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Ecriture

Sujet : Curly, enfant de féministe
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Julien-Gracq1
Niveau 7
05 janvier 2019 à 15:18:28

Bonjour amis littéraires, je vous implore de ne pas juger par le titre avant de lire, le trait n'est pas aussi caricaturale que ce que le titre laisse penser. :noel:
J'aimerais, si possible, le maximum d'avis. C'est un petit projet que j'ai commencé le mois dernier, je pense avoir beaucoup de bonnes idées mais je n'ai guère le temps d'écrire pour le moment. Je met donc le projet en veilleuse jusqu'à l'été prochain.
Bref, faîtes-moi part de vos ressenties. :oui:
(ci-dessous vient le pavé).

Julien-Gracq1
Niveau 7
05 janvier 2019 à 15:18:43

La porte de la maison s'ouvre timidement. Il est tout juste 16h30. Curly, comme à son habitude, rentre sitôt la fin des cours, bien qu'il soit Vendredi après-midi et que le soleil luise encore. Tous les garçons de sa classe s'amusent chez l'un, chez l'autre, tandis que les filles profitent des magasins, des salles de cinéma. Lui reste seul, seul depuis 15 ans.

Il fait quelques pas dans le couloir de l'entrée, se déchausse, fait tomber cartable et veste, et se dirige furtivement vers sa chambre situé à l'étage, au fond d'un étroit couloir. Il se faufile ainsi qu'un petit rongeur, sur la pointe de ses pieds. Il ne veut faire aucun bruit, de peur que sa mère ne l'entende et ne s'énerve à nouveau contre lui.

Sa mère est une horrible personne, jamais une parole agréable, pas un mot encourageant, leur relation est des plus terrible. Hier encore elle l'a disputé, prise d'une rage folle, elle l'a traité de toutes les horreurs possibles : "Je regrette de t'avoir mis au monde", avait-elle finit par conclure, les yeux débordants de chaudes larmes. Elle est triste, elle est folle. Curly, garçon si sensible et empathique, ne parvient pas à lui en vouloir. Son père a quitté sa mère l'année suivant sa naissance, voilà 14 ans. Depuis, elle a toujours haït les hommes, Curly n'y faisant pas exception. De cette époque il ne sait rien, de son père il ne sait rien non plus, Curly est seul et sans repère, c'est un idiot qui n'a pas connaissance de son malheur.

Voilà qu'il entre dans sa chambre, la porte s'ouvre sur une petite pièce de 9 mètres². Sur le bureau au fond de la pièce, contre la fenêtre, repose une pile de livres et de cds, toute la collection des Harry Potter y figure. Curly affectionne particulièrement cette saga, elle se rattache à l'unique doux souvenir qu'il possède de sa mère. Il se remémore parfois, les lectures que sa mère lui faisaient jadis, lorsqu'il était encore en école primaire.

Il était déjà seul en ce temps, et sa mère déjà horrible. Pourtant, pénétrée par un soudain regain d'affection maternelle, elle entrait parfois le soir dans sa chambre après le repas. Elle lui demandait ce qu'il avait fait de sa journée, lui faisait monter un bol de chocolat chaud, et lui proposait de lui faire la lecture. Curly était alors aux anges, il ne comprenait guère à quoi étaient dû ces élans d'amour, qui venaient d'un coup avant de s'évaporer rapidement, ainsi que la rosée du matin. Il se contentait simplement de sourire et de se laisser bercer par la douceur d'une voix angélique.

Aujourd'hui encore c'est cette voix, cette mélodie nostalgique, qu'il souhaite retrouver. Pour cela il attend, il est patient. Un jour sa gentille maman reviendra, et prendra la place de la sorcière actuelle, lorsqu'elle aura enfin séché ses larmes. Cet avenir radieux, fantasmé, ne cesse de le guider. Il ne s'imagine guère entrer dans la vie active, il n'imagine même pas vers quel lycée il se tournera à la fin de l'année, il rêve seulement d'amour maternelle, d'être protégé et aimé dans cette maison vétuste pour le restant de ces jours.

Il adresse un tendre sourire à la couverture du deuxième livre des Harry Potter, puis s'en va brancher son lecteur de cd, met ses écouteurs, et s'allonge sur son lit. Il reste ainsi des heures jusqu'au repas, couvé par la chaleur de ses draps, bercé par les puissantes harmonies de Wagner. La musique est comme la fumée d'une cigarette pour Curly, elle rythme sa vie au quotidien : le matin dans le bus, le midi après la cantine, lors des récréations, et à la maison, la musique est toujours présente à chacun de ses pas.

Le monde est muet, Curly n'entend rien des bruits de la circulation, de ses camarades qui chuchotent pendant les cours, parfois il n'entend même pas le professeur qui l'appelle. Il souffre depuis toujours d'un défaut d'audition, il ne se souvient pas depuis quand, alors ça doit être depuis toujours. A cause de ça, il est devenu "autiste" pour ainsi dire, il évolue dans sa bulle, dans son monde, et toute interaction sociale représente un défi. Mais il s'en accommode, ses écouteurs ne le quittent jamais, Wagner, Rachmaninov et Nina Simone sont là. Si la voix ou les violons ne sont pas assez forts, il peut monter le volume aussi haut qu'il le souhaite, il entend, il ressent et il aime. L'atmosphère, si désespérément pesante de ce monde sans son, s'emplit soudain de rythmes et de sons, de mélodies et de couleurs. Alors il n'est pas triste, il jouit tranquillement dans son cocon acoustique.
De violents coups sont portés contre la porte, à l'extérieur de sa chambre. Curly s'endort paisiblement, il n'entend pas le tonnerre qui s'abat contre le bois. Finalement la porte s'ouvre avec un grand fracas, Curly n'a rien entendu. Il a les mains jointes contre sa poitrine, son visage est paisible et ses lèvres forment un sourire, on dirait un défunt apaisé par le doux sommeil de la mort. Une furie vient vers lui et lui arrache les écouteurs des oreilles. Le pauvre âne se réveille paniqué, il sursaute, puis gémit, la crainte est palpable dans ses yeux humides. Il se redresse, balbutie quelques mots, mais ne parvient pas à s'exprimer.

Sa mère le toise durement, les bras en biais contre la taille, le haut du corps penché en avant, son visage frôle celui de Curly. Il est tétanisé, elle est en colère, l'expression de son visage est partagé entre colère et mépris. Son regard fond dans celui de Curly avec la vivacité et la cruauté de l'aigle plongeant sur sa proie. Un temps s'écoule, Nina Simone s'est tue, le piano s'est éteint. Le rapace fond sur le rongeur, lui aggrippe le bras, et le traine dans l'escalier jusqu'au salon. Curly a peur, il ne parvient même plus à bredouiller la moindre syllabe, une froide sueur perle sur son front et coule de ses aisselles. Une fois encore il va être grondé, il ne sait pas pourquoi, il ne veut pas savoir, mais il saura bientôt.

Elle le lâche arrivée au salon, s'en va chercher un papier, puis vient le lui coller en plein visage, c'est le Bulletin du troisième trimestre. Sa moyenne générale est déplorable, il est particulièrement mauvais en langues. Les remarques sont assassines : il ne participe jamais en anglais, il refuse de s'intégrer au groupe selon le professeur d'Arts plastiques, le professeur d'histoire-géographie le trouve inadaptable à la société... Le message est clair, cet enfant n'a pas d'avenir, pas de talent, il ne fait aucun effort, c'est un idiot. Le brevet arrive, il l'aura certainement, mais les meilleurs lycées lui seront fermés, et les filières générales déconseillées. On lui recommande le Bac professionnel ou le CAP. Curly ne sait rien de ces filières, il n'a jamais voulu y réfléchir. Pour lui, ce monde-là n'existe pas et l'école n'est rien, Harry Potter est son rêve et Wagner est sa vie! Renier le monde extérieur, se revêtir d'une combinaison hermétique, voilà ce qu'il souhaite!

Sa mère, irrité, le visage en rage, présentant ses dents aiguisées, hurle en ces termes :
"Eh bien tu n'as rien à me dire?! Tu me ramènes ce torchon, et tu ne tentes même pas de te justifier?! Petit con! Tu m'avais promis de faire des efforts la fois dernière, et je reçois ça! C'est comme ça que tu respectes tes promesses? Petit con, petit menteur!"

Il convient ici de rectifier la vérité : Curly ne lui avait rien promis la fois dernière. En pleurs, effondré par les gifles et les cris, il s'était pitoyablement excusé à genoux, mais n'a jamais promis de s'améliorer! Comment le pourrait-il, cet idiot, cet âne fragile?

La scène du trimestre dernier se répète : il reçoit une gifle, une insulte, puis une autre gifle, et peut-être encore deux ou trois... Il finit par s'excuser en pleurs. Il retourne dans sa chambre sans dîner. Exténué et dévasté, il s'allonge et se met l'air de "Pavane pour une infante défunte" dans les oreilles. Cette musique vient toujours accompagner ses larmes. Il s'endort, bercé par la triste mélodie de Ravel.

***

Le soleil luit à travers les stores de la chambre de Curly. Le matin est arrivé, la piste du cd s'est tue depuis bien longtemps, Curly se réveille. Il baille bruillamment ainsi qu'une mule, et se frotte les yeux encore meurtris par les pleurs de la veille. Il inspire un grand coup, il positive. Il fait quelques étirements, il revit.

Il se faufile dans le couloir ainsi qu'un petit rongeur, sur la pointe de ses pieds. Il ne veut pas réveiller sa mère, elle dort encore. Elle ne travaille pas, ou pas vraiment. Elle reste à la maison tous les jours, internet est son lieu de travail. Il ne sait pas ce qu'elle y fait vraiment, il ne comprend rien à internet, il n'y va jamais.

Il entre dans la cuisine pour se préparer un petit déjeuner peu fameux. Ni fruits, ni lait, ni céréales ne figurent sur la table. Il grignote des biscuits avec du soda, il a 15 ans, il est déjà gros. Il éternue après une gorgée de soda, a 35 ans il mourra d'une crise cardiaque.

Contemplant son corps hideux dans le miroir de la salle de bain, il pousse un petit soupir. Harry Potter n'était pas un obèse. De tous les enfants de la saga, seul Neville était gros, et il ne sortit ni avec Hermionne, ni avec Jenny. Il le sait : aucune fille ne voudra jamais de lui. Il le sait et il s'en attriste parfois. Mais à quoi bon? Qu'il perde du poids, devienne fin comme Apollon, ou musclé comme Héraclès, ça ne lui enlèvera pas son défaut d'audition qui le confine dans sa bulle depuis toujours. Ca n'enlèvera rien non plus à la laideur de son visage : ces oreilles décollées et pointus, ce visage asymétrique, où l'oeil gauche semble plus élevé de deux centimètres du droit... Il détourne le regard, s'empresse de se doucher, retourne s'habiller, prépare ses affaires, se chausse, et sort de la maison. La porte se ferme doucement, sans un bruit.

Il est 7h30, le temps est merveilleux, la journée s'annonce belle. Curly sort son Mp3 et y branche ses écouteurs. Pour cette belle matinée, il décide de se faire accompagner par les joyeux staccato d'une sonate innocente de Mozart. Il jouit de cette mélodie, il jouit de ce soleil qui réchauffe sa peau, en cette fraîche matinée de juin. Ses pas se font léger, peut-être même gracieux. Il marche au son des notes, en mesure sur un rythme binaire. Un sourire se dessine sur son visage béat, la tête haute, il regarde les quelques blancs nuages qui dansent dans ce ciel d'azur. Le monde est muet. Curly n'entend rien du bruit des automobiles sur la route, rien des autres collégiens qui parlent dans le bus, rien de la peugeot 306 qui klaxonne violemment tandis qu'il franchit la route à l'aveugle, après être sortit de son bus. La peugeot freine brusquement et fait un écart sur le côté. L'autre voie est vide, Curly est sauvé. Il n'a rien remarqué, il termine sa promenade calmement, et franchit le portail du collège. Il a frôlé la mort, par cette belle matinée du 2 juin 2007.

ghost_ulug
Niveau 6
24 mars 2019 à 11:43:23

Maintenant, on attend tes autres projets sur le forum Ecriture en tout cas bravo ! https://www.noelshack.com/2019-12-7-1553424140-ddfdff.jpg

--crazymarty--
Niveau 10
24 mars 2019 à 11:58:38

Oui, ce serait bien d'avoir une suite..

Atala-rene
Niveau 6
24 mars 2019 à 18:51:49

ça date, je ne m'attendais pas à voir ce topic remonter.
Du coup j'ai écrit la suite depuis mais je ne suis pas fier du résultat, ça mérite une réécriture bien réfléchie.
Quant à ce premier "chapitre", il faut là aussi quelques réécritures, notamment sur le dernier paragraphe qui est peuplé d'immondices. :(

Bref, comme dit dans mon premier post, j'y reviendrai certainement cet été. :oui:

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