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Sujet : La deuxième constante
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Ostramus
Niveau 24
24 août 2019 à 22:42:40

LA DEUXIÈME CONSTANTE

Elion s'abîma dans son vieux fauteuil de cuire et laissa choir ses bras sur les accoudoirs légèrement élimés par le temps. Rien de tel après une journée de pêche pensa-t-il en sortant de la poche intérieure de sa veste un cigare tordu qu’il glissa sous ses narines pour en sentir l'inimitable parfum. Il examina l'objet en le faisant tourner entre ses doigts pour mieux apprécier le plaisir qu'il s'apprêtait à s'offrir. Un mécanisme du fauteuil dans l’accoudoir en sectionna le bout avec précision. Puis, Elion tira d'une autre poche un briquet d'argent avec lequel il enflamma l'extrémité. Il tira l'air et expira, et quand le tabac fuma silencieusement, il inspira pour se délecter du nectar gazeux.
Elion étreignit de deux doigts le cylindre fumant et expira profondément de manière à déguster le parfum enivrant des fleurs de tabac séchées. Il se leva et se figea sur le perron au milieu de la nuit. Les cristaux de lumière perçaient le drap de ténèbres de l'univers avec en filigrane un nuage de particules gazeuses dont l’ionisation variait imperceptiblement pour éclairer l’océan qui berçait les falaises à ses pieds.
Une sonnerie l’arracha à sa contemplation, celle de son communicateur. Il rentra dans le salon, pressa une commande, et laissa un hologramme se matérialiser au centre de la pièce, présentant le visage rond de sa fille Tullia qui arborait son éternel sourire malicieux. Même éloignée de plusieurs milliers de parsecs, l’intrication quantique de la communication par ansible permettait d’échanger en direct, et de s’affranchir de la vitesse de la lumière.
— Bonsoir, tu as reçu le lot de plantes ?
— Oui, je t’appelle justement pour te remercier. Comment tu as fait pour en recueillir autant de spécimens ?
— Tu te souviens de Meltis ?
— Ton ami de l’armée ?
— Il s’occupe des biodômes sur un porte-nef et avait quelques spécimens en excédent. Il me devait bien ça pour toutes les fois où je l’emmène en balade avec le bateau.
— C’est fabuleux, tout le monde à l’université va être ravi, la ferme hydroponique va enfin pouvoir fonctionner correctement. Je ne sais pas quoi te dire.
— Ne dis rien, répondit Elion. Ça me fait plaisir.
La jeune femme pencha la tête.
— Quelque chose ne va pas ?
— J’ai cru que tu viendrais en même temps nous rendre visite sur Ortampe.
— C’est un voyage de plusieurs semaines en passant par les portes hyperspatiales, ce n’est pas la porte à côté.
— Ou alors tu demandes à Meltis à voyager par distorsion.
— Tullia, tu sais bien que… depuis… Je ne peux pas.
Elion se tendit à la simple idée de retourner dans l’espace.
— Ça fait plusieurs années maintenant. Tu pourrais venir profiter de l’hiver, ça te changerait de l’été perpétuel.
Elion croisa les bras.
— Ça ne fera jamais assez d’années.
— Je pense au contraire que si tu t’éloignais d’Alatis, tu verrais les choses sous un autre angle. Tu as besoin de prendre du recul.
— J’aimerais te donner raison, mais comme je te l’ai dit, je ne peux pas.
Il observa avec déchirement sa fille perdre son enthousiasme. Il voulut lui répondre, mais l’expression chagrinée de Tullia se figea avant de disparaître. La communication cessa l’instant d’après pour laisser l’obscurité de la nuit baigner la maison. Un message avertit que la communication interstellaire avait été coupée à cause d’une panne. Elion soupira avant de retourner à l’extérieur pour laisser la fraîcheur de la nuit dissiper ses remords.
Elion aperçut dans la voûte des éclats de lumière. Un scintillement évanescent concurrençait la lueur des astres. Il devina le passage ou la manœuvre d’un vaisseau en orbite autour d’Alatis. Elion tressaillit et dévia le regard pour s’abandonner au spectacle des volutes discrètes qui s'élevaient dans le vide depuis l’extrémité du cigare. Son imagination voyait quelques démons et autres entités lactescentes en train de flotter, pour le tourmenter, avant de disparaître. Il inspira à nouveau pour souffler juste après et donner vie à des volumes éphémères. Avec un peu de chances, les fragrances s'incrusteraient suffisamment dans les planches et les aspérités des murs pour que l'odeur se diffuse encore durant plusieurs jours.
Un soubresaut radieux l’arracha à sa contemplation. Le scintillement se muait en un brasier céleste. Une lumière scinda le ciel. Elion se redressa, les muscles tendus. La nuit céda le pas à une aube improbable, révélant une silhouette métallique surgir du néant pour venir se calciner dans l’atmosphère. Un astronef d’une longueur approchant le kilomètre plongeait droit vers l’océan.
Perché sur sa falaise, Elion laissa tomber son cigare et assista, impuissant, à la catastrophe. La masse gigantesque frappa la surface de l’eau en silence pour s’enfoncer dans l’étendue d’encre, avant de s’arrêter brutalement en touchant le fond marin. Il s’immobilisa tel un carreau géant figé dans sa cible, puis, la gravité faisant son œuvre, l’engin s’effondra en arrière et éventra les flots. Elion se réfugia dans sa maison, et s’abrita sous la table de sa cuisine. Distant de plusieurs dizaines de kilomètres, l’impact se fit entendre un instant plus tard. Une onde de choc assourdissante se fracassa contre les falaises avant de se perdre dans les plateaux intérieurs. L’air brûlant faucha Elion qui fut projeté contre le mur. Le souffle brisa les fenêtres et arracha des pans entiers de la toiture. Elion tenta de se relever, mais une nouvelle secousse lui fit perdre l’équilibre. Une vague gigantesque venait d’ébranler les falaises de grès en projetant des torrents d’eaux et de flammes qui retombèrent en une fine pluie de cendres et de gouttes chaudes.
Elion dégagea les décombres qui le recouvraient. Les jambes tremblantes, il parvint à se redresser et observa, ahuri, le vaisseau à moitié englouti, ravagé par des tentacules de feu. Il se passa une main sur le visage et recula en titubant. Elion fit abstraction des dégâts sur sa maison et chercha fébrilement la commande du communicateur pour prévenir les autorités.
Un sifflement dans le ciel l’interrompit. Une nouvelle traînée iridescente capta son attention. Un appareil différent venait de percer l’atmosphère, mais contrairement à l’autre, sa course semblait de moindre allure, et sa trajectoire plus maîtrisée. L’engin obliqua vers l’est et se dirigea vers la cote. Elion aperçut un éclat plus faible trahissant l’activation de rétrofusées. Elles ne freinèrent pas complètement la chute et l’appareil effleura le sol avant de le percuter avec fracas. Il rebondit et termina sa course dans une explosion de flammes et de poussières.
Elion retourna dans sa maison. Il récupéra quelques outils et un nécessaire de secours estampillés de l’armée. Il gagna au fond de son terrain l’appentis à moitié emporté par l’onde de choc. Malgré des planches encastrées dans le pare-brise et plusieurs rayures zébrant la carrosserie, le 4x4 demeurait en état de marche. Elion écarta les fragments de verre, monta dans le véhicule, puis il fila dans la nuit.
Il se dirigea en ligne droite sans se soucier de ses mains agitées. Soudain, une gerbe de lumière frappa une colonne rocheuse qui vola en éclat dans un bruit semblable au tonnerre. Des débris finissaient de pleuvoir en une multitude de fragments véloces et incandescents. Elion révisa sa trajectoire, regardant alternativement le ciel étoilé et l’épave d’où se dégageait un nuage sombre. Le désert s’apparenta à un champ de bataille à mesure que les éclats martelaient le sol et embrasaient l’air. Elion tâcha de les ignorer pour se concentrer sur la conduite. Il passa une crête, traversa un bosquet de cactus en feu, pour enfin s’approcher.
Un globe de métal se devina au bout d’un long cratère fumant. Elion sentit la chaleur sur sa peau et l’odeur de carburant qui se consumait. Il stoppa sa machine, et s’approcha pour découvrir un vaisseau de petite taille au fuselage cabossé. Elion comprit qu’il s’agissait d’une capsule de sauvetage compte tenu de l’épaisse structure conçue pour résister aux chocs. Avant de s’avancer davantage, il se figea en reconnaissant la structure. L’appareil était frappé d’un emblème ennemi, l’empire de Ptolem. La catastrophe prenait soudainement une tout autre dimension, avec des implications autrement plus graves. Ce qui venait de se produire en orbite n’avait rien d’un accident spatial.
Elion hésita à faire demi-tour, voire d’achever de démolir l’épave, mais il n’eut pas à prendre de décision. Une ouverture se découpa dans l’acier où s’engouffra la fumée toxique. Une silhouette se dégagea dans la pénombre et toussa avant de tomber à terre.
Elion s’approcha et découvrit une femme en train de ramper sur une lèvre du cratère. Elle lui adressa un regard implorant tout en tendant un bras. Elion l’attrapa, la traîna loin de l’épave et l’aida à monter dans la voiture. Il aurait voulu inspecter la capsule, mais les flammes la dévoraient totalement, et il savait à l’odeur d’acier chaud qu’elle ne tarderait pas à exploser. Sans plus attendre, il prit place aux commandes de son véhicule et s’éloigna. Moins d’une dizaine de secondes plus tard, une détonation éclata dans leur dos.

Agraf
Niveau 10
26 août 2019 à 15:59:26

Salut !

C'est sensé être un début de roman ?
Il y a plusieurs répétitions au fil du texte, mais c'est surtout la répétition de "Elion" qui m'a gêné car on ne sait pas du tout à quoi il ressemble ni qui il est pour le lecteur. Malgré la foule de détails que tu donnes sur le ciel, j'ai eu beaucoup de mal à me représenter la scène. Certes, tu évoques la pêche au tout début mais ça reste flou, y'a une épave, un cratère, la mer, un 4x4...
C'est un peu rageant de ne pas pouvoir se représenter la scène car par ailleurs tu donnes une foule de détails inutiles sur, par exemple la technologie de communication que Elion et sa fille utilisent.

Par ailleurs, je pense que tu gagnerais à faire des phrases plus courtes, plus simple. Rien que la première phrase "Elion s'abîma dans son vieux fauteuil de cuire et laissa choir ses bras sur les accoudoirs légèrement élimés par le temps." : tu nous donne deux fois la même information, c'est un vieux fauteuil ! Et en même temps, on ne connaît ni sa forme, ni sa couleur.

Bon courage pour la suite, en espérant que mon commentaire te sera utile :)

Ostramus
Niveau 24
26 août 2019 à 20:40:25

Merci d'avoir lu et commenté.

Ce n'est pas le début d'un roman, mais d'une nouvelle (environ 19 000 mots).

Autant j'admets que j'ai peut-être forcé le trait sur le ciel, autant je ne suis pas très attaché à l'idée de décrire le protagoniste.
Du fait que ça reste une nouvelle et que l'apparence d'Elion n'a aucune indécence sur le récit, j'avoue ne pas être spécialement étendu dessus. Sans compter le fait que j'ai horreur de faire passer mes personnages devant un miroir, de regarder une photo et autres procédés clichés.
Toutefois, je saisis l'impression de flou, et je vais ajuster le curseur pour avoir une vision plus claire de l'ensemble, et donner quelques indications sans m'étendre.
Tu as raison pour la communication, je l'ai donc supprimé.
Quant aux phrases courtes, disons que je module le rythme en gardant la "courtesse" pour l'action.

Tout le reste est déjà écrit, je vais poster peut à petit.

Ostramus
Niveau 24
05 novembre 2019 à 07:48:44

De longs filaments descendaient du ciel comme autant de comètes venant frapper le sol. Plusieurs kilomètres le séparaient de la ville la plus proche si bien qu’il était suicidaire de tenter de la rallier alors qu’une pluie de débris s’abattait sur la côte. Elion se résolut à regagner sa maison à moitié en ruine.
Sur place, il emmena la femme à l’abri dans sa cave. Il voulut téléphoner, mais les communications ne fonctionnaient pas. Il ne lui restait plus qu’à attendre la fin de l’averse de feu en espérant que les flammes épargnent ce qui restait de sa maison.
Elion se concentra alors sur la rescapée. Des cernes se confondaient au bas de ses yeux en creusant ses joues. Avec ses cheveux ternes et sa peau abimée, elle semblait approcher la quarantaine. Il attrapa son sac et sortit un respirateur qu’il colla au visage de la femme. Sous l’effet de l’oxygène, elle sembla retrouver ses esprits et se redressa contre le mur. Encore sous le choc, ses membres tremblaient et elle affichait une expression d’intense fatigue. Elle examina ses membres écorchés, regarda brièvement autour d’elle, puis se tourna vers Elion.
— Où sont les autres ? Il y avait d’autres personnes avec moi dans la capsule, est-ce que…
— Vous êtes la seule à en être sortie avant qu’elle n’explose.
Une secousse fit légèrement vibrer les murs. Elle respira à nouveau de l’oxygène dans le masque et essuya des larmes naissantes sur ses yeux.
— Quel est votre nom ?
— Heran Veovis, je suis diplomate auprès du Haut Conseil de Ptolem.
La réponse désarçonna Elion qui s’attendait à une identité moins officielle. Il s’assit en face d’elle, la mine fermée.
— La Convention a rompu toute relation diplomatique avec l’empire depuis la dernière guerre. D’ailleurs, l’accès au territoire de la Convention est interdit à tout vaisseau ptolemien. Vous ne devriez pas être ici.
Elle comprit tout de suite le soupçon qui pesait sur elle.
— Nous avons reçu une invitation il y a plus d’un mois au prétexte de relancer les relations avec la Convention. J’ai même été désignée par l’empereur pour négocier un droit de passage par vos portes hyperspatiales. Nous sommes venus dans votre système et nous avons patienté au point de rendez-vous en orbite basse où un représentant du gouverneur devait nous rejoindre. Sauf qu’à l’heure prévue, un croiseur marchand a dévié de sa trajectoire.
Ses mains se superposèrent pour mimer ses propos.
— L’appareil s’est positionné au-dessus du nôtre et a cherché à nous pousser vers le sol. Une frégate alatide a alors fait son apparition : il a pilonné le croiseur et notre vaisseau. Tout est arrivé très vite… C’est à peine si nous avons eu le temps de monter dans une capsule de sauvetage.
Le ton de sa voix trahissait son émotion tout en contenant suffisamment d’autorité pour déstabiliser Elion. Une détonation toute proche fit tomber de la poussière tout autour d’eux.
— Avez-vous seulement une preuve de ce que vous avancez ?
— L’invitation venait de Nemrod Solidhus, il nous a d’ailleurs transmis les passes pour traverser votre hyperspatiale.
— Nemrod Solidhus ? Le gouverneur ?
— Je viens de vous le dire, il…
Elion se leva brusquement et fit quelques pas dans la cave en se massant la nuque. Heran s’interrompit et demanda :
— Vous avez été blessé par un débris ?
— Rien de ça... Je me demandais simplement pourquoi on a cherché à vous abattre si vous étiez attendu.
— Comme vous l’avez dit, un vaisseau ptolémien n’a rien à faire dans la Convention. Comme la rencontre était tenue au secret, je présume que l’armée n’avait pas été mise au courant.
Elle insista :
— Il faut absolument que j’entre en contact avec le gouverneur. L’incident va être perçu comme une attaque. La Convention dénoncera Ptolem afin de justifier une réponse armée. Et qui sait où cela nous mener ?
Elion se frotta les mains et se donna un temps de réflexion :
— Les communications ont été endommagées et ce serait trop risqué de se déplacer avec la pluie de débris. Nous aviserons demain ce qu’il convient de faire. Reposez-vous.
Heran inspira une dernière bouffée d’oxygène et se détendit tandis qu’elle s’enroulait dans une couverture. Elion attendit que la fatigue l’emporte dans le sommeil avant de quitter la cave.
Pour avoir servi dans l’armée, et en particulier au sein de la flotte, il connaissait les procédures très strictes en vigueur. Comme Alatis se trouvait juste avant la frontière avec l’empire de Ptolem, tout l’enjeu consistait à éviter un conflit pouvant potentiellement dégénérer en une guerre que personne ne voulait. Chaque camps observait ainsi la plus scrupuleuse retenue en se gardant bien d’ouvrir le feu en premier. Ce faisant, aucun vaisseau n’aurait dû ouvrir le feu envers un autre, quand bien même il s’agissait d’un appareil ennemi. En temps normal, lorsqu’une intrusion est avérée, il fallait avant toute chose tenter d’entrer en contact, faire des sommations en cas d’absence de réponse, des coups de semonce ou utiliser des technologies incapacitantes si le vaisseau ne réagissait pas, pour en dernier recours se résoudre à une attaque.
Or le récit de la diplomate augurait des événements d’une tout autre nature. Elion doutait cependant qu’elle mente sinon elle n’aurait pas demandé à rencontrer les autorités. Il ne pensait pas non plus à une erreur de commandement ou un excès de zèle de la part des pilotes, car pour en avoir lui-même été un, il connaissait la grande compétence des siens. Restait alors une hypothèse si déplaisante qu’Elion espérait se tromper.

Reptilovitch
Niveau 10
05 novembre 2019 à 14:35:41

Des cernes se confondaient au bas de ses yeux en creusant ses joues.

Attention avec ce genre de participe présent, ça casse le rythme du texte, qui est plutôt enlevé.

Dans la dynamique du texte ça devrait donner : "Des cernes creusaient ses yeux jusqu'à ses joues"

L'ensemble est efficace. Va au plus épuré, au plus pragmatique. Tu peux sacrifier la précision d'une description, surtout physique. Même si tu es attaché au fait que les cernes se "confondent" au bas de ses yeux, tu dois savoir prendre des décisions fortes, quitte à laisser quelques formulations, quelques menus détails sur le carreau. Sois plus dur. Plus implacable.

Ostramus
Niveau 24
07 novembre 2019 à 07:55:44

Hormis son appentis et un condensateur, les débris n’avaient pas fait de dégâts autour de sa maison. L’essentiel des fragments était tombé dans l’océan et une partie plus à l’est où une multitude de petits cratères illuminaient la nuit en créant des constellations de feu. Seuls quelques morceaux continuaient de tomber en une pluie de lambeaux fondus et de scories fumantes. Une odeur de cendre flottait dans l’air encore chaud et la carcasse gigantesque du croiseur crevait l’horizon azur. D’immenses colonnes de fumée noirâtres s’échappaient de l’épave au point de masquer le soleil. Elion aperçut alors dans le désert des lueurs plus froides qu’il n’eut aucun mal à reconnaître : des drones. Il estima leur arrivée à moins d’une heure, après quoi toute la région serait minutieusement quadrillée.
Un choix délicat s’offrait à Elion qui s’abandonna à ses réflexions en marchant au bord de la falaise. Il pouvait attendre la venue des drones et les laisser emporter Heran en se berçant de l’illusion qu’elle méritait son sort en tant que citoyenne de l’empire de Ptolem, le vieil ennemi de la Convention, contre lequel lui-même avait combattu. Toutefois, d’autres que lui combattraient s’il optait pour l’inaction. Il considéra d’un œil mauvais le vaisseau à moitié englouti et se dit que pour la première fois depuis longtemps, Elion pouvait faire la différence sans qu’aucun coup ne soit tiré. Peut-être même pourrait-il se racheter et ne plus être hanté à cause de ce qu’il avait fait plus d’une décennie auparavant.
Avant de prendre une décision, Elion tenait à s’assurer de la sincérité de Heran. Il remonta dans son 4x4 pour rejoindre la zone. Il dépassa le cratère brûlant de la capsule de sauvetage d’où se dégageait une odeur de chair brûlée et arriva à une plaine un peu plus en amont. Des morceaux de carlingues gisaient, encore incandescents, au fond de crevasses fumantes. Elion se rapprocha du plus gros d’entre eux et découvrir un arc de métal d’un diamètre de plusieurs dizaines de mètres dépassait du sol, celui d’un arceau de la structure d’un vaisseau. Un vaisseau de dimension modeste au vu de ses dimensions. Pour avoir piloté de nombreux appareils au cours de sa carrière, Elion n’eut aucune difficulté à deviner de quel genre d’astronefs il était question. Il n’y avait aucune armature tubulaire pour renforcer la résistance mécanique, aucune des conduites du système de survie n’était doublée, et enfin, un morceau de coque juste à côté avait un hublot. Ce dernier détail acheva Elion de se rendre à l’évidence. Il s’agissait d’un vaisseau d’agrément, inoffensif, dont la conception différait en de nombreux points d’un appareil militaire, qui, pour des raisons de robustesses et d’économie, ne possédait jamais d’ouvertures vitrées.
En traversant une large dépression, il ne trouva pas de traces de missiles, de mines ou de robots, mais seulement des caissons de matériels, du mobilier brisé et quantité de bagages éventrés au contenu dispersé. Aucune arme en vue. Il espéra tomber sur la boîte noire, mais la zone de retombée s’étendait sur des kilomètres à la ronde et les drones allaient arriver sur place d’un instant à l’autre. Cependant, il n’avait pas besoin d’aller plus loin pour savoir que ce vaisseau n’avait ni de système d’armement, ni de système de propulsion interstellaire, prouvant qu’il était forcément passé par la porte hyperspatiale.
Elion ne s’attarda pas davantage. Mieux valait ne pas être surpris au milieu de débris d’un vaisseau ennemi. Il retourna le plus rapidement possible à sa maison pour y retrouver Heran qui dormait encore. Il la secoua doucement pour lui faire ouvrir les yeux :
— Rejoignez moi dehors dès que vous serez réveillée.
Il prit une longue mallette métallique et remonta pour aller au bord de la falaise où il installa un télescope sur un trépied pour le braquer vers l’épave du croiseur. Les traits encore tirés, Heran fit alors son apparition enroulée dans une couverture,.
— Regardez, lui fit Elion en montrant l’instrument.
Elle se pencha vers l’objectif.
— Qu’est-ce que je suis sensé voir de particulier ?
— Les trous dans la coque.
Elle resta le visage collé à la lunette une longue minute avant de se redresser.
— Je ne suis pas sûr de bien comprendre.
— La vaisseaux de la Convention utilisent des canons ioniques et de ruban laser pour percer les vaisseaux adversaires ou les découper en morceaux. Quant à Ptolem, l’ équipe ses vaisseaux de combats de torpilles à proton ou de charge à plasma qui ont la particularité de désintégrer la coque des vaisseaux adverses. Les dégâts sur la coque du croiseur correspondent exactement à ce type d’armement.
Heran ouvrit grand les yeux.
— Ce n’est pas possible… balbutia-t-elle en reculant. Nous n’avons pas tiré sur ce vaisseau, et de toute manière, nous n’aurions jamais pu l’abattre avec notre armement…
— Je vous crois. Je ne sais pas exactement ce qu’il se passe, mais vous avez bien été piégé.
Son visage se para un peu plus du masque de l’angoisse. Elion lui prit les épaules et plongea son regard dans le sien.
— Écoutez-moi attentivement. Vous n’auriez pas survivre, personne ne doit vous trouver.
À ces mots, il entendit le vrombissement des drones qu’il aperçut au loin.
— Nous n’avons plus beaucoup de temps.
Il tira Heran par le bras à l’intérieur de la maison.
— Retenez ce nom : vous êtes Fabiola Nevviam, mon ex-femme. Vous venez me rendre visite pour régler un contentieux.
— Pardon ?
— Des drones sont en approche. Ils vont demander nos identités pour vérifier dans le registre d’état civil.
— Je n’ai qu’à me cacher dans votre cave.
— Ils vont détecter vos signe vitaux à distance. Enlevez votre combinaison, il ne faut pas qu’on sache que vous venez de Ptolem. Il doit me rester des vêtements de Fabiola.
Elion ouvrit une armoire et en tira des habits.
— Mettez cette tenue.
Tandis qu’elle se changeait, une sirène retentit au-dessus de la maison.
— Police centrale d’Alatis ! Veuillez sortir du bâtiment !
Elion s’entailla la main et imbiba de sang un torchon qu’il enroula autour du crane de Heran.
— Masquez-vous une partie du visage pour empêcher la reconnaissance faciale…
Elion accompagna Heran à l’extérieur de la maison en feignant la soutenir. Deux drones aussi gros d’une voiture lévitaient plusieurs mètres au-dessus d’eux.
— Veuillez décliner vos identités !
— Elion Solidhus, je vis ici.
Le drone braqua un faisceau laser sur son visage, puis fit de même avec Heran qui tituba en arrière à cause de la lumière. Elle ne parvint pas à articuler un mot.
— C’est Fabiola Nevviam, mon ex-femme.
Le laser du drone s’attarda sur le visage bandé de la femme.
— Aucun trauma détecté.
Le laser s’éteignit et le drone prit de la hauteur.
— Veuillez ne pas quitter les lieux et ne pas vous approcher des débris. Des équipes sont en route pour éteindre les incendies et porter secours aux éventuels survivants.
Les machines s’envolèrent dans le ciel d’une aube terne et moribonde. Heran chancela jusqu’au fauteuil sous la coursive où elle resta immobile la mine soucieuse. Puis, elle articula lentement :
— Elion Solidhus…
— Nemrod est mon frère, admit sobrement Elion.

Reptilovitch
Niveau 10
07 novembre 2019 à 22:06:33

L’essentiel des fragments était tombé dans l’océan et une partie plus à l’est où une multitude de petits cratères illuminaient la nuit en créant des constellations de feu

= L’essentiel des fragments était tombé dans l’océan, ainsi qu'une partie plus à l’est. Une multitude de petits cratères illuminaient la nuit en créant des constellations de feu

Un choix délicat s’offrait à Elion qui s’abandonna à ses réflexions en marchant au bord de la falaise.

= Un choix délicat s’offrait à Elion. En marchant au bord de la falaise, il s'abandonna à ses réflexions.

Ostramus
Niveau 24
09 novembre 2019 à 10:49:14

— Notre situation n’est pas préoccupante. Pourquoi, me direz-vous ? Parce qu’elle est si désespérée que nous en préoccuper ne constituerait rien d’autre qu’une perte de temps monumentale.
La voie du sénateur résonna dans l’amphithéâtre taillé dans du grès rouge. Un murmure de protestation parcourut l’assistance avant qu’une sénatrice lui réponde :
— Il serait tout autant désespéré d’entériner une guerre avec pour seul motif un incident avec un vaisseau cargo dont nous ignorons les tenants et les aboutissants.
Une salve d’applaudissements parcourut l’assemblée réunie en urgence. Nemrod observait d’un œil torve le débat depuis la tribune centrale. Il se garda bien d’intervenir et laissa les politiciens se disputer.
— Nous devrions convoquer l’ambassadeur de Ptolem et exiger des explications.
— Pour écouter leurs mensonges habituels ? Nous avons été que trop patients face à leurs provocations incessantes.
— Ils vont très certainement prétendre que nous avons tiré les premiers.
— Quand bien même, il ne manquerait plus que nous n’ayons plus le droit de défendre notre planète !
Les rangs résonnèrent de nouveaux applaudissements.
— Il faut déployer notre flotte pour prévenir la venue d’autres vaisseaux ennemis.
— Et s’il advenait que nous nous trompions ? Combien de morts paieraient pour notre précipitation ?
— Songeons plutôt au nombre de vies que nous pourrions sauver en réagissant rapidement.
— Une frégate a confirmé avoir intercepté un appareil ptolémien, il n’y a aucun doute à avoir !
Nemrod profita du vacarme pour intervenir en frappant le bois du haut son pupitre. Avec sa carrure imposante et son visage altier, il n’eut aucun mal à commander le silence.
— Je suggère en premier lieu de contacter Ptolem pour connaître leur version, et de lancer une enquête pour déterminer les causes du désastre. Chacune de vos remarques est pertinente, néanmoins il s’agirait de ne pas offrir d’argument à nos adversaires. Oublions Ptolem pour l’heure et tâchons d’enquêter sur les éléments en notre possession. À l’heure où je vous parle, un contingent de l’armée a été dépêché sur place pour enquêter. Nous aurons tôt fait de savoir dans peu de temps quelles sont les responsabilités de chacun, et alors en ma qualité de gouverneur, soyez certains que j’engagerai les moyens nécessaires pour répondre à cette attaque, si c’en est bien une. En attendant, soyez autant vigilant que modéré. La séance est levée.
L’écho de son maillet dispersa les élus. Nemrod repéra un huissier qui l’avertit d’un appel urgent en attente à son attention. Le premier d’une longue série se dit-il. Il attendit que l’amphithéâtre se vide complètement, puis accepta la communication entrante. La silhouette de son frère se matérialisa au centre de l’hémicycle.
— Elion, je suis content que tu ailles bien, je crois en effet me souvenir que tu habites pas très loin du lieu de la catastrophe. Malheureusement, je ne vais pas pouvoir te consacrer beaucoup de temps, comme tu t’en doutes, je dois gérer beaucoup de choses.
— J’ai pourtant été témoin de la chute du vaisseau cargo et des débris de l’appareil ptolémien. Je me suis dit qu’il y avait quelques détails qu’il faudrait que tu saches avant que la presse et les consuls de la Convention t’assaillent de questions.
D’ordinaire nonchalant, le ton de sa voix respirait un étrange aplomb qui piqua la curiosité de Nemrod.
— Je t’en prie.
— Ptolem ne possède pas la technologie de la distorsion, pourtant un de leur vaisseau a réussi à rallier notre système qui est à environ trois parsecs d’un de leur système le plus proche. Il aurait fallu des années, voire des décennies avec une motorisation standard pour faire le trajet. Le vaisseau a donc forcément dû passer par la porte hyperspatiale pour venir ; il serait intéressant de consulter les registres de passage pour voir qui a autorisé leur venue.
Nemrod haussa les sourcils. La remarque n’avait rien d’innocente.
— Le registre est en cours d’analyse à l’instant même, mais je doute que nous trouvions quelque chose de probant étant donné la quantité de vaisseaux qui transitent avec de faux matricules. En tant qu’ancien pilote, tu sais bien que nous ne contrôlons pas tous les vaisseaux, si bien qu’ils ont pu échapper à un contrôle ou soudoyer un douanier.
— Il se trouve que j’étais en communication interstellaire au moment où le croiseur marchand a été abattu, et la communication a cessé à ce moment-là. C’est dommage, car ce genre de satellite sert aussi à surveiller l’orbite de la planète, si bien qu’il n’a pas pu enregistrer dans les détails ce qu’il s’est passé.
— L’amiral Orlin m’a informé qu’un satellite a été détruit à cause d’un tir perdu. La liaison devrait être rétablie d’ici peu.
— Comment cela peut être un tir perdu alors que la liaison a été coupée deux minutes avant que le croiseur ne soit touché ?
L’assurance de Nemrod se déroba au profit de la surprise. Les années de politique lui permirent toutefois de contenir toute réaction et de répondre avant qu’un silence ne trahisse sa circonspection.
— L’enquête n’a pas encore débuté, mais je suis sûr que cette anomalie dans la chronologie des faits trouvera son explication.
— Je présume que l’enquête détaillera également comment le croiseur marchand a pu essuyer des tirs de torpilles de la part d’un vaisseau ennemi qui n’en possédait pas.
Nemrod leva un index vers son frère, la mine grave.
— Maîtrise ta parole, ce n’est pas prudent de tenir de telles d’absurdités en pareil instant.
Elion le dévisageait d’un air suffisant. Il s’agissait de faire preuve d’astuce.
— Je ne dis pas que tu soulèves des points intéressants et je te remercie de me faire part de tes réflexions, seulement je me dois te dire que tes insinuations sont insensées.
— Tu auras pourtant du mal à maquiller ce que n’importe quel balisticien sera en mesure de confirmer.
— Si tant est qu’on donne du crédit à ta parole.
Un rictus traversa le visage d’Elion qui se raidit subitement. Sa respiration s’intensifia et il fusilla son frère du regard.
— Disons que ce n’est pas la première fois que tu fais une erreur d’appréciation. La parole d’un pilote qui causé la mort de son équipage à cause d’une manœuvre maladroite en confondant un débris métallique avec une mine tactique ne vaut pas grand-chose.
— La commission a retiré toutes les charges contre moi. Ça n’avait rien d’un exercice, et je ne pouvais pas manœuvrer autrement dans ce champ d’astéroïdes. Tu le sais très bien !
— Ce que je sais, c’est que tu es incapable de prendre les commandes d’un vaisseau depuis. Et tu voudrais qu’on croit à tes élucubrations ?
Elion vacilla, accablé par le poids de ses angoisses et de ses mauvais souvenirs. Il marmonna quelques mots incompréhensibles avant de s’asseoir.
— C’est bien ce qu’il me semblait, reprit Nemrod, tu viens seulement parce que tu t’ennuies dans ton désert depuis que Fabiola est partie et que tu cherches à te rendre utile.
Il marqua un temps.
— Je suis désolé de te dire ça, mais ne te préoccupe pas de ce qui te dépasse.
Elion releva la tête et lui lança un regard noir. Il coupa la communication et son image de dissipa. Nemrod demeura immobile au milieu de l’amphithéâtre silencieux en repensant à chaque mot qu’ils avaient échangé. Il se forgea une certitude désagréable : d’une manière ou d’une autre, Elion savait.
Nemrod esquissa un sourire et se dit que finalement, il tenait l’occasion qui lui avait toujours fait défaut.

Ostramus
Niveau 24
11 novembre 2019 à 11:05:54

Sitôt l’hologramme coupé, Elion se dirigea vers la fenêtre du salon aux carreaux cassés. Il apercevait déjà l’éclat argenté des drones qui revenaient dans leur direction.
— Nemrod n’a pas perdu de temps, marmonna-t-il la mâchoire serrée. Il faut partir. Tout de suite.
Heran le regarda interloquée.
— Où ça ?
— Suivez-moi.
Elion la tira dans la cave sans attendre. Il rassembla quelques affaires avant de faire coulisser un panneau de métal qui révéla un escalier taillé dans la roche. Après avoir laissé passer Heran, il referma derrière eux la paroi en actionnant un vieux loquet. Puis, ils descendirent les marches qui s’articulaient autour d’un puits au fond duquel émanait une lueur bleutée.
— C’est assez inhabituel d’avoir une telle installation sous sa maison, remarqua Heran.
— Ça date de la dernière guerre quand Alatis a été occupé par Ptolem. Nous n’avons d’ailleurs jamais vraiment compris le but de ce type d’installation. Apparemment, il s’agissait d’une sorte de station de pompage comme d’autres le long de la cote, mais seul le puits a été creusé ici.
— L’objectif était de construire des centrales de désalinisation pour irriguer le désert et à terme le cultiver.
Elion médita brièvement la réponse de Heran.
— Ptolem manque de nourriture ?
— La situation n’est pas catastrophique, mais reste problématique. Nous sommes plus peuplés que vous tout en ayant moins de systèmes habitables. Autant les ressources minières ne manquent pas, autant nous faisons régulièrement face à des pénuries de denrées alimentaires, même avec l’hydroponie. Terraformer une planète demande plus d’effort, de moyens et de temps que de conquérir une planète déjà vivable et de l’exploiter.
— Un calcul qui ne prend pas en compte le coût humain.
— Les pertes sont inférieures à celle que nous subissons à cause du rationnement et des famines à répétition.
— Je l’ignorais.
— Tout simplement parce que Ptolem est trop fier pour l’admettre tandis que la Convention n’a pas intérêt que ça se sache pour éviter de susciter l’empathie à notre égard. Voilà pour nous avions accepté l’invitation de votre frère Nemrod, car il est vital que nous puissions ouvrir de nouvelles routes commerciales afin de nous approvisionner.
Ils débouchèrent dans une large grotte en partie immergée. Une ouverture sur l’océan laissait pénétrer la lumière qui se rependait sur les parois rocheuses sous forme de reflets ondulés. Au centre, un bateau flottait au milieu d’un amas de débris. Le raz-de-marée avait inondé la grotte, mais heureusement la taille de l’ouverture avait empêché des dégâts trop importants. Elion examina anxieusement l’embarcation. Si l’habitacle avait été arraché par le raz-de-marée, la coque, le moteur et le panneau de commande semblaient en bon état. Le reste de son matériel dans la grotte avait été emporté par le courant.
— Nous allons dans l’épave. Nous avons quelques heures devant nous avant que l’armée n’arrive sur place. Il faut que nous les devancions pour récupérer la boîte noire du croiseur. Les données du bouclier seront en mesure de montrer la signature énergétique des armes ayant frappé le champ de force, et alors il n’y aurait aucun doute possible.
— Et les drones ?
Elion sortit de son sac son ordinateur et lança un programme. L’image de sa maison s’afficha pour montrer une demi-douzaine de drones en train de virevolter autour des débris. Elion pressa un bouton et prit le contrôle à distance de son 4x4. Le véhicule fracassa les portes de l’appentis avant de s’élancer vers le sud dans un nuage de fumée. Quatre drones se lancèrent à sa poursuite dans la seconde. Puis, Elion entra plusieurs lignes de codes et une machine proche des escaliers se mit à vrombir, après quoi un geyser perça en surface à côté de l’appentis.
— Vous comptez les noyer ?
— Ce n’est pas de l’eau, mais le carburant du bateau que je pompe en surface.
Elion alors enfonça une autre touche. La flaque à peine formée s’embrasa. Une énorme boule de feu happa les drones avant d’atteindre la caméra qui cessa d’émettre. La voûte de grotte trembla, accompagnée d’un grondement sourd.
— Vite, montez.
Heran grimpa dans le bateau, suivie d’Elion qui se plaça à la barre. Le moteur émit une vibration avant de dissiper un murmure mécanique. Heran défit les attaches, et se cala sur son siège, les mains crispées. Elion manœuvra délicatement et ils quittèrent la grotte.
Ils s'élancèrent sous l'augure d'un soleil puissant qui donnait un éclat argenté aux remous de l’océan calme et turquoise, dont seule l'épave gigantesque du croiseur venait crever l'horizon.
— On va longer la falaise en contre-bas en passant par l’ouest et ensuite on ira directement à l’épave. Même s’ils nous détectent, on aura assez d’avance.
Elion laissa la fraîcheur de l'eau et le souffle tiède s'engouffrer dans ses vêtements à mesure qu'ils prenaient de la vitesse. Il ne tarda pas à remarquer la présence d'autres navires en raison des lignes d'étraves qui sculptaient l'eau et des éclats ponctuels de lumière provoqués par les reflets impromptus de l'astre diurne sur l'acier des coques.
— Nous ne sommes pas seuls dans les environs.
— Nemrod a déjà pu envoyer des navires ?
Elle désigna plusieurs navires qui gravitaient autour d'autres débris à quelques centaines de mètres.
— Impossible, ce doit être des curieux ou des pillards.
— Ils représentent un danger ?
— Au contraire, ça sera plus difficile pour nous retrouver.
Il fit dévier leur navire pour contourner une série de contenairs qui dérivaient pour reprendre de l'élan en direction du vaisseau marchand.
À mesure qu'ils progressaient, Elion ne put s'empêcher d'être impressionné par la masse cyclopéenne du vaisseau, laquelle commençait presque à les écraser. Bien qu'étant à moitié englouti, le croiseur adoptait l'allure d'une île gigantesque, faite de métal, dont les arrêtes oblongues et la structure géométrique composaient une silhouette à la fois grotesque et dérangeante. Les frappes sur la coque et les traînées calcinées sur les parois renforçaient l'impression de malaise chez Elion dont la mémoire amena à faire flotter à la surface de sa conscience des images terribles de conflits révolus.
Il chassa ces souvenirs et se reconcentra sur l’épave. Il reconnut l’insigne du Consortium du commerce.
— Le Consortium doit être impliqué, dit Heran songeuse.
— Qu’est-ce qui vous fait dit ça ?
— Vous connaissez mieux Alatis que moi, mais je pense me tromper en disant que ce n’est pas un monde ayant une importance commerciale de premier plan. Ce type de vaisseau croise généralement sur des lignes intérieures entre des mondes bien plus stratégiques économiquement parlant.
Elion pencha la tête et plissa des yeux.
— Je ne vois pas où serait l’intérêt de participer à un plan consistant à provoquer une guerre, car l’armée réquisitionnerait leurs vaisseaux pour mobiliser des troupes et déplacer du matériel.
— Au contraire, le Consortium se plie actuellement aux lois de la Convention, et est donc forcé d'utiliser les portes hyperspatiales pour voyager entre les systèmes. Seuls les vaisseaux de l'armée sont dotés de moteur distortionnels, et ont le droit de l'utiliser. Ainsi, s'ils s'emparent le temps d'une guerre de vaisseaux marchands, il y a fort à parier qu'ils installeraient des moteurs à distorsions pour s'affranchir des portes. Après la guerre, même si des dizaines de vaisseaux étaient détruits, le Consortium parviendrait quand même à récupérer des appareils avec la distorsion. Les marchands n'auraient alors plus à payer les péages hyperspatiaux ni à se soumettre au contrôle des flux de la Convention, qui se retrouverait alors ruinée en quelques années, tandis que les marchands se retrouveraient plus riches qu'ils ne le sont déjà.
— Où est l’intérêt de Nemrod dans toute cette histoire ?
— Devenir immensément riche, jouer sur les deux tableaux lors de la guerre pour prendre le pouvoir sur Alatis en profitant de la guerre entre la Convention et Ptolem pour avoir les coudées franches, ou alors gagner en influence afin de ne plus être gouverneur d’une planète désertique de la bordure et diriger plusieurs systèmes, pourquoi devenir Consul. Les opportunités politiques seraient multiples.
Des engrenages occultes se déverrouillèrent avec une épouvantable évidence dans l'esprit d'Elion. Les largesses que Nemrod s’était autorisé sur l’armée, la manière dont il imposait son autorité au sénat, et ses réponses évasives lui apparurent sous un jour aussi sombre que nouveau.
Une ombre immense dans le ciel tira Elion de son écœurement. Une frégate de l’armée planait au zénith de leur position. Heran regarda préoccupée l’appareil planer à plusieurs kilomètres d’altitude.
— Ils vont nous tirer dessus ?
— Je ne pense pas. Ils viennent chercher la même chose que nous et ne prendront donc pas le risque de perdre la boîte noire dans le fond marin. Ils vont sûrement déployer des navettes pour établir un périmètre afin que personne ne puisse s’approcher.
— Quand est-ce qu’ils seront là ?
Elion se remémora les procédures et tenta une approximation en scrutant le vaisseau dont l’aura bleuté à la quille trahissait l’activation de ses sustentateurs gravitationnels. Trop de variables se bousculaient dans sa tête alors accablée par la chaleur et l’angoisse.
Il se revit, des années auparavant. Le temps lui avait fait défaut si bien qu’il n’avait pas pu anticiper correctement la trajectoire de son appareil. Tout s’était joué avant même de comprendre qu’il ne pouvait rien faire.
À ce moment, tandis qu’ils s’apprêtaient à atteindre l’épave, la situation n’avait plus rien à voir. Elion réprima ses veilles peurs pour savoir s’ils devaient faire ou non demi-tour. Il respira profondément et étudia un bref instant la nuée de petits appareils en formation dans le ciel et la taille du croiseur marchand à moitié englouti. Il traça mentalement une multitude de lignes et de vecteurs, pris en compte les obstacles potentiels, et rapidement, il s’arrêta sur une estimation qui lui paraissait fiable.
S’ils ne faisaient pas d’erreur, ils disposaient d’une minuscule marge de manœuvre.

Ostramus
Niveau 24
14 novembre 2019 à 13:21:01

La masse de l’épave s'imposa à leur regard dès la seconde où ils posèrent les pieds sur la coque rutilante. Le vaisseau formait une île improbable sans la moindre arrête, pour présenter à la fois des courbes et des angles tordus aux endroits des impacts. Elion fut surpris de ressentir un certain plaisir à évoluer sur l'acier étincelant, détaillant le paysage désolé qui s'offrait à lui. La beauté de la géométrie, l'odeur de l'air chauffé et le vent qui soufflait sur son visage lui rappelaient ses meilleures années de service. Il revit le visage d'amis, et repensa à des missions aussi dangereuses que passionnantes. Une fière carrière qu'il avait brisée à un instant à cause d'une mauvaise manœuvre. S'il n'avait pas pu sauver tout son équipage, au moins pourrait-il sauver Alatis d'un conflit inepte…
Elion sortit de son sac deux oreillettes, pour en mettre une dans son oreille et donner l'autre à Heran, qui l'imita.
— Allez à la timonerie pour consulter le journal de bord, reprit Elion. Une fois sur place, vous irez au poste d'ingénierie, et de là vous m'aiderez à distance tandis que je serai dans le noyau central pour accéder à la boîte noire.
— Je suis diplomate, pas technicienne. Je ne sais pas si je pourrais vous aider…
— Vous avez été formé pour manœuvrer les capsules de secours normalement.
— Oui, mais là le vaisseau est beaucoup plus grand.
— Vous devriez pouvoir vous débrouiller, l'interface des vaisseaux marchands est assez simple en général. Au pire, je vous guiderai.
Heran afficha une mine peu sereine et se contenta d'acquiescer. La diplomate vérifia que son oreillette était bien positionnée d'une main peu assurée, puis elle s’éloigna. Elion la regarda s'éloigner avec appréhension, puis il se détourna et entama une marche sur la carlingue de la machine.
S'étant enfoncée dans les eaux pour s'ancrer dans le fond de l'océan, l'épave penchait d'une dizaine de dégrée vers bâbord. La surface métallique lisse, la déclivité et la lumière vive contrariaient la progression d'Elion. Cependant, il n'avait rien perdu de son équilibre, et il courrait sur l'acier en évitant les petits obstacles tels que les bouches des condensateurs, les antennes de capteurs et les sorties de rétrofusées. Elion scruta les parois métalliques, avançant avec précaution sur le sol glissant, dévia sur une courbe de la coque, puis remonta vers l'axe central.
— Je viens d’arriver sur la passerelle principale, avertit la voix de Heran dans l'oreillette. Comment ça se passe de votre côté ?
— Je cherche les panneaux d'ouverture des capsules de secours, normalement il devrait y avoir une ouverture manuelle à l'extérieur.
Telle une incantation, sa parole se doubla de la découverte d'une succession de plaques d'un métal différent. Elion identifia le loquet de secours. Il retira les chevilles d'acier, et trouva la poignée. Il cala ses pieds, s’empara de la manette, et puisa dans sa force pour faire céder le mécanisme. Un piston lâcha, et la goupille de sécurité éclata. Elion put accéder à la console, et activa l'ouverture.
Plusieurs jets de gaz jaillirent du sol brillant. Une capsule de sauvetage surgit de la coque. La pression emporta des écrous et les panneaux se retrouvèrent propulsés dans les airs. Elion roula sur le côté en se bouchant les oreilles et en protégeant son visage. Il regarda l'engin flotter dans le ciel vif avant de se précipiter dans l'océan. Elion eut à peine le temps de se relever que déjà, les marchands fondaient sur la capsule tandis que les drones se dirigeaient vers lui. Il ne réfléchit pas et sauta par réflexe dans l'ouverture.
Elion glissa le long des murs. Il tenta de trouver une prise, de s'accrocher à une jointure, mais ses mains rencontrèrent le vide, et il chuta lourdement au centre d'une pièce sombre. Il hurla en sentant ses muscles et ses os se comprimer.
— Tout va bien ? demanda Heran.
Le souffle coupé, Elion se mit sur le dos en massant ses membres.
— Je suis entré…
— D'accord, de mon côté, je vais essayer de me brancher à une unité de secteur pour télécharger les plans du croiseur.
— Bonne idée.
Elion s'autorisa un moment pour digérer la chute. La pénombre et l'inclinaison de l'épave empêchaient de trouver de repères. Le sol et le plafond se confondaient pour former un paysage de plateformes et d'ouvertures composites. Elion se releva, et tenta de s'orienter. Il chaussa une lampe frontale qu'il alluma, et commença par l'exploration d'un long couloir qui s'enfonçait dans les ténèbres.
Une sonnerie retentit sur sa tablette. Il venait de recevoir les plans de l'appareil. Tout en progressant maladroitement, il parvint à déduire sa position, à savoir au milieu du vaisseau, dans la double coque longeant la soute centrale. La conception ne différait pas beaucoup des porte-nefs ou des cargos militaires qu’il connaissait bien. Il rangea donc sa tablette, et se laissa tomber dans une autre salle, cette fois-ci en anticipant mieux sa réception.
Une succession de passerelles se devinèrent à la lueur de la lampe. Il s'agissait d'une galerie de services déformée par la chute du vaisseau.
— Préparez-vous, souffla Heran.
— À quoi ?
Le néant se défaussa la seconde suivante pour se muer à un torrent de lumière. Elion vacilla.
— J’ai réussi à réactiver certains systèmes.
— Lesquels ? fit Elion et clignant des yeux.
— Pour le moment, l'énergie. L’alimentation auxiliaire fonctionne encore dans certains secteurs.
— Vous avez trouvé le poste d'ingénierie ?
— Oui, mais une partie des corridors qui y mènent a été détruite. Je vais essayer de contourner en passant par les ponts inférieurs.
Les yeux d'Elion finirent par s'accommoder à la lumière pénétrante. À présent, il voyait bien mieux les portes, les murs, et appréciait mieux cet univers penché. Il fila sur une passerelle à moitié fondue, et emprunta une série d'escaliers. Plusieurs corps de l'équipage ponctuèrent son chemin. La plupart gisaient contre un mur, dans des positions précaires. Si Elion avait déjà parcouru des champs de bataille, les membres désarticulés des cadavres nourrirent en lui un malaise qui se conjuguait à l'angoisse d'être découvert.
Il veilla à garder les idées claires et déambula une dizaine de minutes, passant dans des salles sombres et d'autres remplies de contenairs renversés.
Il finit par pénétrer dans la soute principale, alors privée de lumière. Le volume était si vaste que sa lampe frontale échoua à éclairer ses parois. En revanche, le faisceau rencontra une masse d'eau silencieuse. Elion soupira en comprenant qu'il avait atteint le point le plus bas de l'épave. La salle des machines était parfaitement inaccessible.
— Qu'est-ce qui se passe ? s'enquit Heran.
— L'eau s'est infiltrée trop en amont. Même en retenant mon souffle, la boîte noire est trop loin pour que je puisse l’atteindre.
— De mon côté, je viens d'entrer dans la salle d'ingénierie, il y a bien quelque chose que je puisse faire pour vous aider. On ne peut pas pomper l'eau ?
— Non, il doit avoir des brèches énormes dans la coque sous l'eau, ça serait sans effet.
— Vous avez accès à la console ?
— Je crois que oui, elle ne semble pas endommagée.
— Lancez un audit du système, tâchons déjà de savoir ce qui marche encore.
— Je vais brancher mon terminal et essayer de vous envoyer les données.
Pendant que Heran s'affairait, Elion en profita pour s'approcher de l'eau. Il se surprit à apprécier le calme dans l'immense soute, profitant du murmure du liquide qui léchait les parois et de la fraîcheur de l'air humide. Il goûta à nouveau à ce plaisir fait de silence et de ténèbres auquel il avait goûté dans sa jeunesse dans l'espace et qui avait motivé sa carrière de pilote. Paradoxalement, il avait rejoint l'armée pour se délecter de la quiétude du vide sidéral.
L'écran de la tablette brilla.
— Je crois que j'ai trouvé quelque chose, dit Heran. Vous devriez recevoir une modélisation.
Elion activa l'hologramme de son ordinateur et une représentation du croiseur se dessina devant lui à la surface de l'eau tel un spectre vaporeux surgissant des flots. L'épave se présenta dans son état actuel, à moitié engloutie, la coque constellée d'impacts. Elion remarqua que le vaisseau s'était coincé sur un plateau sous-marin et que de nombreuses sections clignotaient pour indiquer une panne majeure, un dysfonctionnement ainsi que les parties détruites. Pourtant, l'architecture principale apparaissait encore en bon état, avec encore un des générateurs en état de fonctionnement. Si le croiseur s’avérait incapable de voler, plusieurs systèmes pouvaient encore fonctionner. Elion promena son regard sur la modélisation et vit le noyau central dans la partie immergée.
— Elion j'ai un problème.
— Je ne vois rien de mon côté.
— Ce n'est pas ça, j’entends des bruits de pas. J’ai l’impression qu’ils sont nombreux.
— Ils sont loin de vous ?
— Peut-être… ça raisonne dans les la galerie. Je n’en sais rien !
— Vous pouvez verrouiller l’accès ?
— Pas de ma salle. Cela dit, je peux fermer certaines portes en amont histoire de les ralentir. Je ne sais pas combien de temps ça nous donne.

Ostramus
Niveau 24
14 novembre 2019 à 13:21:16

Heran n’avait pas suggéré de partir. Tout autant qu’elle pouvait être diplomate et ptolémienne, Elion dut reconnaître qu’elle se distinguait par un calme remarquable.
La modélisation du vaisseau apparut à Elion comme un puzzle complexe et coloré sans la moindre indication. Il abandonna l'idée d'isoler la soute et la salle des machines pour refaire fonctionner des pompes, et se concentra sur une solution plus radicale. Il avait été formé pour faire face à des situations d'urgence dans l'espace, non en pleine mer. Elion puisa dans ses souvenirs qu'il avait eu tant de peine à enfouir, et repensa aux mesures d’urgence, notamment en cas de brèche dans la coque. Quand l'atmosphère s'échappait dans l'espace sans possibilité de restaurer le confinement, il demeurait l'ultime solution de modifier la nature du bouclier du vaisseau pour le transformer en champs de force afin de maintenir une pression et une atmosphère viable autour de l'appareil.
— Le bouclier, s'exclama Elion. Il marche encore ?
— Oui, mais je ne...
— Activez-le !
Heran ne discuta pas et s'exécuta. Elion sentit une secousse traverser le sol suivi d'un vague écho mécanique qui filtra dans l'air. L'hologramme scintilla sous l'effet des alarmes trahissant les cours-circuits et les surtensions dans de nombreux secteurs. Puis, une membrane immatérielle se matérialisa pour enchâsser le vaisseau dans un œuf de lumière.
— Le système de survie devrait automatiquement expulser l'eau !
Elion sentit un poids dans sa poitrine. Il ignorait la nature des dommages subis et la manière dont les dispositifs de secours avaient résisté au choc. L'attente lui fit revivre cette poignée de seconde terrible. Après avoir brusquement changé le cap de son vaisseau pour éviter un astéroïde, le temps avait suspendu son vol. L'instant d'après, le vacarme des alarmes avait envahi la cabine comme autant de cris de ses camarades morts, asphyxiés dans le néant stellaire.
Cette fois-ci, le silence se perpétua, et une simple notification agrémenta l'hologramme. L'eau descendait. Le niveau au sein de la bulle commençait déjà à être plus bas que celui de l'océan. Ravi, Elion s'avança et constata du remous dans la masse liquide, qui diminuait.
— Enclenchez les pompes en complément, transmit-il à Heran. Ça devrait accélérer la procédure.
Son ordre se heurta à l'absence de toute réponse.
— Heran, vous me recevez ?
Un frisson parcourut les membres d’Elion. Le cauchemar se répétait : une nouvelle fois il perdait le contact.
— Heran !
Son nom résonna dans la soute un long moment avant que le reflux de l'eau ne le couvre. Elion sentit sa respiration s'accélérer et la sueur perler dans son cou.
— Elion... vous m'entendez ?
La voix n'était qu'un souffle dans l'oreille d'Elion. Soulagé de l'entendre, il soupira.
— Heran, que se passe-t-il ?
— Ils ont fait sauté les portes, j'ai dû quitter la salle. J'ai saboté le panneau de commande pour nous donner du temps. Maintenant, ils me cherchent.
— Tout va bien ?
— Oui, je ne sais pas très bien. J’ai les jambes qui tremblent.
— Où êtes-vous ?
— Je dois être près de la cantine.
Elle marqua un temps.
— C'est horrible, il y a des corps partout... Dépêchez-vous de récupérer les données Elion.
Ce dernier tenta de retrouver son calme et se mit en marche. L'eau se retirait rapidement, laissant une succession de flaques et de ruissellements. Elion s'aida de l'hologramme pour s'orienter et remarqua que le niveau avait déjà baissé d'un quart.
Il quitta une pièce remplie de cylindres métalliques, puis s'aventura dans la salle des machines. Un enchevêtrement complexe de tuyaux, de turbines et d'engrenages composaient un agrégat de mécanismes précis. Malgré l'eau, les engins continuaient de fonctionner au rythme d'un râle puissant et régulier. Le parfum de l'acier brûlant et du plastique à vif envahit les narines d'Elion qui scrutait chaque machine.
Au centre du labyrinthe bruyant et fumant, il identifia un cube cuivré où convergeait un réseau de câbles. Des arcs électriques se manifestaient par moment sur les parois de la masse sombre tels des fouets de lumière.
Elion en esquiva plusieurs et parvint à l'unité centrale. Il retira le panneau de protection pour découvrir une interface rudimentaire, un simple écran accompagné d'un clavier et de plusieurs ports de branchement. Elion inséra une clé de mémoire, et commença à consulter les rapports de vol.
— Vous en êtes où ? chuchota Heran.
— J'y suis presque, je fais le tri, je ne peux pas tout télécharger.
Une série de chiffres et de données s’affichèrent sur l'écran. Le rapport d'absorption d'énergie indiquait clairement une compensation due à des impacts protoniques. Elion lança la copie des fichiers presque à regret. Il trouva une série d’archives vidéo des senseurs. Les quelques extraits qu’il consulta au hasard se révélaient accablants. Une partie de lui aurait voulu qu'il ne trouve rien, et que le récit de Heran ne soit que pure invention. Hélas, il avait sous les yeux l'implication de son frère et des marchands.
— Elion, ils m’ont trouvé.
Il se crispa.
— Vous pouvez vous cacher ?
— Non, je suis dans un atelier attenant, il n’y pas d’autre porte.
Elion entendit dans son oreillette le bruit caractéristique d’un chalumeau au plasma en train d’attaquer la paroi. Il n’eut pas le temps de répondre qu’une explosion retentit. Heran hurla quelque chose. La communication cessa.
— Heran, vous encore là ? Heran !
Le cœur serré, Elion attendit quelques secondes, mais aucune réponse ne lui parvint.
Le cœur serré, Elion attendit quelques secondes, mais aucune réponse ne lui parvint.
Un éclat de lumière transperça la pénombre. Elion crut à un arc électrique, mais l’unité centrale éclata en plusieurs morceaux. Elion recula et fit volte-face. Un homme grand, mince, vêtu d'un par-dessus aux couleurs du Consortium s’approchait d’un pas lent. Les éclairs illuminaient son visage en donnant à sa peau lisse et glaciale l’apparence de la porcelaine. Armé d’un phaser, il tenait en joue Elion.
Elion esquiva un tir en se jetant sur le sol. Il regarda impuissant le rayon s’écraser sur la clé mémoire qui se brisa en plusieurs morceaux incandescents.
— Nous venons de capturer votre complice, déclara le marchand d’un ton serein. Je tâcherai de me montrer clément si vous consentez à vous rendre.
Elion rampa derrière un panneau pour éviter une autre salve de laser. L’homme lui barrait la route vers la seule issue. Ce dernier le surprit et tendit le canon de son arme vers lui.
— Vous avez de la chance d’être le frère de Nemrod, si ça ne tenait qu’à moi, je vous aurais coulé dans l’océan.
Soudain, un nouvel arc se tordit. Le bras de lumière fendit l’air pour s’abattre sur le phaser. Le marchand grimaça, mais ne lâcha pas son arme. Elion en profita pour passer sous la rambarde et se laisser tomber dans le néant. Il retint son souffle, contracta ses muscles et orienta ses bras en avant pour amortir le choc. Heureusement, la chute fut moins grande qu’à l’entrée du vaisseau, et il tomba sur une autre passerelle en contre-bas. Une pluie de laser s’abattit tout autour de lui, si bien qu’il roula sur le côté pour rejoindre les ténèbres. Il atterrit sur un énorme condensateur qui se tordit sous son poids.
Les membres meurtris, Elion demeura figé sur le dos. Le silence et la douleur l’enveloppèrent. Il tenta de réguler sa respiration, et put deviner les paroles du marchand résonner dans l’immense salle des machines.
— Coupez le bouclier !
Le léger vrombissement qui parcourait le vaisseau se dissipa. Elion écouta avec inquiétude chaque son, chaque grincement de l’épave. Puis, un bruit semblable à une longue plainte envahit l’appareil. Elion se tourna sur le côté, et déjà, il aperçut à la lueur de sa lampe un torrent d’eau l’encercler. Il ignora ses blessures et se releva sans attendre.
Elion plongea dans l’eau, se laissa submerger et tenta de nager vers le fond de la salle de machine. Il trouva une échelle de service, mais dans la précipitation, ses doigts glissèrent et il manqua sa prise.
Elion se força à garder son sang-froid. Il se remémora les consignes de survie en vol. Lorsque la pression de l’air ou la gravitation poussaient le corps, il y avait des moyens pour reprendre le contrôle de sa trajectoire. Être à la dérive dans l’eau revenait à flotter en impesanteur.
Cependant, des décennies le séparaient de l’armée, et la douleur l’empêcha de maîtriser sa dérive. Elion commença à paniquer et à manquer d’air. Le courant l’emporta dans une galerie. La puissance de l’eau secoua son corps et le fit heurter quantité de débris. Elion se retrouva aspiré vers le bas. Malgré toute la force qu’il donnait pour se dégager et nager, l’eau continuait à l’entraîner vers le fond.
Lentement, Elion sentit son esprit sombrer. Ses bras se perdirent dans le vide agité de l’océan. La froideur s’insinua en lui à mesure qu’il perdait conscience et que l’eau remplissait ses poumons.

Ostramus
Niveau 24
16 novembre 2019 à 11:26:17

— Perte d’atmosphère à tribord !
Le vaisseau fit une brusque embardée et dévia de son assiette.
— Verrouillez les compartiments étanches, compensez la pression !
Une nouvelle alarme retentit dans la timonerie. Le radar indiqua un énorme rocher en approche, et d’autres objets à proximité. Impossible de tous les éviter. Elion n’avait pas le choix. Il contourna le plus gros pour plonger vers un astéroïde qui tournoyait dans le vide en espérant que la coque supporterait la collision. Il tenta une manœuvre d’évitement, mais il ne put échapper à la masse. L’appareil la frappa de plein fouet avec une violence inouïe. La gravité artificielle s’arrêta brusquement et les alarmes redoublèrent d’intensité.
— Perte d’atmosphère dans la soute, indiqua l’ordinateur de bord.
— Où en est le bouclier ?
— Nous l’avons perdu !
Un nouvel impact secoua l’appareil.
— Perte des sections de poupe.
L’hologramme de l’ordinateur représenta le vaisseau coupé en deux avec tout l’arrière qui s’éparpillait dans le vide sidéral.
— Major, redressez l’appareil ! hurla le capitaine.
Elion tira sur le volant.
— Vite, redressez!
Elion voulut changer la trajectoire, mais ses mains n’avaient plus de force.
— ¬Redressez !
Il ne sentait plus ses bras.
— Redressez-vous, monsieur Solidhus.
Le panneau de commande se dissipa pour laisser la place à une série d’écrans qui le dominait. Un homme en blouse blanche se tenait à côté, et l’observait d’un air grave. Elion soupira pour chasser les restes de l’affreux souvenir et tenta de s’accrocher à la réalité.
— Monsieur Solidhus, redressez-vous je vous prie.
Désorienté, Elion s’exécuta et s’assit machinalement sur son lit. Il voulut se masser le visage, mais s’aperçut qu’il était sanglé.
— Qu’est-ce que…
— Laissez-vous faire, vous êtes encore faible.
Elion tenta de se débattre, mais il manquait de souffle et de la mélasse semblait avoir remplacé ses muscles. Il ne distingua que des formes lactescentes s’affairant autour de lui. Quelqu’un lui saisit le bras pour le tirer hors du lit et l’asseoir dans un fauteuil roulant.
— Où est-ce que vous m'emmenez ? bredouilla Elion péniblement.
— Il veut vous voir.
Le fauteuil s’anima pour traverser une pièce aux dimensions indistinctes. Trop faible, Elion se laissa transporter à travers des couloirs pour atterrir dans une grande salle vide. Sa vue s’accommoda à la lumière, et il découvrit un large bandeau vitré donnant sur le vide sidéral illuminé par l’atmosphère arquée d’Alatis. Il commença à reconnaître le paysage ocre de la planète tout en ressentant un terrible malaise en réalisant qu’il se trouvait à bord d’un vaisseau flottant dans le néant.
Ébloui et troublé, il remarqua dans un second temps la silhouette bleutée de Nemrod. Son frère s’avança pour se planter face à lui en contre-jour. Elion ne perçut de lui qu’une tâche floue qui s’approcha de son fauteuil. Il congédia le factotum d’un geste et s’approcha. Son visage sévère se fit plus net.
— Ton état me rassure. Le médecin a rencontré toutes les peines du monde pour t’éviter un sort funeste.
— Ne fais pas semblant, articula Elion la bouche pâteuse, ça t’aurait bien arrangé que je disparaisse.
— Je reconnais bien la vieille logique militaire qui consiste à détruire toute forme de menace. Vois-tu, en politique, il est plus efficace d’utiliser les menaces comme des outils. Et puis, tu restes mon frère malgré tout.
— En ce cas, crois bien que je ferai tout pour mettre à jour ta trahison envers la Convention.
Nemrod ne sourcilla pas. La somme de toutes ses ambitions faisait de son visage un chef d’œuvre d’équanimité, si bien qu’il était impossible de décrire le sentiment qui pouvait l’animer.
— De nous deux, la position du traître te revient davantage pour avoir comploté avec une espionne ptolémienne.
— C’est complètement faux !
— Tu as détruit des drones de l’armée, aidé une ennemie de la Convention, et ensemble, vous avez pénétré un périmètre interdit. Cette prétendue ambassadrice a eu accès aux commandes du croiseur, et la boîte noire du vaisseau a été anéantie suite à ta visite dans la salle des machines. Aussi, tu pourras fort bien m’accuser de tous les maux, mais tu n’as pas un semblant de preuve et avec un tel comportement, ton procès ne durera pas une semaine.
— Personne ne croira à une chose pareille compte tenu de mes états de service.
— Des états de service malheureusement entachés par la destruction malencontreuse d’une frégate qui avait causé la perte de presque tout l’équipage, et surtout, avait permis à l’époque à une flotte ptolémienne de franchir nos lignes. J’y vois plutôt une circonstance aggravante. Et ôtes-toi l’idée de te servir des médias comme tribune, comme tu dois d’en douter, les principaux canaux appartiennent au Consortium.
Nemrod se pencha vers son frère.
— Mais ne t’inquiète pas, tu devrais pouvoir obtenir une place au bagne sur les mines de Valorum.
— Qu’arrivera-t-il à Heran ?
— Le sort de Madame Veovis sera fonction de tes déclarations devant la cour. Je ne saurais te conseiller de lancer des accusations hâtives à l’égard du gouverneur pacifique s’efforçant de préserver la paix aux abords de la Convention.
À la fois accablé et déçu, il évita le regard de Nemrod pour le perdre dans les astres qui glissaient sur la chape d’ombre à mesure que le vaisseau se déplaçait. Dans un premier temps, il crut que ses sens le trompaient. Pourtant, il plissa des yeux et découvrit une vaste silhouette occulter l’ouverture. L’épave étincelante du croiseur marchand flottait à la manière d’un cadavre épinglé sur une toile d’ébène.
Nemrod se retourna et passa ses mains derrières son dos.
— Je dois avouer que je suis reconnaissant de ton intrusion. Sans toi, nous n’aurions pas eu l’idée de réactiver le bouclier.
Elion ouvrit la bouche pour répondre, mais le spectacle d’une telle masse d’acier le condamna au mutisme. Il observa dans le plus absolu silence l’imposante machine se diriger vers une série d’anneaux étincelants en orbite.
— Le Consortium s’est montré très diligent. Il a accepté de nous prêter des vaisseaux pour tracter l’épave, indiqua Nemrod d’un ton égal. Elle va être expédiée à Quossade par les portes hyperspatiales pour analyse.
— Pour être dépecée et effacer toute trace.
— Cela revient strictement au même. C’est bien, tu commences à comprendre la politique.
La colère se distilla dans les veines d’Elion. N’ayant plus rien à perdre, il voulut profiter que Nemrod lui tourne le dos. La fureur le porta hors de son fauteuil pour le précipiter vers son frère.
Nemrod l’entendit. Il eut une réaction de surprise, mais ne cilla pas. Elion s’abattit sur un spectre. L’élan le fit basculer en avant et tout son corps s’écrasa sur le sol froid de la pièce.
Nemrod dévisagea lentement Elion d’un œil désabusé, et adopta un ton compassé.
— Voyons, je pensais que tu comprendrais au moins que je ne prendrais pas le risque de venir en personne tenir cette discussion avec toi dans un endroit pareil.
Elion vit Nemrod actionner un bouton qui n’existait pas et son hologramme se volatilisa dans un tourbillon de particules azurées. Elion se retrouva seul, désemparé et totalement vaincu.

Aircuni
Niveau 10
24 novembre 2019 à 23:12:54

Elion s'abîma dans son vieux fauteuil de cuire

cuir pas comme cuire https://image.noelshack.com/fichiers/2019/27/4/1562235187-grudu-taper-si-toi-touche-viande-grudu.png

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Sujet : La deuxième constante
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