Salut à tous!
Second roman qui se passe dans le même univers que "Les Héritiers" https://m.jeuxvideo.com/forums/42-58-50933658-1-0-1-0-fantasy-les-heritiers.htm
Je ne sais pas encore si ce sera un spin off ou un préquel, mais j'espère que ça vous plaira. Pour ma part, je prend beaucoup de plaisir à écrire et développer cet univers.
Chapitre I : Un monde contre la vie est-il condamné ?
Les premiers flocons de la saison voltigeaient dans l’air frais de la nuit. L’atmosphère chaleureuse de vie fut brutalement coupée quand la porte se referma. Plus de bruit, plus de lumière, seules les ténèbres glaciales s’étendaient devant lui. Quelque part au-dessus pendait la pancarte en bois de l’établissement, « Aux deux lunes », avec l’emblème représentait d’une peinture craquelée par le temps. Sous l’écriture stylisée, deux cercles, l’un bleu, l’autre rose, se superposaient. La plupart des nuits, les deux astres éclairaient la place devant l’auberge. Ce soir cependant, un manteau de nuage laiteux les recouvrait à la vue. Réprimant un frisson de froid, le travailleur éreinté se dirigea vers son domicile, seul les bruits de ses pas sur les pavés durs et gelés troublaient la tranquillité de l’instant. L’arrivée de l’hiver sur la cité s’accompagnait souvent d’une désertion de ses rues par les badauds, et il ne croisa qu’une poignée de silhouette, des ombres comme lui. Fort heureusement, le jeune homme connaissait le chemin par cœur, car les lampes à huiles, déjà d’ordinaire vétustes, ne supportait pas ces changements de météo, et s’éteignaient couramment. Au bout d’un moment, il arriva devant son immeuble, que rien ne distinguait des autres sinon une plaque de cuivre ternis par le temps arborant le numéro quinze. Les petites cheminées du quartier crachotaient de la fumée grisâtre, qui se mêlait finalement aux nuages.
La chaleur et les couleurs chaudes qui ornaient son appartement décrièrent fortement avec l’atmosphère des rues au dehors, un soleil qui réchauffait de nouveau son corps et son cœur. Sa compagne, une grande brune à la peau constellée de tâches de tousseurs, dormait sur leur canapé rapiécé. En s’approchant, il constata les traits tirés de son visage d’habitude si doux. Elle dû sentir son arrivé, car elle se réveilla en sursaut, avant même qu’il ne la touche.
« Le’, l’informa-t-elle, il y a quelque chose d’important que je dois te dire.
Que se passe-t-il ? demanda son conjoint, tu as l’air agité.
- Leandre, mon amour, je suis enceinte.
- Enceinte, répéta-t-il incrédule, mais nous avons toujours fait attention.
- Je sais, mais il n’y a aucun doute, précisa sa compagne, voilà quelques jours que je me sens… différente, les symptômes ne me sont pas inconnus tu sais.
- Oui, mais ces herbes que tu prends à chaque nouvelle lune, elles sont là pour ça !
- Il y toujours un risque, expliqua-t-elle, je suis allé voir Eleanore, et elle me l’a confirmé aussi.
- Oliviah, cet enfant, nous ne pouvons nous le permettre, dit-il tristement, nous pouvons à peine manger à notre faim.
- Je le sais, répondit-elle résignée, certains préparent des mixtures de pierre de lune qui…
- N’y pense même pas, la coupa Leandre, j’ai entendu des histoires sur cette roche, et certaines femmes ne s’en sont jamais remises.
- A vrai dire, je ne suis pas très pour non plus, confessa Oliviah.
- Nous réfléchirons à des solutions plus tard, lui promit il en l’enlaçant, pour l’instant repose toi.
- La venue d’un enfant… dans une autre époque, cela aurait été une bénédiction, murmura-t-elle en s’assoupissant de nouveau. »
Après un sommeil agité, Leandre se leva tôt, et prit soin de se préparer pour une nouvelle journée à l’auberge sans réveiller sa compagne. Il lui jeta un regard, elle semblait bercée d’un sommeil plus serein que la veille. Rassuré, il sortit dans la ville, à présent recouvert d’un voile blanc, dissimulant la crasse des lieux et les pavés irréguliers.
Pour l’heure, la salle principale de l’auberge ne présentait aucuns clients. Nuls bâtiments du quartier ne rivalisaient en âge et en taille avec Les Deux Lunes. Leandre parcouru des yeux ce lieu qui comptait pour lui. Plusieurs grandes tablées dressées pour la clientèle occupaient la majeure partie de l’espace, entourées de bancs, dans une optique de convivialité. Les anciens murs de pierres, parfois recouverts de tapisseries, s’effaçaient régulièrement au profit de hautes fenêtres, qui laissaient la lumière du jour couler à flots. Les lueurs du jour se reflétaient sur le comptoir massif, qui gardait une armoire aux portes vitrées, remplie de bouteilles multicolores. Accolé au mur de droite, un foyer de pierre, décoré de bibelots en tout genre, chauffait la pièce lors des nuits froides. Il avait de nombreux souvenirs ici, quelques-uns désagréables, mais la plupart très heureux.
D’innombrables senteurs, accumulées au fil des siècles, émanaient de la cuisine. De la pénombre, il entendit un bruit faible, presque inaudible, vibrer en rythme depuis le fond de la pièce. Il alluma la lampe à huile la plus proche, s’attendant à un rongeur, mais eut la surprise de trouver son ami en train de ronfler sur l’un des tabourets. Dyn pouvait être la seule personne rousse à des lieux à la ronde pour ce qu’en savait Leandre, et très sûrement l’une des plus portée sur la boisson. Il s’avança s’avança silencieusement jusqu'à lui et, une fois collé à son visage, hurla à pleins poumons. Le malheureux tomba de son perchoir sous le coup de la peur, et s’empêtra dans ses vêtements en essayant de se relever, tandis que Leandre ria aux éclats. L’infortuné finit par se remettre sur pied, tout en clignant des yeux.
« Très drôle Leandre, clama Dyn, voilà comment tu remercies mon zèle d’être venu aussi tôt.
- Je suis à chaque fois impressionné, avoua Leandre, je remarque aussi que dans ta volonté pour venir aux aurores, tu as enfilé les mêmes habits que la veille.
- On ne peut rien te cacher, répondit l’homme roux en souriant, ma sœur est arrivée hier, et comme tu peux t’en douter, nous avons veillé jusqu’à tard.
- Comment va-t-elle ? s’enquit Leandre.
- Très bien, elle est venue d’Eratryk, avec toutes sortes de bocaux, remplis de purée de châtaignes et autre confitures de figues.
- J’en déduis qu’elle aura un stand à la fête. Tu vas l’aider ?
- Pour tout te dire j’aurais préféré passer la nuit au stand de vin chaud de ce vieux Bill, mais que veux-tu, elle me ferait un scandale si je faisais ça.
- Les liens familiaux c’est sacré par chez vous non ?
- Ne m’en parle pas. Mon grand-père ne m’a pas lâché tant que je ne connaissais pas tous les noms de ses frères et sœurs. - Toujours la même rengaine pour vous ?
- Exactement, ça avait assez bien marché l’an passé.
- À la bonne heure ! Mais et toi, comment vas-tu ? Tu m’as dit l’autre jour que Oliviah était souffrante. »
Leandre hésita un instant, quand bien même il connaissait cet homme depuis plusieurs années, il ne voulait pas que la nouvelle s’ébruite.
« Oliviah est enceinte, lâcha-t-il d’un bloc.
- Je pense deviner à ta figure que je ne dois pas te féliciter non ?
- Écoute, ne te méprends pas, de manière général je serais très content d’avoir des enfants, d’autant plus avec celle que j’aime, mais tu sais combien un enfant coûte cher, ça plus la Taxe…
- Je comprends, et ce n’est pas avec ce boulot de misère que ça va aller mieux hein ? Je veux dire, pour un seul homme ça va, et puis l’ambiance est bonne mais bon, dit Dyn.
- Oui, du coup je ne sais pas quoi faire, j’y ai pensé toute la nuit, et j’ai le choix entre partir de Rehil ou trouver quelqu’un qui connaît quelqu’un qui sait faire telle ou telle potion miracle, déclara Leandre dubitatif.
- Il y a une autre voie : assumer cet enfant, proposa l’homme roux.
- Mais tu viens de le dire toi-même : ce job… repris Leandre.
- Je ne parlais pas forcément de plus d’heures de travail dans ce trou à rat, le coupa Dyn, j’ai peut-être un plan qui pourrait t’aider, seulement…
- C’est illégal n’est ce pas ?
- On peut voir les choses comme ça, avoua Dyn, je ne te dis pas de le faire ou de ne pas le faire, mais un de mes cousins connaît un homme qui touche un peu à tout, et il ne refuse jamais une bonne volonté. »
Le cuisinier honnête et travailleur aurait tout de suite refusé cette proposition, d’autant plus que la loi instaurée par les Élus ne pardonnait pas les écarts de conduite, mais le futur père qu’il était devenu y réfléchit à deux fois. Après quelques temps de réflexion, il demanda finalement à son collègue le nom et l’adresse de son cousin. Il connaissait la vérité, pour les gens du communs, d’autant plus ceux sans héritage familiaux à marchander : rassembler la somme suffisante pour la Taxe relevaient d’un travail s’étendant sur plusieurs années. Cet impôt sur les naissances était bien connu, car il touchait toutes les couches de la population depuis des générations. Dans les duchés les plus éloignés, les autorités ne demandaient pas systématiquement le paiement de la Taxe, notamment car certains vivaient carrément en autarcie, subsistant sur leurs acquis et produisant leurs propres denrées. Mais celui de Rehil représentait une densité d’habitants, et pour freiner la hausse démographique, il avait fallu instaurer un système d’impôt pour la ralentir. Le rouquin, après avoir mis quelques instants à se rappeler de l’adresse, lui écrivit sur un bout de parchemin qu’il lui tendit, en lui expliquant comment s’y rendre.
« Voilà pour toi mon ami, dit Dyn, inutile de le préciser, mais à partir de maintenant je ne sais plus rien de tout ça d’accord ?
- Oui oui, répondit distraitement Leandre, merci, j’imagine…
- Remercie moi en faisant attention à toi, une vie ça n’a pas de prix. »
Leandre n’avait pas l’habitude d’entendre des paroles aussi sage de la part de Dyn, aussi il fut interloqué, il se promit cependant de se souvenir de ces paroles en temps utiles. Ils parlèrent de choses et d’autres durant la journée, puis il rentra chez lui.
Ce soir-là, il ne dit rien à Oliviah, moins mélancolique que la veille et le sujet resta en suspens dans l’atmosphère. De congé le lendemain, il attendit qu’elle parte travailler, puis se dirigea à l’adresse indiquée par Dyn. De mémoire, jamais il ne se trouva dans cette partie de la mégapole : des maisons encore plus délabrées composaient ce quartier, elles donnaient à l’endroit un aspect un peu lugubre, même en plein jour. Certaines paraissaient à l’abandon, se tassant sur elle-même. Au détour d’une ruelle, il arriva sur un promontoire situé entre deux habitations, donnant sur une colline à l’herbe recouverte de givre. Depuis les hauteurs, il apercevait une bonne partie de la ville, océan de coupoles couvertes de neiges, duquel s’élevait de nombreuses lignes de fumée grise. La baie que l’on devinait au-delà présentait un assemblement de voiles de toutes sortes. Tous les ans à cette époque, on venait des quatre coins de la mer pour participer à la fête de l’hiver. Dernier grand rassemblement populaire avant la rude saison des grandes neiges.
L’architecture particulière de son lieu de rendez vous l’interpella. Si le style rehilien se construisait tout en colonnes, dômes et coupoles, cette maison ci possédait une ligne tout en bloc. Les murs lisses et beiges avaient laissé place ici à un assemblage de grosses briques grises. La massive cheminée ne crachait aucuns veloutes de fumées. Sous la fraîche bise de l’hiver, il hésita une fraction de secondes, puis frappa à la lourde porte de bois.
Les minutes passèrent et il se mit à croire que Dyn lui avait encore joué une farce de son invention, lui ayant indiqué l’adresse d’une ruine, quand une voix retentit, étouffée par la porte.
« C’est pour quoi ? dit-elle.
Je viens de la part de Dyn.
De Dyn, répéta la voix, qui es tu ?
Je travaille avec lui, Aux Deux Lunes, expliqua Leandre. »
L’homme qui lui ouvra ressemblait beaucoup à son cousin, mais en plus exagéré. Son visage arborait une broussaille plus abondante, qui flamboyait d’une couleur plus orangée. Au travers de cette jungle de poils, on pouvait deviner pourtant les mêmes yeux bruns et espiègles. Il semblait plus âgé que ce dernier de quelques années, plus mature aussi.
« Ah ce vieux pirate, voilà longtemps que je ne l’ai pas vu, pesta-t-il, avec un certain accent du nord.
- Oui, il travaille beaucoup, mentit Leandre.
- Peu importe, nous ne sommes pas très compatibles, si tu veux mon avis. Je me nomme Argus, dit il en lui tendant la main.
- Leandre, répondit-il en la serrant, il m’a dit que vous pouviez peut-être m’aider.
- C’est possible, répondit Argus évasivement, quel est ton problème ?
- Une femme enceinte, dit Leandre simplement. »
De toute évidence, Argus semblait avoir l’habitude des futurs parents désespérés, car il l’invita à entrer. La maison sentait le renfermée, et la décoration intérieure allait de pair avec l’architecture : loin des clichés tout en couleurs chaudes et en tentures de la région, le maître des lieux avait laissé les pierres apparentes ainsi que les poutres qui soutenaient le toit. D’imposants meubles de bois sombres composaient le mobilier. Cela devait rappeler son pays natal à son hôte, et évoqua les Deux Lunes à Leandre. Ils s’assirent dans le salon, où Argus préféra allumer quelques chandelles plutôt que d’ouvrir les volets pour laisser entrer le soleil. Cette atmosphère mystique, couplait à la discussion probablement malhonnête qui allait s’en suivre, donna à Leandre l’impression de faire quelque chose de vraiment illégal. Peu à peu, l’appréhension laissa place à l’excitation, ce qui le surprit. Son hôte alla dans la pièce d’à côté quelques instants, et leur ramenèrent deux verres d’un liquide aux reflets pourpres. Ils trinquèrent selon la coutume locale, aspect qu’Argus avait l’air de maîtriser, et commencèrent à parler.