Alors avant de commencer je tiens à remercier Révoltin d'avoir lancé ce concours, c'est la première fois que j'écris un texte aussi long dans un genre nouveau pour moi et je n'aurais jamais eu la motivation nécessaire sans ce concours. (A vrai dire 99% de mes textes concernent des scénarios de Donjon & Dragon )
Ça m'a aussi permis de découvrir ce forum qui, même si il est un peu désert, est fort sympathique.
Précision IMPORTANTE dans la lecture du texte: Tout ce qui est en Italique correspond aux pensées du personnage durant la scène. Tout ce qui est Entre guillemets et en italique correspond aux dialogues.
Titre: L'étoile filante
Synopsis : Un homme aliéné par le travail cherche un moyen de se sortir de sa condition de salarié. C'est à travers le trading qu'il découvrira un échappatoire qui lui permettra de retrouver sa liberté. Mais le trading est un outil dangereux qui le mènera jusqu'aux limites de sa folie. Parviendra t-il à s'émanciper du travail sans perdre la raison ?
Nombre de mots : 9098 d'après Word, 9504 d'après Antidote.
Autres chiffres: Rythme de croisière de 500 mots en 1h30, 32h45 de travail au total.
Chapitre 1: Day worker, French Dreamer:
17 :59 : 45
Les yeux rivés sur l’horloge, je comptais lentement les secondes restantes dans ma tête.
18 :00 :00
À l’instant même où ces chiffres apparaissaient, je cliquais sur le bouton qui s’affichait à l’écran pour mettre fin à mon supplice.
La journée de travail se terminait enfin. Il me fallait moins d’une minute pour revêtir ma veste, saisir ma sacoche et saluer d’un geste vague les collègues. La lumière des ordinateurs éclairait d’un halo blafard leurs visages fatigués qu’on aurait dit sortis tout droit d’un film de George Romero.
Au travail, nous sommes à moitié morts. On échange son temps de vie contre de l’argent dans le seul but de la prolonger un peu plus. Après quarante ans de bons et loyaux services, lorsque l’entreprise nous aura essorés pour recueillir la moindre goutte de sueur de notre front, lorsque nous ne serons plus que des chiffons secs et usés, alors nous pourrons vivre de nouveau.
Une vie ralentie par nos gestes ankylosés que la sédentarité a habituée à l’immobilisme. Une vie que nous contemplerons avec des yeux brûlés par le feu des écrans. Une vie que nous rêverons au fond d’un fauteuil, car nous n’aurons plus la force de la vivre. Une vie que l’on rangera dans une boîte, la même boîte à qui l'on a déjà tant donné.
Mes pas résonnent sur le parquet tandis que je traverse à grandes enjambées les couloirs de verres qu’un ciel d’hiver enveloppe de sa chape sans étoiles. Les vitres noircies par l’atmosphère nocturne renvoyaient mon image, celle d’un homme grand dont les cheveux et la barbe mal entretenus contrastaient avec un costume impeccable au nœud de cravate recherché. Dans ces miroirs, chacun de mes reflets semblait marcher dans une direction différente, comme s’ils appartenaient à une autre dimension. Et pourtant, à en juger par leurs gueules lamentables, tous suivaient la même voie. Une voie qui les éloignait du but de tout homme : le bonheur.
Au détour d’un virage, je ralentis le pas, car une envie soudaine me prit, celle de m’élancer à travers la baie vitrée et de voir les conséquences d’un tel acte.
Est-ce que je vais m’écraser plus bas ? Est-ce que des ailes me pousseront dans le dos pour que je puisse m’envoler ailleurs ? Est-ce que ce sera une fin ou un nouveau commencement ?
« Hey, reste pas planté là. Tu vois bien que j’ai des dossiers plein les bras. » Me dit un collègue, les bras chargés de cartons, me sortant de ma sinistre contemplation.
« …Désolé… À demain. »
Je poursuivis ma route jusqu’au hall d’accueil ou j’attendis l’ascenseur. Après une longue minute, celui-ci s’arrêta à mon niveau et les portes s’ouvrèrent. Une femme s’y trouvait. La quarantaine bien conservée, elle cachait sa fatigue derrière un maquillage un peu trop chargé à mon goût.
« Bonjour » me dit-elle en souriant.
« Bonsoir » répondis-je avec un sourire en coin.
Oui. Je suis le genre d'homme qui répond à votre "bonjour" d'un "bonsoir" avec une pointe de cynisme lorsque je vous croise dans l’ascenseur. Vous ne me connaissez pas, mais déjà, d'un simple mot, j'installe une barrière entre vous et moi. Vous pourriez prendre ma réponse et mon sourire en coin pour de la condescendance ou une mauvaise blague dont je serais satisfait et pourtant il n'en est rien. Les relations sociales n'ont jamais étés mon fort, voilà tout.
Inconsciemment, mon cerveau retors parcoure mon système nerveux à la recherche des mots qui mit bout à bout pourrait m'éloigner un peu plus de la compagnie des autres.
"La compagnie des autres". Je suis sûr qu'il existe un mot unique pour désigner ce groupe nominal, mais je ne trouve pas d'antonyme à "solitude". Ce mot existe, j'en suis sûr, mais je ne le connais pas. Ni dans ma mémoire, ni dans ma chair, ni dans mon cœur. Peut-être que "solitude" n'a pas d'antonyme puisque c'est elle qui me tient compagnie.
Rassurez-vous, ce n'est pas par moquerie que mes lèvres se sont étirées après vous avoir répondu. Mon sourire est un masque qui cache mes sentiments. Il maquille ma gêne, me donne une contenance, cache mes blessures. Regardez-moi ! Je souris ! Tout va bien ! Il faut sourire lorsqu'on est heureux non ? Je crois me souvenir que c'est écrit quelque part... Un texte de loi peut-être ? Le code civil ? Non. Le code social ?
Arrêtez de me fixer avec cet air interrogateur. Sinon je vais devoir sortir les crocs. Non pas pour vous mordre, mais, car mon masque peut se transformer en bouclier. Une égide d'émail derrière laquelle je peux me cacher.
Certes, elle est un peu ébréchée et le temps lui a fait perdre de son éclat, mais elle est solide comme du diamant ! Après tout, c'est écrit sur le paquet de dentifrice que j’achète.
DING
La sonnerie de l’ascenseur me sortit de mes pensées. Conditionnées par ce bruit, mes jambes se mirent en marche jusqu’à la plus proche bouche de métro. Elles suivirent les pavés, descendirent les escalators et me menèrent jusqu’aux quais bondés où mes clones, de jeunes salariés en costume à la gueule déconfite, attendaient de pouvoir rentrer chez eux. Les minutes s’égrenèrent tandis que nous nous dévisagions en cherchant à jauger la vie des uns et des autres à l’aide de quelques signes extérieurs distinctifs.
Celui-ci à une montre et le portable dernier cri. Il a l’air de s’en sortir mieux que moi. Celui-là sourit, son boulot est sans doute plus satisfaisant. Je jurerais que ce dernier n’a pas dormi la veille. Vie sociale ou travail excessif ?
Un monstre d’acier surgit du tunnel dans un bruit assourdissant qui me vrilla les tympans. Des étincelles accompagnaient sa venue et je pouvais voir la douleur et la tristesse sur les visages de ceux qui luttaient pour rester debout en son ventre.
Les portes s’ouvrirent et l’étrange créature dégueula des flots d’usagers qui se bousculèrent puis se perdirent dans des dédales de bétons aux relents d’urines rances.
TUUUUUT
Une alarme retentit et mon cœur se mit à battre la chamade. Paniqués, nous nous regardions avec mes congénères avant de nous enfoncer à notre tour dans le titan de ferraille. On se bouscula, on grogna, on poussa, on se noya, dans une marée humaine jusqu’à ce que nous fassions corps avec elle.
Je me sentais écrasé par les personnes qui m’entouraient, oppressé par le regard accusateur de cette personne dont j’envahissais l’espace vital. Agressé par l’odeur de mon voisin, par le bruit de cette dame qui hurlait dans son téléphone pour couvrir le gémissement des rails. Et ces cris, prononcés dans une langue qui m’était étrangère, sonnèrent à mes oreilles comme un appel à l’aide.
Je ne pouvais tourner la tête et je regardais d’un air désespéré la vitre du train qui s’offrait face à moi. De la buée s’y accumulait et sous la condensation une goutte vint lentement y rouler. En fermant les yeux, je pouvais la sentir, comme si elle glissait sur ma joue.
Le calvaire avait duré plus d’une heure. Comme dans un mauvais rêve je passais d’un métro à un autre en ayant la sensation que tout se répétait sans fin. L’ancienne faïence qui défilait sous mes yeux, les panneaux publicitaires vantant les mérites de tel ou tel produit de consommation, l’interminable attente inexpliquée entre deux stations.
Les visages des inconnus défilèrent et ma vision se troubla. Bientôt, je ne vis plus que des visages flous, des nuances de blanc, de jaune, de noir qui se croisaient et s’entremêlaient pour former un étrange tableau. Soudain, je me sentis transpercé par le regard des autres ! Des centaines d’yeux se braquaient sur moi ! Effaré, je regardai une à une les figures qui me dévisageaient avant de reconnaître avec horreur mes traits sur chaque faciès !
Pris de panique, j’appuyai frénétiquement sur le bouton de la porte pour l’ouvrir. Le train arriva à quai et je m’élançai par-dessus la marche avant de courir sur les pavés, sous les protestations des passants que je bousculais sans gêne.
La sueur rendit ma peau moite, mes pieds cognaient contre le bitume. Je courais. Je courais à en perdre haleine, à sentir mon cœur pulser sur ma poitrine, à cramer mes cuisses, à me retourner le ventre !
Et je continuais jusqu’à arriver devant chez moi ou, enfin, j’osais ralentir le pas. Ma respiration était saccadée, mes jambes étaient lourdes, mes mains tremblaient.Je me hâtais de déposer mes affaires dans l’entrée avant de me diriger vers la salle de bain. Là, je tournais le robinet d’eau chaude de la douche à fond, je me dévêtis et je pus reprendre mon souffle.
Sous une eau brûlante, je me savonnais pour me débarrasser des impuretés de la journée, frottant ma peau de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’elle ait rougi. Je me rinçais, coupai l’eau puis m’enroulai dans une serviette bleue avant de la nouer autour de ma taille.
Alors, effaçant la buée sur le miroir du plat de ma main, j’expirais longuement en regardant mon visage fatigué, mes traités usés et mes rides naissantes. Mon cœur se serra en voyant ce reflet. Le reflet de ma vie actuelle, une vie qui n’était ni pire ni meilleure que celle d’un autre, mais qui ne me comblait pas. Une vie construite par mes choix, bons ou mauvais, mais dont je ne retirais que de la fierté à défaut d’en extraire la moindre satisfaction.
Et je ne pouvais m’empêcher de reconnaître dans ce nez protubérant, ces oreilles décollées et ce menton pointu, l’enfant que je fus. Naïf et émerveillé, curieux et rêveur, innocent et heureux. Je voulais lui dire qu’il le resterait, que des bonheurs plus grands l’attendaient et que la vie n’était qu’une succession de merveilles.
Mais ce n’est pas le cas.
Alors je lui ai souri en espérant le duper.
Regarde-moi ! Je souris ! Tout va bien !
Et il faisait semblant d’y croire, car s’il me montrait un doute, si je voyais une ombre passer dans ses yeux et sa candeur se flétrir, mon cœur aurait cessé de battre.
Il faut que cela cesse.