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Ecriture

Sujet : Villeperdue
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Salmanzare
Niveau 10
19 juillet 2019 à 23:14:07

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Agathe, c’était le genre de nana qui vous brise un homme l’air de rien, en deux battements de cils. Vu qu’elle en avait un paquet à disposition, j’ai pas fait long feu. J’ai senti que mon cœur venait de louper plusieurs pulsations et je me suis demandé si la machine allait se remettre en route. Elle a souri en plissant les yeux. Comme si elle était incapable de regarder le monde dans son intégrité à ce moment-là. Ça lui a tiré les fossettes. J’étais mal, je me suis dit que c’était foutu, complètement foutu. Le palpitant s’est remis en marche quand j’ai senti sa poitrine se coller contre moi. Saisis pas, j’ai pensé. À la place j’ai essuyé le cambouis des mains sur mon pantalon. J’étais bon pour me payer une lessive le lendemain. Dans le nez j’avais sa sueur mélangée à un parfum boisé. C’était des petits riens comme ça qui pouvaient m’arracher des sourires sans que je puisse les rattraper.

— Tu pourras venir me voir ! C’est pas si loin, elle m’a dit au creux de l’oreille.

J’ai même pas eu le temps de comprendre ce qu’elle racontait qu’elle avait déjà sauté dans la bagnole. Tout s’est affaissé. On venait à peine de terminer de changer le pneu avant gauche. Sans doute la seule chose de neuf avec elle dans ce vieux débris, un miracle si elle arrive entière jusqu’à l’aéroport. On s’en fout, elle avait dit, ça doit juste tenir jusque là-bas, après c’est plus mon histoire. Elle a descendu la vitre dans un petit grincement pour se pencher vers moi, l’air un peu gêné comme si elle venait de saisir l’importance de la chose.

— T’es dingue quand même de me dire des trucs pareils. On sait jamais si tu plaisantes.
— Jamais quand c’est capital. C’était pas une blague, j’ai soupiré, je le pense vraiment.
— Je t’appelle à l’aéroport.
— On sait très bien que non.
— Enfin j’appelle au Rivo.

Je me suis approché pour caresser sa joue, ça lui a laissé une jolie trace noire dessus et ça m’a tordu le ventre d’une drôle de façon. Je pourrais pas dire ce que je ressentais exactement, je pouvais au moins affirmer que ça passerait mal et qu’il allait me falloir un sacré remontant. Agathe m’a balancé un autre battement de cils dont elle seule a le secret et a démarré en trombe. J’ai entendu la voiture cracher ses poumons avant de disparaître à l’angle de la rue. J’ai ramassé mon sac à dos et je me suis dit que le soleil cognait vachement fort pour une fin de mars. C’était toujours quand il faisait beau que la vie vous envoyait dans les cordes et vous refilait les pires saloperies dans la gueule. Mon grand, tu l’auras pas volé cette journée. Partir la rejoindre ? C’était quand même fichtrement loin le bout du monde. Je me suis assis devant l’entrée de l’immeuble en me demandant ce que j’allais bien pouvoir faire à présent.
J’avais à peine eu le temps de faire le point qu’une main s’est posée sur mon épaule et qu’une minuscule sorcière ridée est apparu dans l’entrebâillement. Au bout de quelques secondes j’ai reconnu la concierge dans son éternel tablier à fleurs qu’avait dû être à la mode avant ma naissance. Elle a grincé des dents.

— Elle est parti la petite ?
— À l’instant.
— C’est bien ce qu’elle fait.

Moi j’en étais pas bien sûr. Pas qu’elle parte au bout du monde non. Mais me laisser en plan comme ça, je goûtais pas trop la blague. J’ai cherché mon plus beau sourire pour l’adresser à la vieille en espérant qu’elle me fiche la paix. Elle a attendu que je décroche un mot et voyant que ça viendrait pas, elle est retournée s’occuper de sa loge. Le vent venait sans doute de tourner car je m’étais à peine mis debout qu’il me renvoyait Agathe dans les bras.

— Oh ! C’est terrible, elle a dit, c’est terrible !
— D’être déjà revenue ?
— De pas être partie.

J’ai rien dit mais j’étais vachement heureux de la revoir. Elle levait les mains au ciel en pestant contre la voiture qui venait de rendre l’âme à quelques rues de là. Pour moi c’était le signe que parfois faut savoir rester où on est et qu’on devrait sans doute pas se séparer pour qu’elle aille à ce bout du monde où j’étais pas. Tout de suite le soleil m’a semblé moins dégueulasse et j’aurais même eu envie d’embrasser la concierge à pleine bouche pour communiquer ma joie. Agathe s’est plantée droit devant moi.

— Faut que tu m’emmènes !
— Je vois pas bien comment. Y a plus de voiture et avec mon vélo, on sera jamais dans les temps pour ton vol. Allez viens, on remonte.

Elle m’a fusillé du regard et j’ai compris qu’il fallait que je trouve une solution fissa. Je me suis creusé les méninges avant de me planter au milieu de la route pour arrêter la première voiture qui passait dans la rue. Le mec a klaxonné comme un dingue puis a capitulé, il a ouvert la portière. Je voyais bien qu’il était bouillant comme la braise et qu’il faudrait pas longtemps pour qu’il m’étale d’un petit crochet du droit bien placé. Moi la bagarre, j’aimais pas bien ça.

— Qu’est-ce que tu veux connard ?

Je me sentais pas très chaud à laisser Agathe monter dans la voiture d’un mec mieux bâti que moi. Mon ventre s’est noué une nouvelle fois.

— Faudrait que vous nous emmeniez à l’aéroport, j’ai dit.
— Mais tu m’as pris pour un putain de taxi ?

Agathe lui a décoché un regard dont on se relève pas sans bleus à l’âme. J’ai vu que le type était touché droit dans les sentiments. Il s’est un peu calmé mais je voyais bien qu’il fallait l’achever maintenant.

— Je te laisse mon vélo si tu nous emmènes là-bas, j’ai dit.

Agathe m’a sauté au cou pour m’embrasser. Ça valait bien un vélo. Le mec a semblé peser le pour et le contre puis il a levé sa main en l’air pour nous dire de grimper à bord. À mon avis c’est pas le vélo qui l’avait convaincu.

— C’est elle qui monte devant par contre, il a reniflé, et toi tu touches à rien. Je veux pas une trace sur ma banquette.

On s’est pas fait prier. C’était le genre de gros engin qu’on s’offre quand on sait pas quoi faire de son fric. On a pu mettre aisément le vélo dans le coffre. Je me suis senti un peu minable en pensant à la voiture crevée à trois rues d’ici. J’ai pas fait la remarque et je me suis demandé si ça en mettait plein la vue à Agathe. Elle venait de déplier le petit pare-soleil dans l’espoir d’y trouver un miroir. Bingo, elle a sorti un tube de rouge à lèvres vermeil. Une sacrée arme, j’aurais bien aimé m’écraser sur sa bouche et oublier tout le reste. À la place j’ai accroché ma ceinture et y a eu aucun bruit. C’était le genre de voiture silencieuse qui vous coupe de tout. La radio passait un truc un peu rock que j’avais encore jamais entendu mais qui donnait bien. Le mec fredonnait puis il s’est tourné vers la jolie fille avec un sourire carnassier.

— C’est les vacances ?
— C’est une nouvelle vie !
— Sans bagages. il s’est interrogé ?
— C’est que ça ralentit tout ça.

Il a hoché la tête et moi j’ai eu envie de frapper la sienne. Seulement on roulait vite et ça aurait pas été super malin de s’écraser sur un platane à la con. Pire, ça m’aurait fait mal qu’Agathe m’en tienne rigueur. J’ai croisé les bras et je me suis concentré sur la musique dont je pigeais pas trop les paroles. L’anglais ça n’a jamais été mon fort. Le paysage a défilé pendant que les deux chantaient ensemble. Une éternité avant qu’on commence à voir des avions dans le ciel. Au premier qui est apparu, les yeux d’Agathe ont brillé et j’ai su que je pourrais jamais la retenir. Le petit espoir que j’avais gardé au fond de ma poche venait de se faire éclater par un Airbus. Je me suis demandé comment un machin aussi gros pouvait réussir à s’extraire de la gravité. J’ai pas posé la question. Je me doutais bien que c’était de la science mais je voulais pas que ma dernière interrogation soit un truc à la con. J’avais envie de réfléchir à quelque chose de profond qui l’accompagnerait aussi loin qu’elle irait. Le type s’est garé sur le dépose minute et on a déplié nos jambes dehors. Je pourrais même pas dire que j’en avais besoin, cette satanée caisse était bien plus confortable que le futon dans lequel je dormais ces temps-ci.
On est rentré tous les trois dans l’aéroport et Agathe a proposé qu’on mange un bout au snack du coin avant le départ. Le mec a regardé sa montre puis a haussé les épaules. Je l’aurais aux basques jusqu’à la fin. On a fait la queue pour quelques sandwiches hors de prix et de la bière pas fameuse. Ça restait de la bière, j’allais pas faire le difficile. La nana a tapé sur sa caisse enregistreuse la somme totale et a annoncé l’addition. Encore plus salé que les cacahuètes qu’il vous file dans les airs. J’ai tiré la gueule.

— Vous payez ensemble ou séparément ?

J’ai fait mine de sortir mon portefeuille lentement mais l’autre a dégainé plus vite. Il a claqué un billet comme j’en avais jamais eu entre les mains. La caissière a pas moufté et lui a rendu plein de monnaie. J’ai pensé qu’avec tout ça, je pouvais m’offrir un paquet de lessive pour enlever le cambouis dans lequel je baignais. On s’est assis sur une table bancale et on a trinqué à la nouvelle vie qui s’annonçait. Agathe avait les yeux qui brillaient, il avait les yeux sur Agathe et moi sur lui. J’ai sifflé la moitié de la bière et je me suis demandé quand est-ce que c’était le bonheur. Visiblement pas encore pour tout de suite.

— Je pense liquider ma société bientôt, il a dit. Avec ça, plus jamais besoin de travailler.
— Oh bah c’est bien ça, a dit Agathe. Si tu veux tu pourrais voyager aussi toi.

J’aimais vraiment pas son sourire alors j’ai enquillé le reste de ma bière. Visiblement le jambon beurre l’a pas calé car il s’est relevé en chercher un en demandant si on avait besoin de quelque chose. Non non, on a dit. Il avait à peine tourné le dos que je lui ai piqué une gorgée pour la route et une deuxième pour le plaisir. Quand c’est compliqué la vie, faut aller chercher soi-même les choses simples pour respirer un peu. Finalement il est revenu en mode grand prince avec trois cafés parce que les voyages ça fatigue vite. On a laissé filer un ange puis Agathe a rompu la quiétude en sautant hors de sa chaise.

— Bon faut aller s’enregistrer !

C’est vrai que c’était pas bête, je m’étais bien retenu de le relever pour la garder encore avec moi. Elle laissait pas les choses en l’air Agathe, juste ses rêves. Elle trépignait sur place à se dire que ce qui la séparait de ses envies, c’était plus qu’une question de minutes. C’est difficile de lutter contre le temps qui file, j’étais battu. L’autre a demandé si elle voulait un magazine pour le trajet. Elle a hésité et réclamé le journal du jour. Pas que les nouvelles du pays l’intéresse mais l’horoscope si. En trois petites lignes obscures, on s’offrait un horizon de la météo émotionnelle à venir. Il a disparu vers le kiosque avec la démarche lourde des mecs à qui tout appartient.

— Je le sens pas lui.
— C’est parce que t’as du cambouis jusque dans le pif chaton.
— Tu m’écriras ?
— Bah oui, de chaque pays où je m’arrête.

Elle m’a enlacé longtemps en posant sa tête sur mon épaule. Je me suis demandé comment les gens pouvaient continuer à marcher sans se rendre compte que la plus jolie fille de la planète était au même endroit qu’eux. Les fous. Elle m’a redéposé un baiser sur la joue qui m’a glacé à l’idée de son départ imminent.

— J’aime pas les adieux tu sais. Je vais aller m’enregistrer et disparaître de l’autre côté. Tu ferais mieux d’y aller.
— Bye Agathe, j’ai dit.

Elle s’est faufilée vers l’enregistrement et je l’ai perdu de vue dans la foule. Le mec s’est ramené avec un magazine à la con à la main. Il m’a regardé embêté.

— Elle est aux chiottes ?
— Elle est partie.
— Sans toi ?
— Il a jamais été question que je la suive.

J’ai senti que le mec venait de comprendre le topo. Il s’est marré en me foutant une grande tape dans le dos. Puis il a tourné les talons pour retourner vers sa Mercedes rutilante. J’ai hâté le pas derrière lui.

— Tu peux me ramener en ville ?

Il m’a dévisagé de la tête au pied avec le regard du type qui en a plus rien à foutre de ta gueule. J’ai pensé à mon vélo dans son coffre, à cet aéroport qu’était rien d’autre qu’un lieu de transit et à quel point je voulais pas me retrouver coincé ici. Le gars a soupiré et m’a dit de m’amener.

On a roulé en silence en écoutant la radio vomir un mauvais jazz. Il tapotait sur son volant à contre rythme. J’ai vu un avion décoller et je me suis demandé si c’était le sien. Impossible de m’endormir les nerfs à vif. Il m’a reconduit jusque devant l’appartement d'Agathe et j’ai eu l’impression que rien n’avait bougé. Seulement, si je montais chez elle, je trouverai rien. Il m’a choppé le bras fermement avant que je puisse descendre.

— T’aurais le numéro de la petite ? Des fois que je me décide à la rejoindre après mes affaires.
— J’ai pas de téléphone.
— M’étonne pas tiens.

Il m’a pas laissé le temps d’en replacer une et la voiture s’est éclipsée silencieusement avec mon vélo dedans. La nuit allait pas tarder à pointer le bout de son nez.

pathereal
Niveau 4
20 juillet 2019 à 09:02:57

C'est écrit simple, comme j'aime. Ça se lit tout seul.

Reptilovitch
Niveau 10
20 juillet 2019 à 12:38:58

Sympa mais le langage fait un peu trop forcé, essaie de le faire moins emprunté et plus personnel.

Reptilovitch
Niveau 10
20 juillet 2019 à 12:41:35

Tu vois par exemple des termes comme le palpitant c'est vraiment issu d'un argot désuet, ça fait trop référencé.

Agraf
Niveau 10
13 août 2019 à 02:07:45

C'est sympa, y'a un bon ryrhme et un bon style.

Cependant, j'alternerais le parler brut avec des phases de temporisation plus descriptives et contextualisante. Par exemple, j'ai du relire deux fois le passage avec le concierge pour comprendre qu'Agathe était revenue.
Et puis Agathe, j'aimerais bien savoir à quoi elle ressemble. Pas une description approfondie mais connaître la couleur de ses cheveux, le goût de ses lèvres ou le petit truc spécifique qui la rend si incroyablement belle.

En fait, au niveau des descriptions, tu es dans du langage ultra non spécifique, du coup c'est bien parce que chacun s'imagine ce qu'il veut... Mais l'histoire est peu visuelle et dès qu'on commence à passer en mode "lecture", les images ne venant pas d'elles même, on tend à sortir du texte, c'est dommage.

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