Bonjour à tous, un petit texte que j'ai écrit tout à l'heure, pleinement corrigé ce me semble, très certainement améliorable. Une sorte de petite réflexion faisant office d'introduction à un éventuel roman ou nouvelle, je n'ai pas encore décidé, j'ai tant de travaux inachevés à cause de l'inconstance de mes humeurs et inspiration...
Texte :
J'ai émis l'autre jour que ma vie était une tragédie, c'était avant d'en rire aujourd'hui. Il y a en effet, passé les larmes, refermé les plaies, un je ne sais quoi de risible derrière tous les malheurs humains. Peut-être est-ce lorsque l'on réalise l'effroyable légèreté que revêtent chacun de nos drames? Lorsque l'on réalise que personne autour de nous, voisins, patrons, voir même amis, ne se soucient guère de nos maux, ou sinon pas plus de deux minutes, et certainement pas pendant un match de coupe du monde? Qu'ils ne se soucient seulement de nos gestes en public, du bouleversement ou non de nos actions et de notre agenda? Que le voisin, dans son inquiétude joué, n'ait uniquement à coeur que je n'oublie pas de tailler les haies qui lui font ombre; que le patron souhaite m'entretenir au matin, un quart d'heure avant le pointage, pour s'assurer que les rouages de ma productivité servile ne se sont pas encrassés, dégradés par les évènements récents ; qu'enfin les amis n'aient à craindre mon absence pour la soirée du samedi, qu'au final, tous autant qu'ils sont, ils n'ont cure que d'apparence, ne cherchent aucunement à toucher, à atteindre mon coeur ou mon essence ; que de ma misère, ils ne souhaitent tout simplement pas qu'elle déteigne d'une quelconque manière sur leur petit monde béât bien agencé, me laissant seul artisan de ma reconstruction. Et puis vient leur tour à eux de souffrir, et puis à moi de m'assurer qu'ils n'oublient pas de fournir leurs recherches sur lesquels on travaille en groupe, de passer boire un verre à la maison, ou de retaper la toiture commune ensemble.
De ce constat, je ne tire donc aucune haine de mes congénères, comprenant que je ne vaut pas mieux, bien conscient que tous, nous ne cherchons naturellement que notre propre bonheur et rien d'autre. Ce dont je prends conscience néanmoins, c'est que, comme annoncé précédemment, chacun de nos drames, même les plus profonds, revêtent une toge grotesque au regard de l'insouciance du monde. Hier encore je portais le deuil d'Emilie, ma douce, ma superbe femme adorée, que je choyais comme un enfant, qui étais une de mes étudiantes anciennement. Je me morfondais seul des semaines durant, dans notre petit studio désert, où la vie ne s'y trouvait plus, où la joie fut arraché de ce lieu, n'y laissant plus qu'une âme vidée, ni rationnelle, ni désirante, ni plus vraiment triste, laquelle même pas encore décédée, était déjà comme fondue dans le néant. Je demeurais donc des jours dans le noir, dans le vide de l'appartement et de mon âme, mangeant et buvant, déféquant de temps à autres, et je tentais de dormir en permanence, non pas pour trouver l'oubli dans les rêves, mais bien pour fuir le néant qui m'entourait, qui de toute part m'entravait et me plongeait dans une torpeur abrutie. Je ne produisais rien de ces jours, ne pensais pas, ne faisait rien. Je recevais des appels d'amis, des coups de sonneries de voisins, des mails du bureau que je n'ai ouverts que récemment, que j'ai découverts ce matin, qui m'ont inspiré cette réflexion terrible sur le caractère drolesque de nos souffrances.
J'écris à présent après avoir fait jour dans la pièce, avoir ouvert les rideaux qui maintenaient la salle en sommeil depuis vingt-huit nuitées déjà. Je pose ici ces quelques lignes sans but déterminé, je souhaite tout simplement que cette pensée si éclairante, ne s'évapore pas soudainement lorsque demain je reprendrais mes fonctions de bétail humain bien réglé, me rendant à heure fixe pour pointer le matin, saluant la voisine le soir en rentrant la nuit tombée, recevant les convives après dîner, à vingt-et-une heure passée.
Difficile calvaire de l'horloge sociale, que l'on traîne toute une vie, et qui selon toute vraisemblance pourrait bien constituer le gros de l'absurdité de la condition humaine, mais pas le plus drôle. Comme dit avant, le plus drôle est le drame. Je suis toujours surpris, à la lecture d'un Sophocle ou d'un Racine, du grotesque des situations; d'à quel point ces tragédies, si vidées de leurs beaux vers trompeurs- considérons qu'Ajax et Aggripine ne s'exprime qu'en langage contemporain, voir vulgaire -, ont une essence absolument ridicule, derrière tout cet enjolivement poétique. Mettons Tecmesse déclamant en ces termes pour exprimer la folie d'Ajax, ainsi que le malheur de son impuissance (Ajax) à résister face au caractère écrasant du joug divin - d'ailleurs établissons que la providence n'existe pas, qu'il n'y a guère que probabilités, désirs et éventuellement raison, qu'il n'y a que chiffres et non divinité derrière tous les drames :
Tecmesse : Devenu maboule, l'Ajax si déclamé s'est rendu misérable. Bigle un coup dans sa tente, tu verras tout le sang des bêtes qu'il a massacré. Et puis il en a ramené deux enchaînés. Il en tua l'un, lui crevant la langue avant la tête, puis attacha le deuxième et le rossa de coups de barres, il lui foutait des trempes en l'insultant, le traitant d'enculé, de gonze, de tout ce qui a plus moins trait aux brouteurs de fion. Pour sûr, seul un con bien taré pourrait faire ça. Enfin, pas de quoi en avoir la jetouille, il s'est calmé, il pisse pas un mot, il se regarde et souffre de se sentir si couillon.
Notons cependant ce que dit Ulysse dans cette même pièce, lorsqu'il prend connaissance de la folie de son camarade malaimé : "Nous ne sommes que fantômes, ombres fugaces". Parfaitement, nous ne sommes que des ombres, un voile de fumé qui rapidement se dissipe; qui ne parvenons pas au cours de notre existence à saisir quoi que ce soit de tangible, de certain. Néanmoins Ulysse, dans son esprit primitif, pensait que les hommes n'étaient ombre que par rapport à la toute puissance des Dieux, au plein encrage de ces êtres divins dans les réalités et les temporalités de l'univers. Nous avons posé plutôt que rien de l'ordre de la providence, rien d'un quelconque déterminisme divin, n'existait. Par conséquent, pour ajuster la parole d'Ulysse à notre goût, il convient de rectifier et de dire : "Nous ne sommes que fantômes, ombres fugaces au regard du Néant, du rien, du vide". Car voilà bien ce que nous sommes et ce qu'est notre monde. Voilà bien en quoi - en ce qu'il nous est donné loisir de nous émouvoir, de nous affecter de tout- il me semble qu'il est parfaitement sage que de rire de ce rien, que de sourire à nos maux qui ne sont que néants dans du néant, encore moins que brume dans le brouillard, que bruine dans la pluie.