Comme vous le savez surement déjà, j'ai eu le plaisir de parcourir le dernier ouvrage de Thomas Piketty et de consulter la base de donnée de la Weath and income Inequality database. On y trouve un foisonnement de données réellement très passionnantes sur l'évolution historique des inégalités à travers le monde.
Il y a un graphique en particulier qui m'a posé question. Il s'agit du graphique 18 du chapitre 11 de votre bouquin, qui illustre l'écart entre le niveau d'inégalité de distribution des revenus du capital et du travail. http://piketty.pse.ens.fr/files/ideologie/pdf/G11.18.pdf
Finalement il permet de réaliser que la source majeure d'inégalité en France est loin d'être l'inégalité de salaires. Pour le coup il redonne peut-être même une certaine pertinente à l'analyse en terme de classes, puisqu'on voit que les vrais inégalités sont à aller chercher du côté des revenus du capital.
Le décile supérieur de la distribution des revenus du capital s'en accapare environ les 2 tiers. Alors certes au début du XXe siècle il s'en accaparait environ les 9 dixièmes, mais vous m'accorderez qu'on est encore loin d'un partage égalitaire de ceux-ci ; c'est même pire, les inégalités repartent à la hausse selon Piketty !
On est en droit de se poser la question, qu'est ce qui justifie de telles rémunérations ?
Dans la théorie économique mainstream le capital est rémunéré à hauteur de sa productivité marginale. OK. Mais le capitaliste lui, est il vraiment productif ? Finalement il ne touche ses revenus que du simple fait de la possession de titres de propriété sur le capital ; il ne travail pas lui même. On devrait donc être davantage soucieux des inégalités concernant les revenus du capital, car une dimension très subjective vient s'y exprimer plus radicalement encore qu'en ce qui concerne les revenus du capital. Bien sûr lorsqu'on parle des inégalités on a vite fait de dénoncer la pénibilité des emplois en bas de la hiérarchie pour dénoncer une forme de sous-rémunération des travailleurs pauvres. Mais alors les revenus du capital, eux, ne sont le fruit d'aucune pénibilité ça nous pouvons en être certain, puisqu'ils ne sont le fruit d'aucun effort comme nous l'avons vu.
Bref. Quand on évoque ce sujet, on sait déjà ce qu'on va nous renvoyer à la figure. Taxer les riches ? Ce ne serait pas du tout réaliste. Nous sommes dans une économie ouverte de nos jours. Les vieilles méthodes ne trouveraient plus à s'appliquer.
Et pourtant, j'y ai réfléchis, et j'ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne comprend pas. Peut-être est-ce dû au fait que je suis originaire d'une formation de sociologue et non d'économiste ; peut-être ai-je des lacunes, mais si vous pouviez me donner les clés de compréhension manquantes pour résoudre ce problème, j'en serais comblé.
Qu'un ingénieur s'expatrie, il part en emportant son savoir, donc c'est une perte de capital humain pour le pays. Qu'un docteur en fasse de même, ce sera pareil. Mais qu'un rentier s'expatrie... Quelles seraient les conséquences réelles ?
Je veux dire... ce ne serait pas une perte de capital humain. Ce serait une perte de revenus c'est ça ? Ça participerait à réduire le solde de la balance courante ? J'avoue que je ne comprend pas bien l'enjeu, et souvent on le présente comme une évidence pourtant... C'est donc un enjeu de politique monétaire ? Un capitaliste qui s'expatrie n'est en rien synonyme de destruction de capital national (il ne part pas avec des morceaux d'entreprise dans sa valise que je sache) ; il n'est en rien synonyme de perte de capital humain non plus. Donc oui, il ne reste que ça. C'est une diminution du solde de la balance courante, car ça viendrait réduire le solde des revenus primaires ; c'est tout.
C'est donc ça l'effet de la "fuite des riches" ? Bon bien sûr cette fuite des riches n'est qu'un fantasme et nombreux sont ceux qui ont rappelé que le nombre de redevable de l'ISF ne faisait que s'accroître chaque année, à l'inverse de la fuite tant décriée. Mais même si on faisait fit de cette réalité. Même si, tout en sachant que c'est faux, on concédait qu'il y avait bien une "fuite des riches". Le problème c'était que ça jouait à la baisse sur le solde de la balance courante... On ne m'avait jamais présenté ça comme ça ! On m'avait toujours dit que le problème, au fond, c'était que ces riches finançaient l'économie ; qu'ils investissaient et que leur départ était synonyme de diminue de la croissance potentielle française.
Mais enfin, pourtant, une répartition plus égalitaire des revenus nationaux induit une redistribution du pouvoir d'achat vers les strates les plus pauvres de la population. Puisque celles-ci ont une proportion marginale à consommer plus élevée que les riches, c'est donc synonyme d'accroissement de la consommation. D'accroissement des dépenses. Or n'est ce pas ce qu'il y a de plus enviable dans ce contexte ? Relancer le fonctionnement de l'économie réelle, alors que la banque centrale fait tout pour favoriser la relance du crédit bancaire par l'abaissement des taux d'intérêt jusqu'à des niveaux négatifs... Le problème n'est il pas tout simplement un manque de perspective pour les investisseurs ? Tout l'enjeu n'est-il pas donc justement de relancer la consommation, de remplir les "carnet de commande" des entreprises, avant de pousser celles-ci à investir malgré le manque de perspectives ?
Donc finalement, une réduction des inégalités via une politique de progressivité fiscale plus poussée ne pourrait-elle pas au contraire des malheurs tant prophétisés, relancer l'investissement, conduire à une réduction du chômage,et finalement accroître le niveau de la croissance potentielle ?
On ne se retrouve, au final, plus qu'avec des conséquences positives. Accroissements du niveau de vie des classes populaires par une politique de redistribution fiscale ambitieuse, diminution du chômage, et accroissement de la croissance potentielle ! Quoi demander de plus ?
Par ailleurs, l'idée qu'il faille des riches pour financer l'investissement, car ceux-ci épargneraient davantage, repose sur une compréhension erronée des mécanismes économiques. L'épargne ne précède pas l'investissement. Le crédit bancaire est une création ex-nihilo de monnaie ; un financement ex-nihilo d'investissement, sans qu'il n'y ait besoin d'épargne ex-ante.
Qui peut donc encore justifier une réduction de la fiscalité pour les riches et les choix politiques d'Emmanuel Macron comme la suppression de l'ISF ?