Devenir grand
Résumé: Angoissé par la perspective de rentrer bientôt dans le monde professionnel, Pierre un étudiant en école de commerce trouve refuge auprès de son cousin Gabriel âgé de 10 ans. Mais Pierre est-il assez fort pour jongler entre ses responsabilités de jeune adulte, ses sentiments, sa vie professionnelle et la pression constante qu'il s'impose envers Gabriel?
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- Chapitre 1:
C'est drôle quand on y pense. Il y a quelque temps encore, on faisait partie de cette masse de bambin qui court après le ballon. L'instant d'une rêverie, on était Ronaldo et la finale de la coupe du monde se jouait là avec un ballon Adidas et deux vestes posées sur le bitume en guise de cage.
Les matchs s’enchaînent les uns après les autres entrecoupés de longues heures assis sur une chaise pour faire plaisir à Papa et Maman, car après tout ce n'est pas le foot qui nous fait vivre n'est-ce pas?
Et puis sans qu'on s'en rende compte, la rêverie s'estompe, Ronaldo a raccroché les crampons et le voilà plongé dans un monde des adultes qui à l'évidence ne tiendra pas ses promesses.
-Il faut que tu me boucles ça avant la fin de la semaine gamin, je suis désolé de te donner ça si tard mais c'est arrivé au dernier moment
-T'inquiètes, je ferais ça ce weekend
Ce très court dialogue résume plutôt bien ma vie actuelle. Après le lycée je suis entré en école de commerce et à côté je me suis mis à travailler à temps partiel pour une agence de marketing. Ce n'est pas très difficile mais ça prend du temps et c'est chiant à en crever...
Après ma journée de boulot, je suis passé voir maman. Elle était morte l'année dernière des suites d'un cancer. Personne ne l'avait vu venir. Un jour elle s'est plainte de maux de tête et quelques semaines plus tard on l'enterrait et je me suis retrouvé seul, c'était aussi simple que ça...
Quand je vais la voir, je lui raconte à quel point mes journées sont ennuyantes, même si les siennes doivent l'être encore plus j'imagine. Depuis qu'elle est partie, je loge chez ma tante Laura qui m'a gentiment accueilli sous son toit le temps que je finisse mes études. Elle aussi un fils qu'elle élève seule, il s’appelle Gabriel il a un peu plus de 10 ans et pour moi, c'est un peu le petit frère que je n'ai jamais eu.
C'est lui qui m'a permis de garder les pieds sur terre et de ne pas complètement péter un câble. Quand j'arrive à le faire rire, j'ai vraiment l'impression d'avoir une utilité sur cette planète.
J'ai enlevé quelques mauvaises herbes qui commençaient à pousser sur sa tombe, j'ai changé l'eau des fleurs et puis j'ai dû partir; il était déjà tard et je devais aller chercher Gabriel à son entrainement de foot.
J'ai bien pris le soin de refermer la grille du cimetière derrière moi, et je suis monté dans ma petite voiture. C'est une vieille bagnole toute cabossée et qui est encore plus vieille que Gabriel mais j'en suis extrêmement fier et il n'y a rien de plus jouissif que de laisser sur le carreau une grosse berline allemande sur le carreau au démarrage d'un feu avec ce genre de vieille torpédo. C'est surtout le cadeau de ma mère pour mes dix-huit ans.
Le stade où s’entraîne Gabriel est relativement éloigné de la maison. Techniquement il pourrait très bien rentrer en bus mais sa mère est plus rassurée et moi ça me permet de passer un petit moment privilégié avec mon cousin, donc j'imagine que c'est un peu donnant-donnant. C'est fou comme ça fait du bien de se sentir utile...
L'entrainement venait tout juste de se terminer quand je suis arrivé, j'ai attendu quelques minutes sur le parking jusqu'à ce qu'il sorte du vestiaire pour venir s'installer à côté de moi en lâchant un simple "Salut!".
Il a bouclé sa ceinture puis s'est tourné vers moi. Amusé j'ai haussé un sourcil et j'ai dit
-Depuis quand tu montes devant toi?
-Bah j'ai le droit j'ai presque 11 ans!
-Ah bon? Non parce qu'on ne dirait pas avec ta taille de nain de jardin!
-Pfff t'es lourd!
J'ai vu à son expression qu'il était vexé, j'ai mis le contact puis je lui ai ébouriffé les cheveux,il a tout de suite repoussé mon bras et m'a jeté un regard noir qui en dépit de son intention le rend atrocement mignon. J'ai fait semblant d'être étonné avant de marmonner un "susceptible" pour finalement démarrer
Il a fallu attendre la moitié du trajet pour qu'il se décide d'arrêter de bouder et de me parler:
- Pierre?
-Mouais...
-Je peux te poser une question?
-Tu viens de le faire...
-Roh t'es chiant!
-Je te taquine, et arrête avec les gros mots sinon ta mère va m'engueuler! Vas-y, poses ta question...
-C'est dur le collège?
La question me fait sourire, dans quelques mois ce serait les vacances d'été et il quittera enfin l'école primaire. Jusque-là il essayait de ne pas le montrer mais ça l'angoisse terriblement.
D'une certaine manière on était dans une situation similaire car pour moi aussi il n'était question que d'une petite année avant que je ne reçoive mon diplôme pour partir seul à l’assaut du fameux monde du travail qui jusque-là ne m'a dévoilé qu'une infime partie de sa monstruosité!
-Eh bien tu vois... Le collège... C'est juste différent... T'es un peu plus libre dans ta manière de travailler mais dans le même temps faut bien savoir s'organiser pour passer d'une matière à une autre. Une fois qu'on a compris comment travailler efficacement ça va tout seul tu verras!
-D'accord...
Il ne semblait pas entièrement rassuré alors j'ai rajouté:
-Tu sais, on est tous passé par là, on grandit tous et forcément on se pose des questi...PUTAIN!
Je freine brutalement! pour éviter une voiture qui nous coupe la route pour prendre la sortie. Il s'en est fallu d'un cheveu mais je m'arrête à quelques centimètres de son cul... Furieux je klaxonne un bon coup ce qui me vaudra un doigt d'honneur de la part du type. Oubliant la présence de Gabriel je me laisse aller à quelques injures.
-Et dire que tu me fais la morale sur les gros mots!
-Désolé Gabi, mais j'ai bien cru qu'on allait taper. C'est toujours pareil à cette sortie, les gens roulent comme des dingues et ils ne savent pas où ils vont, ils changent de file au dernier moment et c'est super dangereux!
-C'est plutôt toi qui ne sais pas conduire? dit-il en arborant un grand sourire qui monte jusqu'à ses oreilles.
Je le regarde brièvement pour lui dire
-Tu me déçois beaucoup!
Nous éclatons de rire! Pendant le reste du trajet, il m'explique tous les progrès qu'il a faits au foot et comment il gagnera la ligue des champions plus tard.
-Tu viendras me voir jouer ce week-end?
-Ce week-end? Ça va être compliqué, j'ai pas mal de boulot et...
-Mais ça fait déjà deux fois que tu dis ça
-Je sais mais j'ai des obligations grabotte! Je viendrais une autre fois...
-Tu parles! Du travail tu vas en avoir de plus en plus et quand t'auras ton diplôme tu vas partir et on te reverra plus!
Touché! Même si je refuse de me l'avouer ce qu'il vient de dire est probable et ça fait un moment que cette idée m'angoisse. Néanmoins je réponds tout de même
-Hé ho! Tu t'imagines quoi là? Ce n'est pas parce que je rentre dans la vie active que je vais te laisser tomber!
-C'est exactement ce que disait mon père!
Touché coulé! Son père l'avait abandonné lui et sa mère quelques années auparavant. Le mien, lui, n'avait même pas attendu ma naissance.
-Ne dis pas ça, je ne suis pas comme nos pères!
Il m'a regardé d'un air triste. On s'est tut, et nous sommes restés silencieux pendant le reste du trajet.
Pendant la soirée je n'ai pas pu m'empêcher de cogiter sur ce qu'il m'avait dIt. Et si finalement j'étais comme nos pères? Est-ce que s'éloigner de ceux qui nous aiment est inévitable lorsque l'on est adulte. Cette idée m'a fait frémir. Très certainement avait-il volontairement appuyé sur cette corde sensible pour me manipuler.
Eh bien ça a parfaitement fonctionné car je suis parti le voir dans sa chambre pour lui dire
-Hé Gabi? D'accord, je viendrai!
Emmitouflé dans ses couvertures il a affiché un large sourire que je lui ai rendu. J'ai délicatement fermé la porte.
-Bonne nuit grabotte!
Et je me suis mis au travail, tant pis pour ma nuit de sommeil!