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Sujet : [Nouvelle] Les ombres aux masques
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dydy91220
Niveau 18
05 mars 2018 à 20:21:46

Il ouvrit subitement les yeux et se redressa. Le garçon était assis sur une vieille chaise en bois inconfortable, collé à une longue table sur laquelle étaient griffonées diverses inscriptions pour la plupart rendues illisibles par le passage du temps. Il était installé au centre d'une sombre pièce rectangulaire présentant plusieurs fenêtres aux volets fermés mais qui laissaient néanmoins quelques maigres rayons de lumière pénétrer la salle par le biais de trous créés eux-aussi par l'usure des années.

Et il y avait les ombres aux masques.

Tout autour de lui, d'étranges créatures humanoïdes étaient dispersées à travers la pièce, elles-aussi installées face à de longues tables poussiéreuses. Les corps de ces choses étaient composés d'une matière noire et inconnue et ces êtres inquiétants portaient chacun un masque blanc représentant un visage souriant. Un sourire faux et moqueur. Un sourire vide. Il remarqua que l'attention des créatures était portée vers une autre ombre masquée, la seule debout, qui se trouvait au fond de la salle, face à toutes les tables. Bien que celle-ci semblait plus grande que ses semblables, elle était recroquevillée, comme croulant sous son propre poids, lui donnant l'air misérable d'un vieillard. En outre, le motif de son masque était différent de celui des autres créatures masquées : le sien représentait un visage ridé et grimaçant.

La chose émettait des murmures sépulcraux qui s'apparentaient à un langage incompréhensible. Derrière-elle, accroché au mur, se dressait un tableau noir et imposant rempli de signes et de symboles tout aussi indéchiffrables que ses paroles. Le jeune homme porta ses mains à ses yeux endormis et les frotta vigoureusement, désorienté. Toutes les chaises autour de lui étaient vides, si bien qu'il se retrouvait seul à sa table. Il se demandait un instant si il s'était vraiment réveillé ou si il vivait actuellement un étrange cauchemar avant de balayer cette pensée. Car il savait qu'il s'agissait de la réalité.
De sa réalité.

Il se sentait nauséeux et ses yeux trahissaient la détresse qu'il éprouvait. Il sentit des regards mauvais écorcher chaque centimètre de son corps, il entendit un gloussement inhumain et moqueur dans son dos, il frissonna en sentant la caresse froide du mépris. Il n'était pas à sa place ici, il ne l'avait jamais été... et pourtant il revenait presque chaque jour.

Il avait la tête baissée, son regard fuyant les ombres omniprésentes, quand une boule de papier vint heurter le coin de sa tête avant d'atterrir mollement sur la table de bois. Il ne se retourna pas pour voir d'où provenait le projectile, au contraire il n'eut presque pas de réaction. Il se contenta d'orienter lentement ses yeux vers le bout de papier négligemment plié, d'un air presque indifférent, tentant de cacher sa terreur. Il hésita, hésita, puis tendit sa main droite pour saisir l'objet.
Il déplia la boule.
Il lut l'unique mot d'une couleur rouge sanglante qui y était inscrit.

<< pédé >>

Il sentit des larmes lui monter aux yeux mais les contint. Il ne pouvait pas se permettre de pleurer, pas ici, pas devant ces choses. Alors il resta là, le regard perdu dans le vide. Des pensées indescriptibles et horribles traversèrent son esprit : ténèbres, pleurs, incompréhension, doutes, tristesse, ténèbres encore.
Le temps passa puis il fut finalement tiré de ses songes nébuleux par un bruit strident et puissant.
Une étrange sonnerie distordue, produisant un son semblable au crissement de la corde d'un violon désaccordé. En entendant ce bruit assourdissant, les ombres aux masques se levèrent toutes au même moment, comme une horde de machines réglées pour agir de manière synchronisée, puis, en silence, sortirent toutes par l'unique porte qui se trouvait au fond de la pièce.

Le jeune homme, hébété et perdu, resta assis, seul. Ses yeux semblaient dépourvus d'émotion, de vie. Il fixa son regard sur la porte par laquelle étaient passés les monstres. Son esprit était à présent vide, mélancolique, déconnecté... Une main griffue et noire s'abattit soudain avec violence sur la table, produisant un bruit lourd et puissant qui fit sursauter le jeune homme. Il fit face à la grande ombre au visage ridé, la seule qui était restée dans la salle et qui s'était rapprochée de lui sans un bruit. De près, il put observer que les trous circulaires découpés à l'endroit où auraient dû se trouver les yeux de la créature ne révélaient rien d'autre que les mêmes ténèbres qui composaient son corps. Un vide sombre dissimulant peut-être des secrets et des sentiments inconnus, cachés dans le noir, derrière le masque.
L'ombre entonna de nouveau son étrange langage. Le jeune homme crût néanmoins en comprendre un mot cette fois-ci :

<<... Dehors... >>

Ils se fixèrent un instant puis le garçon se leva vivement avant de se précipiter vers la porte et de quitter la pièce cauchemardesque. Il arriva alors dans un long couloir faiblement éclairé. Des dizaines de portes étaient dispersées de chaque côté de l'endroit et quelques ombres aux masques y traînaient. Il resta immobile un instant avant de se diriger vers la gauche, avançant à travers le couloir durant un long moment perdu dans le temps, la tête baissée. Il entendit les murmures. Il entendit les moqueries. Il entendit la haine.
Tout se mélengeait en une cacophonie insoutenable, ses tympans étaient au bord de l'explosion, ses yeux s'humidifiaient

Il passa une porte, la ferma derrière-lui. Le calme revint. Il respira profondément. Un vieux néon accroché au plafond de la pièce dans laquelle il venait de pénétrer produisait une lumière verdâtre donnant une atmosphère étrange, impure à cette salle. Trois petits cabinets étaient alignés à sa gauche, chacun fermé par de vieilles portes semblant prêtes à tomber en morceaux à chaque instant. En face de lui, contre le mur blanc et fade, se trouvaient quelques éviers et, juste au-dessus, des miroirs.
Des toilettes.

Après s'être assuré qu'il était bien seul ici, le garçon se dirigea vers l'un des éviers, pressa le bouton métallique du robinet et s'aspergea le visage d'eau. Des larmes se melangèrent au liquide froid et agressif. Il s'observa dans le miroir.
Trop petit, trop gros, trop frêle, trop minable. Ses cheveux trop sales, son nez trop gros. Et tous ces boutons. Et son appareil dentaire. Et ses lunettes. Ils avaient raison, évidemment.

La lumière grésilla.

La porte d'entrée des toilettes s'ouvrit soudain, produisant un grincement strident. Le jeune homme se retourna brusquement et fit face à trois ombres aux masques. Elles étaient grandes, imposantes, menaçantes. Il resta immobile. Elles avancèrent lentement vers lui. Il resta immobile. Elles allaient lui faire du mal. Il restait immobile.
L'une des choses tendit sa main droite aux griffes atroces et la referma autour de sa gorge, l'observant de son sourire figé, tandis qu'une autre se dirigea vers l'un des cabinets afin de l'ouvrir, révélant l'unique objet qu'il contenait : une cuvette.

Le jeune homme tenta de se débattre mais la troisième ombre lui empoigna aussitôt le bras, plongeant ses griffes dans sa chair. Il tenta de hurler mais la prise exercée autour de sa gorge étouffa son cri. Les deux créatures qui tenaient le garçon l'entraînèrent lentement vers le cabinet, la troisième s'écartant pour les laisser passer. Elles l'obligèrent à se mettre à genoux devant la cuvette puis une main s'abattit sur le haut du dos du gosse, le poussant à plonger la tête dans l'eau trouble et sale.

Il se débattit inutilement. Il poussa des hurlements de détresse muets. Il étouffa. Il crût qu'il allait mourir. Il aurait tant voulu être ailleurs. Loin de cet enfer.
Cela dura un moment, un long moment. Puis, alors que le garçon pensait être sur le point de perdre connaissance, la main qui lui lacérait le dos le tira brusquement hors de l'eau. Il toussa bruyamment comme si il allait vomir, le visage trempé et la respiration haletante. L'une des ombres le saisit de nouveau à la gorge et le força à la regarder. La créature, de sa main libre, plaça son index devant son faux sourire. Elle relâcha alors sa prise, laissant le jeune homme tomber mollement sur le carrelage sale, puis quitta les toilettes en compagnie de ses sombres acolytes.

Le gosse resta là, allongé sur le sol. Des larmes coulaient le long de ses joues mais son visage n'exprimait pas de tristesse. Il n'exprimait rien à vrai dire. Un long moment silencieux et lourd passa avant qu'il ne décide enfin de se relever. Il marcha hors des toilettes, les yeux rivés vers le sol. Il traversa le couloir qui était à présent vide, descendit des escaliers, traversa un nouveau couloir et passa une porte vitrée menant vers l'extérieur. Le soleil se couchait, il faisait tard, il fallait rentrer, oui, rentrer. Partir. Partir d'ici.

C'est ce qu'il fit. Il avança ainsi durant un certain temps. Son esprit était embrouillé, perdu dans un tourbillon vide et morose. Il traversa des rues et des trottoirs sans prêter d'importance à ce qui l'entourait. Car plus rien n'avait d'importance ce soir. Tout était gris, fade, sans vie. Il était fatigué. Il allait faire comme tous les jours : rentrer chez lui, se diriger vers sa chambre, s'allonger dans son lit, s'enrouler sous sa couette, pleurer, puis il s'endormira et fera des cauchemars.
Il leva finalement les yeux, étant arrivé chez lui. C'était le seul endroit au monde qui lui paraissait encore coloré.
Mais plus le temps passait et plus les couleurs de ce dernier refuge viraient au gris.
Et un jour, il le savait, il n'y aura plus de couleurs, même ici.
Que se passera-t-il ce jour là ?

Il se dirigera vers sa chambre.
Il ne s'allongera pas dans son lit.
Il ne s'enroulera pas sous sa couette.
Il s'endormira.
Mais il ne se réveillera pas.
Et ne fera plus de cauchemars.

Il sursauta en échappant à ses pensée. Lentement, il marcha jusqu'à la petit maison, posa sa main sur la poignée circulaire et ouvrit la porte. Une douce lumière dorée l'enveloppa. Il passa la porte.

<< Oh bonjour mon chéri, ta journée s'est bien passée ? >>

<< Oui, maman. >>

Fin.

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Sujet : [Nouvelle] Les ombres aux masques
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