Dans ce topic nous chercherons à répondre à une question fondamentale et pourtant trop souvent délaissée : qu'est ce qu'un système politique juste ?
Partie I : Le bien, le mal et la justice.
La volonté projette sur le monde un devoir-être. A la fois elle anticipe le futur et pour ce futur qu'elle anticipe, et qui lui reste malgré tout incertain, elle a des attentes, des espérances, des préférences, des aspirations.
C’est donc la volonté qui érige un ordre préférentiel du monde, une gradation des états potentiels du monde des moins désirés aux plus désirés, de ceux jugés les plus mauvais à ceux les moins mauvais. C'est la nature de la volonté de donner du sens au monde, de définir le bien et le mal, le bon et le mauvais, qui sont des notions vides de sens si elles ne sont pas rattachées à une quelconque aspiration à un devoir-être.
Le bien correspond à l'harmonie entre la volonté et l'état réalisé du monde, entre le devoir-être qu'elle projette sur le monde et ce qui est réellement.
Cependant toute réalisation d'une quelconque volonté n'est pas nécessairement synonyme de triomphe du bien car de multiples volontés coexistent, qui peuvent parfois être antagoniques.
Ce qui fonde la prééminence du bien, la justice, ce n'est donc pas la réalisation d'une quelconque volonté, mais la réalisation de l'état du monde qui se rapproche le plus de l'agrégat de volonté le plus intense. La justice ne s’identifie donc pas à la réalisation d’une quelconque volonté, elle ne suit pas une morale relativiste ; elle est au contraire une notion absolue, quand bien même elle se rattache toujours à des considérations subjectives.
Pour une personne croyant en l’existence d’un Dieu ou de toute entité au caractère absolutiste s’en approchant, le « bien », ou la morale juste, s’identifierait donc à la volonté de ce Dieu, qui de par sa grandeur rend négligeable la volonté des Hommes. A l’inverse, pour un athée, ou pour toute personne ne croyant pas en l’existence d’une telle entité absolue et douée de conscience, le « bien » s’identifierait davantage à quelque chose de semblable à la démocratie, à la volonté majoritaire, ou même à une volonté minoritaire mais si essentielle, si intense, qu’il soit juste qu’elle s’impose à la volonté du « plus grand nombre ».
Nous ne discuterons pas ici la question théologique de l’existence d’une entité absolue et consciente, ni de la capacité humaine à prendre conscience de la volonté d’une telle entité si elle existait. Nous discuterons donc de la notion de « justice » d’un point de vu athée ou agnostique.
Partie II : La démocratie.
Pour que aucune volonté moindre ne s'impose à une autre plus intense, en d'autres termes, pour que aucun mal ne s'impose à un bien, il faut chercher à faire correspondre pour chaque situation les forces, ou les capacités, de chaque personne avec l'intensité de ses souhaits.
Un moment juste, c’est un moment au cours duquel le pouvoir de chacun est proportionnel à la volonté de chacun. Un système politique juste, c’est un système politique au sein duquel les institutions politiques garantissent la perduration du moment juste.
C’est donc un système politique au sein duquel les personnes de pouvoir ne sont pas en mesure de produire elles-mêmes, de façon autonome, les règles de la distribution du pouvoir ; auquel cas sinon on assisterait à une reproduction du pouvoir à chaque moment et une accumulation de celui-ci au cours du temps au sein d’un même groupe de personnes.
En effet, pour conserver son privilège malgré la supercherie que constitue sa situation de pouvoir, lorsqu’une personne de pouvoir est mue par un principe égoïste, outre d’user de la force et de la contrainte, elle a besoin de faire paraître ses subordonnés comme moins intelligents et plus égoïstes, moins justes. Plus bête, au sens littéral du terme, plus animal, plus sauvage et barbare. Elle justifie la hiérarchie sociale par une hiérarchie biologique, certains sont naturellement moins intelligents et/ou plus égoïstes (enfants, racisés, femmes, pauvres, handicapées, …).
Et alors qu’elle justifie sa position de pouvoir par l’inégalité naturelle des hommes, elle explique qu’il y a des hommes qui sont plus humains que d’autres. Les plus en bas de la hiérarchie naturelle, les moins dotés en humanité, en intelligence et en moralité, sont les plus en bas de la hiérarchie politique. Les subordonnés le sont car ils sont plus sauvages, et alors qu’ils sont plus sauvages ils sont moins humains et ne méritent même pas d’être traités d’égal à égal avec ceux qui sont plus humains qu’eux. Ils méritent d'être contenus dans la subordination.
Ainsi on érige une inégalité fondée en nature, pour procéder à un traitement discriminatoire d’une population et légitimer une inégalité politique ; qui elle-même produit une inégalité sociale qui vient légitimer le discours porté sur l’inégalité en nature.
A chaque fois que l'on pense le fonctionnement de l'autorité, on doit donc penser à la particularité qui fonde l'intérêt personnelle de ceux qui occupent des fonctions de pouvoir, intérêt de conservation ; et on doit voir dans leur tentative de naturaliser les inégalités, de les faire passer pour nécessaire, une tentative de se soustraire aux principes qui régulent leur arbitraire.
Pour lutter contre les usages arbitraires de l’autorité, les sociétés justes doivent soumettre l’autorité elle-même à des principes procéduraux la contraignant à faire démonstration continue de son efficacité, elle doit être soumise à la validation de ceux qu’elle administre.
Un système politique juste est donc un système politique où à chaque moment, chacun dispose d’un même pouvoir quant à la détermination du pouvoir de chacun. C’est un système politique démocratique.