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Sujet : Divagations à partir d'images qui se sont égarées dans mon sommeil
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Niveau 10
13 mai 2019 à 18:52:13

Deux synopsis impressionnistes.

Était-ce en Italie, en Espagne ou au Portugal ? C'était en tout cas au bord de la mer, pas loin d'un port, en début de soirée, en un siècle qui n'en connaissait pas d'autres.
Ce sont deux vagabonds, jongleurs ou marins, ça dépend des semaines, surement voleurs (quand ils ont de la chance) ; deux renards se pensant fourbe, mais se terrant sous terre au moindre bruit, dormant dans les ronces, et grattant les troncs d'arbres à la recherche de quelque sève pour leur déjeuner. Ce sont deux drôles de fous, poètes dans leur sommeil, orphelins de passé, insatiables d'histoires, querelleurs de métier ; intemporels. Ce sont deux hémisphères, ils s'écoutent parler, portent à tour de rôle la même paire de sabots, dansent quand ils sont heureux, ce qui arrive rarement, mais se battent souvent, parce qu'ils aiment les mêmes choses.

Cette nuit-là, les deux renards croient voir une jeune femme près des vagues. Ils sont alors deux gamins calmés, excités et apeurés. Elle semble apprêtée, elle est seule, elle fait face à la violente mer ; c'est sans doute un esprit, sans doute la nuit, sans doute la solitude. Ils ne le savent pas mais cette femme est connue sous le nom de Joana, la mariée qui a fuit sa région après avoir empoisonné tous les invités à son mariage, il y a quelques jours ou quelques années.
C'est l'histoire de leur rencontre, de cette nuit qui laissait croire qu'elle durerait toute une vie, mais qui s'acheva au matin.

* * *

Cette nuit j'ai rêvé que je pénétrais un appartement très spacieux et moderne, le mien dans le rêve, avec une jeune femme sans figure. La pièce était baignée d'un bleu californien de la fin du siècle précédent. Tout en vivant ce rêve, je me disais que ça ferait une bonne mise en scène. Je ressemblais à un personnage typique d'un certain cinéma noir, d'un théâtre de l'absurde ou d'une littérature existentialiste : un homme blanc, presque jeune, mince, brun, passif, habillé de couleurs sombres. Il était accompagné de cette inconnue, une fille de passage, rencontrée dans la rue ou ailleurs et emmenée avec lui sans grande conviction, sans projet précis qu'il réussirait à garder à l'esprit tout le long de la rencontre : un objet plus qu'un sujet, une femme remplaçable, semblable aux autres, une qui ferait l'affaire. Les deux sont silencieux et se tiennent à l'écart l'un de l'autre dans ce grand appartement, chacun sur un canapé différent, ne se regardant pas ; ils sont noyés, figés dans la lumière bleue.

Bleu pénétrant par les stores entrouverts ; lumière n'appartenant à aucune heure de la nuit ni de la journée ; le silence sans témoin d'un plateau de cinéma hollywoodien vide de star et encombré d'accessoires et de morceaux de décors, de ces restes d'histoires. Là je m'écarte de mon rêve qui n'est en fait qu'une scène muette et sans action mais j'imagine une parenthèse vécue par un inconnu du studio, un employé de service qui y vivrait quelques secondes magiques hors du temps, entre deux heures de tournage ; une pièce de théâtre avec pour seul personnage cet employé qui connaîtrait malgré lui une fièvre hollywoodienne bien plus fantasque et merveilleuse que ce que nous a proposé — imposé — l'âge d'or ; un film sorti de la fatigue de cet homme oublié, un film qui n'aurait pu être réalisé par ces nababs, ces stars excentriques, ces scénaristes issus de la radio, ces réalisateurs qui ne lisent de pas livre et ne connaissent le cinéma que par leurs propres rushs. Un rêve qui vaudrait tous les films sortis de ce monde magique né en même temps que la Ford T, cette « usine à rêves » parait-il.

Alors, si vraiment un bref songe avait émergé entre ces murs froids et immenses, assez grands pour contenir l'imaginaire étrange de ce mortel perdu dans la dernière Olympe qui s'assoupit après avoir balayé un plateau qui allait être foulé quelques heures plus tard par les pas de Gary Cooper et Judy Garland respectant les marques au sol, les positions des projecteurs, l'hébétude maladroite des figurants et les colères des faiseurs de cinéma... Si nos rêves n'avaient pas été les leurs. Si Hollywood avait été, à l'inverse, rêvé par cet homme sans nom.

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Niveau 10
13 mai 2019 à 19:12:50

J'ai tout le temps peur de faire de la littérature, j'ai du mal à saisir instinctivement la nuance entre la voix authentique d'une personne dans l'écriture, un minimum éduquée artistiquement, et le piège de la formule, du mot qui sonne bien mais qui impose un sens arbitraire.

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Niveau 6
17 mai 2019 à 16:31:40

C'est beau.

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Niveau 6
17 mai 2019 à 16:31:52

Continue à écrire.

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Niveau 10
17 mai 2019 à 21:30:33

Merci beaucoup.

Bon en ce moment je lis beaucoup de théâtre (ça fait des années que j'en ai pas lu) et j'essaye de comprendre. Comprendre ce qui fait que des dialogues lus, même pas vus sur scène, peuvent nous foutre une claque. Quand on ouvre un bouquin à une page au hasard d'un romancier au style très identifiable comme Franz Kafka ou Henry Miller, on est tout de suite frappé en lisant quelques lignes. Mais quand j'ai ouvert au hasard, par exemple, la pièce Démons de Lars Norén, j'y ai vu des dialogues tout ce qu'il y a de plus convenu. Quand j'ai lu la pièce je me suis fait agressé tellement c'est, justement, la violence de l'ordinaire.

J'aimerais réussir à écrire des dialogues, mais je sais pas comment on fait. Ça reste encore un mystère pour moi, qui suis déjà à l'origine pas littéraire du tout. Je comptais lire beaucoup de théâtre pour comprendre l'essence du dialogue dans un cadre dramatique, mais si vous avez des conseils, des choses que vous avez compris en écrivant, en lisant... j'écoute. :oui:

Donc aujourd'hui je me suis forcé à écrire direct un dialogue sur un thème qui m'est venu : deux amants qui prévoient de se dire au revoir avant de se séparer pour une longue durée. J'aime pas le résultat mais au moins j'ai pu voir un peu les difficultés, donc je suis satisfait.
Il me semble que pour pouvoir écrire un dialogue, il faut imaginer déjà les personnages, les voir très précisément pour qu'ils nous aident dans la syntaxe, les pauses, les regards, les gestes etc. J'ai donc pris deux acteurs, Paul Muni et Natassja Kinski pour m'aider.

Une salle de concert bondée de bruits et de mouvements.
NATASSJA et JONAS se tiennent au milieu de la foule.

JONAS. On va se dire au revoir là, cette nuit. D'accord ?
NATASSJA, fait non de la tête. Demain.
JONAS. Demain je serai parti.
NATASSJA. Non, avant que tu partes.
JONAS. Alors il faudra faire vite, très tôt, et on aura peu de temps.
NATASSJA. C'est préférable. Demain matin, quand vous embarquez.
JONAS. Tu devras te lever tôt...
NATASSJA. Si on se dit au revoir cette nuit ça n'aura pas de sens...
JONAS. ... Peut-être ne pas dormir du tout.
NATASSJA. ... Parce que tu seras encore ici pendant que je suis endormie.
JONAS. Alors ne dormons pas, ne nous disons pas au revoir, restons là toute la nuit !
NATASSJA. Non, Jonas, je dois dormir.
JONAS, lui tient le visage. Demain, juste avant que j'embarque.
NATASSJA. Pas plus de dix minutes, oui, juste quelques minutes avant que tu n'embarques.
JONAS. Alors, ce serait avant quatre heures du matin.
NATASSJA. Ce sera juste pour se dire au revoir, juste cinq minutes.
Ils s'embrassent.
JONAS. Alors... je te laisse rentrer.
NATASSJA. Oui, on ne se dit pas au revoir, on se revoit demain. A trois heure cinquante-cinq. On aura cinq minutes pour se dire au revoir, pour s'embrasser une dernière fois.
Ils s'embrassent.
NATASSJA. Cinq minutes ininterrompues, sur tes lèvres.
Ils s'embrassent.
Front contre front, les yeux fermés.
JONAS. Natassja. Pendant ces cinq minutes... il faut penser à tout. Je veux prendre le temps de te regarder, de sentir tes cheveux dans mes mains, de respirer tes seins.
NATASSJA. Tu auras le temps, je serai toute là, pour toi. Tu sentiras mes cheveux si tu le veux, et mes seins... dans tes mains.
Ils s'embrassent.
NATASSJA. On se dit tout ce soir, et demain on se tait.
JONAS. Alors... On se regarde, on s'embrasse, et on se quitte sans rien dire.
NATASSJA, sourit. Comme des animaux.

* * *

Ils continuent de danser un moment. NATASSJA a la tête posée sur l'épaule de JONAS.
NATASSJA. Si je ne me réveillais pas demain...
JONAS, la tient délicatement par les épaules.
NATASSJA, prend les mains de JONAS, les yeux fermés. ... Au revoir Jonas.

Elle recule lentement, les yeux fermés, en lui tenant les mains.
JONAS la regarde se confondre avec la foule.

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Niveau 6
19 mai 2019 à 21:23:59

Je ne suis pas, d'ordinaire, de ceux qui encouragent.
Je n'aime pas non plus écrire ici.
Mais dans ton cas, je me répète, et te réponds, car si mes messages réussissent à te motiver assez pour t'amener à poster ici ton travail - et autres divagations - j'estimerai ne pas avoir comme d'ordinaire, perdu mon temps en ces lieux.

Continue à écrire.
Quel qu'en soie la forme.
Le Fond.
La Teneur, à vrai dire je m'en fous.

Je ne te demande qu'une chose : pour écrire, ne reste pas enfermé entre des piles de bouquins, à comparer et compulser chaque ton, chaque mot trouve toi un style, un phrasé, mais surtout et quoi qu'il arrive ...

... continue, s'il te plaît.

Melodrama3
Niveau 2
22 mai 2019 à 13:09:45

J’aime beaucoup l’onirisme et le lyrisme qui se dégagent de tes textes, autant dans le morceau de pièce de théâtre que dans tes divagations

T’as du talent, c’est certain (moins certain sur le pan de pièce de théâtre que tu nous a proposé mais après tout j’y connais rien en pièce de théâtre)

Continue d’écrire comme dit plus haut, c’est beau ce que tu proposes :ok:

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Niveau 10
22 mai 2019 à 13:27:29

Oui les dialogues c'est pas terrible, c'est pourquoi ta nouvelle m'a justement intéressé, les tiens "fonctionnent", je voyais tout de suite qui parle en te lisant.

Merci

Melodrama3
Niveau 2
22 mai 2019 à 13:48:54

Y a pas de quoi, merci à toi :oui:

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Niveau 10
15 juillet 2019 à 21:06:41

Homme longeant mur. Ce sont des vagues de piscine mais, c’est un mur de quatre mètres soixante-dix de hauteur sur douze de long. Les dimensions standards d’une piscine californienne pavillonnaire. C’est un mur-piscine donc ; rien n’indique dans les environs la trace d’un bassin quelconque qui se reflèterait sur ce mur. Avant tout des vagues bleues. Des losanges déformés se confondant les uns les autres — qu’on ne trouve que dans certains quartiers de Santa Monica, pas dans un film hollywoodien ni même dans une peinture de Hockney.
Homme longeant des losanges, dans les vagues avec eux avec elles, dans une piscine murale. On croit comprendre tout bêtement que c’est une vidéo projetée d’une piscine sur un mur prévu à cet effet.
Et l’homme habillé de vagues. Il est presque chauve, il a une chemise rouge et un pantalon noir, mais il est comme baigné dans ces formes masculines — les chutes de reins en miroir comme aurait pu les peindre un Miro ou un Klee — qui le rendent violet et bleu marine sans qu’il ne s’en aperçoive. Et son ombre nous dévoile un profil qu’on ne perçoit pas d’où on est. C’est son ombre qui, finalement, existe plus que lui dans cette piscine qu’il casse par un noir pale.
C’est peut-être du théâtre tout ça. Il bouge comme un personnage qui cherche quelque chose sur scène et qui feint de ne pas remarquer les spectateurs. Une des femmes de la pièce, Margaret, a perdu sa boucle d’oreille, et Ed, l'homme, cherche naturellement sur la terrasse, autour de la piscine, depuis un moment, cet objet, qui devrait briller en cette soirée crépusculaire. Sur les bords de pierre.
Margaret a le charme d’une femme qui n’en fait pas trop, qui a suffisamment compris que la créature urbaine du roman noir ne peut plus tenir debout dans la réalité, même dans la cité des anges. Ainsi elle ne vous demande pas du feu pour allumer sa cigarette, et c’est par hasard qu’elle fait remarquer à Ed qu’il lui manque une boucle d’oreille. Le sol de pierre est presque noir. Ed a oublié qu’il cherchait une boucle. Il a oublié la piscine. Il fait des tours. Pieds nus sur les bords rugueux.
« Pas trouvée ? » A peine le temps de se retourner quand il entend le grand plongeon. Les losanges masculins sont là, dansant et vibrant autour de la figure margaretaine. Ed regarde. Un de ces moments, peut-être, consacrés à l’amour éphémère, celui dont on se souvient. Margaret nageant, contrariant les formes. Projetée sur grand écran sans cinéma.
Ed regarde. Sauter dans cette piscine. La rejoindre. Mais c’est un mur.
Un mur noir de pierre.

Je viens d'écrire ça, c'est pas de la littérature mais c'est pour me permettre de mieux percevoir ce que j'ai en tête pour mon idée de courant théâtral californien des années 70.

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Niveau 10
19 août 2019 à 18:33:26

A partir d'un rêve. C'est pas de la littérature du tout, mais c'est tout ce que je peux écrire actuellement.

La mort suspendue

J’étais avec quelqu’un, une jeune fille je crois, dans une grande maison isolée, genre maison de thriller, et on essayait d’échapper à des tueurs. Je me souviens avoir vu Jean-Baptiste Thoret (critique de cinéma français) suspendu par les jambes derrière une porte, avec une arme imposante. Je pense l’avoir tué avec une arme, j’avais pas le choix. J’ai peut-être tué un ou deux autres truands.
Ellipse. Je suis dans la résidence de mon enfance, sur le point d’aller quelque part avec Sofia (ma sœur). Elle parle avec un voisin devant sa porte, j’attends sur le trottoir. Pendant qu’elle parle avec quelqu’un que j’identifie pas, je me sens mal, je pense à toutes ces personnes que j’ai tuées au fil des années, certaines en légitime défense je pense, mais d’autres qui n’ont vraiment pas mérité de mourir, comme Jane (une amie d'enfance de ma sœur), dont la mort est dramatique, même pour moi qui l’ai tuée. Et j’ai le sentiment que tout ça m’a échappé, que j’ai moi-même pas compris ce que je faisais — d’ailleurs tout me parait si confus.
Sofia me dit que je peux lui parler si je le souhaite, que c’est le moment ; je me rends compte alors qu’elle sait depuis toutes ces années (trois ou quatre ans) et qu’elle l’a gardé pour elle, sans changer son comportement, sans essayé jusque là de me faire dire que j’avais tué des gens, surtout Jane, qui a été assassinée récemment. J’implose, je dois lui dire, je n’en peux plus de garder ça pour moi, ce sentiment inexplicable de se retrouver dans la position de meurtrier sans comprendre comment on en est arrivé là. Après lui avoir dit je me retrouve dans une assemblée générale. Ma sœur n’a pas mal réagi, elle savait, tout simplement. Dans cette AG il y a plein de monde, dont Kolberg, un communiste. Les gens ne me calculent pas mais je suis censé être exécuté par des personnes que je connais ici-même. Je prévois d’être tué par balle sous une forme de chasse à l’homme : je cours dans l’espace en me laissant être touché et je leur tire dessus aussi. C’est comme ça que je veux mourir, avec eux, par eux, protégé par leur bienveillance, et les tuer en même temps (les quelques-uns que je toucherais) pour ne pas mourir seul. Mais je me dis que c’est mal en fait, ça me rappelle les attentats suicides, les tueries ; je ne peux pas leur imposer une mort juste parce que je veux mourir avec eux. Alors on oublie, tirez-moi dessus pendant que je cours. Je ne reçois que quelques balles, à l’oreille, au bras, mais pas de balle fatale, ni même qui me laisserait à terre, agonisant à petit feu. Je ne ressens rien. Et ils s’en vont.
Je suis en Floride avec Kamel, un ami d’enfance, sur une fausse plage dans la nuit. C’est une plage qui permet des campements réguliers et entassés, juste au bord de cette mer noir où j’imagine qu’il y a des requins. Là ça me fait penser à l’ambiance hostile que j’ai connue à Dour quand j’étais en descente. Incapable d’expliquer ce qu’on faisait là, à enjamber ces tentes.
Je me retrouve dans un autre endroit, un grand intérieur qui ferait penser à une usine. Il est devenu de plus en plus clair que ma quête est d’être tué, puisque c’est ce qu’il doit m’arriver. Pourtant personne n’est là à me surveiller, personne ne me pointe de son arme, et aucune autorité légale n’est avertie de mes crimes. Mais mourir de la main d’un autre est devenu une évidence depuis que ma sœur m’a dit que je pouvais lui parler si je le souhaitais.
Je suis en présence de quelques enfants, qui paraissent au courant de ma situation, comme s’ils m’attendaient. Ma seule volonté est d’être tué, je ne sais même plus pourquoi, et ce n’est pas parce que mes blessures me font souffrir. Je dis à un de ces gamins de prendre une arme et de me tirer dessus, mais de prendre le bon, pas comme les autres qui ont essayé sans succès. Il me demande quelle arme ; je lui mime une mitraillette, comme celle qu’avait Thoret quelques années plus tôt quand il voulait nous tuer moi et cette jeune fille. Il n’y en a pas ici, il prend un pistolet qui semble être puissant. Je commence à courir au ralenti vers la baie vitrée pour recevoir les balles le dos tourné. Il me touche, ça fait du bien, je sens que ces balles sont fortes et noires. Mince, elles sont plus fortes que ce que j’espérais. J’en reçois encore, mais je ne veux pas mourir maintenant, pas d’un seul coup, en quelques secondes, je veux profiter des dernières minutes. Je suis à terre et je dis au gamin que je ne pensais pas que ses balles seraient si décisives, j’aurais voulu me poser un peu avant de fermer les yeux pour toujours. Je lui demande dans la précipitation de me rouler une cigarette. Ce gamin est brave, je le ressens profondément. C’est la dernière manifestation bienveillante à mon égard que je connaitrai. Il me roule cette cigarette, me rassure et me la met sur mes lèvres, dans l’urgence, parce qu’il comprend.

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Niveau 10
09 janvier 2020 à 13:59:56

7 7 19
Je suis ce chien
Y a plus de je
Juste que je sens la crasse qu’on peut sentir

19 7 19
Là y a plus rien à l’intérieur. Désintégration, Kafka, no more laugh no more tears, la mouche qui prend le bout du fusil et le pose sur son front.

12 12 19
Je commence une phrase et l’efface parce que je refuse ces mots et ces tournures. Que des variations. Qu’un prototype déraillé. En transition. Ces mammifères poilus devenus dauphins. Ca parait évident qu’on sorte tous de l’océan, paons comme hommes ; mais ces autres loups sont retournés à l’eau, bien après l’évaluation du terrain, et bien avant le saccage. Quelle transition. Quelle sagesse. Ils nous ont abandonnés. Rient et dorment sans matelas, pendant nos guerres et nos névroses, dans un monde sans Histoire.

13 12 12
Je vous jure, il y a une tempête invisible et inaudible, là depuis je ne sais pas. Mais c’est la mienne, et je n’ai pas eu à débourser mes poches auprès d’un centre de recherche pour lui donner mon nom.

Cette image de Ferré, sa tête le menton haut, ses yeux enfoncés, noirs et qui se propulsent. Alors, y a toute une trajectoire derrière ce regard. Il a la tête d’un enfant né pendant la guerre, sans technicolor. Le regard va loin, encadré dans cette photographie. Et on entend beaucoup de chose dedans, toute une discographie, des émissions Pivot, un chimpanzé, le Sud, sans dieu ni maître. On voit tout ça et pourtant
c’est le même regard qu’un oiseau sauvage contemplant une mer de nuage. Le même. Et y a autant derrière cet oiseau que derrière notre homme de l’Histoire humaine. C’est les mêmes yeux, ça voit aussi loin. Ferré, l’oiseau, l’enfant, pour toujours, les montagnes existent et les yeux pour les regarder. Pareil
Un oiseau est mort aussi, comme ça, comme lui, le poète qui chante, qu’on n’a pas entendu chanter. Mais il a vu aussi. Loin. Et y avait du vent, c’est tout ce qui compte, y avait du vent, pas le vent qu’on dit quand on dit que y a rien ; le vent qui nous fouette. Qu’est le même pour l’oiseau sauvage et le poète.

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Niveau 10
19 janvier 2020 à 21:11:25

Extraits de mon autobiographie que j'ai reprise aujourd'hui. C'est pas tant que ça m'intéresse de parler de ma vie, mais ça me donne une matière première.
Evidemment, je suis avide de conseils et d'impressions. Je suis pas un grand lecteur ni un grand écrivant.

....................

Qu'on ait été chouette ou tordu,
Avec les ans tout est foutu

(Léo Ferré, Vingt ans)

[...]

A vingt ans, je me trouve à l'embrasure de la porte vitrée, faisant face au jardin, et j'ai toute cette aventure malheureuse derrière moi. Une jeunesse éparpillée comme un dripping burlesque mal exécuté par un clown fatigué. Le numéro de toute une vie, déjà balayé ; barbe-à-papa imbibé sur les flyers piétinés ; morceaux de cheveux perdus, orphelins d’un crâne nu synthétique, porté pour les grands soirs. C’était grotesque, c’était un ratage, ça les a bien fait rire.
Le chapiteau dressé encore un temps, abritait la dépouille :
Un an de solitude, la création d’un nouveau numéro : « Il est devenu fou ! »

[...]

Mon premier emploi, cette année-là, fut de scanner des colis dans un entrepôt et d'appeler les clients pour leur demander quand ils pouvaient réceptionner leur article. C'était à Bobigny, assez loin en bus de chez moi, et pour seulement deux heures par soir. La journée, je la passais à dessiner et vers dix-sept heures je partais travailler.

A cette époque je parlais avec Joana par texto. Elle me disait qu'elle n'était plus amie avec ses camarades de lycée. Je me sentais alors plus intime avec elle : moi non plus je parlais plus aux autres. Joana vivait à Bobigny, c'est pour ça qu'on s'était reparlé : je l’avais prévenue de mes voyages, mes petits moments de vie sur son territoire — mais oui, comme si elle régnait sur toute la ville ! Quand je passais dans ce quartier industriel le soir, j’avais ce sentiment paradoxal, cette tristesse refoulée comme un glaire ravalé, de me sentir, donc, plus proche d’elle qu’à l’époque du lycée, et en même temps totalement perdu dans cette obscurité, entouré de ces hauts murs de bétons sans fenêtre, sans vie — en tout cas sans elle. On a arrêté de se parler définitivement à ce moment-là. Il faisait trop sombre de toute façon et nos voix respectives s’étaient paumées dans la banlieue. Une correspondance qu’on avait fini par laisser parler toute seule, sans l’un sans l’autre ; une dépouille : des restes de gestes de ping et de pong quand les points ne sont plus comptés. Les pigeons picoraient nos voyelles, les consones restaient pendues sur les câbles électriques.

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Sujet : Divagations à partir d'images qui se sont égarées dans mon sommeil
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