D'une gorgée d'eau engloutit prestement, l'homme se remit au travail et enfila ses gants sans perdre un instant. "On reprend dans dix secondes!" cria l'instructeur, "En position!", ajouta-t-il quelques cinq secondes avant la reprise tandis que notre homme à peine ganté, mouillé de sueur et bavant quelque peu, effectuait de petits mouvements des jambes et des bras pour se remettre dans le bain. "Allez!", en même temps qu'un bip sonore. Aussitôt la salle s'emplit de sons, de souffles puissants, de frottements de pas vifs sur le sol et de bruits assourdis par l'absorption des coups dans la chair. "On bouge bien! On rentre, on sort! La garde toujours haute, on touche sans se faire toucher!" criait l'entraîneur par intermittences, effectuant un tour de la salle sur trois minutes. "C'est bien!" fit-il en s'approchant de notre homme, "n'hésite pas à dévoiler totalement ton bassin sur l'extérieur lorsque tu envoies ton crochet. Et pense à bien souffler, je veux entendre hich, ou Chih!", ce à quoi l'homme à la crinière trempée, au maillot inondé et à l'oeil fatigué s'efforça de réaliser, se déhancha sur un puissant crochet arrière après avoir misé et être rentré dans la portée de l'adversaire sur deux directs du bras avant. Le partenaire en face, désarmé de sa garde faiblarde n'eut aucun moyen d'éviter le coup, il le prit plein menton mais pas trop méchamment, l'homme réalisant la faiblesse de ce dernier, en bon camarade, retint sa force de frappe et l'assaut se poursuivit sans blessures.
Arrivé au bout de trois minutes, une nouvelle sonnerie résonna et tous poussèrent un profond soulagement. Certains rirent avec leur partenaire, d'autres se recroquevillèrent sur leurs guiboles, tous étaient épuisés mais, comme l'entraîneur devait le rappeler : "Buvez un coup! On reprend dans quarante-cinq secondes", la souffrance n'en finissait pas. Si bien que notre homme, harassé mais jouissant d'une adrénaline éludant la fatigue, ne prit pas la peine de boire un peu plus, d'engloutir le reste de sa bouteille d'eau. Il finit au lieu de ça par se positionner devant un sac de frappe et effectua quelques enchaînements précis de coups de pieds et de poings, frappant deux directs, crochets bas, direct arrière suivi d'un coup de pied haut puis d'un coup de pied retourné sauté. Le sac vola de tous les côtés et, les quelques camarades admiratifs, les autres franchement sceptiques quant à l'aspect pratique de ces coups en combat, en oublièrent tous qu'il ne leur restait qu'un temps limité pour s'abreuver - certains bien trop lents ne le purent pas car sitôt les gants enlevés, la main s'approchant de la gourde, le coach cria pour la dixième fois ce soir-là : "Cinq secondes, en position!" et la danse reprit.
L'homme avait désormais un poids lourds d'une dizaine d'ans d'expérience face à lui. Les trois minutes seraient plus difficile à tenir mais il avait confiance, surexcité comme une bête par un sentiment de puissance qu'il n'avait que rarement ressenti aussi fort. "Boxe!", et sitôt l'homme fondit sur un direct feinté qui découvrit derechef la garde de l'adversaire mais, s'apprêtant à asséner un violent direct arrière en plein nez, l'homme dut freiner son coup car son adversaire, pris de court mais nullement inexpérimenté, songea d'instinct à bondir en arrière pour se remettre en bonne posture, puis à fendre la distance de quelques sautillement impromptus, effectuant une série de feintes tous azimut. Notre homme ne sachant plus où donner de la tête, il eût surement prit un coup si par hasard un camarade à reculons n'avait pas heurté son partenaire si agile, déstabilisant ce dernier et l'empêchant de lui asséner un enchaînement dévastateur.
L'homme tourna une seconde la tête et vit qu'il ne s'était écoulé que vingt secondes depuis le début de l'échange, que déjà il se savait à la merci de l'autre! Il adopta une posture défensive, la garde haute, le sautillement sur place, prêt à retirer le buste, avancer de côté, chasser un coup qui viendrait, se désaxer d'un pas, pivoter sur sa jambe avant, répondre par de lourds crochets et remontants... L'adversaire ainsi qu'un félin, sautillait sur de petites feintes et de petits coups que notre homme chassait ou ignorait, puis bondit soudain en tapant lourdement de l'arrière dans la garde de l'homme, se fendit de quelques centimètres en s'avançant, et voulut remonter d'un remontant très sec sur le menton découvert de notre homme qui, malheureusement pour ce fauve, avait anticipé et faisait déjà gronder sur lui un crochet en descendant qui cogna la tempe de l'adversaire sur un pas de fuite de l'homme qui se désaxa en frappant, pour remiser plus justement tandis que l'autre se remettait tant bien que mal du choc et se protégeait, les bras crispés devant sa petite tête carré de gros dur. Grand bien lui en fit, puisque derechef c'est deux directs suivi d'un crochet avant et d'un deuxième dans le foie, dans les coudes resserrés plutôt, qu'il eut à endurer, avant de répondre par quelques crochets vifs dans le vide que notre homme mit sitôt entre lui et l'ennemi, une fois l'inefficacité de son enchaînement découvert.
Ils se retrouvaient tous deux de nouveau à distance, étaient bien épuisés, leur souffles semblaient quérir une source d'eau et une pause, mais la combativité était palpable dans le feu de leurs yeux, dans le sourire carnassier qu'ils s'adressèrent réciproquement. Ils demeurèrent un instant à se jauger, à faire de petits sauts, feintes, légères frappes dissuasives... Au final le coach hurla "plus qu'une minute! Allez, on donne tout ce qu'on a!", ce qu'ils firent dès le quart de seconde suivant, bondissant chacun au même instant. L'adversaire plus vif se désaxa pertinemment sur le bon côté et porta un coup fatal sur le flanc découvert de notre homme, puis d'un crochet dans la tempe de ce dernier, pivota rapidement sur le côté pour faire face au dos de l'homme, se protéger ainsi cinq secondes de toutes représailles après cette brillante contre-attaque. Notre homme qui crachait, laissait couler un filet de salive par sa gueule béante, une main sur le foie blessé, recontracta tant bien que mal l'abdomen et, arqué, d'un mouvement branlant du corps, se remit sur les rails et se tint les poings en garde resserrée face à son adversaire qui sautillait et attendait la reprise des hostilités.
L'homme dépassé aussi bien en puissance qu'en maîtrise, avait définitivement abandonné l'idée de fondre sur l'autre. Il pensait attendre que l'adversaire se dévoile, avance imprudemment et, à lui de réagir promptement et de le recadrer sur un coup sec suivi d'une frappe puissante en un décalage. Il pensa très exactement ceci lorsque l'autre, sur une feinte qui ne prit pas exposa gauchement son flanc en envoyant son arrière trop lourdement, laissant la possibilité pour l'homme de s'engouffrer d'un pas en diagonale, de longer le bras adverse tendu et de remonter en uppercut dans le ventre puis, par un pivotement de la jambe avant, de refaire face à l'ennemi et lui asséner une violente remontée en crochet dans le menton, suivi d'un simple arrière et direct dans le nez. L'adversaire était cuit, le temps était écoulé, "Magnifique!" cria le coach, et sitôt l'on enleva les gants.
L'homme fier de lui et son adversaire reprenant ses esprits, se regardèrent tous deux et sourirent, sur une virile accolade se remercièrent l'un l'autre et prirent le chemin de leur sac. "Super entraînement!" disait l'entraîneur par instants, "tu t'es bien donné, il y avait un bel esprit!", poursuivait-il parfois, accordant une chaude poignée de main à chacun des membres, ajoutant quelques petits conseils encore. L'homme se déchaussa de ses gants et retira les bandes humides de ses mains et poignets, enleva son haut de sueur inondé, s'essuya et se revêtit du haut salle de la journée qu'il garderait jusqu'à prendre sa douche chez lui. D'un cordial bonsoir, sur de tendres poignée de mains, il reprit la route du retour, s'en alla par chez lui retrouver le bureau le lendemain, les chefaillons stupides et peu virils.
Il se dit : "qu'est-ce que ce serait bon qu'un monde régit par ceux sachant frapper", qu'ainsi il se hisserait au moins à la tête d'un tout petit seigneur, chevalier des temps féodaux. Il rumina cette pensée et conclut sur l'idée qu'il ne fallait pas hésiter à imposer sa force primitive dans la tronche du moindre homme domestiqué et faiblard, de rappeler à l'arrogance du petit chef qu'elle ne repose sur rien de solide, que ce dernier est ontologiquement un moucheron qu'il convient d'aplatir sans sourciller. Et puis il s'endormit après la douche et oublia cette pensée. Le lendemain il se fit disputer par un gras homme haut comme trois pommes et prit le chemin le soir de la salle de sport.