Bonjour à tous.
Voici une série que j'ai commencé il y a un ou deux ans. C'est l'histoire d'un gendarme instable et névrosé, coincé dans un trou paumé de l'Avesnois.
PARTIE I
Je me réveille la gueule en biais, dans les vapes.
Cadavres de bouteilles de rhum. Tranches de citron vert collées par terre et sur la table.
Avec Frank et Tony, en général, ça loupe pas, on se la colle sévère. Faut dire, il n’y a pas grand-chose à faire dans ce trou à rat, sinon se murger la tête en écoutant du son. Les boîtes, les bars, il faut rouler pour les trouver et connaissant Frank, qui est bagarreur à mort, c'est pas le bon plan de fréquenter des lieux publics, surtout quand on connaît les responsabilités qui nous incombe. On est mieux chez moi, au chaud… quand on voit ce temps pourri. Il fait tellement gris que j’ai l’impression de vivre dans Charlot. Ça va, les voisins gueulent pas trop. En même temps les voisins, c’est nous.
Vie de caserne.
Le pire, c'est qu'ils écoutent pas les mêmes trucs que moi, les deux zozos. Sans caricaturer, c'est deux bons gros beaufs qui se cartonnent aux musiques de radio...avec un litre cinq de JB dans le cornet, autant dire que ça passe beaucoup mieux. Elle me manque, ma bonne vieille house des familles. Et mon rap. Avec eux, pas question d'écouter du rap. C'est pas très gendarme, le rap. Enfin, je suis pas peu fier d’avoir tiré un trait sur ma vie d’avant. Un trait, ouais.
Sniff.
J’ai l’impression que je ne vis pas ma vie, mais la vie que je dois vivre. J'ai encore des morceaux de poulets broyés coincés entre les canines. Je titube vers la salle de bain, sur le sol qui colle. Frank et Tony, sont des types sales, on dirait qu’ils n’ont rien appris à l’école. On ne choisit pas ses collègues. Quant à l'esprit de corps, eh ben, c’est du vent !
J'aurais pu avoir de la chance et tomber dans un coin champêtre au calme. C'est pour ça que j'ai passé le concours, au départ. Je m'imaginai dans le sud-ouest, sous le soleil. Quitter le nord, c'était une priorité... on ne fait pas toujours ce qu'on veut, tu vas me dire, mais merde, quoi, l'Avesnois !
Qu'est-ce que j'ai fai pour mériter ça ?
Bref. Loin de moins l’idée de me lamenter. Ma vie n’est pas si sombre ; je gagne beaucoup de pognon et je suis toujours en vacance. Je regrette juste de ne pas avoir sélectionna la mobile.
Je me débarbouille et me motive pour remettre l'appart en ordre…avant de me raviser. Tiens, un cul de clope dans le cendrier. Tony fume beaucoup. Je rallume ce satané mégot et laisse remonter cette nausée affreuse. Grosse barre sur le crâne. J'ai vingt-huit ans aujourd'hui, j'encaisse moins bien.
C'est dans ces moments que j'ai besoin d'un calin. Non, j'ai pas le courage d’aller m’encanailler dans un taudis en Belgique, je parle de vrais câlins. Merde… c’ets tellement dur, d’aimer. En caserne, on apprend à ressentir le moins possible. Ils ont fait de moi une machine et c’est tant mieux ; j'étais trop fragile. En fait, ils ont fait de moi un homme bien. Un type sérieux. J'ai su poser mes couilles sur la table, contrairement à Pablo.
D'ailleurs, qu'est-ce qu'il devient, celui-là ?
J'attrape mon mac et me connecte sur Facebook. Notre dernière conversation remonte à plusieurs mois. Il est entrain de rater sa vie, le con. Il ne fait plus partie de ma vie et c'est pas plus mal. On a évolué. Enfin… j'ai évolué.
Lui, il a raté ses concours, il a tout arrêté, sa nana l'a largué et il m'a jugé coupable de ses échecs. Il n’a jamais été capable de s'assumer. Ses parents lui ont toujours torché le cul et ça, forcément, ça n’aide pas. Bon, de mon côté, c'est pareil, j'ai vécu aux frais des miens pendant des années, pendant que je me remplissais les naseaux de poudres et que j’arpentai tinder de jour comme de nuit. On a tous nos casseroles, mais moi, contrairement à Pablo, j'estime que j’ai eu de la chance.
Comme quoi la roue tourne.
Si je vous disais dans quelle merde j'étais il y a de ça, quoi, deux ou trois ans, vous auriez du mal à y croire. Le passé appartient au passé... putain, je me fais mal au crâne, à parler comme ça. Je gobe un aspro et j'ouvre la boîte de discussion. Je pourrai lui parler, lui faire un petit coucou...
Non, vaut mieux pas.
C'est dangereux la nostalgie ; ça vous pousse à considérer des gens qui n'en valent pas la peine. Je suis comme ça, moi. J'ai l'air rugueux, parce que je pousse la fonte, alors qu'en vrai, je suis comme les autres, je suis sensible et anxieux.
Tout ce que je sais, c'est que malgré mes faiblesses, j'ai pris mon destin en main. Quand je vois tous ces types qui ont partagé ma jeunesse, toutes ces ombres qui planent sur des années mortes et enterrées, ça me fout les boules.
Je gobe un Maalox. Et un p'tit tour sur WSHH, histoire de voir les derniers clips. Tous ces mecs se ressemblent. De la fabrication en série. Le gangstérisme à l'échelle industrielle. J'aurai très bien pu leur ressembler, moi aussi. Leurs idéaux, je les ai partagé. Ce style de vie, je l'ai vécu, je l'ai performé. Le quartier, je l'ai connu. Un lotissement moyen-aisé avec un court de tennis au fond, certes, mais un quartier quand même.
Ouais, ça c'est sûr, j'aurai pu faire comme eux. Arme, blanche et filles faciles. J'aurai pu. Mais je suis rentré dans le droit chemin, du bon côté de la barrière... et tout le monde peut pas en dire autant.
Merci papa.
Merci pour tous ces coups de pieds au cul !