commerciales refusaient de délivrer de nouveaux crédit à l'économie. De ce fait la zone euro entrait dans une phase de désendettement. Or comme la dette est précisément de la monnaie fiduciaire ainsi que nous l'avons expliqué, la masse monétaire de la zone euro commençait à se réduire.
Une masse monétaire en réduction est synonyme de resserrement de la contrainte budgétaire globale, donc des dépenses et revenus globaux et de l'activité économique en générale, et fait donc craindre un risque de récession.
Vous pouvez visualiser la contraction des crédits en zone euro sur les graphiques G4 et G5 de cette page :
https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/bdf211_mai-juin-2017_web.pdf#page=49
Pour contrer ce risque déflationniste et récessioniste, la BCE a dû inventer de nouveaux outils puisque ses outils traditionnels, les taux d'intérêts, avaient montré leurs limites. La BCE s'est donc lancée dans des programmes d'assouplissement quantitatif, ou quantitave easing, QE.
Le QE consiste en l'achat par la banque centrale d'actifs détenus par les banques commerciales. Pour l'essentiel ces actifs étaient des titres de dette publique détenus par les banques commerciales.
Le QE correspond donc à l'injection de monnaie centrale à disposition des banques commerciales, et cette délivrance de nouvelles liquidités est censée ainsi accroître leur disposition à octroyer de nouveaux crédits aux agents économiques.
https://abc-economie.banque-france.fr/sites/default/files/medias/quantitative-easing_gr1.png
Par la même occasion le QE accroit la sûreté des titres de dettes publiques, puisqu'il vient garantir son rachat par la banque centrale. De ce fait les taux d'intérêt que payent les États sur l'émission de leurs titres de dette se sont réduits.
https://abc-economie.banque-france.fr/sites/default/files/medias/quantitative-easing_gr2.png
Ce dernier point favorise la dépense et l'endettement publique pour contrecarrer la contraction des dépenses globales et le désendettement de l'économie.
Par ailleurs, il est à noter que les taux de facilité de dépôt sont devenus négatifs à partir de 2014 également. C'est à dire que lorsque les banques commerciales conservent des réserves excédentaire de monnaie centrale (donc supérieur aux 1% de réserves obligatoires), elles voient le volume de ces réserves fondre progressivement. L'objectif de ces taux négatifs est donc de pousser les banques commerciales à ne pas garder leur monnaie centrale, et au contraire à les faire circuler dans l'économie par l'octroie de nouveaux crédit et l'investissement dans l'économie réelle. Or les banques commerciales semblent préférer acheter des titres de dette publique (actifs les plus sûrs), que d'investir dans le reste de l'économie. De ce fait, les taux d'intérêt que payent les États les plus vigoureux de la zone Euro sont eux mêmes devenus négatifs puisque toutes les banques commerciales se battent pour racheter leurs titres de dette : https://abc-economie.banque-france.fr/sites/default/files/medias/mot-actu-taux-int-nega-img-1.png
Par ailleurs, les banques commerciales conservent également de grandes quantité de liquidité (2000 milliards d'€) sur leurs comptes à la BCE, malgré des taux négatifs là aussi.
https://abc-economie.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/l-eco-en-bref-politiques-monetaires-non-conventionnelles-2019-02-21_0.pdf
Ces politiques d'assouplissement de la contrainte budgétaire globale par augmentation de la quantité de monnaie en circulation semblent toucher leur cible. Le crédit au secteur privé français est très dynamique. Il est si dynamique que le secteur privé français est devenu le plus endetté de la zone euro, et que le ministère des finances s'en est inquiété et a décidé d'augmenter le coussin de fond propre (la ratio de capital par rapport aux dettes) des banques commerciales, ne craignant qu'une bulle se constitue.
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/envol-de-la-dette-privee-bercy-somme-les-banques-de-faire-des-reserves-811074.html
Les bulles tiens ; c'est peut-être le revers des politiques du QE. Certains s'en inquiètent.
Il ne semble pas qu'une bulle se soit reformée sur l'immobilier :
https://data.oecd.org/chart/5OQe
Cependant ce constat n'est pas bien sûr pour le marché des actions qui semble être totalement en roue libre :
https://data.oecd.org/chart/5OQh