Se connecter

Création

Ecriture

Sujet : À rebours
1
Ed_Wick
Niveau 10
14 octobre 2017 à 02:46:12

1.

Il était assis de l'autre côté de la rue, attendant patiemment que son ami revienne. Il jouait avec les Chroniques italiennes qu'il tenait dans ses mains. C'était une édition assez curieuse, un tout petit livre violet à peine plus long qu'un doigt. Absolument indiqué pour être trimbalé en voyage et tiré de la poche à tout moment. Il l'avait acheté quelques années plus tôt à un bouquiniste parisien. Il se souvenait très bien du jour de son achat, non pas pour l'acquisition stendhalienne mais parce que le bouquiniste lui avait ensuite passionnément parlé d'Huysmans durant une demi-heure. Lui s'était contenté de hocher la tête, gentiment agacé. Il détestait Huysmans. Mais il avait quand même acheté À rebours pour faire plaisir au bouquiniste. Deux ans plus tard il avait depuis longtemps lu et terminé et détesté À rebours, tandis que le petit livre violet dont il faisait en ce moment même claquer les pages pour jouer il n'en avait lu que quelques bouts de paragraphe. Alors qu'il rentrait en France après un an passé à l'étranger, il était tombé sur le passage où Stendhal compare les français aux italiens. Ces français qui ne connaissent rien à la passion et ne jurent que par la bravoure militaire. Point de Raphaël en France, que des Napoléons. Et les françaises, pires de toutes, charmées par les prouesses guerrières et se moquant des artistes, loin des italiennes tellement plus douces et inspirées. Cela dit, il refusait d'accorder trop d'importance à Stendhal, un impuissant ne pourrait jamais parler des femmes avec justesse, pensait-il. Il était plus de vingt heures, la nuit venait de tomber, un vent frais commençait à arpenter les rues, chassant les derniers piétons. Toujours aucun signe de son ami. Jules, notre héros au petit livre violet dans les mains, envoya un baiser à une jolie fille qui passait dans le bus. Il aurait fait n'importe quoi pour penser à autre chose. Pour ne pas penser au Mexique. C'était trop tard.

Il était déjà dans Paris il y a de ça un an, sur le point d'attraper un avion qui l'emmènerait de l'autre côté de l'Atlantique. Au Mexique où, parait-il, il fait soleil trois cent soixante-cinq jours de l'année. Il se souvenait de lorsqu'il était debout dans le train. Ce dernier ralentissait, annonçant son arrivée à la gare de Paris. Les autres voyageurs étaient amassés près de la porte, guettant avec impatience de l'autre côté, espérant voir apparaître le quai qui signerait la fin de leur périple. Rien d'autre que le noir de la nuit et les reflets du wagon n'étaient cependant visibles. Enfin la lumière, la porte qui s'ouvre, le bruit de la gare et les valises qui roulent sur le sol et Jules, derrière, lent et nostalgique. Bientôt il rejoignait ses amis dans un bar de la capitale, désertée en cette soirée de novembre. Quand il arrivait il les surprenait tous deux dans une discussion passionnée. Si passionnée qu'ils le saluèrent à peine. Notre héros n'aimait pas ça, il était du genre à ne pas aimer être ignoré et pour quelque chose d'aussi insignifiant il pouvait se mettre dans une colère noire tout en ne laissant rien paraître. Il leur sourit alors et continua de leur sourire avant de commander rapidement une blonde. Ils parlaient littérature. La littérature le faisait chier à cette époque. Il voulait parler de voyages et de bruits et de partir à l'autre bout du monde pour essayer de vendre des fleurs dans un marché. Il voulait parler de jolies filles et de leurs jolis culs qu'on voit remuer dans la rue et qu'on veut suivre jusqu'à se cogner contre un mur et reprendre sa route. Il était beau, ça lui donnait au moins une excuse pour regarder sous les jupes des filles depuis son plus jeune âge. Oui mais moi j'ai le droit, il disait, je suis beau.

Les jolies filles ne passent que dans les bus, déclama-t-il soudain. Ses amis se turent et le regardèrent, surpris. Vous avez pas remarqué ? Les jolies filles ne passent que dans les bus, quand on n'a qu'une seule seconde à partager avec elles. Il but une gorgée de sa bière et ça allait mieux.
– T'as pensé quoi de mon livre ? demanda un de ses deux amis qui venait d'être publié.
– Pas encore lu. Enfin si j'ai commencé mais j'ai eu peur de pas aimer alors j'ai arrêté.
– Mais ce que t'as lu ?
– J'ai pas aimé.
Ils se mirent alors à parler de cinéma. Il n'y a que les discussions de cinéma qui sont intéressantes pensa Jules. À trois ils jonglaient d'un film à un autre, d'un cinéaste à un autre, parfois ils voulaient s'étrangler, d'autres fois se prendre dans les bras, les cinéphiles sont les seuls êtres capables de s'aimer à la folie et de se détester à la mort quelques secondes plus tard. Jules, par exemple, dites-lui que vous êtes fan de Gravity et il veut vous vider son verre sur les cheveux ; en revanche, ajoutez derrière que vous avez pleuré devant Chungking Express et il vous paie la tournée. Pour lui il n'y avait que deux choses de tangibles dans la vie : la bière et le cinéma. Tout le reste, à la poubelle. Tout le reste vous ment et vous déçoit. Le cinéma c'est sûr : voyez un film, revoyez-le, et il est là, toujours aussi sublime et inquisiteur. Une autre blonde arriva sur la table et il la posa sur ses lèvres avec l'aisance qu'ont les gens en écrivant leur signature. Ça y est, il était heureux, là, dans Paris, avec ses plus proches amis, à parler de films disparus et de cinéastes morts et enterrés. Il en oubliait presque que, dix heures plus tard, il serait dans l'avion et dirait adieu à la France. Il se réveillerait à l'aéroport à cinq heures du matin et apprendrait que son vol a été supprimé. Il se verrait proposé un autre vol, direct pour Cancun, compagnie Air France et là-haut dans le ciel il écouterait Love is in the air pour essayer de s'endormir. Mais pour l'instant il était encore dans le bar, ses amis venaient de le quitter, il était seul. La barmaid lui servit un nouveau verre. Il était le dernier client. Il se mit à causer un peu avec elle. La vie dans un bar, la vie à Paris, l'alcool. Il sortit dans le froid de la nuit en ayant du mal à marcher. Où devait-il aller déjà ? Ah oui, l'aéroport.

Klux
Niveau 10
14 octobre 2017 à 03:50:20

C'est assez bien écrit, surtout le premier paragraphe, qui m'a l'air très travaillé
J'ai juste un truc qui me titille TOUT le long du texte, c'est l'abondance de "il" couplé au fait qu'on ne sait pas du tout qui "il" est

Sur le fond... je pense qu'il faut attendre la suite pour savoir quoi en penser

Ed_Wick
Niveau 10
14 octobre 2017 à 13:17:03

Oui tu as clairement raison pour les "il", je vais essayer de réadapter. Ca fait des années que j'ai pas écrit à la troisième personne j'ai du mal haha.

Ed_Wick
Niveau 10
15 octobre 2017 à 01:03:52

Les aéroports lui plaisaient. Les gens y étaient différents, ne s'affichait plus sur leurs visages l'air déprimant qui les accompagne habituellement. On respirait un peu et on osait enfin se mélanger. Personne ne s'inquiétait de voir un arabe, un noir ou un chinois dans un aéroport, c'était normal. Replacez les mêmes personnes dans une rue parisienne et vous les trouverez en train de se scruter, de se disputer l'espace publique comme s'il devait appartenir à telle ou telle couleur. Enfin ça c'était une démarche de blanc, précisons-le. Le blanc voulait son espace, comme si chaque bout de trottoir lui appartenait. Heureusement dans les aéroports les blancs fermaient un peu leur gueule. Alors on respirait, on prenait une bouffée d'air frais en regardant les énormes halls, les énormes vitres et derrière elles les énormes avions qui décollaient. C'est pour ça qu'il aimait les aéroports. Aussi parce qu'on y trouvait pratiquement que des gens riches. Plus de chances de voir des jolies filles. Elles étaient toujours là, grandies par leurs talons, l'air un peu fier, avançant d'un bout à l'autre du cadre comme un tourbillon qui passe à toute vitesse. Il pouvait s'asseoir dans une aire d'attente et les regarder marcher, regarder leurs jambes et les suivre jusqu'à ce qu'elles disparaissent dans la foule affluante des autres voyageurs. Pas moyen de s'en lasser.

Quand il était arrivé à Charles de Gaulle l'heure était déjà tardive. Presque minuit. Il n'y avait donc pas grand monde. La navette le conduisit à son terminal et il n'y trouva que quelques voyageurs endormis. Un gardien faisait le tour d'un pas lent et régulier. Il réveillait les quelques intrépides qui avaient osé s'allonger sur les bancs. Interdit. Si vous vouliez dormir il fallait vous coltiner le sol froid de l'aéroport. Jules n'avait pas tellement sommeil. Les effets de l'alcool commençait à se dissiper. Il envoya quelques textos à une fille qu'il laissait derrière lui, à Montpellier. Il regretta ces messages aussitôt après les avoir envoyé. Il détestait paraître nostalgique ou émotionnel. Mais la nostalgie et les émotions le rattrapaient trop souvent. Ce n'est finalement pas par sommeil qu'il s'endormit mais plutôt par ennui. Lui aussi avait osé le faire sur les chaises moyennement confortables qui silonnaient le terminal. Alors il sentit une petite tape sur son épaule. Le gardien, exerçant son travail avec la plus grande sériosité. Direction le froid du sol. Peu importe, la fatigue l'avait de toute façon trop absorbé pour qu'il daigne s'en plaindre. Le gagna un sommeil bref et sans rêves. Quand il se réveilla il décida de se lever, d'aller faire un tour, pour s'occuper. C'est en pasant devant les écrans qu'il se rendit compte que son vol, une escale en Allemagne, venait d'être annulé. On lui apprit par la suite qu'il y avait une grève de la part des pilotes de la compagnie qu'il avait choisi. Jules n'était pas tellement du genre à s'inquiéter pour ce genre de choses. Par stupidité ou par réelle sérénité d'esprit, il s'en foutait. Une hôtesse lui proposa un autre vol, sans frais supplémentaires, qui l'emmènerait directement de Paris jusqu'à sa destination finale, Cancun. La chance lui souriait donc. Détenteur de son nouveau billet il retourna s'endormir, encore une fois sur l'un des bancs : il était plutôt têtu.

Il se réveilla brusquemment, le petit bus venait de faire une dangereuse embardée. Le chauffeur s'énerva sur son siège et cria quelques morts incompréhensibles. Certains passagers avaient émis un bruit de frayeur tandis qu'ils avaient tous glissés les uns contre les autres. Il faut que je m'achète une moto, pensa-t-il. Il arriva à dix heures, comme prévu. La cantina n'était pas encore ouverte, il n'y avait que les travailleurs qui s'affairaient à l'accomplissement de diverses tâches. Jules parla avec un des gérants, un français. Il tenait là son premier boulot. C'était le début du mois de décembre et il venait d'arriver au Mexique et, sans trop le savoir, il avait passé les portes de la cantina La Negrita qui deviendrait bientôt l'un des lieux les plus importants de sa vie. Il ressortit sous la chaleur écrasante. J'ai un boulot, j'ai besoin d'un verre, se dit-il. Mais il était trop tôt pour ça alors il alla se mélanger à la foule de la place centrale à la recherche d'un coin d'ombre et d'une misérable bouteille d'eau.

Klux
Niveau 10
15 octobre 2017 à 10:35:58

Enfin ça c'était une démarche de blanc, précisons-le. Le blanc voulait son espace, comme si chaque bout de trottoir lui appartenait. Heureusement dans les aéroports les blancs fermaient un peu leur gueule.

rofl

bon en ce qui me concerne c'est non, je laisserai à quelqu'un d'autre le soin de lire le reste

Ed_Wick
Niveau 10
15 octobre 2017 à 14:10:00

Mhm okay.

Sache en tout cas que je ne le prends pas mal, haha. Je peux comprendre que ces pavés autobiographiques et remplis de trucs un peu inutiles puissent saouler. Cette fois j'ai envie d'écrire tout d'un coup, quitte à ce que ce soit un gros bloc à moitié indigeste, et corriger/élaguer ensuite.

ElIiotRoger
Niveau 7
15 octobre 2017 à 14:57:20

Je n'ai pas trop aimé.

Le narrateur est trop encombrant, donne son avis, et le procédé, qui pourrait être intéressant en terme de positionnement du lecteur par rapport à l'histoire qu'il lit, devient juste prétentieux ; on a l'impression que c'est un mec qui parle de lui à la troisième personne, mais qui n'assume pas vraiment son récit et la démarche hyper autocentrée qui va de paire.

Hormis cela, le style se veut dans la veine des grands classiques et il est assez lourdement empâté par les références littéraires poussiéreuses que tu mets en avant comme dans la rubrique "PASSIONS/LOISIRS" d'un CV. Genre "regardez comme faut pas me prendre pour un con."

En revanche, même si j'émets pas mal de réserve sur ce texte, le tout fonctionne notamment grâce au rythme. C'est bizarrement cohérent, cette ambiance proprette et ces étudiants bourgeois et oisifs qui jugent des gens sur leurs pratiques culturelles. Ces espèce d'étudiants en art mal barré mais très sur d'eux, avec un pouvoir d'achat qui leur permet de voyager ou ils veulent quand ils veulent, mais qui se sentent encore étranger au monde et torturé, là, c'est... drôle, en fait.

Pour conclure, je dirai que la pédanterie hallucinante de ton texte, de ton discours, de tes jugements de valeurs (le passage sur la domination ethnique de l'espace public et d'une candeur, d'une fébrilité et d'une :rire: ) et de tes phrases à l'emporte-pièce (on ne rencontre les jolies filles que dans le bus :rire: ) ternissent clairement la lecture ; le texte, bien que cohérent, n'est ni crédible, ni accessible au commun des mortels. Dans le registre de la satire, ça aurait pu fonctionner, mais de toute évidence ce n'est pas une satire. Et c'est dommage. Puisque tu es branchés ciné, je vais te faire un parallèle vaseux ; ça aurait pu être un Jarmusch, mais en fait non.

Mes espoirs pour la suite ? Que le héros se fassent kidnapper et soient obliger de servir de mule entre bogota et tijuana avec des kilos de coke dans le rectum. Parce qu’honnêtement, si c'est pour suivre les errances et les amourettes stériles d'un bourgeois pervers narcissiques qui ne se rend pas compte de la chance qu'il a, c'est même pas la peine.

Ed_Wick
Niveau 10
15 octobre 2017 à 17:14:13

Le narrateur est clairement quelque part entre la 1ère et la 3ème personne : il adhère aux pensées du personnage et en même temps il s'en amuse un peu. C'est moi qui parle de moi au final donc bon, j'aime bien l'auto-dérision et je m'amuse souvent des conneries qui peuvent sortir de ma bouche. J'imagine que ça ressort forcément dans mon écriture. Après oui la démarche est autocentrée, difficile de faire autrement quand il s'agit d'autobiographie ou même d'autofiction.

Après là où je suis pas d'accord avec toi c'est quand tu dis que mon texte se veut à la hauteur des "grands classiques". Je sais pas de quels grands classiques tu parles mais je trouve mon texte plutôt simplement écrit. Aucune formulation alambiquée, aucun mot qui nécessite l'appui du dictionnaire. C'est très factuelle comme démarche. C'est plutôt dans l'air du temps, pas tellement nostalgique vis-à-vis de la "grande" littérature.

Et enfin là où tu te trompes complètement c'est dans ta manière de qualifier le personnage de bourgeois oisif qui dénigre x pratiques culturelles. Le personnage c'est moi donc plus facile de te répondre : j'ai passé un an au Mexique où j'ai travaillé dans un bar 14h par jour pour gagner 500€/mois. Tu connais beaucoup de bourgeois oisifs comme ça ? Je me demande si on se connait sur le forum ou pas, ou si on a déjà eu l'occasion de se croiser. Parce qu'avec très peu de matière tu détermines le personnage comme étant ceci ou cela, et t'es juste à côté de la plaque. La bourgeoisie, l'oisiveté, le dénigrement des pratiques culturelles, c'est tout ce que je méprise donc bon, wtf.

Pareil quand tu parles de crédibilité (crédibilité de quoi ?) ou d'accessibilité je suis un peu dubitatif. Je comprends pas ce qui peut rendre mon texte inaccessible en fait ? Que ce soit lourd ou inutile, pourquoi pas, j'en suis le premier à moitié conscient ; inaccessible par contre bof.

1
Sujet : À rebours
   Retour haut de page
Consulter la version web de cette page