Salut tout le monde, je débute dans l'écriture et j'aimerais avoir vos avis avisés sur cette petite nouvelle
De profundis
Introduction : 2010
Attablés avec Tom au milieu d’une mince foule, Anibal crachait la fumée de sa cigarette d’un air nonchalant. Le barman récurait les verres à pied et retournait les shakers tandis qu’un couple riait à côté, et qu’une pute sillonnait les tables à la recherche de compagnie.
— Ça fait longtemps que tu fumes ?
Anibal cracha un volute de fumée vers la pute et dit :
— Ça fait depuis un bail. Au moins cinq ans. Pourquoi, ça te dérange ? Que je fume.
Tom rougit, comme si on l’eût pris en train de fouiner.
— Non, du tout… du tout… je… Moi j’ai jamais osé tenir une cigarette entre les doigts.
— Je t’apprendrai, dit calmement Anibal.
Le bar était miteux, mais le doux afflux des conversations et des bières qui se sirotent était agréable. Tom buvait un whisky. Anibal n’avait rien pris. Ce dernier avait une mine sombre entretenue par sa barbe qui léchait son visage comme une plante vorace. Comme des lichens. Tom quant à lui, était rasé à blanc. Son visage inspirait la douceur et la tranquillité.
— J’aimerais savoir, commença Tom, un peu hésitant. Pourquoi tu m’as payé un verre si gentiment ? Alors qu’il y a de belles femmes qui n’attendent que toi. (Il lança un regard vers la pute qui s’était installée seule dans un coin.)
— Tu poses trop de questions, répliqua Anibal en écrasant sa cigarette sur le cendrier. J’ai voulu te payer ce verre c’est tout. Rien de plus.
Tom inclina légèrement la tête, comme pour mieux sonder Anibal.
— T’es un sacré personnage, fit-il.
— Il paraît.
Chapitre 2 partie 1 : 2012
Anibal étudia longtemps la lichette de cocaïne disposée devant lui. Longue et régulière, la ligne scindait la table à manger en deux, le séparant d’un verre de Schnaps et d’une boîte de Prozac à peine entamée. D’une allure spectrale, il se leva pour dénicher une paille dans un placard de la cuisine puis revint à table. Il posa soigneusement la paille au bout du rail, puis inhala le tout avec sa narine droite, qui fut très vite anesthésiée car inondée de poudre.
Il se sentit secoué, vivant à nouveau. Il passa une main dans ses cheveux, il en tomba quatre.
Soudain, un rire. Le sien. Anibal riait, euphorisé par la cocaïne.
— Tom ! clama-t-il à haute voix. Reviens sale connard.
Sur ces mots, il enfila un pardessus et quitta l’appartement. Sa rue paraissait sinistre ce soir-là, le ciel paré de nombreux nuages oblongs avait l’allure presque militaire. Il prit un dédale de ruelles qui menaient à la grand-rue. Le crachin commençait à tomber. Il se transforma vite en une pluie battante.
Anibal rejoignit le métro dans ses sous-sols. Trempé, il rebroussa ses cheveux et continua sa marche jusqu’au quai. Il y avait grand-monde, malgré l’heure ; des visages flétris surtout, partout où il lançait son regard. Le métro arriva en grondant et avala une partie des gens. Ce ne fut pas le cas d’Anibal qui se dirigea vers l’ascenseur, juste en face des escaliers qu’il venait de dévaler. Il appuya sur le bouton qui s’entoura d’une couleur verte avant de clignoter.
L’ascenseur s’ouvrit. Un homme était déjà à l’intérieur. Anibal ne put voir son visage. C’était quelqu’un de grand, d’immobile, mais son visage était inintelligible. Anibal alluma une clope et entra à ses côtés. Il brava le bouton numéro deux avant de mieux considérer l’inconnu. Il portait un costume strict et passait sa main machinalement sur son nœud de cravate.
Comme Anibal s’y attendait, une voix si rauque et éthérée qui l’en eût des frissons s’éleva. La voix était presque délétère.
— Qu’as-tu fait en tout pour moi ? Demanda t-elle.
Anibal se glaça mais ne refléta rien dans son comportement. Il prit une bouffée anxieuse de cigarette en constatant que le bouton numéro deux de l’ascenseur s’était éteint.
— Il est presque mort, répondit Anibal. Je ne te dois plus rien.
— Oh non. Il te reste beaucoup à prouver.
Anibal appuya sur le bouton zéro, et la cabine s’ouvrit dans un léger vrombissement. Elle se referma derrière l’homme au visage impossible qui resserrait son nœud de cravate, tandis qu’Anibal rejoignait les quais. Il jeta son mégot de cigarette et l’écrasa sous sa botte de ranger.
Deux métros allaient émerger de la station, mais tous deux menaient à l’hôpital, alors Anibal prit le premier qui vint ; et ce fut un bain de foule qui l’accueillit à l’intérieur. Mais rien ne retint plus son attention que cette jeune femme en robe légère qui jetait son regard hébété d’avant en arrière, comme dans un élan de paranoïa. Tony la trouva séduisante, frêle comme tout mais si douce, puis elle lui parut comme lui, répétant des gestes peu assurés qui témoignaient d’une certaine faiblesse malvenue en société. Il donna un instant son attention toute entière à ses mouvements : ceux pour se raccrocher au bus lors d’un arrêt trop soudain, ceux pour regarder l’heure sur son téléphone, mais aucune envie de la toucher ou de la protéger ne survint en son for intérieur. Rien de tout ça. C’était bizarre. Juste l’impression de se voir ; à travers elle.
Le métro finit par s’arrêter sur une station proche de l’hôpital. Anibal passa entre deux jeunes garçons au sourire pincé pour gagner la sortie. Une fois dehors, la pluie s’abattit à nouveau sur ses épaules.
L’hôpital était là, fendant le ciel et blindé de malades.
II.
En entrant dans la chambre de Tom, Anibal ne se doutait pas que quelqu’un était déjà à son chevet. Il s’agissait d’une fille aux cheveux châtain et au grand regard avisé.
— Bonsoir, dit Anibal, haletant.
Elle jouait avec ses cheveux en les enroulant entre ses doigts.
— Bonsoir, répondit-elle avec une voix mature qui ne collait pas à son faciès.
L’attention d’Anibal fut très vite porté sur Tom. Il était livide, et jonché de perfusions dans tous les sens, un inhalateur à son bec. Anibal s’approcha, attendri. Il lui prit la main en se retenant de ne pas chialer. Il ne fallait pas qu’il chiale, c’était malvenu.
— Il est avec Dieu maintenant, dit la femme de l’autre côté du lit.
Anibal, abasourdi, la toisa du regard.
— Pardon ?
— Il va bientôt rejoindre les cieux.
Il quitta l’hôpital avec elle, apprenant que c’était la petite sœur de Tom et tout un tas d’autres choses à propos de lui. Ils finirent dans un bar miteux où e barman récurait les verres à pied et retournait les shakers tandis qu’un couple riait à côté, et qu’une pute sillonnait les tables à la recherche de compagnie.
— Ça fait longtemps que tu fumes ?
— Au moins cinq ans. Pourquoi, ça te dérange ? Le fait que je fume.
Elle répondit en souriant tout en regardant ailleurs.
— Tom n’aimait pas les fumeurs. Il disait que c’était la lie de l’humanité.
— Crois-moi il a changé d’avis. Quand il sortira du coma, il pourra te le dire.
— Anibal, Tom est mort. Tu n’as pas vu l’électrocardiogramme ? Il est mort depuis ce matin, je suis resté près de lui tout ce temps. Les médecins n’ont rien pu faire.
Les joues d’Anibal prirent une allure rouge vif, sa main tremblota légèrement. Il avait vendu son âme pour que Tom l’aime, et celui-ci venait de décéder. Il ne fut pas question d’un seul drame, ni d’un seul deuil, c’était une tragédie.