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Sujet : Mithar, notre terre
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Chimene_Azalee
Niveau 18
03 mai 2018 à 16:24:35

Bonjour et bienvenue sur le topic dédié au dernier tome de la trilogie des Frasques d'un Baladin en Maraude ! :-)

Pour lire ce roman, il vous faudra au préalable lire les tomes précédents, La marque et L'Assemblée Extraordinaire, disponibles à ces adresses :

La marque :d) http://le-coin-des-ecrivains.com/read/1

L'Assemblée Extraordinaire :d) http://le-coin-des-ecrivains.com/read/2

Le roman Mithar, notre terre, est également disponible sur mon site : http://le-coin-des-ecrivains.com/read/44

Si jamais les liens expirent, vous pouvez me les demander par MP, on s’arrangera.

Un wiki de l'univers existe (encore très incomplet) : http://ilfingard.fr/wiki/index.php?title=Accueil

Je vous souhaite une bonne lecture !

Chimene_Azalee
Niveau 18
03 mai 2018 à 16:26:04

BOUCLIER LIGE

CHIMÈNE

https://www.noelshack.com/2018-18-4-1525357551-chimene1.jpg

« Je te promets que je ne laisserai jamais quiconque te faire du mal. »

Sjur posa un baiser râpeux sur le front de Chimène. Touchée, la jeune femme enfouit son visage dans les fourrures du chevalier tire-laine. Elle s’oublia un instant, blottie contre le torse de son ami. La forte odeur de sueur et de sciure de bois ne l’incommodait plus. D’ailleurs, Chimène n’avait même plus conscience de ses propres senteurs, après ces deux mois de vagabondage. Sjur avait su la rassurer. Depuis que Sklard lui avait parlé de l’ordre des ménestrels, elle s’imaginait des baladins au rictus mauvais l’épiant parmi les fourrés, tirant des mélodies grinçantes sur leurs violes, usant de couteaux à la place d’archets. Chimène sursautait au moindre bruit, au plus grand plaisir de Greta, qui semblait tirer de la joie à mépriser la jeune femme. Chimène n’osait pas faire part de ses craintes d’histrions assassins et de matassins violeurs, de peur que les moqueries fusent de nouveaux.

Elle en perdait le sommeil, si bien que ses traits se faisaient de plus en tirés, et de lourds cernes lui assombrissaient le visage. Karl n’avait rien remarqué. L’héritier de Felseweise broyait du noir à longueur de journée. Inconsolable, il restait cloitré dans le silence, le regard dans le vide, la main serrée sur son épée. Parmi la clique du Chevalier-Gueux, seul Sjur s’était enquis de l’état de Chimène. Ce dernier sembla percer à jour ses pensées.

« Tu ressembles à une femme que j’ai aimée jadis. Le genre d’amour qui ne s’effrite pas.
— Où est-elle, cette femme ?
— Chez les anges. »

Au lieu de prendre une mine triste comme elle s’y attendait, Sjur lui sourit et ébouriffa ses cheveux roux.

« Allons vérifier si Greta n’a pas encore égorgé Stumm. » l’invita-t-il en la tirant par l’épaule. Elle le suivit parmi les arbres. La forêt dormait encore sous la blanche couverture de l’hiver, mais quelques brins d’herbes et perce-neiges brisaient la monotonie du paysage. Les oiseaux repeuplaient les bois, et leur chant se faisait de plus en plus riche au gré des jours.

Près d’un feu où bouillait de l’eau pour le ragoût de lièvre, Greta affutait ses couteaux, lançant des œillades mauvaises à Stumm et Sklard qui s’entraînaient à l’épée. Ahanant, les deux combattants tournaient autour du foyer, et la felseweiser devait sans cesse se baisser pour ne pas se prendre une botte ferrée dans la face ou se faire tailler le visage par une lame mal maîtrisée. Sklard se mit en garde haute, et Stumm l’imita aussitôt, un sourire moqueur imprégnant son visage.

« Je te découperai les lèvres. » pesta Sklard, mi agacé, mi amusé par la confiance du muet. De la sueur coulait sur son front et collait quelques cheveux qui s’échappaient de sa queue de cheval.

Le Chevalier-Gueux attaqua et les lames s’entrechoquèrent dans un son cristallin. Sklard poussa sur la lame et les deux combattant se retrouvèrent assez proche pour s’embrasser. Stumm réagit aussitôt et recula d’un pas, passa son pommeau sous la fusée de Sklard et la lame du muet se retrouva sur le cou du Chevalier-Gueux, à quatre pattes dans l’herbe.

Stumm relâcha le vaincu et l’aida à se relever. Sklard, couvert de boue et de neige fondue grimaça en étirant sa jambe.

« Si j’étais entier, tu ne tiendrais pas le temps de dégainer. » cria-t-il à l’intention de son neveu. Le muet haussa les épaules, comme pour acquiescer sans conviction les dires de son oncle.
« Et vous, Karl ? Corrigeriez-vous ce gamin effronté ? »

L’Héritier de Felseweise, adossé contre un arbre mort jeta un œil désintéressé aux deux hommes. Son visage disparaissait à moitié sous son capuchon élimé, et aucune émotion ne le traversa. Il secoua faiblement la tête et la détourna.

Sklard rengaina sa lame, et Stumm fit de même.
« De toute façon, il se fait tard. »

Comme à l’accoutumé, Chimène avala son ragoût de lièvre et s’emmitoufla dans ses couvertures près du feu. Karl dormait déjà, une barbe de plusieurs semaines lui dévorant le visage. La disette et le chagrin avaient émincé ses traits et réduit ses forces. La compagnie de Karl se transformait en fardeau, et cela attristait Chimène qui ne reconnaissait plus le jeune homme si volontaire d’antan. Elle enfouit la tête dans les fourrures pour se protéger de la brise glaciale et ferma les yeux.

Les cris de souffrance retentissaient tout autour de Chimène qui louvoyait parmi les combattants. Le sol de Cenelle s’imbibait de sang et se jonchait de cadavres. La complainte de l’acier se joignait à celle des mourants. Les hommes se jetaient les uns sur les autres, cherchant à s’entrouvrir le ventre à coup de bout de métal. Tous avaient la face ensanglantée et le regard fou, dents sorties. On se jetait à terre, se battait bec et ongle pour prendre le contrôle de la ville. Dans un écran de fumée, un chevalier apparut au fond de la venelle. Son destrier se cabra avant de charger droit sur Chimène. Le caparaçon rouge et or virevoltait au vent, et le chevalier tendait son bras maillé en avant comme pour l’attraper. Chimène tenta de se dérober, mais le chevalier fut plus vif et l’emporta en croupe. Ils chevauchèrent loin du carnage, traversant champs et forêts, plus prestes que le vent. Une immense montagne se dressa face à eux. Le chevalier stoppa sa monture et mit pied à terre. Il attrapa Chimène par la taille et la souleva sans difficulté pour l’aider à descendre.

« Cette relique la vaincra. »

Alors qu’il englobait la petite main de Chimène dans les siennes, elle le regarda sans comprendre. Les doigts du chevalier étaient poisseux de sang, et soudain, elle fut en possession du médaillon d’adoubement de Charles Millepertuis.

« Apporte-le en son temple, et chasse-la d’Ilfingard pour toujours.
— Comment ? » s’enquit Chimène, mais déjà elle se sentait aspirée, tirée loin de la montagne. Le monde se flouta et le chevalier disparut.

Chimene_Azalee
Niveau 18
03 mai 2018 à 16:26:24

Chimène se réveilla avec l’impression qu’une main de fer lui comprimait la poitrine. Quelques braises rougeoyaient encore dans le foyer, et un goût de bile lui prenait la gorge. Elle cracha dans le feu et dégotta l’outre de vin de Sjur. La boisson âpre lui arracha une grimace. Elle trouva Stumm assis sur un tronc renversé. Le garçon triturait un perce-neige, arrachant les pétales pour les laisser s’envoler dans la brise. Autrefois, Chimène jouait souvent à ce jeu, afin de savoir si l’élu de son cœur l’aimait. La jeune femme se demanda si parfois Stumm pensait à Lucia, la fille de Lukas qui avait fini clouée à un mur par des poignards. La veille du massacre, ils avaient dansé ensemble.

« T’aime-t-elle ? » demanda Chimène en s’essayant à côté du muet. Ce dernier regarda le dernier pétale s’envoler avant d’hausser les épaules, une moue dubitative au visage.

« C’est moi ? » s’amusa Chimène.

Stumm secoua vivement la tête, un air amusé dans ses yeux brun. Il étira ses membres engourdis par une longue garde dans le froid.

« Greta ? » insista Chimène. Le garçon réagit de même et lui donna une tape affectueuse sur l’épaule avant d’aller se soulager contre un tronc. Comme les premiers rayons du soleil perçaient la frondaison, les autres émergèrent de leur sommeil. Chimène s’afféra à ses tâches quotidiennes. Tandis que Greta partait inspecter ses pièges avec Stumm, Sjur se chargea de réanimer le feu en y déposant le petit bois que Chimène avait ramassé. Le chevalier oint de Kristeim se pencha sur les cendres et souffla. La fumée piqua le nez de ses compagnons et il fut rapidement recouvert de poussières encore chaudes. Selon Chimène, ils empestaient la fumée et la crasse, mais Sjur, lui, claironnait à qui voulait l’entendre qu’ils embaumaient l’aventure. Cependant, son sourire disparaissait dès qu’il portait le regard sur Karl. Ce dernier se contentait de lambiner dans ses laines en grognant, et n’avait pas esquissé le moindre geste pour participer à la vie de camp.

Une douce odeur de galette au miel monta dans l’air et Chimène se mit à saliver. Quand la misère et le froid s’immisçaient dans sa vie, la jeune femme ne trouvait rarement mieux qu’un plat chaud au creux de l’estomac pour la requinquer. Sklard se leva pour apporter à Karl sa collation du matin.

« Chimène ! » cria le Chevalier-Gueux. Cette dernière sursauta, surprise par le haussement de voix de son compagnon. Qu’avait-elle pu bien faire de mal ? Elle empaquetait les affaires comme chaque matin, et elle était sûre de n’avoir rien laissé trainer.

« Mets une main sur le sol. »

Hésitante, Chimène posa sa paume contre la boue glacée.

« Ferme les yeux. Inspire profondément, sens-tu l’appel de la terre ? »

Seul le froid lui mordait les mains. Ses doigts s’enfoncèrent dans la boue, mêlée à de la neige fondue.

« Allez ! insista Sklard. Karl, fais de même.
— À quoi cela rime-t-il ? rouspéta l’héritier de Felseweise.
— J’étais ce qu’ils appellent un druide.
— Qui ça, ils ? se méfia le jeune loup.
— L’ordre des ménestrels. Certains d’entre nous, sur cette terre sont capables de ressentir l’essence d’Ilfingard. »

Le Chevalier-Gueux posa un genou à terre et plaça sa main à côté de celle de Chimène.

« L’ordre m’utilisait pour mon don. Ils cherchaient un pouvoir aux antipodes de celui qui régit cette terre. Je l’ai trouvé.
— De quels pouvoirs parlez-vous ? s‘enquit Karl.
— Végétal, animal ou minéral, tout sur cette terre est régi par la même énergie. Nous autres, druides, sommes la passerelle entre le monde et l’âme d’Ilfingard.
— Et les ménestrels cherchent un pouvoir contraire à… cette âme ?
— Exactement. L’ordre croit que les créateurs ont emmené en Ilfingard la propre essence de leur monde. Ce pouvoir menace l’équilibre de la Péninsule.
— Je ne crois pas en de telles calembredaines, et vous non plus ? »

Sklard fit la sourde oreille et ferma les yeux. Il sembla frissonner, comme pris de picotements. Que lui arrivait-il ? Chimène, elle, commençait à grelotter, non pas à cause de la terre, mais du vent qui s’insinuait dans les plis de sa veste. Soudain, à son émerveillement, des pâquerettes sortirent à grande vitesse du sol, poussant entre les doigts de Sklard. Boutons d’or et trèfles suivirent la procession florale. Le druide vacilla, et s’appuya sur Chimène pour ne pas s’écrouler. Ahanant, il reprit :

« J’ignore pourquoi, mais cette clairière semble favoriser l’appel. Comme si l’essence d’Ilfingard se magnifiait, juste ici.
— Je n’ai jamais entendu parler de ça. » se bisqua Karl, qui manifestement n’avait même pas remarqué que des plantes étaient sorties du sol en l’espace d’un instant.
« Les mortefangiens l’appellent Mithar. »

Og pila uth Mithar. Chimène pensa aussitôt à son médaillon et le sortit de sa poche. Soudain, Sklard lui ravit des mains.

« Où as-tu trouvé ça ? s’exclama-t-il.
— On me l’a donné en rêve.
— Qui ?
— Un chevalier. »

Sans rien dire, le Chevalier-gueux posa sa main contre le front de Chimène. Sklard grimaça et sembla lutter pour s’éloigner.

« C’est bien ce qu’il me semblait, souffla-t-il. Tu portes ce pouvoir étranger.
— Mon médaillon ?
— Non, ta marque. Ce médaillon diffuse l’énergie de la terre. »

Troublé, Sklard le contempla quelques instants. Il fit tourner l’objet entre ses doigts, et déclara :

« Il me pousse quelque part. Il veut que je te guide jusque-là.
— Où ? s’enquit Chimène. Qu’est-ce qu’il vous dit ?
— Il ne dit rien, mais je le sens. »

Le Chevalier-Gueux rendit le médaillon à Chimène.

« Je promets que je te guiderai jusqu’à ce lieu, fusse-t-il au bout du monde.
— Et Fieramont ? intervint Karl.
— Fieramont attendra. »

Au même moment, Greta et Stumm apparurent dans la clairière, trois lièvres morts pendant à leur ceinture. Karl bondit sur ses pieds et vint se fritter avec le Chevalier-Gueux. Tous deux s’affrontèrent du regard, et Chimène vit Sklard empoigner son couteau, sans lâcher l’héritier de Felseweise des yeux.

« Rien n’a plus d’importance que de venger mon père. Votre seigneur !
— Tu ne comprends pas ! s’énerva Sklard. Les seigneurs, les hommes, plus rien n’importe désormais. C’est une affaire de Dieux !
— Le seigneur de la Lumière est le seul vrai Dieu ! hurla Karl. C’est sa volonté que je reprenne mon fief et que je punisse les Groléjois.
— Karl, la marque de Chimène n’est-elle pas une preuve suffisante ? Le médaillon de Charles Millepertuis, qui apparait ainsi ?
— Vous n’avez plus cure de votre or, Chevalier-Mendigot ? »

Sklard lui jeta un regard dur, blessé dans son amour propre, mais ne daigna pas répondre à son seigneur.

« Vous savez quoi ? siffla Karl entre ses dents. Arpentez le monde, courrez après vos chimères, mais ne comptez pas sur moi pour vous suivre.
— Où irez-vous, alors ? vilipenda Sklard.
— J’irai seul à Felseweise. »

Sur ces mots, l’héritier du fief agrippa ses maigres possessions et les balança sur son dos d’un air rageur. Le cœur de Chimène se serra à l’idée de voir le si gentil jeune homme dans une telle colère. Même Greta faisait profil bas et le sourire éternel de Stumm s’était éclipsé. Les pas de Karl malmenèrent la neige, et bien que Sjur tenta de s’interposer, le jeune loup le repoussa avec violence.

« Stumm, suis-le, ordonna Sklard. Assure-toi qu’il trouve son chemin. »

Le regard de supplication que lui lança le muet brisa le cœur de Chimène. Le garçon savait qu’une fois éloigné, il lui serait presque impossible de les retrouver. D’un geste affectueux, Sklard lui attrapa la nuque et plaqua son front contre son torse.

« Si je ne viens pas te trouver à Fieramont cet été, reviens à Kristeim l’an prochain. »

Stumm pleurait presque quand il acquiesça. Il enlaça Sjur qui lui frotta ses boucles brunes en désordre. Quand il arriva près de Chimène, il lui posa un baiser sur la joue. Quant à Greta, Stumm ne lui adressa qu’un signe de tête, avant de courir dans les pas de Karl.

« Les adieux longs sont toujours les plus pénibles. » commenta Sjur.

Mandoulis
Niveau 25
03 mai 2018 à 18:28:10

Première missive https://image.noelshack.com/fichiers/2017/14/1491238689-temp.png

Chimene_Azalee
Niveau 18
03 mai 2018 à 19:19:34

No rage, le modo est first sur un topic collector du forum :cool:

Reptilovitch
Niveau 10
03 mai 2018 à 20:19:31

Tain, encore un truc que je peux pas lire parce qu'il y a deux tomes derrière... https://image.noelshack.com/fichiers/2017/11/1489748842-000001114444.jpg

J'essaierai quand même de donner un avis sur la forme, pour dire de https://image.noelshack.com/fichiers/2017/11/1489748842-000001114444.jpg

Chimene_Azalee
Niveau 18
03 mai 2018 à 21:21:39

AYA Merci Yugo (d'ailleurs j'oublie toujours de venir te parler, depuis cette affaire des MP https://image.noelshack.com/fichiers/2017/07/1487361835-zemmour1.png )

Chimene_Azalee
Niveau 18
08 mai 2018 à 22:10:24

LA COMPLAINTE DU BOIS HURLANT

KARL

La route serpentait aussi loin que le regard de Karl portait. Sur sa gauche, des champs s’étendaient jusqu’au bout du monde, de la glace encore présente dans leurs sillons. Aucun paysan ne viendrait labourer avant un moment, les sols gelés, trop durs, briseraient les socs des charrues. De l’autre côté de la route, le Bois Hurlant pleurait, la neige fondue dégoulinant des aiguilles vert sombre des pins. Un fossé séparait la forêt de la route, et un mince filet d’eau en tapissait le fond. Un peu en retrait, Stumm traînait des pieds. Karl lui avait proposé plusieurs fois de partir, mais le muet s’opiniâtrait à le suivre. Karl se demandait pourquoi le branquignol s’entêtait alors qu’il ne montrait aucune bonne volonté. Que lui avait ordonné Sklard ? De l’espionner ? Que valait un espion muet ? Le jeune loup y vit rapidement l’avantage majeur. Le mutisme de l’homme ne posait pas de problème si l’on savait quelles questions menaient aux réponses. Les bourreaux, passés maîtres dans l’art de délier les langues peineraient à tirer quoique ce soit de Stumm.

Karl éprouvait du soulagement d’avoir quitté le Chevalier-Gueux et sa clique. Ces histoires d’essence de la terre l’avaient mis mal à l’aise. L’hérésie le rebutait, et le tissu de mensonges dont Sklard irriguait Chimène suffirait pour le porter sur le bûcher. Outre les lubies récentes du Chevalier-Gueux, Karl ne supportait plus l’irresponsabilité de son ancienne escorte. Il avait failli perdre la vie à ce comptoir de gens errants. Un détour qui leur avait pris près d’une quinzaine. Sans Sjur et ses maudites pointes de flèches, Fieramont aurait déjà été atteint. Le jeune Wiern abhorrait aussi leurs petits rituels de chasse. Si d’aventure ils avaient été à la rencontre de villageois, ces derniers auraient fourni le gîte et le couvert en apprenant son identité. Tout manant souhaitait la bénédiction d’un futur seigneur. Cependant, Karl n’avait croisé aucun village depuis son départ. Ses provisions lui avaient permis de tenir une soirée seulement, et son estomac commençait à gronder. Quand le soleil monta à son zénith, la route, alors déserte, se mit à résonner du son des sabots.

« Écartons-nous. » commanda Karl en tirant Stumm par le col.

Les deux jeunes hommes sautèrent dans le fossé et s’assirent, le cul dans l’eau. Karl fit mine de dormir, et Stumm mâchouilla un jonc qu’il venait de cueillir. Une dizaine de cavaliers portant la livrée Vangeld passèrent au galop. Alors que leurs ombres défilaient une à une, Karl se raidit. La vue des groléjois éveillait une colère en lui. Sa rage, trop longtemps endormie surgissait désormais, à la manière d’un dragon prêt à enflammer le monde. Que ferait-il s’il les attrapait ? On en avait vu, des prisonniers suspendus à un arbre, un feu crépitant sous leurs pieds. Les braises chatouillaient alors les jambes des malheureux qui se tortillaient dans l’espoir vain d’échapper aux caresses des flammes. Au bout d’un moment, trop fatigués pour lutter, les suppliciés voyaient leurs membres se couvrir de cloques, leurs brûlures se mettaient à saigner et leurs cris, véritable mélodie pour les bourreaux devenaient insupportables pour les badauds. Infliger cette torture aux hommes de Reyce Vangeld, même si elle n’existât que dans son esprit, apaisa Karl quelque peu. Alors que les cavaliers avaient disparu depuis un moment, une nouvelle procession leur passa devant. Cette fois-ci, ce fut des centaines de chevaliers groléjois qui martelèrent la terre battue.

« Une armée en marche, souffla Karl. Ils se dirigent droit sur Felseweise ! »

Le jeune loup bondit sur ses pieds, sous le regard exaspéré de Stumm. Honteux, Karl s’assagit. Son compagnon avait raison de préconiser la prudence, mais savoir les assassins de son père se pavaner dans la nature lui remuait l’estomac. Quand les cavaliers furent passés au trot, les fantassins passèrent à leur tour. Si nombreux que Karl en perdît le compte, les gens d’armes battaient la campagne en riant. La camaraderie était l’apanage des soldats, surtout lorsque ceux-ci survivaient à leur première bataille. Karl se surprit à les envier. Il aurait aimé avoir des compagnons d’armes avec qui plaisanter, et non son taciturne camarade qui lui procurait autant de réconfort que sa propre ombre. Cependant, Karl admettait que par pur orgueil, il se privait d’un professeur d’escrime au grand talent. Stumm maniait mieux l’épée que n’importe quel chevalier à Fieramont.

« Eh ! Bandes d’affreuses petites merdes ! »

Karl sursauta : un homme au visage mangé par une barbe pointa sa sale trogne par-delà le fossé. Son chapeau à plume, typique des unités groléjoises et détrempé par la pluie ressemblait à un vieux tissu plaqué sur son crâne, la plume pendouillant piteusement sur un côté. D’autres curieux le rejoignirent, tous serrant leur hallebarde. Stumm posa la main sur la garde de son épée mais Karl l’en dissuada d’un geste discret.

« Rejoignez les rangs ! s’écria l’officier groléjois. Vos petits pieds de gamine braillarde vous font mal ?
— Nous n’avons rien à faire avec vous, passez votre chemin ! » répliqua Karl.

Sous le ton autoritaire du jeune Wiern, le soldat affirma sa prise sur la hampe de son hallebarde.

« Vous êtes quoi ? Des Felseweisern ? Ou pire, des déserteurs ?
— Rien de tout ça, laissez-nous.
— Des mercenaires ? »

L’homme cracha aux pieds de Karl.

« Ça se pourrait. » répliqua le jeune seigneur, un air de défi dans la voix. Il savait sa réponse intempestive après la réaction de l’homme, mais il se sentait d’humeur bagarreuse.

« Je hais les engeances de votre genre. Vous seriez prêt à tuer votre propre mère pour de l’or. Où allez-vous ?
— Vendre nos services aux plus offrants, mentit Karl. Et vous ?
— Je ne vais tout de même pas me donner la peine d’informer deux ordures comme vous, s’indigna le soldat. Mais comme ça me fera plaisir d’effacer la moindre lueur d’espoir dans vos yeux cupides, vous allez mourir de faim. Le seigneur Reyce ne paye pas de mercenaires, et les Felseweisern ont déjà perdu la guerre. »

Karl ricana. Rien d’autre sur cette terre ne semblait égaler la vanité du groléjois. Qui pouvait se targuer de vaincre les osts de Felseweise ?

« C’est ce que nous verrons, rétorqua Karl.
— Bon vent, la merdaille ! » claironna le fantassin, déclenchant les rires de ses pairs. Alors que les soudards remontaient le fossé, Karl dégaina sa dague et la planta d’un geste rageur dans la boue, imaginant le vil cœur de l’officier.

« Quand j’aurai mon armée, jura-t-il, j’enverrai ce pendard en enfer. »

Comme Stumm continuait de mâchouiller son jonc, Karl sentit son estomac se contracter. La journée promettait d’être longue.

« Nous n’allons pas sucer des brindilles, reprit le jeune Wiern. Trouvons de quoi nous sustenter. »

Chimene_Azalee
Niveau 18
08 mai 2018 à 22:10:42

Ils marchèrent longuement avant d’arriver au premier village. Karl découvrit, amer, que la populace avait déserté. Les paysans fuyaient la guerre, comme les rats s’échappaient des champs quand le feu débutait. La guerre offrait rapines et viols aux soldats, tandis que de son autre main, elle privait les pauvres gens de leurs foyers et richesses, et par extension Karl d’une bonne bolée chaude de potage fermier. Tandis qu’il marchait, il imagina les somptueux festins que l’on servait à Fieramont. Il ne pouvait s’empêcher de penser aux réjouissances du début de printemps, quand la chasse reprenait. Le soleil, encore bas dans le ciel en cette saison ressemblait à une énorme roue de fromage. L’estomac aussi bas dans ses talons que le soleil l’était dans le ciel, Karl se coucha auprès de Stumm dans le fossé. Les congères leur conféraient un abri sommaire contre le vent, si par fortune il soufflait dans la bonne direction. Le muet se révélait un compagnon idéal. Outre sa ressemblance avec Karl de par bien des aspects, tout autant physiques que de centre d’intérêt, il ne râlait jamais et obéissait docilement aux ordres, la moindre once de protestation enterrée depuis longtemps. C’est à force de jouer les larbins avec cette Greta, songeait Karl. Plus âgée, la braconnière menait Stumm à la baguette, comme un maître piqueux l’aurait fait avec son chien. Un chien qui ne mordait pas, en dépit du bon sens, compte tenu de toutes les rebuffades qu’il essuyait de la part de la teigneuse petite femme.

Pour la première fois, Karl pensa à Chimène et les remords l’assaillirent à la gorge. Il se parjurait en quittant la jeune femme à qui il avait offert sa protection. Cependant, quel fol aurait-il fait, à suivre des impies au détriment de son fief ? S’il continuait de jouer les boucliers-liges auprès de damoiselle Azalée, alors il trahissait son peuple. Karl maudit Chimène. Il éprouvait quelque affection pour ce brin de fille, si gauche et veule, mais pourtant dénuée de malignité. Si d’aventure elle l’avait suivi à Fieramont, Karl aurait pu lui trouver une place aisée aux cuisines. Il l’imagina alors se couper avec les tranchoirs, et se brûler sur les fourneaux, dans des nuages de farine et d’épluchures de légumes. Non, elle officierait mieux comme damoiselle de compagnie auprès d’une dame de Felseweise. Il s’amusa à se représenter Chimène en proie aux affres des comptes et de la gestion incombant à l’intendance, elle qui peinait à faire quelques additions. La jeune femme aurait fini par apprendre, songea-t-il, amer. Il se désolait que Chimène renonce à un avenir douillet pour écumer les campagnes ravagées par la guerre. Suivre cette troupe d’illuminés la mènerait vers une mort certaine sur une route toute tracée pour les enfers.

La faim réveilla Karl, lors d’une crampe d’estomac particulièrement douloureuse. Non loin, Stumm récoltait l’eau du fossé et se débarbouillait le visage, ébrouant ses boucles de cheveux sales à la manière d’un chien. Le muet l’accueilli d’un sourire affable que Karl peina à lui rendre. Le soleil, énorme, entamait sa course laborieuse dans les cieux, comme trop lourd pour se hisser. Karl devait marcher la main en visière, mais les rayons, bien qu’aveuglant ne prodiguaient aucune chaleur. Comme ils poursuivaient leur route depuis déjà une demi-lieue, Stumm l’agrippa par les épaules et lui montra une masse grouillante d’hommes montés sur des mulets. Le muet pressa le jeune Wiern de se jeter dans le fossé, mais Karl, assez irrité le maintint par le col et le secoua.

« Voyons, ce ne sont que des moines ! » tenta-t-il de le raisonner.

Avec la vigueur du désespoir, Stumm mima quelque chose comme quelqu’un à qui l’on arrachait la langue, et son regard se teinta de supplications. Karl roula ses yeux dans leurs orbites, agacé par les superstitions du petit peuple. Alors que Stumm partait se cacher dans le fossé, le moine de tête le héla. À peine la trentaine et à califourchon sur son bourrin, il s’arrêta à son niveau. En dépit du froid, l’ecclésiastique chaussait des sandales et devait certainement souffrir d’engelures. Sa bure couleur de neige grisonnait et s’encrassait de la poussière et de la boue de la route. Les moines tentaient d’endiguer le phénomène en portant par-dessus leurs robes un scapulaire fait de toile de sac grossier, mais la saleté des campagnes prévalait. D’ordinaire, en Felseweise, les religieux portaient un tissu noir, plus coûteux que le blanc qui ne recourait pas à la teinture.

« Qu’est parti faire votre compagnon, mon fils ? s’enquit l’homme de Dieu.
— Je l’ignore, mon père. Il semblerait qu’il ait quelques péchés à confesser.
— Nous nous détournons tous de la lumière à un moment ou un autre, prêcha le prêtre. Amenez-le-nous, et nous lui montrerons la voie.
— Il ne parle pas, répondit Karl.
— Que me vaut sa taciturnité ?
— Il a eu la langue tranchée. »

Le moine fronça les sourcils. Ce châtiment était réservé aux plus vils menteurs et Karl se demanda à son tour comment Stumm avait perdu la parole.

« Je suis le père Paulus. » se présenta le moine.

Un nom de groléjois. Bien que les religieux eussent pour devoir de s’éloigner de la vie politique, Karl se garda de lui faire confiance.

« Je me nomme Tobias, répondit-il. Mon compagnon s’appelle Stumm.
— Que faites-vous sur la route ?
— Nous nous sommes égarés. Nous n’avons plus de quoi nous nourrir. »

Paulus sortit d’une des besaces accrochées à son mulet une roue de fromage qu’il tendit à Karl.

« Il existe des moyens plus honnêtes pour gagner sa pitance que d’abuser de la sollicitude d’un moine. »

Malgré sa remontrance, l’homme souriait.

« Tous les villages alentours sont déserts, se justifia Karl, soudain honteux d’avoir mendié.
— Cela vous étonne ? s’enquit Paulus d’un air sombre. La bataille du Bois Hurlant fut terrible, et groléjois et felseweisern gisent par milliers dessus le sol à la face de Dieu. »

Le visage de Karl se décomposa, ce qui attisa l’attention du moine.

« Les gens se déplacent en masse vers les lieux de l’affrontement. Comme les champs dégèlent, les cadavres émergent. Un charnier présente toujours de l’intérêt : pour nous autres, hommes de Dieu, il recèle d’âmes à guider vers la lumière, et pour les hommes de petite vertu, les gains ne sont pas négligeables. Vous pourriez trouver de quoi vous nourrir. »

Karl marcha toute la journée et le lendemain en compagnie des moines. Le père Paulus maugréait souvent en regardant le ciel, clamant qu’il s’assombrissait comme ils approchaient du charnier. Si la teinte ardoise ne présentait aucun changement aux yeux de Karl, il ne pouvait évincer les floppées de corbeaux qui tournoyaient dans les nues. La route se détériorait au fur et à mesure qu’avançait la journée. De profondes ornières gorgées d’eau obligeaient les prêtres à rester en permanence concentrés sur leur chevauchée, pour que leurs bêtes ne se brisent pas les pattes. Alors Karl vit, en amont de la colline et plongeant à perte de vue, les milliers de cadavres, de bannières brisées flottant au vent sans vigueur, et les paysans s’afférant autour des corps. Son cœur se serra quand il s’imagina les horreurs perpétrées en ces lieux. Ils s’avancèrent parmi les monceaux de cadavres, que les fossoyeurs enveloppaient dans des linceuls. Un homme attrapa Karl par l’épaule et lui désigna une charrette pleine de macchabées embourbée dans la glaise.

« Aide-nous à la déloger. » commanda le contre-maître.

Karl préféra ne pas faire d’histoires et se mit à pousser avec les autres. Dans un bruit de succion, les roues se dégagèrent et tout ahanant, le contre-maître tendit sa main pleine de cals à Karl qui la serra.

« Je suis Robert le Noir. » se présenta-t-il. Karl songea qu’un tel sobriquet lui seyait à merveille, tant sa toison rappelait les ailes des corbeaux.
« Dis-moi, c’est une belle épée de Felseweiser que t’as là, même pas rouillée.
— Je l’ai ramassée sur un mort. » se défendit Karl, attisant la suspicion de Robert.
— Il y a des dépôts d’armes. On n’est pas autorisé à garder l’acier. Donne-la moi, j’irai l’entreposer. »

L’homme présenta ses doigts aux ongles noircis par le labeur.

« Je peux m’en enquérir moi-même, se bisqua le jeune Wiern.
— Que je ne te prenne pas avec ce soir ! l’avertit Robert. De même pour ton compagnon. »

On promit à Karl et Stumm cinq oboles de la journée, plus une part du prix de l’acier qui serait revendu dans les fonderies de Sylvetuis. Des fossoyeurs coupaient les doigts des chevaliers, garnis de bagues en acier et en or, serties ou non de pierres précieuses. Un homme se chargeait de collecter les objets de valeur, mais Karl surprit quelques roublards glisser un anneau ou deux dans leur besace. Cette besogne permettait au jeune Wiern d’oublier sa tristesse. La fureur de ses gestes apaisait son âme endeuillée et lui faisait oublier les sourires des groléjois qui se réjouissaient dès qu’ils trouvaient une babiole ayant un tant soit peu de valeur. À midi, les moines distribuèrent de la soupe et les travaux s’interrompirent. Après une longue attente, Karl eut enfin son écuelle remplie et apprécia la chaude mixture. Stumm vida la sienne d’un trait et se tailla une tranche de fromage des moines. Le muet lui coupa quelques parts et les lui offrit. Quand ils reprirent le travail, Robert le Noir confia à Karl une pelle et lui commanda de creuser une fosse avec d’autres ouvriers. Des cloques qu’il se faisait aux phalanges ou du vent qui lui mordait les doigts, rien ne le blessait plus que les moqueries des groléjois. Bien qu’elles ne lui fussent pas adressées directement, Karl les prenaient à cœur, dans sa qualité de seigneur de Felseweise. De la boue jusqu’aux genoux, Karl déblayait la terre, tentant en vain d’ignorer les insultes. Ils travaillèrent jusqu’à ce que le soleil décline, coulant derrière le Bois Hurlant. Au crépuscule, Robert le Noir convia ses ouvriers, dont Karl et Stumm à dîner et à dormir dans sa cabane. Le bâtiment de fortune, construit à la va-vite au faîte d’une colline ne subissait pas l’assaut des relents de pourriture. Une marmite dégageant un fumet appétissant provoqua les exclamations joyeuses des ouvriers.

« La bienvenue chez moi ! » s’exclama Robert. Deux enfants se jetèrent dans ses bras et il leur frotta le crâne avec tendresse. Le fils et la fille du contre-maître devinrent soudainement timides quand ils avisèrent les travailleurs encrassés et coururent se réfugier dans les jupons de leur mère. Cette dernière salua les ouvriers et les invita à s’asseoir à table, près du feu. Le jeune Wiern choisit la place près de la porte, seule ouverture des lieux.

« Comment vont tes engelures, Markus ? » s’enquit-elle auprès d’un homme. Désintéressé, Karl trempa ses mains dans une aiguière pour les décrotter. La gamine de Robert le Noir disposa un tranchoir devant lui et il la remercia d’un signe de tête. Les conversations allaient bon train, maintenant que l’on servait le vin. Visiblement, il faisait bon d’être un pilleur de tombe. Détaché de la liesse générale, le jeune Wiern observa d’un air morne la femme de Robert le Noir déposer une louche de légumes et leur bouillon sur sa tranche de pain.

« Je ne les connais pas, ces deux-là ! » gloussa-t-elle. Des petites rides se dessinaient autour de ses yeux marron, lui donnant un air espiègle. Ses cheveux roux frisotaient jusqu’à ses épaules.

« C’est Tobias et son amoureux, se gaussa Robert le Noir en tirant un tabouret. Les deux parlent peu, mais ils travaillent bien.
— C’est qu’ça met du baume au cœur de voir tous ces saloperies de Felseweisern crevées ! » claironna Markus.
D’un air complice, le coquebert leva sa coupe à l’intention de Karl et but une gorgée de vin. Le jeune loup se retint de lui balancer sa propre coupe au visage.

« T’as l’air tendu, mon gars, lui lança Pierre, un ouvrier blond au nez de guingois.
— Il préfère la compagnie des cadavres. » se moqua Robert le Noir. Les hommes se mirent à rire et l’oublièrent. Karl songea à empocher ses cinq oboles et à quitter les lieux, au diable la prime sur l’acier revendu. Alors qu’il broyait du noir, les rires des ouvriers captèrent son attention.

« Des idiots se figurent qu’ils peuvent retrouver le corps d’Alexander Wiern. Je vous le dis moi, il est mort en lâche à Edelsteen. »

L’importun fut interrompu par le chuintement de l’acier. Tous se tournèrent vers Karl.

« Je t’avais dit que nous n’étions pas autorisés à garder des armes ! » le maudit Robert, qui dans l’obscurité n’avait certainement pas fait attention aux girons du jeune Wiern.
« Tu ne sais même pas t’en servir ! Pose ça mon garçon, qu’est-ce qu’il te prend ? »

Quand Karl se mit en position de garde, Robert perdit de sa superbe et blêmit. Plus rien ne retenait le loup de Felseweise, qui bouillait de toute la haine et la rage qu’il contenait depuis des semaines. Il abattit sa lame sur son voisin de gauche, qui tenta en vain de protéger sa tête avec son bras. Avant que les groléjois ne puissent fuir, Karl transperça de part en part la gorge de Pierre. Les ouvriers commencèrent à résister, mais n’ayant rien d’autre sous la main qu’une choppe ou un pic à viande, ils ne pouvaient rivaliser avec un chevalier rodé à l’art du combat. Nonobstant les cris et les supplications, Karl laissait courir son épée, suivant son sillage sanglant avec une frustration grandissante. Le sang appelait le sang, et la perte de son père et l’usurpation de ses terres l’assoiffaient. Il fut bousculé par Stumm qui avait bondi pour dévier le gourdin de Markus. Karl renversa des chandelles alors qu’il essayait de garder l’équilibre, et un filet de fumée monta de la paille disposée sur le sol. Stumm envoya dinguer le groléjois et tendit sa main à Karl pour lui proposer la fuite, mais le jeune Wiern se rua sur Markus et lui planta sa lame droit au cœur. Sautant par-dessus la table et les cadavres, Karl fit face à Robert le Noir, qui écarta les bras pour protéger sa famille. D’un air de défi, le fossoyeur l’avisa, mais Karl décela la peur dans ses prunelles noir de jais. Déjà les flammes caressaient sa nuque et la fumée lui piquait les yeux. D’un geste précis, Karl ouvrit la gorge du père de famille, provoquant les cris de sa femme et enfants. Avec force, il attrapa la mère par ses cheveux roux et lui planta sa lame dans les reins.

Un râle lui parvint de l’autre bout de la pièce ; Stumm lui criait quelque chose. Les deux rejetons braillaient devant les corps sans vie de leurs parents. Avec une once d’hésitation, Karl leva de nouveau son épée et frappa, envoyant les marmots rejoindre leurs géniteurs. Soudain, une douleur à l’arrière du crâne l’envoya rouler au sol. Encore sonné, il ouvrit les yeux sur Stumm qui l’avait abattu d’un coup de pommeau. La colère ravageait les traits du muet. Karl perçut bien l’indécision dans les yeux de l’espion de Sklard. Le muet ne le tuerait pas, mais il pourrait très bien l’abandonner inconscient dans le brasier. Mourir dans les flammes pour renaître dans les flammes éternelles. Karl ne s’y condamnerait pas. Tandis que Stumm baissait sa garde, le loup de Felseweise décrivit un arc de cercle de sa lame et entailla le flanc du muet. Alors que Stumm ployait le genou, ses deux mains crispées sur sa blessure, Karl s’éclipsa du carnage et l’air frais lui embrassa le visage.

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Sujet : Mithar, notre terre
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