Se connecter

Création

Ecriture

Sujet : [roman] Soudain le Déluge
1
Reptilovitch
Niveau 10
30 mai 2020 à 21:27:26

SOUDAIN LE DELUGE

Préface :

Le 5 septembre 2017, Irma (500 km de diamètre, vents de 279 km/h), sa superficie est estimée à 335 000 km2 environ, recouvrant la quasi totalité de la France métropolitaine s'il y était, est désormais classé en catégorie 5 .
— C'est le niveau le plus élevé sur l'échelle de Saffir-Simpson. Il s'approche des îles Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui sont placées en alerte violette.
— Les météorologues l'annoncent comme particulièrement puissant.
— Irma est considéré comme un « supercyclone dévastateur. »
— Le 6 septembre, l'œil du cyclone, d’environ 50 km de diamètre, entraînant des vagues de 6 à 8 mètres de haut, touche vers 2 heures du matin le nord des Petites Antilles et passe directement sur Antigua-et-Barbuda.
— Puis il se dirige successivement vers les îles Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Christophe-et-Niévès, Anguilla et les îles Vierges britanniques, qu'il dévaste.

Fin Septembre 2017, Yoan me contacte. Au téléphone, il est catastrophé, mais en réalité c'est encore pire : il a tout perdu. J'ai connu Yoan lorsque j'étais au collège, dans le fond de la classe. Je venais de me faire renvoyer d'un collège et j'arrivais dans ce nouvel établissement. Yoan fut mon premier ami là-bas. Un type génial, mais handicapé par un contexte familial défavorable. Cela reste néanmoins un ami dont le courage et la force mentale continue de m'inspirer aujourd'hui.

Nous avons gardés le contact via les réseaux sociaux et j'ai suivi son destin de près, car j'étais et suis encore très attaché à lui. Il a quitté la France pour Saint-Martin dans les Caraïbes. Irma a mis un terme à son rêve et c'est pour cela qu'il m'appelle. Tandis qu'il me narre son aventure, j'entends sa voix tremblante et le rythme enlevé de son débit. Je prends la mesure de son traumatisme.

Ce roman est basé sur la retranscription de son récit.

Bonne lecture.

Reptilovitch
Niveau 10
30 mai 2020 à 21:30:24

I

Une seule personne s’était approchée depuis l’ouverture du restaurant.

Un touriste. Il voulait un hamburger, sur les coups de onze heures. Il n’ignorait pas l’imminence d’Irma mais son estomac criait famine. L’interaction entre ce touriste et le jeune homme derrière le comptoir tourna rapidement autour du temps, assez mauvais au demeurant.

Yoan vivait à Saint-Martin depuis une dizaine d’années. Il en avait vu d’autres et il en informa le type. Le type le gratifia d’un sourire connivent. Il dit poliment qu’il venait de loin et demanda si c’était possible de déguster un hamburger ici à cette heure malgré les intempéries à venir.

« Tout ce chemin pour un simple hamburger ? »

Il coula un clin d’œil complice au client et le client sourit en voyant l’œil plissé du jeune homme au-travers de ses verres semi-fumés. Les gens ne venaient pas au Sun Beach pour manger des hamburgers.

« Goûtez plutôt ça. »

Yoan versa un rhum arrangé au piment et au gingembre dans le petit verre qu’il venait de poser sur le zinc. Après un instant d’hésitation, il s’en versa un pour son compte. C’est ce que les gens font lorsqu’ils veulent se donner du courage avant le déluge. Les touristes ne connaissaient pas ça et le jeune homme connaissait l’angoisse que générait l’ignorance ; il était aussi passé par-là.

Les deux hommes trinquèrent et éclusèrent.

« Chez nous, c’est comme une averse. »

Yoan s’accouda sur le bois usé du comptoir, l’air aguerri et las. Il contempla le ciel et nota qu’il noircissait à vue d’œil.

« Ça devient habituel. »

Le client découvrit un tatouage sur son avant-bras gauche. Un nom. GONZALO. Une date. 2014.

« Je n’ai pas envie de tatouer l’autre. »

Le visage de son invité pâlit et le jeune homme se gaussa sans bruit. Il aimait l’audace et il aimait le risque comme il aimait plaire à son patron, dans l’idée que celui-ci pourrait lui confier les clefs de la boutique si d’aventure il décidait de retourner en Métropole. Des rumeurs couraient à ce sujet, mais au-delà de ça, Yoan appréciait son patron autant qu’il appréciait l’argent…si bien que l’idée d’en accumuler toujours plus n’était pas pour lui déplaire.

« N’hésitez pas à revenir quand ce sera terminé, pour un petit digestif.
— Vous n’avez pas peur pour votre endroit ?
— S’il faut reconstruire, on reconstruira. »

Les dégâts causés par Gonzalo avaient amené le gouvernement à penser la sécurisation des bâtiments qui jouxtaient la plage. Des normes devaient être respectées pour qu’à l’avenir cela se reproduise plus. Les constructions anticycloniques devaient prendre des mois et ce délai ne convenait pas au patron du Sun Beach. La saison allait commencer, l’argent allait rentrer ; personne ne pouvait se le permettre.

Yoan et ses collègues avaient remis leur restaurant sur pied et la saison qui suivit fut plutôt bonne. Après quoi des travaux eurent lieu sous la pression des pouvoirs publics. Le jeune homme avait souvent pesté contre ceux que lui et son patron qualifiaient d’empêcheurs de tourner en rond. Seulement, à l’heure où Irma installait son aura poisseuse sur Orient Bay, il consentait à réviser son jugement.

Et à lancer une seconde tournée.

« C’est pour moi. »

Le manager du Sun Beach glissa le billet chiffonné dans la poche pectorale de sa chemise, dont les fleurs exotiques semblaient s’affaisser sous le vent. Dehors les longues feuilles pennées des cocotiers palpitaient paisiblement.

« Ça devrait tenir, on a fait ce qu’on avait à faire.
— Je suis là pour quinze jours.
— Au début, j’étais aussi venu pour des vacances.
— Vous n’êtes jamais repartis ?
— La France, c’est mort. »

Ainsi le jeune homme leva son verre à la Métropole. Ses proches y résidaient et sa femme y séjournait dans sa famille pour quelques semaines. L’espace d’un instant, le client entrevit une moue inquiète derrière les verres semi-fumés.

« Il y a trop de lois là-bas, le temps est pourri et les gens sont stressés. Dès que je rentre en France, je déprime au bout d’une semaine. Ici je suis libre, alors je peux bien tolérer un cyclone de temps en temps. Le revers de la médaille.
— Ils disent aux infos que ça va chauffer pour notre matricule.
— Ils en rajoutent pour que les gens ne sortent pas de chez eux. Ils veulent limiter les accidents et c’est bien normal.
— Je vais rentrer. »

Yoan traîna encore quelques heures dans les allées vides du restaurant et Lolo finit par arriver. Très bronzé, le cheveu court et argenté, il arborait une chaîne de la même teinte autour du cou, une chemisette en lin, un short long et une paire de claquettes. Il affichait une mine préoccupée.

« On va fermer, ça va péter fort. »

Le jeune homme et son boss rentrèrent les parasols et les transats à l’intérieur du Sun Beach. Ils barricadèrent les fenêtres avec des planches en bois même s’ils savaient qu’en cas de grabuge cela n’empêcherait pas les pillages de saccager l’endroit. Ils vidèrent les frigos et prirent les bouteilles de champagne. Lolo chargea son pick-up et désormais il s’apprêtait à partir. Il enclencha le contact et proposa une dernière fois au manager de venir le rejoindre chez Derek. Derek travaillait au Sun Beach en tant que barman.

« Je vais rester à la maison. J’ai tout prévu pour me faire une petite soirée et demain matin il n’y paraîtra plus.
— Si tu changes d’avis n’hésite pas. Après ce sera trop tard.
— Toi et moi on n’est pas nés de la dernière pluie. On sait ce qu’on doit faire pour que ça se passe bien.
— Chez Derek, on est en sécurités. »

Ils se sourirent et se firent la bise sur ces entrefaites.

Yoan enfourcha sa Yamaha MT-07 sans casque et pour lui c’était un réel plaisir que de circuler ainsi, avec l’air chaud qui caresse le visage. Sur la route du retour il huma les relents iodés de la houle conjugués aux vapeurs entêtantes des pots d’échappements. Il serpenta entre les véhicules embouteillés et les riverains agités. Les gens allaient et venaient en marchant rapidement et certains couraient, vers chez eux ou vers ailleurs.

Le jeune homme vivait à Oyster Pond, au cœur d’un quartier neuf fait de maisons mitoyennes aux façades boisées et la plupart d’entre elles comprenaient une piscine. La sienne avait été construite en front de mer. Il pénétra dans son logement et comme chaque fois qu’il rentrait la fierté l’envahissait car ce logement, il l’avait acquis seul et à la sueur de son front.

Le vent fouetta son visage dès qu’il ouvrit la baie vitrée. Des vagues se vautraient contre sa maison et l’écume pétillait comme une aspirine dans un verre d’eau. Le gris de l’océan lui évoqua le béton qui tapissait le Nord de la France.
Le remous incessant laissait dériver de vagues souvenirs à la surface de sa mémoire.

Reptilovitch
Niveau 10
30 mai 2020 à 21:34:18

2

« Je suis désolé d’insister, Maquard, mais je vais quand même venir te prendre. Tu es en première ligne, ici tout le monde se fait évacuer. Tu ne te rends pas compte… »

Le jeune homme ne s’obstina pas, la pression venait de tous les côtés. Sa famille et ses amis en métropole, les insulaires, tout le monde y allait de son pessimisme et cela avait fini par le décourager. Les vagues s’abattaient de plus en plus haut et de plus en plus fort sur la corniche. Il constitua son kit de survie. Dans un sac à dos, il déposa quelques boîtes de thon, deux bouteilles d’eau, des bougies, des briquets et les vingt mille dollars qui dormaient sous son sommier.

Il se passa vingt minutes avant que le ronronnement du pick-up de Lolo ne se fasse entendre.

« Tu devrais bâcher ta moto. »

Yoan le fit et dans le pick-up il contempla ses biens avec la mélancolie des dernières fois. Une vague suffirait à tout engloutir et cette perspective lui procura quelques sueurs froides.

« Merci d’être venu.
— Qu’est-ce que je ferais, sans mon super manager ? »

Lolo pétrit l’épaule du jeune homme pour le chahuter.

« Qu’est-ce que je ferais, tu peux me le dire ?
— Rien du tout.
— Bientôt, ce sera toi, le boss, mon pote. »

La bouche souriante du patron se ferma et se pinça, comme s’il croisait les lèvres au lieu de croiser les doigts. Il s’enfonça dans la circulation dense et des klaxons colériques retentissaient de part et d’autre de la chaussée bondée.

« Ils annoncent des vents à plus de trois cent kilomètres heures.
— Tu vas plus vite avec ta Aston.
— Je l’ai mise au garage. »

Le jeune homme aurait aimé qu’on lui propose une place dans le garage pour sa moto, mais il n’était pas du genre à quémander.

« J’espère qu’elle est waterproof.
— Au prix ou je l’ai payé, c’est la moindre des choses. »

Lolo cultivait un état d’esprit à l’américaine. Il aimait les belles choses et lorsqu’il en possédait une, il aimait à en exhiber le coût. Les gens ici avaient eux aussi cette mentalité et personne ne s’offusquait des grosses sommes. Cela rendait les choses possibles et Yoan s’en rendait compte, alors il se plaisait à souvent rappeler à son patron la valeur de leurs acquisitions respectives et à le flatter à ce sujet.

« On se demande ce qu’ils peuvent bien foutre… »

La rue ne désemplissait pas et ce trajet ordinaire entre Oyster Pond et Orient Bay devenait un vrai calvaire. Ils étaient bloqués au même endroit depuis une dizaine de minutes et les golfes creusés du jeune homme brillait d’une couche de sueur. Il se permit de couper la radio et son patron le remercia pour ça ; ils en avaient assez soupé des discours alarmistes qui tournaient en boucle depuis quelques jours.

Le jeune homme contacta sa femme pour la rassurer car elle le harcelait de SMS lui disant de faire attention, de prendre ses dispositions.

« J’ai fait ce que tu m’as dit de faire, je vais passer la soirée avec les autres.
— La maison est bien fermée ?
— J’ai baissé les stores et j’ai tout fermé.
— Tu n’as pas oublié Nessy ? »

Yoan n’aimait pas particulièrement les chats et surtout pas celui-là. Il ne répondait jamais à ses sollicitations ou à ses caresses et cette indifférence chronique avait poussé le jeune homme à suspecter le félin de nourrir une forme abstraite de condescendance à son égard.

Manoua l’interpella comme il restait vague.

« Il est avec moi, tu veux que je te le passe ?
— Très drôle, Maquard. »

Le jeune homme leva les yeux dans le rétroviseur. Il n’aimait pas Nessy, mais puisqu’il n’était pas là où il devait être à l’heure actuelle, sur la banquette arrière, son absence causait un vrai vide dans son existence. Manoua continuait de parler mais le manager du Sun Beach ne l’écoutait pas.

« Mon bijou je dois te laisser, on a pas mal de trucs à préparer.
— Quoi, comme truc ? »

L’angoisse étranglait Yoan et en attendant il ne se confondait dans des explications fumeuses. C’était un bon comédien, mais pas un très bon menteur.

« Il faut que je te laisse. »

Lolo observant son collaborateur qui clôturait l’appel en bégayant. Le jeune homme raccrocha et lui adressa une moue implorante. Le patron compris instinctivement de quoi il retournait.

« Maquard, non.
— Si je ne récupère pas le chat et qu’il y a un problème, alors là je suis fini pour de bon.
— On en trouvera un autre de la même couleur, il y en a pleins partout des comme ça. Elle n’y verra que du feu.
— Elle va me faire un scandale s’il lui arrive quelque chose, Lolo, tu la connais, sois sympa s’il te plaît.
— Elle nous emmerde, ta bonne femme. »

Le patron du Sun Beach soupira, recula, fit trois tours de volant et ils se retrouvèrent dans le sens inverse. La circulation était fluide puisqu’à cette heure personne ne s’aventurait plus vers l’océan. Le conducteur donna un sévère coup d’accélérateur et ils arrivèrent. Yoan déposa les affaires du chat dans un sac U.S Import, attrapa l’animal par la peau du cou et le jeta sur la banquette arrière.

Comme le félin le considérait d’un air torve, avec l’air de celui qui n’entrave rien à ce qui se trame sous ses yeux, le jeune homme pointa sur lui un index menaçant.

« Tiens-toi tranquille ! »

Nessy fit le dos rond et planta ses griffes dans le revêtement en cuir de la banquette arrière. Fils de pute, songea Yoan, puis il s’assura discrètement que son boss n’avait rien vu. Au contraire il regardait droit devant, il s’impatientait.

« Allez, assez perdu de temps. »

Le jeune homme claqua la portière et jeta un dernier regard vers sa Yamaha. Peut-être que c’est la dernière fois que je te vois, semblait-il lui susurrer. Le moteur du pick-up interrompit la séance d’adieu.

« Attends.
— Quoi, encore ?
— Il faut qu’on la rentre à l’intérieur.
— C’est vrai que c’est une sacrée bécane, ça serait dommage. »

Ils portèrent ensemble la Yamaha MT-07 dans le logement du manager.

« Sois sage bien sage, toi. »

Le jeune homme caressa affectueusement sa monture mécanique. Lolo semblait ému. Il comprenait.

« 700 mètres cubes, ce n’est pas rien.
— C’est mon bébé. »

Ils retournèrent au Pick Up et retrouvèrent le chat, son corps aplati contre le pare-brise, très étrangement contorsionné.

« Il est bizarre ton chat.
— Il n’est pas net, c’est sûr… »

Après quoi ils s’enfoncèrent à nouveau dans les embouteillages, dans la moite obscurité d’une nuit précoce.

Reptilovitch
Niveau 10
30 mai 2020 à 21:38:54

3

Le resort d’Orient Bay occupait le nord-est de l’île. Composé d’hôtels, de bars, de restaurants et aussi d’une supérette, ils permettaient aux gens qui y séjournaient d’y rester sans jamais avoir à quitter l’endroit. Les touristes laissaient leurs vies entre parenthèse et pour cela ils payaient étaient prêt à dépenser des sommes qui faisaient la prospérité des Saint-Martinois.

Cependant, la fin d’après-midi ressemblait au milieu de la nuit tant les rues étaient mortes. Tout était fermé. Yoan et son boss arrivèrent à dix-sept heures, leur patience épuisée par les kilomètres de bouchons qu’ils venaient d’affronter.

Derek les retrouva sur le parking. Français né en Amérique, il mesurait près d’un mètre quatre-vingt-dix et accusait un physique en forme de poire, en somme des épaules très étroites et un bassin large révélé par les coutures cintrés d’une chemise grise comme le ciel. Même s’il n’avait connu que la vie des îles, le teint du barman virait cireux et ses yeux soulignés de grandes et sombres cernes attiraient sans cesse les gags vaseux de ses fieffés collègues.

Encore cette après-midi, malgré le contexte difficile, cela ne manqua pas.

« Vous voulez que je porte quelque chose ?
— Monte déjà tes valises. »

Derek ne riait jamais et son sens de la répartie pour le moins limité faisait de lui la cible parfait pour d’irréductible vanneurs tels que Yoan et Lolo. Le premier lui jeta le chat dans les mains et lui demanda de s’en occuper en précisant que c’était une bête désagréable au possible susceptible de faire ses coups en douce.

« Je suis allergique.
— On n’aura qu’à le mettre dans un placard. »

Le barman du Sun Beach n’avait rien contre cette idée mais Marie ne partageait pas son avis. Marie était une blonde platine d’un mètre soixante-quinze, mince, pulpeuse et bronzée. Son corps entièrement tatoué et sa peau lisse était toujours mis en valeur par un apprêtement minimaliste. Nessy planta ses griffes dans les bonnets bleu turquoise du maillot de bain et il se mit à miauler pour attiser la tendresse de cette jeune femme qui adorait les chats.

« Il va rester avec nous.
— Je suis allergique.
— Ce n’est que l’histoire d’une nuit, tu ne vas pas mourir, non plus. »

L’affaire fut vite classée ; Derek ne trouva rien à redire et tout le monde avait besoin de se changer les idées. Ils s’attelèrent à la préparer la soirée. Le programme consistait à un moment de détente, à boire du champagne et à déguster des acras de morues en redessinant les contours du monde dans l’imaginaire tandis que les vents balaieraient sauvagement leur rêve éveillé, cet idéal pour lequel ils avaient tout quitté.

Les informations diffusées par Tropique FM n’étaient pas des plus réjouissantes. Assis sur son canapé, Derek écoutait ce bulletin qui tournait en boucle, annonçant l’imminence d’un carnage. Il avait l’air crispé. Ses yeux étaient très rouges et le jeune homme à la chemise à motifs floraux s’en aperçut. Il se posa à côté du barman et passa un bras amical autour de son cou.

« Ne pleure pas mon biquet, ça va bien se passer.
— Ce n’est pas ça, c’est à cause du chat.
— C’est solide, ici, les constructions sont récentes, il n’y aura pas de problèmes. »

Derek éternua brutalement, à l’intention du manager qui jouait la sourde oreille, juste à côté de son visage, heureusement il mit quand même la main devant la bouche. Le jeune homme s’entêta néanmoins.

« On va mettre du son, histoire de se changer un peu les idées. »

Désormais les fenêtres étaient verrouillées, les volets baissés et même les rideaux tirés. Après tout pourquoi pas, s’amusa l’équipe du Sun Beach tandis que la voix rugueuse de Vybz Kartel s’imposait.

Les esprits se détendirent puis successivement s’échauffèrent en même temps que les bouteilles de Ruinart blanc de blanc descendaient. Le rythme endiablé du dancehall surplombait celui que produisaient les vibrations du volet contre la structure bétonnée de l’immeuble, de même que les éternuements du barman, de plus en plus régulier.

Le jeune homme, désormais torse nu, dansait les bras écartés au milieu du salon avec une cigarette entre les lèvres malgré l’interdiction du propriétaire des lieux. « On ne va quand même pas le faire sortir », l’avait défendu Marie alors que son compagnon s’insurgeait.

Yoan perçut l’expression du soutien de la jolie blonde comme une tentative de séduction, c’est pourquoi il dansait avec entrain mais d’une manière un peu raide comme il contractait ses abdominaux de toutes ses forces.

Le vent soufflait de plus en plus fort alors il monta encore le son, si bien que pour discuter avec Marie il dût s’asseoir juste à côté d’elle. Pour s’attirer les faveurs des femmes il aimait à mettre son régime alimentaire en avant. Au fil de ses années au bord de la plage, à côtoyer de jolies filles en maillot de bain, il avait remarqué que la richesse matérielle des hommes ne les émoustillait pas tant que leur profondeur spirituelle.

« Je ne mange plus d’animaux pour la simple et bonne raison que je n’ai pas envie de bouleverser l’équilibre entre les espèces. Entre nous, il faut dire que l’humain, sur la planète, fait office d’intrus. Le simple fait que l’on se situe au sommet de la chaîne alimentaire montre que l’on a perturbé l’harmonie naturelle des êtres vivant. C’est simple, déjà lorsqu’on parle de « sommet », ça implique automatiquement qu’il y a quelque chose tout en bas. On parle donc d’un système pyramidal, or quelle forme t’évoque le mot harmonie, Marie ? »

Marie ne comprit ni la question, ni la raison pour laquelle Yoan avait pioché dans le bol d’accras juste après l’avoir posée. Derek et Lolo l’observaient en se jetant des œillades aussi discrètes que moqueuses ; ils ne connaissaient que trop bien l’emphase du manager.

« Quand on dit harmonie, on pense circulaire. »

Le jeune homme décrivit la forme susnommée de son index, l’air pénétré.

« On parle de quelque chose de fluide, comme les planètes. Ne pas manger les animaux, ce n’est pas qu’une question de santé, c’est aussi une question de conscience cosmique. Ce soir, c’est parce que c’est un soir particulier, alors je m’autorise un écart, et puis on est là, tous ensemble, c’est la bonne ambiance.
— Tu es vraiment un homme de conviction.
— Tout à fait. Je sais où je vais et comment j’y vais, ça c’est clair. »

Les yeux de Marie restaient rivés sur l’écran de son téléphone depuis le début du monologue. L’aspect sarcastique de sa déclaration, proférée d’une voix dont la neutralité rivalisait dangereusement avec de l’indifférence n’échappa ni à son homme, ni au boss du Sun Beach qui renchérit par goût du jeu :

« Tu ne sais pas encore le plus drôle, Marie. Maquard ne t’a pas raconté comment cette révélation cosmique l’a frappée.
— On la connaît par cœur, l’histoire de sa révélation, il nous la raconte tous les quinze jours.
— Tu n’as qu’à te trouver tes propres histoires, Derek. Les gens adorent quand je raconte les miennes. »

Il pivota à nouveau vers Marie, dont les ridules plissées du front n’indiquaient rien de bon à propos de la situation à l’extérieur. Elle suivait les publications d’un groupe Facebook qui relatait des situations de plus en plus dramatiques. Le vent et la pluie avait encore grappillé un peu d’espace sonore, mais le jeune homme n’allait pas s’en soucier tout de suite, son quart d’heure de gloire n’était pas terminé.

« C’était un soir avec Manoua et c’était la première fois que nous prenions du LSD. C’était un soir, lors d’une beach party, il y a deux ou trois ans. On a pris chacun un truc et on est partis danser sur la plage. De toute ma vie, je n’ai jamais aussi bien dansé. Je te jure, les gens m’ont encerclé, Ils croyaient que j’étais un vrai danseur, ils me demandaient ou j’avais appris !
— Ils annoncent des rafales à plus de trois cent kilomètres heures.
— Et après on est allés s’allonger sur le sable et on a fait l’amour comme des bêtes. Et puis on s’est endormis et c’est là que j’ai eu la révélation. Je me suis vu non plus comme un simple individu, mais comme un simple maillon, à la même hauteur qu’un iguane ou qu’un insecte. A l’échelle de l’univers, c’est ce que nous sommes : des insectes. »

Lolo coupa le son et seuls demeurèrent les hurlements de la nature en furie.

ghost_ulug
Niveau 6
07 juin 2020 à 09:39:19

Bonjour,

Je viens de lire ce début de roman, c'est captivant et fluide. Que dire de plus ? Bravo ! https://www.noelshack.com/2020-23-7-1591514749-sinatra-gardner.jpg

"Des vagues se vautraient contre sa maison et l’écume pétillait comme une aspirine dans un verre d’eau."

Ce passage-là est vraiment bien. https://www.noelshack.com/2020-23-7-1591514687-ecrivain.jpg

Une suite ?

Reptilovitch
Niveau 10
26 juillet 2020 à 13:34:55

4

Affalé dans le canapé, Derek suffoquait, éternuait et se grattait. Son état de santé n’était cependant pas la préoccupation première. Il faisait moins de bruit qu’Irma.

« J’ai du mal à respirer
— C’est le stress.
— C’est à cause du chat ! »

L’éternuement qui suivit assaisonna l’accusation de Marie d’une pincée de virulence. Yoan s’abstint de la contrarier. En désespoir de cause, il pointa Nessy du doigt. Le chat dominait l’assistance, allongé sur la quatrième latte de l’étagère en bois du salon, toujours affublé de l’air arrogant que le jeune homme exécrait plus que tout au monde.

« Tu vois, c’est de ta faute, ça ! »

Durant les quinze dernières minutes, la tension était montée d’un cran. Parmi les Saint-Martinois inscris sur le groupe Facebook dédié au cyclone, certains relataient d’importants dégâts dans leurs habitations. Minuit approchait et leur nombre augmentait sans cesse, d’après Marie qui lisait chacun des postes d’une voix de plus en plus blanche.

Aussi dans l’appartement d’Orient Bay, trente mètres avant la plage, on écoutait les bourrasques, on repérait les bruits et on pronostiquait leurs origines. Et en dépit de ce concert d’hypothèses en tout genre et de phrases au conditionnel, le vacarme s’intensifiait et gagnait de plus en plus de crédibilité.

Yoan crut entendre la complainte d’un monstre antédiluvien endormi au fin fond de l’océan et ramené à la vie par la folie des hommes. Ses yeux brûlaient de sommeil mais les muscles crispés de sa mâchoire prévenaient toute tentative de bâillements.

« Vous devriez aller dans la chambre, je vais rester ici avec le chat. »

Tout le monde adopta l’idée du manager. Bientôt, Irma diminuerait et tout serait terminé, ils en étaient tous convaincu. Comme il n’y avait plus rien à manger ni à boire sur la table, ils décrétèrent qu’il était grand temps d’aller dormir.

« Je vais camper dans la salle de bain, si ça pète vous me rejoindrez. »

Lolo installa sa couche dans la baignoire. C’était la zone la plus sécurisé, là où il fallait se terrer en priorité en cas d’ouragan. Le patron du Sun Beach n’était pas chez lui mais il ne renonçait pas pour autant aux privilèges qu’induisait sa position hiérarchique.

« Bonne nuit. »

Chacun savait que le sommeil tarderait à venir ou ne viendrait tout simplement jamais. C’était le cas de Yoan, dont le cœur battait la chamade. Il avait positionné son sac de couchage derrière le sofa qu’il avait décollé du mur. Il craignait que la fenêtre se brise et que des éclats de verre se fichent dans son corps et le transperce.

Vision d’horreur.

Son imagination vivace élaborait mille scénarios plus catastrophiques les uns que les autres. Il se sentait comme un guerrier dans une tranchée, à couvert sous le feu nourri d’un ennemi insondable, qui l’encerclait et duquel il ne pourrait jamais triompher. Il réécouta et relut le message de ses proches. Dans les trémolos de la voix de sa mère, comme dans la ponctuation approximative des sms de son père, il crut saisir l’expression d’une angoisse que l’on préfère taire pour ne pas éveiller celle du principal concerné.

Le jeune homme broda alors l’allégorie du patient auquel on n’ose pas révéler un cruel diagnostic. Il se vit dans un lit, éclairé par des néons pâles, étouffés par le sourire hypocrite et compatissant d’une famille déchirée par son supplice. Il alluma une cigarette avec l’espoir d’ainsi consumer son anxiété, en vain. Il avait envie d’appeler Manoua pour soulager son esprit torturé, mais il ne voulait pas l’inquiéter plus qu’elle ne l’était déjà.

Il composa trop tard son numéro. Le réseau ne fonctionnait plus.

Irma mettait le resort sans dessus-dessous. Elle exprimait sa colère envers et contre tous ce que l’humain avait dressé comme obstacle à son épanouissement. Elle revendiquait sa souveraineté en dehors des parcours balisés par le pouvoir public. Elle se fichait des règles, des contraintes et de ses congénères ; de loin et de haut elle dominait la Terre et ses habitants.

Elle se fichait des dommages collatéraux et Yoan savait qu’il ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Or, il lui paraissait impossible de se résigner, de laisser tomber et d’attendre patiemment que le ciel ne lui tombe sur la tête.

Il fit quelques pompes, quelques abdos en songeant à ceux qui avaient donné à sa jeunesse le goût de l’héroïsme et de l’individualisme. Stallone, Van Damme, Schwarzenneger… tous surmontaient les épreuves par la seule force de leur profonde détermination. En suivant leurs préceptes, il se persuada que face à la nature il aurait toujours un poids. Quand il ne sentit plus ses bras, il entreprit de se masturber en imaginant que quelqu’un d’autre le faisait à sa place.

La vitre explosa au moment où le visage de Marie se formait dans son esprit et elle apparut pour de vrai. Il remonta rapidement son short en priant pour que l’obscurité ait pu préserver son intimité.

« Au secours ! »

Derek sortit de la chambre, une bougie dans la main. La flamme vacilla puis s’éteignit rapidement. Les rafales s’engouffraient dans l’appartement, soufflant une symphonie mortifère sur l’équipe du Sun Beach.

« Plus de courant. »

Le volet arraché offrit une vision d’apocalypse aux salariés du Sun Beach. Des courants s’étaient formés dans les allées du resort et à sa surface des milliers d’objets dérivaient. Des parasols, des transats, des chaises, des tables, des morceaux de grillages, des meubles. Tous ces objets issus de la fabrication humaine comme autant d’êtres vivants se précipitants aveuglément vers leur fin, comme si leur instincts de survie avait mué en pulsion autodestructrice à l’insu de leur plein gré.
L’espace d’un instant, le cœur sur les lèvres, Yoan si vit lui aussi partir, embarqué par ce courant infernal et il se dit que contrairement à ces objets, il avait une âme. Il envisagea sa fin comme un évènement matériel uniquement.

Même si je meurs, je survivrai.

Un jet glacial pissa du plafond, doucha son corps et ses espoirs. Puis un autre. Puis des dizaines d’autres et rapidement ils eurent les pieds dans l’eau. Lui et les autres se démenèrent pour sauver un maximum de choses, de couvrir l’électroménager, la Playstation et la télé, mais c’était peine perdue ; le déluge redoubla dans d’intensité. Un vent violent précipita Lolo sur le sol imbibé. Ses deux salariés le redressèrent et ils se réfugièrent tous ensemble dans la salle de bain.
Ils formèrent une tente de fortune dans la baignoire en utilisant le rideau de douche, quelques lattes du parquet qui s’étaient décrochées et des serviettes de bains. Perché sur la tringle, le chat n’arrêtait pas de miauler.

« Ferme-là ! »

Marie appela la gendarmerie la ligne d’urgence qui avait été mise en place en cas de perturbation réseau.

« Monsieur, s’il vous plaît, on a besoin d’aide, il y a de l’eau partout !
— Vous avez débranchés les appareils électriques ?
— On n’a plus de courants.
— Faîtes-le quand même, on ne sait jamais !
— Aidez-nous, le plafond du salon est complétement percé, c’est inondé, on va se noyer !
— Allez dans la salle de bain et n’en sortez plus !
— Venez nous chercher !
— On ne peut envoyer personne, madame, l’île est complétement paralysée ! »

La panique énorme du gendarme transpirait malgré les fritures sur la ligne. Marie raccrocha.

« Des incapables ! Des bouffons »

Elle secoua Derek, agonisant la tête sur son épaule.

« Je vais crever.
— Virez ce chat !
— C’est toi qui voulais le garder depuis tout à l’heure !
— Vous ne voyez pas qu’il siffle ? Foutez-le dehors, à la fin.
— On croyait que c’était le vent ! »

Yoan mit un temps avant d’ouvrir la porte et quand il y parvint, la porte s’arracha à ses battants. Ventousé, il se récupéra à genoux dans les cinquante centimètres d’eau glacée. Déposa Nessy en haut de l’armoire en lui ordonnant de ne pas bouger et s’enorgueillit que pour une fois, ce chat l’écoutait. Cette observation ne suffit pas à lui remonter le moral. Il se rappelait du jour il avait tout quitté.

Reptilovitch
Niveau 10
26 juillet 2020 à 13:39:05

5

Huit ans plus tôt.

« Maquard, tu as vu l’heure qu’il est ? »

Mélanie fronça les sourcils sous sa visière McDonald’s. Sa poitrine lourde et informe dégoulinait sous le polo réglementaire. Yoan l’ignora complétement. Il déposa son sac dans son casier en sifflotant.

« Maquard, je te parle ! »

L’employé polyvalent se retourna calmement. Son visage apaisé dégageait une force tranquille qui déstabilisa grandement sa manager.

« Tu te crois ou ? Onze heures, c’est onze heures, pas onze heures trente.
— C’est mon dernier jour.
— Ça ne te dispense pas de respecter tes horaires. »

Le jeune homme souffla toute sa lassitude au visage de sa supérieure.

« Ça fait huit mois que tu me pourris la vie.
— Je fais mon boulot, un point c’est tout.
— Demain, tu ne reverras plus ma gueule.
— Tu commences aux frites. Active-toi, tu es à la bourre. »

L’employé se prépare au contraire très tranquillement. Dans l’attitude détestable de sa manager, qui témoignait selon lui d’une profonde frustration et d’une aliénation mentale pathologique, il avait trouvé une raison supplémentaire pour dire adieu à la Métropole. Adieu à la grisaille, adieu à la bêtise. Bonjour la liberté.

Aurélio l’attendait là-bas, au soleil. Enfin sa vie allait débuter.

Fin prêt, il salua ses collègues avant de s’installer aux frites avec Rebecca. Il aimait bien cette fille. Elle arrivait à avoir de l’allure avec cette combinaison atroce qu’il ne pouvait plus voir en peinture. Heureusement, elle avait un copain depuis plusieurs années. Heureusement, leur relation qu’il imaginait tumultueuse est passionnelle aurait sans doute remis ses plans en question.

« Salut Rebecca.
— Salut Yo, la forme ?
— Comme un dernier jour.
— La chance !
— Tu me donneras des nouvelles ?
— Avec plaisir. »

Au cours de la journée, Mélanie ne fit que le harceler et après le rush du midi elle lui ordonna de passer au drive. Il prit la place au guichet des remises de commande. La manager cassait les pieds à tous les équipiers au sujet des sauces pommes-frites et des serviettes. Une par commande et par personne, ne cessait-elle de répéter, si bien que pour son baroud d’honneur, Yoan décida de marquer le coup.

« Quelques sauces en plus, monsieur ?
— Volontiers. »

Yoan plongea sa main dans le bac à sauces et en vida le contenu dans le sac en papier. L’automobiliste ne cacha pas son plaisir ni ne masqua son étonnement ; il n’observait que très rarement un tel enthousiasme de la part des employés du McDonald’s. Qu’à cela ne tienne, il adorait cette sauce.

« Quelques serviettes en papier ?
— Ça ira, je vais manger chez moi et je…
— Sait-on jamais, mon bon monsieur ! Au cas où ! »

Le jeune homme enfonça une poignée de serviettes par-dessus le supplément de sauces pommes-frites et souhaita une excellente journée à l’automobiliste. Au cours de la journée, le démissionnaire répéta plusieurs fois l’opération. L’hilarité contamina peu à peu ses équipiers.

« Mélanie, il n’y a plus de sauces ! »

La manager débarqua comme une furie tandis que ses collaborateurs fuyaient son regard inquisiteur. Ils masquaient leurs sourires autant que faire se peut, d’une main ou d’une moue.

« Qu’est-ce qu’il se passe ?
— Il n’y a plus de sauces.
— Plus de sauces, c’est une blague ?
— Non »

Pour preuve, Yoan pointa le bac en question. Trois malheureux sachets traînaient au fond.

« Ce n’est pas possible, j’ai remplis le bac ce matin.
— Tu as sans doute mal évalué…
— J’évalue très bien, il faut respecter la règle.
— Une sauce par personne, j’avais oublié, merde. »

L’équipier frappa son front du plat de sa main, l’air désolé. Mélanie opéra une volte-face des plus suspicieuses. Les employés qui assistaient à la scène les yeux rougeoyants de rire l’imitèrent ; ainsi on eût dit qu’ils poursuivaient leurs labeurs respectifs avec application. Quand Yoan trouva le visage de sa supérieure complétement cramoisi, lorsqu’il l’eut à nouveau dans son champ de vision.

« Tu ne vas pas me manquer.
— Tu ne peux pas te passer de moi. »

Mélanie tourna les talons.

« Mélanie ?
— Quoi ?
— Il n’y a presque plus de serviettes. »

La manager partit en pestant contre lui, après quoi il reçut les félicitations de ses collègues. Cela offrait un peu d’animation à leur quotidien mécanique et le jeune homme reçut leur ovation avec tout l’esprit qui le caractérisait.

« Je voulais avant tout remercier mes parents sans qui je n’aurais jamais obtenu cette récompense… »

Il brandit une boîte de hamburger et la tint contre son ventre à la manière d’un César.

« Ainsi que mon poisson rouge, surtout lui d’ailleurs… »

La manager déboula au milieu d’un concert de rires et d’applaudissements.

« Qu’est-ce qu’il se passe, ici ! »

Yoan dût insister pour terminer son service. S’il aurait volontiers décampé, il ne voulait pas mettre les autres en difficulté. L’euphorie se dissipa au fil des heures et les regardants s’agiter dans tous les recoins de la cuisine, assignés à des tâches qu’ils effectuaient sans sourciller, il sentait appartenir à une autre espèce qu’eux.

Eux, ils étaient les automates. Des robots qui resteraient coincés ici pour toujours, dans ce même MacDo de banlieue, tandis que les supérieurs se succéderaient pour toujours les traîner plus profond dans la boue.

Ce sentiment d’avoir rompu seul ses chaînes le grisait profondément. Des ailes lui poussaient sous son polo règlementaire et il les déploya devant Rebecca, assez admirative. Pour la première fois, il avait la sensation de renvoyer une image charismatique.

« On se reverra peut-être.
— Je ne pense pas, Rebecca. »

Et il grimpa dans le bus, avec sur son visage l’air grave d’un astronaute en partance pour une mission aux confins de l’espace.

C’était son dernier jour.

Le lendemain, il allait grimper dans l’avion pour démarrer une nouvelle vie à Saint-Martin, dans les Caraïbes.

Barbebarde
Niveau 28
28 juillet 2020 à 17:10:47

La preface est accrocheur et concise.

Le client découvrit un tatouage sur son avant-bras gauche. Un nom. GONZALO. Une date. 2014.

« Je n’ai pas envie de tatouer l’autre. »

Il y a une référence à saisir ici ? Je ne l'ai pas.

Les dégâts causés par GONZALO...

OK j ai la réf maintenant.

La bouche souriante du patron se ferma et se pinça, comme s’il croisait les lèvres au lieu de croiser les doigts.

J aime bien l image.

« Ils annoncent des vents à plus de trois cent kilomètres heures.
— Tu vas plus vite avec ta Aston.

Idem

il crut saisir l’expression d’une angoisse que l’on préfère taire pour ne pas éveiller celle du principal concerné.

Idem

il mesurait près d’un mètre quatre-vingt-dix et accusait un physique en forme de poire, en somme des épaules très étroites et un bassin large

On dirait la description de mon physique. Ça me fait un choc.

Bon mon avis sera rapide comme je ne vois aucune chose négative à relever. Le thème de prime abord ne m intéressait pas (les Antilles, les histoires modernes, les tempêtes c est pas mon dada) et pourtant c est si agréable à lire qu'on se laisse embarquer.
Quelques jolies/sympa que j'ai relevé précédemment et qui sont toujours agréables à l'œil.
J'ai bien aimé le côté humoristique du dernier jour au Drive. Assez léger pour faire sourire et assez modeste pour avoir l air réel. C est le genre d anecdote qu on pourrait entendre en soirée.
Le personnage a l'air également réel avec ses défauts (se branler au cœur de la tempête, le chat qu il n aime pas, le mensonge sur ses convictions...)
Bref du bon boulot, la lecture à été agréable :oui:

Reptilovitch
Niveau 10
09 août 2020 à 20:20:10

Content que ça te plaise Barbebarde :cool:
Quoi de mieux, en cette période de canicule, que de se plonger dans l'atmosphère enfiévrée des Caraïbes.
C'est normal que ça semble réel, puisque c'est vraiment basé sur le récit de mon pote.
Autant te dire qu'il a un certain charisme et un peu une grande gueule. J'essaie de construire le récit sur sa vision des choses, en gardant tout de même la distance nécessaire à une forme d'observation sociale.
J'espère que tu aimeras tout autant les prochains chapitres, à bientôt :cool:

1
Sujet : [roman] Soudain le Déluge
   Retour haut de page
Consulter la version web de cette page