Il n’y a pas de réelles explications à donner quant aux pulsions que cette catégorie de gens, à laquelle j’appartiens, ressent lorsqu’une fille passe sur un parking ou dans un café. Peut-être qu’il y en a, des explications, mais elles ne sont pas rationnelles…rien ne peut expliquer l’envie de mettre fin aux jours d’une autre personne. Nous n’avons pas été conçus pour cela, du moins, je crois.
Ce que je crois par-dessus tout, c’est en l’imminence de ces fameuses pulsions desquelles nous sommes esclaves. Dès lors, nous devenons des espèces de robots dont le but est extrêmement précis. C’est à l’image d’une addiction, quand on trempe le doigt une seule fois, il est fort probable que nous voulions y mettre la main par la suite. C’est un jeu dangereux, en fait. Néanmoins, quel plaisir. Ces événements constituent la césure parfaite, dans une vie quelque peu monotone, une vie à laquelle nous ne croyions pourtant pas.
Bien que l’esprit particulièrement ouvert - vous vous en doutez déjà après ces quelques lignes – exprimer l’être que j’étais dans toutes ses couleurs s’est avéré difficile. C’est vrai… moi, le jeune garçon timide, provenant d’une famille relativement aisée, chouchouté comme pas un, éloigné de toutes substances nocives ; comment ai-je pu en arriver à ce stade ? Le cerveau est le plus grand des rouages, bien avant la politique. La science ne pourra expliquer la totalité de son énigme qu’après une paire d’années. Malgré toute cette agitation cérébrale, les confidences que je vous fais volontiers ne font pas de moi un mauvais bougre. Je suis respectueux des personnes âgées, je salue chaque passant que j’aperçois dans la rue, je souris avec enthousiasme à la boulangerie, j’aide les autres, je ne connais pas le jugement hâtif… bref, ma vie n’est pas un mystère total.
Je ne pense pas être fou, c’est un terme que je trouve galvaudé, surtout ces derniers temps. Nombreux sont les films ou les séries portant sujet sur les tueurs en série. Elles affluent anormalement et la plus part ne respectent pas la précision ainsi que la réflexion dont font preuve une majorité de ces personnes. Elles ne devraient céder et malgré toutes les barrières qui se dressent face à ces personnes, elles finissent par céder. Faute aux pulsions. Des médicaments prescrits par « Monsieur et Madame blouse blanche ? » je réfute cette idée. Les médicaments abrutissent le peuple, c’est une drogue légale, ni plus, ni moins. Je l’ai vu avec ma mère, c’était une femme ravissante et toujours heureuse. Elle pensait à chaque petit détail, elle ne dérivait jamais du droit chemin, elle savait rire et puis, elle avait cette facilité à aborder les inconnus… un rayon de soleil dans toute sa splendeur. Quand notre médecin de famille lui a attribué des antidépresseurs, car ma mère était sujette à des angoisses persistantes, son cerveau et sa lucidité se sont vus amoindris. Elle a commencé par oublier les clés de la maison, celles de la voiture, éteindre le gaz apparaissait sur l’emploi du temps qu’une dame lui avait dessiné.
Elle est morte dans l’ignorance, seul point positif. Si c’en est vraiment un. J’aurai voulu qu’elle me reconnaisse, au moins une fois. Voici l’expérience que j’ai entretenue avec les médicaments que prescrivent à tout-va les blouses blanches.
Je menais ma vie comme je l’entendais. Pas comme un taureau qui fonçait tête baissée, mais presque. Il y avait cette notion de lâcher prise qui s’était immiscée dans ma façon d’entreprendre ma vie. Je voulais pouvoir souffler. Cela me donnait une assurance, assurance en plastique, certes. L’assurance est importante, elle l’a toujours été, peu importe l’époque. Les capacités oratoires aident au bon fonctionnement d’un homme. Elles lui permettent de remplir ses objectifs, tout en prenant des chemins que les autres ne peuvent pas prendre. J’ai pour conviction grandissante de faire partie de ces hommes. Etant gamin, je pensais que je resterai puceau un temps bien plus long que celui de la moyenne. Pourquoi ? Parce que les filles ne s’intéressaient pas à moi et à vrai dire, je ne m’intéressais pas non plus à elles. Je ne savais pas ce qu’elles représentaient. Pour être franc, je percevais quelques unes comme d’affreuses petites pestes. Elles étaient fourbes, quand le professeur arrivait, elle se tenait droite, alors qu’absent, elles en profitaient pour ricaner bêtement des autres élèves légèrement paumés comme moi.
C’est en accumulant les années et les quelques poils sur le menton que mon côté dragueur a vu le jour. Au début, je mentais aux filles que je rencontrai. C’est-à-dire que mes propos étaient souvent exagérés. Par chance, ou plutôt par talent je l’ignore encore, elles buvaient mes paroles. Il faut dire que je savais y faire. La technique était – est toujours d’ailleurs – simplement basée sur une formule tout à fait compréhensible : gros mensonge + petites vérités = assurance de ne pas se faire choper. Bon, il fallait un peu de pratique et la manière avec le verbe.
Ensuite, j’ai diminué les fabulations, jusqu’à les supprimer de ma tactique. J’étais devenu franc avec ces filles que je fréquentais aux abords de bars, dans des restaurants chics, au moment de remettre le caddie… un regard et c’était parti.
J’adorais les étrangères, en principal pour leur accent. En plus de cela, elles étaient naïves. J’étais donc près de me faire rattraper par mes vieux démons.
Ce que j’appelais « vieux démons » étaient en fait de vulgaires fantômes au déguisement troué et acheté dans une épicerie en plein redressement fiscal.
Les vrais démons sont plus coriaces, ils prennent place définitivement et s’installent en vous. Plus encore, ils deviennent vous. Il suffit d’une tristesse passagère, d’une maladresse, de mauvais souvenirs qui refont surface. Tout est prétexte à remettre les couverts. Il est vrai à dire que nous sommes prédisposés à partir en vrille. Notre intellect est souvent supérieur à la normale, nos émotions sont exacerbées, notre conscience est telle qu’elle éclate comme un ballon d’eau trop rempli. Nous pensons tout le temps, il n’y a pas une seule seconde où nous ne pensons pas à tout et à rien. Quelque chose qui n’a parfois aucun rapport avec la tâche effectuée sur le moment présent, une envie soudaine nous prend au cou et le reste peut aller se faire voir.
Pour ne pas arranger les choses, je suis capricieux. Un lien avec mon enfance bordée par les innombrables cadeaux que l’on me voyait enlacer gaiment sur les innombrables photos prises lors d’innombrables soirées prévues spécialement pour moi ? C’est plausible. Toujours est-il que mes pulsions avaient raison de moi.
La première fut de taille moyenne, un carré brun, un sac qu’elle arborait fièrement mais dont elle se cachait quand il fallait passer les rues plus sombres. Elle sortait du magasin, sans se soucier ce que sa vie était sur le point de prendre une autre direction. Peut-être rejoignait-elle son mari, son amant ? Peut-être allait-elle chercher son ou ses enfants ? J’y avais pensé mais les démons étaient plus féroces que cette pauvre culpabilité, elle ne payait pas mine dans ces instants d’excitation.
Je l’ai poursuivie, le cœur battant comme jamais, elle est montée dans sa voiture et j’ai pris place à côté d’elle, sur le siège passager.
Quelle peur dans ses yeux marron noisette… elle a poussé un premier cri, léger. Prévenant, je lui ai mis une claque. Ce geste a changé le reste de notre relation.