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Ecriture

Sujet : Je te veux
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Julien-Gracq7
Niveau 8
28 mai 2020 à 22:17:44

Avec ce texte, j'ai voulu tester quelque chose qui n'est pas dans mes habitudes : une femme " néo-romantique ", qui raconte sa romance de la veille dans un verbiage qui se veut poétique, avec en tête la petite pièce très agréable d'Erik Satie : " je te veux ". J'ai essayé d'écrire quelque chose qui, selon moi, collait aux émotions de la dite musique.

Texte :

Chères amies,

Je vous avais parlé de Martin dans un précédent sujet. Pour rappel, nous nous étions rencontré au mois de mai dernier, à l'occasion d'une fête offerte par un ami commun, et nous étions promis de nous rencontrer à nouveau, courant la semaine suivante. C'est arrivé hier.

Hier, je ne vous apprends rien si vous vivez dans l'est, l'atmosphère était étouffante et " voltigeante ", lourde de ce climat continental jeté entre les Vosges et la forêt noire, humide d'une pluie de la veille et d'un orage abattu en milieu de journée, pleine de ces fantômes glaçants qui ondulent les samedi après-midi dans le cadre végétal et urbain de mon bicéphale centre-ville de province. Pensez si les contrastes sont grands entre ces allées de frênes et de chênes culminants aux abords de l'empreinte océane du canal - petit point d'eau et de repos, niché au coeur de la citadelle impériale - et ces artères urbaines, étroites et bondées de foule, illuminées des reflets artificiels des devantures de magasin, véritable tronc névralgique de l'activité social.
De ma petite ville, c'est cette image qui me vient en tête les matinées de pluie. Ma petite ville que j'aime d'un amour ambigu, ainsi que l'ondée qui caresse le front.

Je m'égare en poésie comme il ne m'arrive pas souvent ; c'est dire si la veille fut marquante.
Au sortir du restaurant, le soir, aux alentours de vingt-deux heures trente, nous descendions la place Saint-Louis par ses arcades grouillantes de vies festives. Comme je n'aime plus boire depuis ma maladie, et comme j'estimai avoir assez tâté de ce blanc au cours du repas, j'incitai mon galant à détourner son regard de la vue des fenêtres jaunies aux parfums d'ambroisie. Je voulais aller par les rues vides de monde, qui menaient au canal que l'on dit désert de nuit. Arrivés au terme d'une allée nocturne éclairée par de discrets lampadaires de lumière violette, parce qu'il y eut soudain un brusque sursaut dans ce vent caressant depuis l'orage de seize heures, je ressentis un froid qui me fit promptement courber les épaules. Il parut alors évident que nous nous devions, pour la poursuite de notre sortie, de nous trouver un endroit douillet où nous réchauffer.

Si vous avez toujours en mémoire mon précédent sujet, vous savez que Martin est un homme fin, d'un mètre quatre vingt-dix, au teint pâle et aux cheveux noirs coupés courts, qui mime la droiture dans toute sa gestuelle, dans toutes ses paroles, à dessein de cacher sa timidité que pas une femme ne saurait cependant ignorer. C'est ainsi, presque formellement, qu'il parvint à me demander si j'accepterais une tasse de café chez lui, dans son appartement qui jouxte la place Saint-Louis où nous devions retourner. C'est ainsi que l'expérience fantastique que je veux vous présenter prit place, dans la douceur et la mélopée onirique que je développai dans ma tête un peu enivrée, dans ma tête qui retrouvait la tendresse et la candeur des belles années d'avant mon hospitalisation.

Dans cette chambre de bonne située au dernier étage d'un ancien hôtel de l'aristocratie locale, il n'y avait rien qui dût me faire rêver, rien pour faire vibrer cette corde sensible dont les échos sont pourtant perceptibles dans le message que je vous écris ; n'eût été la présence d'un vieux piano dans le coin lumineux du logis, baignant sous un clair de lune évanescent au travers d'une lucarne. Entre tant d'autres, c'est cette image-ci qui fait bondir mon coeur ardemment et m'enivre chaque fois que j'y pense : celle de Martin qui me prend ma veste pour la pendre à sa penderie, qui m'offre un café sucré avant de me faire asseoir sur un fauteuil en bois ; ce Martin, si touchant de timidité voilée, qui prend soudain une allure sombre et s'installe au piano sans mot dire, profitant des regards insistants que j'avais malgré moi jeté en direction de l'instrument.

Il posa délicatement de légers accords sur les touches en ivoire, dans une douce harmonie qui sonnait trompeusement comme un prélude à un sommeil mélancolique. Les secondes qui suivirent, les sons du premier accord se détachèrent l'un de l'autre, puis ceux des suivants s'arpégèrent au point de former une phrase distincte, avant de s'élancer dans le mouvement ondulatoire d'une valse tendre et juvénile, quelque peu maladroite et candide, rigolote et teintée d'un je ne sais quoi de pieux. Dans l'obscurité froide et poussiéreuse de ce grenier vétuste, le petit tourbillon qui commençait à se dessiner sous la pression habile de ses longs doigts, esquissait comme des traits, des arabesques de gaieté dans l'air du soir. Les rotations semblèrent s'interrompre à la suite d'un mouvement gauche qui n'était pas une erreur de l'interprète, avant de reprendre de plus belle par un second tournoiement du plus bel effet, moyennant le passage d'une bourrasque qui m'emporta quelques heures en arrière.

Saisie par ce tourniquet jusque dans les sommets de ma sensibilité, je donnais forme à la brusquerie musicale impromptue dans le souvenir d'un petit ridicule survenu au début de notre rendez-vous. J'étais seule sous le coup de treize heures, assise sur un banc entre deux arbres exotiques, dans le jardin qui jouxte la place de la République, et profitais du retard de Martin pour me faire bronzer le teint pâle que j'arbore depuis la chimio. Il arriva enfin, avec un quart d'heure de retard, le front brillant de sueur et les poumons battant à tout rompre. Il allait m'expliquer qu'il avait reçu l'appel imprévu de sa vieille mère, qui était démente depuis l'hiver dernier, lorsqu'il heurta, soudain, de la plante du pied un pavé désaxé. Ni une ni deux, il se vautra ridiculement, et la figure qu'il afficha en se relevant, devant moi qui m'étais précipité pour le retenir, traduisait toute la gêne puérile qu'il ressentait en ce moment même. C'est la première fois que je le vis décoiffé, les lunettes pas droites, et les pupilles nerveuses. C'est la première fois qu'il me dévoilait en entier l'être malhabile qu'il était réellement, derrière cette façade de sobriété qu'il affectait généralement d'arborer.

J'en étais là de mes pensées et souriait tendrement. Mais le tourbillon de la valse reprit de plus belle, et m'emporta avec lui dans les différentes scènes de notre journée passée à deux. Je revis un à un les petites douceurs et les petits riens de cette après-midi de Samedi : la houle des passants qui vaque dans les boutiques, les chants larmoyants des vieux joueurs d'accordéon et de guitare, le pépiement sans fin des branches de frênes, ployants sous le vent découlant de l'orage. Et je riais et je frissonnais, d'un alambiqué sentiment de gêne et d'amour : d'amour pour cette ville rose et niaise qui m'accueillait en fleurs suivant ces derniers mois infernaux passés loin d'elle ; de gêne vis-à-vis de cet homme étrange, par trop semblable à un enfant qui aurait grandi trop vite.

Mais la ronde reprit, et sans obtenir raison de mes sentiments et souvenirs, de nouveaux vinrent s'ajouter à ceux-ci : les amoureux dans leur fraîche jeunesse, qui se prennent le bras et scindent à deux la tristesse des eaux humaines de leurs tonitruants éclats de rire, comme de joyeux brises-glaces jetés contre les dents gelées d'une mer à la fin de l'hiver. Au contact de ceux-ci, et tandis qu'un grand maigre embrassait sa petite ronde dans une impasse du dédale, je repris espoir pour la première fois depuis dix-huit mois, et glissai habilement une plaisanterie salée à l'oreille de mon grand sombre à moi.

D'autres sons et couleurs me revinrent en cascade, tant et si bien qu'il me fut impossible de tous me les remémorer dans le cours laps de temps que m'offrait le pianiste, laissant un silence s'écouler avant de poursuivre le déroulé de la prosopopée de son coeur. Nous fîmes le tour du canal pour nous abriter du soleil et gagner la fraîcheur des eaux et des plantes aquatiques. A l'ombre, sur un banc glaçant, nous parlâmes de ses goûts, de ses espoirs et de sa vie d'avant la ville, comme les bois et les marais sont splendides à cette époque de l'année. Il me disait tout de son amour des livres et de la musique, des auteurs les plus classiques aux contemporains les plus érotiques ; il me parlait aussi bien de Schubert et de Schiller qu'il me vantait les livres de Bataille et de Musso, avec un engouement sans cesse renouvelé, sans cesse joué. Il me disait aimer tendrement, sans jugement aucun, le portrait courant de la ménagère prolétarienne qui dévore les ouvrages qu'il qualifiait gentiment de " chick-lit " (terme qui ne vous est pas inconnu, mes amies), et par là voulait naïvement me plaire, naïf qu'il est, comme si je ne pouvais déceler qu'il n'éprouvait que mépris pour cette littérature-ci. Enfin, par une audace que je ne me connaissais plus, je collai sur son épaule le poids de ma petite tête comblée à cette heure-ci des rêves que la journée y avait déposé. Nous demeurâmes ainsi un très long moment, un temps durant lequel il me fallut résister à ne pas lui parler de mon passé, où il me fallut lutter pour ne pas complétement sombrer et gâcher de mes pleurs ce jour dardé de mille feux.

Son silence à cet instant-ci, la pause de quatre temps qu'il maintint dans une solennité de cathédrale, me fit le plus grand bien, me permit de me remettre de mes émotions et de me repaître de la chaleur de ce moment sur le banc, certainement illusoire, pensais-je, où l'avenir semblait s'éclaircir d'un feu de bengale.
Tout de suite la danse reprit, au tempo rapide de la valse, dans des nuances d'humour qui me transportèrent jusque sous le pavillon de la terrasse d'un glacier, aux abords du plan d'eau, où nous avions mangé un morceau devant le spectacle des eaux lacérés par les griffes d'une pluie de ciel orageux. Il était un je ne sais quoi d'enivrant, de merveilleux, à l'image des éléments déchainés : une impression de fin de monde à deux, par-dessous l'éclair et les cieux pleins de rancoeur, jeteurs de vains malheurs à la face des amoureux transis. Oui, nous étions arrivés à la fin de la mélodie, et j'avais acquis la certitude que je l'aimais et ne vivrai que pour lui. Etait-ce naïf ? Bien entendu. Ne le savais-je pas sur le moment ? Si, bien sûr que si, et je m'en attristais, en cela que je ne pouvais fatalement plus aimer ! de cela aussi, j'en avais acquis la certitude !

Au dernier accord de la valse, au terme de ce brillant tourbillon, je noyai mon amour dans un flot d'inquiétudes. Martin, s'en relevant de son siège, revint prendre place face à moi. Je lui demandai alors, d'une voix mal assuré et les yeux gonflés de larmes mielleuses, quel était le nom de cette si belle musique. Dans un ton des plus sobres, comme on fait un aveux, il me dit simplement ceci : " je te veux ", en perçant cependant de ses pupilles ardentes les miennes qui ne purent retenir leurs torrents qui coulèrent le long de mes joues. La détresse qui m'habitait, qui prit possession de mes mots qui devinrent troubles, me fit brusquer mon aimé par des questions brutales qui tranchèrent d'avec la délicatesse qu'il avait mis dans sa déclaration au piano : " Avec cette maigreur ?! ces os qui tranchent cette peau ?! cette peau peinte de la blancheur de ces même os ?! ce crâne constellé de tâches blanches ?! et ce sein qui n'est plus ?! "

Il prit le temps que mes tremblements cessent puis me prit les mains dans les siennes et me dit calmement, mais fougueusement, dans cette juste mesure entre les éléments qu'il sait trouver dans les moments qui comptent : " je te veux ".

La suite, vous la devinez : fin des souffrances et des problèmes imposés à moi-même, par cette seule parole qui fut suivie de tendres gestes. Cette si belle musique, il me l'a rejoué le matin même au réveil, comme pour me dire que les ébats de la veille n'avaient pas été un vain rêve.

Great_Aldana
Niveau 10
05 juin 2020 à 17:05:19

très bien. j'ai beaucoup aimé.
je te la refais telle que je l'ai perçu avec la musique de Satie en fond.

Le 28 mai 2020 à 22:17:44 Julien-Gracq7 a écrit :

Chères amies,

Je vous avais parlé de Martin dans un précédent sujet. Pour rappel, nous nous étions rencontré au mois de mai dernier, à l'occasion d'une fête offerte par un ami commun, et nous étions promis de nous rencontrer à nouveau, courant la semaine suivante. C'est arrivé hier.

Hier, je ne vous apprends rien si vous vivez dans l'est, l'atmosphère était étouffante et " voltigeante ",

j'aime pas trop cet assemblage étouffant et voltigeant.

lourde de ce climat continental jeté entre les Vosges et la forêt noire, humide d'une pluie de la veille et d'un orage abattu en milieu de journée, pleine de ces fantômes glaçants qui ondulent les samedi après-midi dans le cadre végétal et urbain de mon bicéphale centre-ville de province.

trop long

Pensez si les contrastes sont grands entre ces allées de frênes et de chênes culminants aux abords de l'empreinte océane du canal - petit point d'eau et de repos, niché au coeur de la citadelle impériale - et ces artères urbaines, étroites et bondées de foule, illuminées des reflets artificiels des devantures de magasin, véritable tronc névralgique de l'activité social.

trop long.. fioou la c'est moi qui ai plus de souffle

De ma petite ville, c'est cette image qui me vient en tête les matinées de pluie. Ma petite ville que j'aime d'un amour ambigu, ainsi que l'ondée qui caresse le front.

Je m'égare en poésie comme il ne m'arrive pas souvent ; c'est dire si la veille fut marquante.

aaah ok. bien ouej tout ca été donc bien tournée, j'ai eu l'effet. c'est cool.

Au sortir du restaurant, le soir, aux alentours de vingt-deux heures trente, nous descendions la place Saint-Louis par ses arcades grouillantes de vies festives. Comme je n'aime plus boire depuis ma maladie,

Une maladie ? je pense je l'aurait un peu mieux subtilisé, pour que la chimio qui suit plus loins donne un air plus conséquent.

et comme j'estimai avoir assez tâté de ce blanc au cours du repas, j'incitai mon galant à détourner son regard de la vue des fenêtres jaunies aux parfums d'ambroisie. Je voulais aller par les rues vides de monde, qui menaient au canal que l'on dit désert de nuit. Arrivés au terme d'une allée nocturne éclairée par de discrets lampadaires de lumière violette, parce qu'il y eut soudain un brusque sursaut dans ce vent caressant depuis l'orage de seize heures, je ressentis un froid qui me fit promptement courber les épaules. Il parut alors évident que nous nous devions, pour la poursuite de notre sortie, de nous trouver un endroit douillet où nous réchauffer.

Si vous avez toujours en mémoire mon précédent sujet, vous savez que Martin est un homme fin, d'un mètre quatre vingt-dix, au teint pâle et aux cheveux noirs coupés courts, qui mime la droiture dans toute sa gestuelle, dans toutes ses paroles, à dessein de cacher sa timidité que pas une femme ne saurait cependant ignorer. C'est ainsi, presque formellement, qu'il parvint à me demander si j'accepterais une tasse de café chez lui, dans son appartement qui jouxte la place Saint-Louis où nous devions retourner. C'est ainsi que l'expérience fantastique que je veux vous présenter prit place, dans la douceur et la mélopée onirique que je développai dans ma tête un peu enivrée, dans ma tête qui retrouvait la tendresse et la candeur des belles années d'avant mon hospitalisation.

parfait, j'ai eu toute les impressions.

Dans cette chambre de bonne située au dernier étage d'un ancien hôtel de l'aristocratie locale, il n'y avait rien qui dût me faire rêver, rien pour faire vibrer cette corde sensible dont les échos sont pourtant perceptibles dans le message que je vous écris ; n'eût été la présence d'un vieux piano dans le coin lumineux du logis, baignant sous un clair de lune évanescent au travers d'une lucarne. Entre tant d'autres, c'est cette image-ci qui fait bondir mon coeur ardemment et m'enivre chaque fois que j'y pense : celle de Martin qui me prend ma veste pour la pendre à sa penderie, qui m'offre un café sucré avant de me faire asseoir sur un fauteuil en bois ; ce Martin,

le "ce" martin j'aime pas trop a l'oreille. mais Sinon rien dire, je suis a fond

si touchant de timidité voilée, qui prend soudain une allure sombre et s'installe au piano sans mot dire, profitant des regards insistants que j'avais malgré moi jeté en direction de l'instrument.

Il posa délicatement de légers accords sur les touches en ivoire, dans une douce harmonie qui sonnait trompeusement comme un prélude à un sommeil mélancolique. Les secondes qui suivirent, les sons du premier accord se détachèrent l'un de l'autre, puis ceux des suivants s'arpégèrent au point de former une phrase distincte, avant de s'élancer dans le mouvement ondulatoire

ondulatoire j'aime pas trop non plus, mais sinon je suis le mouvement.

d'une valse tendre et juvénile, quelque peu maladroite et candide, rigolote et teintée d'un je ne sais quoi de pieux. Dans l'obscurité froide et poussiéreuse de ce grenier vétuste, le petit tourbillon qui commençait à se dessiner sous la pression habile de ses longs doigts, esquissait comme des traits, des arabesques de gaieté dans l'air du soir. Les rotations semblèrent s'interrompre à la suite d'un mouvement gauche qui n'était pas une erreur de l'interprète, avant de reprendre de plus belle par un second tournoiement du plus bel effet, moyennant le passage d'une bourrasque qui m'emporta quelques heures en arrière.

Saisie par ce tourniquet jusque dans les sommets de ma sensibilité, je donnais forme à la brusquerie musicale impromptue dans le souvenir d'un petit ridicule survenu au début de notre rendez-vous. J'étais seule sous le coup de treize heures, assise sur un banc entre deux arbres exotiques, dans le jardin qui jouxte la place de la République, et profitais du retard de Martin pour me faire bronzer le teint pâle que j'arbore depuis la chimio. Il arriva enfin, avec un quart d'heure de retard, le front brillant de sueur et les poumons battant à tout rompre. Il allait m'expliquer qu'il avait reçu l'appel imprévu de sa vieille mère, qui était démente depuis l'hiver dernier, lorsqu'il heurta, soudain, de la plante du pied un pavé désaxé. Ni une ni deux, il se vautra ridiculement, et la figure qu'il afficha en se relevant, devant moi qui m'étais précipité pour le retenir, traduisait toute la gêne puérile qu'il ressentait en ce moment même. C'est la première fois que je le vis décoiffé, les lunettes pas droites, et les pupilles nerveuses. C'est la première fois qu'il me dévoilait en entier l'être malhabile qu'il était réellement, derrière cette façade de sobriété qu'il affectait généralement d'arborer.

J'en étais là de mes pensées et souriait tendrement. Mais le tourbillon de la valse reprit de plus belle, et m'emporta avec lui dans les différentes scènes de notre journée passée à deux. Je revis un à un les petites douceurs et les petits riens de cette après-midi de Samedi : la houle des passants qui vaque dans les boutiques, les chants larmoyants des vieux joueurs d'accordéon et de guitare, le pépiement sans fin des branches de frênes, ployants sous le vent découlant de l'orage. Et je riais et je frissonnais, d'un alambiqué sentiment de gêne et d'amour : d'amour pour cette ville rose et niaise qui m'accueillait en fleurs suivant ces derniers mois infernaux passés loin d'elle ; de gêne vis-à-vis de cet homme étrange, par trop semblable à un enfant qui aurait grandi trop vite.

un peu mal dit la le "par trop semblable"

Mais la ronde reprit, et sans obtenir raison de mes sentiments et souvenirs, de nouveaux vinrent s'ajouter à ceux-ci : les amoureux dans leur fraîche jeunesse, qui se prennent le bras et scindent à deux la tristesse des eaux humaines de leurs tonitruants éclats de rire, comme de joyeux brises-glaces jetés contre les dents gelées d'une mer à la fin de l'hiver.

ca c'est un des meilleurs passage niveau suggestions et envolée

Au contact de ceux-ci, et tandis qu'un grand maigre embrassait sa petite ronde dans une impasse du dédale, je repris espoir pour la première fois depuis dix-huit mois, et glissai habilement une plaisanterie salée à l'oreille de mon grand sombre à moi.

D'autres sons et couleurs me revinrent en cascade, tant et si bien qu'il me fut impossible de tous me les remémorer dans le cours laps de temps que m'offrait le pianiste, laissant un silence s'écouler avant de poursuivre le déroulé de la prosopopée de son coeur. Nous fîmes le tour du canal pour nous abriter du soleil et gagner la fraîcheur des eaux et des plantes aquatiques. A l'ombre, sur un banc glaçant, nous parlâmes de ses goûts, de ses espoirs et de sa vie d'avant la ville, comme les bois et les marais sont splendides à cette époque de l'année. Il me disait tout de son amour des livres et de la musique, des auteurs les plus classiques aux contemporains les plus érotiques ; il me parlait aussi bien de Schubert et de Schiller qu'il me vantait les livres de Bataille et de Musso, avec un engouement sans cesse renouvelé, sans cesse joué. Il me disait aimer tendrement, sans jugement aucun, le portrait courant de la ménagère prolétarienne qui dévore les ouvrages qu'il qualifiait gentiment de " chick-lit " (terme qui ne vous est pas inconnu, mes amies), et par là voulait naïvement me plaire, naïf qu'il est, comme si je ne pouvais déceler qu'il n'éprouvait que mépris pour cette littérature-ci. Enfin, par une audace que je ne me connaissais plus, je collai sur son épaule le poids de ma petite tête comblée à cette heure-ci des rêves que la journée y avait déposé. Nous demeurâmes ainsi un très long moment, un temps durant lequel il me fallut résister à ne pas lui parler de mon passé, où il me fallut lutter pour ne pas complétement sombrer et gâcher de mes pleurs ce jour dardé de mille feux.

Son silence à cet instant-ci, la pause de quatre temps qu'il maintint dans une solennité de cathédrale, me fit le plus grand bien, me permit de me remettre de mes émotions et de me repaître de la chaleur de ce moment sur le banc, certainement illusoire, pensais-je, où l'avenir semblait s'éclaircir d'un feu de bengale.
Tout de suite la danse reprit, au tempo rapide de la valse, dans des nuances d'humour qui me transportèrent jusque sous le pavillon de la terrasse d'un glacier, aux abords du plan d'eau, où nous avions mangé un morceau devant le spectacle des eaux lacérés par les griffes d'une pluie de ciel orageux. Il était un je ne sais quoi d'enivrant, de merveilleux, à l'image des éléments déchainés : une impression de fin de monde à deux, par-dessous l'éclair et les cieux pleins de rancoeur, jeteurs de vains malheurs à la face des amoureux transis. Oui, nous étions arrivés à la fin de la mélodie, et j'avais acquis la certitude que je l'aimais et ne vivrai que pour lui. Etait-ce naïf ? Bien entendu. Ne le savais-je pas sur le moment ? Si, bien sûr que si, et je m'en attristais, en cela que je ne pouvais fatalement plus aimer ! de cela aussi, j'en avais acquis la certitude !

Au dernier accord de la valse, au terme de ce brillant tourbillon, je noyai mon amour dans un flot d'inquiétudes. Martin, s'en relevant de son siège, revint prendre place face à moi. Je lui demandai alors, d'une voix mal assuré et les yeux gonflés de larmes mielleuses, quel était le nom de cette si belle musique. Dans un ton des plus sobres, comme on fait un aveux, il me dit simplement ceci : " je te veux ", en perçant cependant de ses pupilles ardentes les miennes qui ne purent retenir leurs torrents qui coulèrent le long de mes joues. La détresse qui m'habitait, qui prit possession de mes mots qui devinrent troubles, me fit brusquer mon aimé par des questions brutales qui tranchèrent d'avec la délicatesse qu'il avait mis dans sa déclaration au piano : " Avec cette maigreur ?! ces os qui tranchent cette peau ?! cette peau peinte de la blancheur de ces même os ?! ce crâne constellé de tâches blanches ?! et ce sein qui n'est plus ?! "

Il prit le temps que mes tremblements cessent puis me prit les mains dans les siennes et me dit calmement, mais fougueusement, dans cette juste mesure entre les éléments qu'il sait trouver dans les moments qui comptent : " je te veux ".

La suite, vous la devinez : fin des souffrances et des problèmes imposés à moi-même, par cette seule parole qui fut suivie de tendres gestes. Cette si belle musique, il me l'a rejoué le matin même au réveil, comme pour me dire que les ébats de la veille n'avaient pas été un vain rêve.

vraiment bon. je pense j'aurais un peu plus joué de la ponctuation vu que c'est une lettre, pour bien marquer plusieurs fois les temps lorsqu'on la lit en temps que receveur et amie de madame.
Mais l'appréciation y est, c'est vraiment le style que je préfère en littérature. les descriptions ne sont pas inutiles et ennuyeuses et quand elles sont longues elles sont nouées donc c'est bon on accepte de finir la phrase sans trop de soucis. le thème de la musique est bien maitrisé sur les allés et venus avec la scène qui se déroule. franchement j'aime bien. je vais voir ce que tu as écrit d'autre. je suis lecteur de ce style.

AnusCarnivore
Niveau 7
04 juillet 2020 à 20:04:48

Mais la ronde reprit, et sans obtenir raison de mes sentiments et souvenirs, de nouveaux vinrent s'ajouter à ceux-ci : les amoureux dans leur fraîche jeunesse, qui se prennent le bras et scindent à deux la tristesse des eaux humaines de leurs tonitruants éclats de rire, comme de joyeux brises-glaces jetés contre les dents gelées d'une mer à la fin de l'hiver.

Seul passage intéressant, le reste fait trop surjoué à mon goût.

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Sujet : Je te veux
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