Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur qui éprouve des difficultés à trouver un concept et qui tourne en rond en essayant de mettre ses idées sur le papier. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur qui pense qu’il trouvera l’inspiration sous la menace, et qui décide de s’imposer des contraintes extrêmes pour faire jaillir les idées de son imagination. Il se rend compte que cela pourrait bien fonctionner, et se décide à... STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur qui ne se laisse même pas le temps de concrétiser ses idées et qui les tue avant même qu’elles n’en arrivent à servir un quelconque intérêt. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur qui commence à trouver son confort dans la structure qu’il a mis en place. Il contemple les premières lignes de son récit et se dit que finalement, il pourrait peut-être en tirer quelque chose d'intéressant. Il n’a qu’une seule hâte, c’est de repartir à zéro. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur qui pensait avoir trouvé un concept intéressant, mais qui se rend compte qu’il va avoir du mal à le faire évoluer. Il a comme une légère impression de tourner en rond… STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un comique de répétition qui prend conscience de sa condition et qui décide de se rebeller. Il prend la décision de casser la rythmique établie par son auteur et décide d’écrire sa propre histoire. Cette histoire s’avère être beaucoup trop banale, et le comique de répétition commence à s’estomper. Il regarde subitement en arrière et contemple les traces qu’il a laissé sur le papier. Il réalise qu’il est incapable de construire un récit sans récurrence. Il se demande si il ne devrait pas plutôt retourner à sa fonction première. Oh, et puis après tout. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur désespéré qui se décide à changer complètement de sujet. Il plonge la main dans sa boîte à mots rigolos imaginaire, et en ressort le mot trottinette. Il réalise que ça n’aurait aucun sens de parler de trottinette dans son récit, et se dit qu’il ferait mieux d’aborder un sujet plus proche de ses idées et de sa perception du monde. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur qui, après avoir écrit un livre retraçant son idéologie, prend le pouvoir dans son pays. Il décide de déclarer la guerre aux pays voisins et lance une purification ethnique de grande ampleur. Il déporte des personnes jugées différentes et s’attire les foudres des peuples inférieurs. L’incompréhension du monde face à son génie et sa perspicacité le mène à sa perte. Son idéologie s’effondre avec son empire, il décide de se… STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur qui se félicite d’avoir atteint le point Godwin aussi rapidement. Il est plutôt fier d’en savoir autant sur le sujet, et se dit qu’il pourrait aborder d’autres thématiques sensibles afin de capter plus efficacement l’attention du lecteur. Il se fige soudainement et regarde dans votre direction. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur qui réalise qu’il n’avait pas considéré la présence d’un lecteur jusque là. Il prend conscience de la gravité de la situation. Il espère que les propos tenus deux paragraphes plus tôt ne vont pas choquer les âmes sensibles. Il réalise qu’il s’est peut-être tiré une balle dans le pied. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… Un auteur qui prend la décision de restructurer son récit pour le rendre plus agréable à l'œil. Il supprime les coquilles et unifie son texte pour en faciliter la lecture. Il se retourne vers le lecteur et lui demande si c’est mieux. Il réalise que ce qu’il vient de faire est complètement absurde. La fonction du lecteur, c’est la lecture. Il ne sait pas communiquer. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… Un auteur qui commence à douter, et qui se demande s’il n’a pas commis une erreur. En repassant derrière sa spontanéité, n’aurait-il pas effacé l’essence primaire de son imagination ? Ce concept vaut-il encore la peine d’être développé ? Non. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… Un auteur qui se demande si son récit comporte toujours un intérêt suffisant pour justifier son existence. Il admet que la présence du lecteur est rassurante. Il réalise soudainement que ce n’est pas la pertinence d’un récit qui justifie son existence. Le récit existe uniquement grâce à la perception. Tout comme nous n’existons qu’au travers de la perception des autres. Comment pouvons nous avoir la preuve de notre existence si les autres ne sont pas là pour nous l’apporter ? D’ailleurs, pouvons-nous considérer leurs témoignages comme des preuves tangibles ? Avons-nous seulement la preuve de leur existence ? La réalité objective existe-t-elle vraiment ? Et si tout cela n’était qu’un rêve ? Il faut se réveiller. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur aux tendances philosophiques qui tient à partager sa vision du monde. Il souhaite parler de déterminisme, de condition humaine, du sens de la vie, de sa finalité, de l’absurdité que cela implique, du caractère inévitable de la mort. D’ailleurs, en parlant de mort… STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur qui ferme encore une fois les yeux pour s’oublier dans la réalité de son imagination. Il nage dans le flot de ses pensées en cherchant à les interpréter. Avec le temps, il commence à observer certaines familiarités dans son environnement. C’est une sensation agréable. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Il ouvre les yeux. STOP.
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Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… un auteur qui voit quelque chose de rassurant dans cet éternel recommencement. Il a parfaitement conscience des contraintes de son enfermement, mais au fond, il est heureux d’avoir trouvé un cadre pour structurer sa pensée. Il réalise que la liberté créative n’a pas que des points positifs. Ecrire sous la contrainte l’aide à développer un récit cohérent. Mieux encore, il réalise qu’il est en train de développer un propos intéressant. STOP.
Recommence.
Un concept, vite. Trouve un concept. 5, 4, 3, 2, 1… Un auteur qui réalise qu’il a complètement minimisé la mort récurrente de ses concepts. Comme si cet éternel recommencement lui offrait une infinité de possibilités, il a méprisé leur création, craché sur leur existence. Pour combien de temps va-t-il encore trouver la force de pousser sa réflexion dans ses retranchements ? Il est facile de trouver un concept, mais c’est un calvaire de le faire arriver à maturation. La motivation de l’auteur lui fait défaut. Il ne veut plus recommencer. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais il arrive au bout du chemin. Il ne veut rien offrir de plus. Il décide de s’adresser directement à son concept :
“Tu viens tout juste de naître, et pourtant il te faut déjà profiter de tes derniers instants. Toi aussi tu seras bientôt abandonné. Comme tous les autres. Ton développement ne verra jamais le jour. Je n’ai pas l’intention de faire de toi quelque chose de grand. Je n’en ai pas les moyens, ni même l’envie. A vrai dire, je préfère me dire que tu aurais pu devenir quelque chose de grand. C’est toujours mieux que d’assumer la déception de la réalité d’un échec. Je ne peux pas te porter indéfiniment, pour la simple et bonne raison que je ne pourrais jamais te considérer comme une œuvre résolument terminée.
Alors ce texte, il est pour toi. Toi qui finira au fond d’une rêverie, abandonné comme une altération involontaire de ma pensée. L’imperfection de ta forme réelle laissera place à toute forme d’interprétation. Le lecteur pourra te faire grandir à son tour. Il prendra la direction qu’il souhaite emprunter, fera de toi ce qu’il voudra. Laisse-moi profiter encore quelques instants de ta présence. Encore un peu plus longtemps. Tu vas bientôt disparaître. Très bientôt.” STOP.
Recommence.
Non.