Se connecter

Création

Ecriture

Sujet : [OS] Espérance
1
--crazymarty--
Niveau 10
03 septembre 2018 à 23:28:46

Chers amis, bonsoir.

Je vous propose à la lecture un très court texte, que le qualificatif d'exercice ou bien de dérouillage épousera à merveille. Après une longue période de sécheresse littéraire, il est temps (et de bon ton au jour de la rentrée scolaire) de s'essayer à nouveau. De tester. De retrouver. Bref, d'écrire.
Ce court texte, clairement inspiré de la SF que j'affectionne tant, n'avait aucune finalité en soi. Sans doute est-ce l'ambiance qui m'a surtout porté quand je l'ai écrit. J'espère qu'elle vous portera à votre tour.

Bonne lecture.

--crazymarty--
Niveau 10
03 septembre 2018 à 23:30:40

ESPÉRANCE

- Que se passerait-il si nous étions vraiment… vraiment libres ?
La phrase était sortie comme esseulée, solitaire même. Porteuse d’une joyeuse tristesse qui, dans l’espace d’un fragment de seconde, semblait rebondir contre sa langue, ses oreilles, son cœur.
Owen frissonna. Il lança un regard au loin, soupira, puis répondit :
- Je n’ai jamais eu le loisir de me poser ce genre de question, mon capitaine.
- Oui, évidemment.

« C’est fou comme les étoiles sont belles. Vraiment très belles, ce soir. Pas un nuage, pas un souffle d’air. Juste ce qu’il faut de douceur. Cela fait si longtemps que je n’ai pas pris le temps de les regarder, les étoiles. »

Owen pouvait bien le fixer, cela lui était égal, après tout. Il ne devait pas avoir ce genre de discussion.

« D’ailleurs, est-ce que Owen rêve ? Est-ce qu’un bon sous-officier peut encore se payer le luxe de rêver ? C’est impossible pour les officiers… Mais pour eux ? »

Ce fut ce moment précis, tendu, que choisit Owen pour sortir d’un creux ténu un bout de papier chiffonné et griffonné d’une écriture propre, gracile, et le déplier soigneusement.
- Ca… Ca appartenait à ma grand-mère maternelle, se justifia-t-il. Comme un grigri. Je sais que c’est de la superstition, mon capitaine. J’espère que vous ne m’en voudrez pas.
- Vous en vouloir pour quoi, au juste ?
- Je ne sais pas, mon capitaine. Pour ça. Pour mes défauts. Pour cette journée. Pour tout.
- Auriez-vous peur de me décevoir ?
Owen pris son temps. Pour replier soigneusement le papier, usé, vieux, couleur d’aube défraichie, puis pour le glisser dans le creux que referma la trappe de son avant-bras gauche. Le mécanisme grinça, à peine perceptible. Puis il demeura ainsi, de longues, trop longues secondes, silencieux.
- Qui ne le serait pas, mon capitaine ?
Sourire crispé, anxieux. Normal, il avait vraiment peur de cela. Peur de décevoir vraiment son capitaine. Après la cruelle victoire qu’ils venaient d’emporter, lui, ses hommes, et les milliers de soldats lâchés sur cette terre ingrate, quelle réaction pouvait se targuer d’être pleinement approprié, mûre, réfléchie ? Même lui, l’officier, n’était plus sûr de rien, sinon de choses si lointaines, impersonnelles, qu’elles en devenaient insignifiantes.

« J’envie sa superstition, et son angoisse. Au moins, ça, c’est à lui. Pour de vrai, à lui. »

- M’avez-vous seulement déçu un jour, Owen ?
- J’espère que non, mon capitaine.
L’officier sourit. Avec vérité. Avec tristesse. Une tristesse cachée derrière un sourire, lassée, détrempée de larmes qui ne pouvaient plus couler.
- C’est cela même, Owen. Pas l’espoir, mais l’espérance. Ne désespérez jamais, de rien ni de personne. Ne vous laissez jamais voler l’espérance.

« Quelle réponse idiote ! Il n’a pas besoin de ça. Juste d’oublier. D’attendre que le temps fasse son effet. Que les circuits reprennent le pas. Que l’Homme s’efface dans la Machine. Qu’en a-t-il à cirer, de l’espérance, quand tant de ses meilleurs hommes sont morts ce soir ? »

- Oui, mon capitaine… L’espérance… Elle ne déçoit jamais.
Le capitaine lui, n’oubliait pas. La Machine, elle, l’avait tué. Et le temps avait tué la Machine. Il ne lui restait que ce grigri, ce défaut, cet artefact ennuyeux : l’espérance. Une écharde plantée au cœur de son esprit, à laquelle il s’accrochait malgré lui.

« Pourquoi espérer ? Je suis déjà mort. Ou vivant. Je ne sais plus. J’aimerai savoir que je ne sais pas. Oublier, oublier seulement. Que j’existe. Que j’ai une conscience. Que la vie, celle d’avant, elle n’existe plus nulle part. Ni ici ni ailleurs. Ni hors de moi, ni en moi. Pourquoi espérer ? Je récolte la mort que la guerre ne cesse de semer, devant moi, partout. J’attends l’amour, le vrai ; je ne fais que rencontrer la haine, je ne sais donner que cela, aussi. Peut-être pas avec Owen ? Peut-être pas avec mes hommes ? Est-ce cela alors, l’espérance ? Ou bien l’amour ? J’espère l’amour. J’espère la vie. J’espère que le cauchemar s’arrête. Mais c’est la vie. La seule que j’ai. »

Comme s’il lisait parfaitement dans les pensées du capitaine, Owen répliqua :
- J’aime regarder les lumières de la ville, le soir, quand je suis encore loin. Que rien n’est précis. Quand tout est promesse… ou espoir. Quand la réalité n’a pas tout décoloré. Il reste une part d’inconnue, un impondérable qui me fait me souvenir parfois. Le temps d’avant… Vous savez, mon capitaine. Avant… avant tout ça.
- Je comprends Owen. Mais ce ne sont pas des propos que nous pouvons tenir. Pas ici.
Puis d’un sourire piquant et amusé, le capitaine reprit :
- Je pourrais vous envoyer en cour martiale pour sédition.
Alors Owen sourit, lui aussi.
- Espérons qu’il y aura un temps et un lieu plus propice, mon capitaine.
- Oui, Owen, il y en aura. Mais en attendant…
Il se relevèrent de concert de la poutre calcinée où ils s’étaient installés pour regarder les ruines et les morts.
- En attendant, prévoyez une révision. Vos circuits audio sont endommagés. Et réparez cette trappe. Cela m’embêterez que votre précieux souvenir disparaisse pour une raison aussi… triviale qu’un vérin mal ajusté.
Owen salua le capitaine. Le charme de la proximité s’étiolait. Son regard s’éteignait.
- Bien sûr, mon capitaine. A vos ordres, mon capitaine.
Et la Machine gagnait. Et l’Homme, à nouveau, se perdait. Seul restait, comme une braise vacillante au fond d’un obscur coffre, l’espérance.

Mandoulis
Niveau 25
04 septembre 2018 à 22:07:53

Aaaaahhhhh quel plaisir de se laisser à nouveau porter par ta plume! :coeur: J'ai été emporté, donc je n'ai pas grand chose à dire, je vais aller chercher la petite bête... :hap:

- Auriez-vous peur de me décevoir ?

(...)
- Qui ne le serait pas, mon capitaine ?
ça colle pas.

Je ne suis pas certain d'être le plus à même pour commenter, je pense qu'il te faudrait un œil extérieur, et vraiment extérieur, car le mien est déjà empli de ton univers. Il ne m'a pas fallu long, dès le premier indice, pour m'imaginer la scène complète, Gregor, Marcus, Flinn and co étant déjà présents dans un coin de ma tête. Mais quelqu'un qui ne connait pas ton univers arrivera t'il à saisir le sens caché de toutes allusions?
C'est la seule remarque que j'ai pu dénicher. :noel:

--crazymarty--
Niveau 10
04 septembre 2018 à 22:22:24

Merci d'avoir pris le temps de lire. En revanche, j'avoue ne pas comprendre ce qui cloche. Pourrais-tu l'expliquer plus en détail ?

Mandoulis
Niveau 25
04 septembre 2018 à 22:34:49

J'ai compris directement qu'il s'agissait de cyborgs, et que l'on assistait à leur tiraillement entre l'humain et la machine, parce que je connais ton univers. Mais quelqu'un qui lit le texte sans aucun a priori sera t'il en mesure de saisir cela ou bien c'est trop vague? En fait y'a rien qui cloche pour moi, j'ai juste peur que ça cloche peut-être pour les autres. :hap:

--crazymarty--
Niveau 10
04 septembre 2018 à 22:37:23

Le 04 septembre 2018 à 22:34:49 Mandoulis a écrit :
J'ai compris directement qu'il s'agissait de cyborgs, et que l'on assistait à leur tiraillement entre l'humain et la machine, parce que je connais ton univers. Mais quelqu'un qui lit le texte sans aucun a priori sera t'il en mesure de saisir cela ou bien c'est trop vague? En fait y'a rien qui cloche pour moi, j'ai juste peur que ça cloche peut-être pour les autres. :hap:

Ah, d'accord. Bah j'ai envie de dire qu'on verra bien. J'ai peur qu'une description allourdisse le tout.

arnwaldsnuigb
Niveau 8
09 septembre 2018 à 23:16:18

Le 04 septembre 2018 à 22:34:49 Mandoulis a écrit :
J'ai compris directement qu'il s'agissait de cyborgs, et que l'on assistait à leur tiraillement entre l'humain et la machine, parce que je connais ton univers. Mais quelqu'un qui lit le texte sans aucun a priori sera t'il en mesure de saisir cela ou bien c'est trop vague? En fait y'a rien qui cloche pour moi, j'ai juste peur que ça cloche peut-être pour les autres. :hap:

Je ne connaissais pas du tout, et si au début j'ai été un peu perdu ( un officier de la marine qui parle à un sous-off ! Impossible ! ), j'ai vite compris de quoi cela retournait.

C'est cette phrase qui m'a fait comprendre dans quel type d'univers l'histoire se déroulait :
"Pour replier soigneusement le papier, usé, vieux, couleur d’aube défraichie, puis pour le glisser dans le creux que referma la trappe de son avant-bras gauche. Le mécanisme grinça, à peine perceptible. "

C'est subtil, on rentre dans l'univers en douceur : la fiction ne nous explose pas au visage comme un mauvais jouet.
Je te félicite, c'est très réussi.

--crazymarty--
Niveau 10
10 septembre 2018 à 08:15:48

Le 09 septembre 2018 à 23:16:18 arnwaldsnuigb a écrit :

Le 04 septembre 2018 à 22:34:49 Mandoulis a écrit :
J'ai compris directement qu'il s'agissait de cyborgs, et que l'on assistait à leur tiraillement entre l'humain et la machine, parce que je connais ton univers. Mais quelqu'un qui lit le texte sans aucun a priori sera t'il en mesure de saisir cela ou bien c'est trop vague? En fait y'a rien qui cloche pour moi, j'ai juste peur que ça cloche peut-être pour les autres. :hap:

Je ne connaissais pas du tout, et si au début j'ai été un peu perdu ( un officier de la marine qui parle à un sous-off ! Impossible ! ), j'ai vite compris de quoi cela retournait.

C'est cette phrase qui m'a fait comprendre dans quel type d'univers l'histoire se déroulait :
"Pour replier soigneusement le papier, usé, vieux, couleur d’aube défraichie, puis pour le glisser dans le creux que referma la trappe de son avant-bras gauche. Le mécanisme grinça, à peine perceptible. "

C'est subtil, on rentre dans l'univers en douceur : la fiction ne nous explose pas au visage comme un mauvais jouet.
Je te félicite, c'est très réussi.

Merci beaucoup de ton avis. Vois-tu des éléments perfectibles ? Des choses qui t'ont agacé ? Que tu n'as pas compris ?

Heribert
Niveau 7
17 septembre 2018 à 00:50:13

J'ai lu moi aussi !

Et bien que je n'ai pas lu l'intégralité de tes précédents romans comme Mandoulis, je connaissais aussi un peu ton univers, tes thèmes de prédilection et ta plume (qui rend les choses très douces, très nostalgiques). Un plaisir de te relire. En fait je remarque quand je te lis l'enchaînement des mots est tellement doux, que ça glisse tellement bien que souvent sans même plus les comprendre, genre je suis happé, comme une mélodie dont on ne comprendrait plus les paroles, c'est bizarre de décrire cette sensation. Un peu comme un envoûtement. (C'est assez étrange, mais ne vois pas en ça un quelconque ennui de ma part, je suis toujours dans le texte, mais... ailleurs? :doute:)

Après peut être que les mots "hommes" et "capitaines" sont trop utilisés et ça m'a un peu dérangé.

--crazymarty--
Niveau 10
17 septembre 2018 à 00:53:02

Le 17 septembre 2018 à 00:50:13 Heribert a écrit :
J'ai lu moi aussi !

Et bien que je n'ai pas lu l'intégralité de tes précédents romans comme Mandoulis, je connaissais aussi un peu ton univers, tes thèmes de prédilection et ta plume (qui rend les choses très douces, très nostalgiques). Un plaisir de te relire. En fait je remarque quand je te lis l'enchaînement des mots est tellement doux, que ça glisse tellement bien que souvent sans même plus les comprendre, genre je suis happé, comme une mélodie dont on ne comprendrait plus les paroles, c'est bizarre de décrire cette sensation. Un peu comme un envoûtement. (C'est assez étrange, mais ne vois pas en ça un quelconque ennui de ma part, je suis toujours dans le texte, mais... ailleurs? :doute:)

Après peut être que les mots "hommes" et "capitaines" sont trop utilisés et ça m'a un peu dérangé.

Merci de ton avis, je note tout ça. Pour le côté fluide, j'aimerais bien savoir d'où ça vient. Pour l'instant c'est comme ça :hap: .

Heribert
Niveau 7
17 septembre 2018 à 01:01:16

Ah mon avis c'est le rythme de tes phrases

Durzo69Bis
Niveau 8
17 septembre 2018 à 01:13:01

Ben dis donc c'est quelque chose...
J'ai hâte d'avoir un tel niveau. Si vraiment tu as écrit ça à la cool et rapidement, je suis stupéfait.
Très fluide. J'ai bien ressenti les émotions des deux personnages présent.
Par contre, le décor apocalyptique d'après guerre j'aurais voulu plus de détaille. Les cadavres, les ruines, les blessées. Les soldats traumatisés marchants sans but au milieu de toute cette folie.
Un peu trop d'espoir a mon gout mais bon c'est le thème donc ça colle bien.
Sinon tel que je te connais j'ai l'impression que le capitaine est inspiré de te propre personne ou je me trompe ? :)
GG.

--crazymarty--
Niveau 10
17 septembre 2018 à 01:16:39

Le 17 septembre 2018 à 01:13:01 Durzo69Bis a écrit :
Ben dis donc c'est quelque chose...
J'ai hâte d'avoir un tel niveau. Si vraiment tu as écrit ça à la cool et rapidement, je suis stupéfait.
Très fluide. J'ai bien ressenti les émotions des deux personnages présent.
Par contre, le décor apocalyptique d'après guerre j'aurais voulu plus de détaille. Les cadavres, les ruines, les blessées. Les soldats traumatisés marchants sans but au milieu de toute cette folie.
Un peu trop d'espoir a mon gout mais bon c'est le thème donc ça colle bien.
Sinon tel que je te connais j'ai l'impression que le capitaine est inspiré de te propre personne ou je me trompe ? :)
GG.

Merci d'avoir pris le temps de lire.
Pour le personnage du capitaine, bien évidemment que ça doit se sentir... mais c'est involontaire. J'ai tendance à me poser pas mal de questions sur cé registre là, et rester optimiste malgré moi et malgré tout.
Encore merci à toi !

Durzo69Bis
Niveau 8
17 septembre 2018 à 01:24:28

Le 17 septembre 2018 à 01:16:39 --crazymarty-- a écrit :

Le 17 septembre 2018 à 01:13:01 Durzo69Bis a écrit :
Ben dis donc c'est quelque chose...
J'ai hâte d'avoir un tel niveau. Si vraiment tu as écrit ça à la cool et rapidement, je suis stupéfait.
Très fluide. J'ai bien ressenti les émotions des deux personnages présent.
Par contre, le décor apocalyptique d'après guerre j'aurais voulu plus de détaille. Les cadavres, les ruines, les blessées. Les soldats traumatisés marchants sans but au milieu de toute cette folie.
Un peu trop d'espoir a mon gout mais bon c'est le thème donc ça colle bien.
Sinon tel que je te connais j'ai l'impression que le capitaine est inspiré de te propre personne ou je me trompe ? :)
GG.

Merci d'avoir pris le temps de lire.
Pour le personnage du capitaine, bien évidemment que ça doit se sentir... mais c'est involontaire. J'ai tendance à me poser pas mal de questions sur cé registre là, et rester optimiste malgré moi et malgré tout.
Encore merci à toi !

Je vois, en tout cas ça donne un résultat vraiment top couché sur papier.
Merci à toi de nous offrir de la littérature de qualité.

1
Sujet : [OS] Espérance
   Retour haut de page
Consulter la version web de cette page