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Sujet : [Nouvelle] Chaussures Quatre-Fromages
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ViceeJoker
Niveau 9
04 juin 2020 à 21:10:11

VICEE JOKER
LES CHAUSSURES QUATRE-FROMAGES
SeXplicite Collection
N°002

Cette histoire se déroule il y a environ cinq ans, alors que je passai tout mon temps à boire et à fumer dans les jardins publics. Un jour, je suis avec mon pote, sous un arbre à l’abri d’un soleil qui dessèche la verdure.

Nous descendons des flashs de whisky comme si notre vie en dépendait.

C’est une chaude journée comme rarement on en voit. Les gens sont tous à peine vêtus, voire carrément à poil pour certaines petites exhibitionnistes que les premières chaleurs estivales désinhibent.

J’ai déjà une petite gaule à force de mater tous ces petits culs. Mon pote décide de mettre de la musique. C’est une bonne idée, ça égaie une après-midi moite ponctuée par nos rires et nos postillons qui fleurent bon l’alcool fort ; ma poutre apparente pourrait soutenir n’importe quel mur porteur à cet instant. En face de nous, une nana dort sur le ventre et sa jupe relevée laisse entrevoir son cul hâlé et la double-ficelle de son string d’allumeuse.

Peu de temps après, deux types viennent à notre rencontre.

Ils ont de drôles de dégaines. Leurs yeux sont explosés et ils sont tellement ailleurs que de la bave blanche coule dans les crevasses de leurs lèvres épaisses. Ils viennent de loin, ils ont traversé des dizaines de pays pour arriver ici. Et quel bonheur ! Les voilà avec nous, fumant, buvant et riant. On ne parle pas la même langue, heureusement la gnôle et la musique ont le pouvoir de délier les langues.

Ces deux pauvres mecs sont des clochards, des sans-domiciles fixes. Ils vivent dans la rue et écument les foyers, en répandant leurs germes çà et là, au gré des vents.

Comme nous sommes à trois grammes et qu’eux aussi, les deux bonhommes applaudissent et dansent et puis l’un d’eux me fait comprendre qu’il veut se mesurer à moi. En un contre un, à la régulière. Il me dit que c’est comme ça qu’on fait dans son bled mais j’ai du mal à le suivre, je ne sais pas de quoi il parle et mon pote n’est pas plus avancé que moi à ce sujet. Il veut se battre, IL veut m’affronter ? Il n’a pas l’air agressif, il me parle d’une tradition :

« Dans mon bled, c’est comme ça ! », il m’assure.

Mais, de quel bled s’agit-il au juste ?

Je n’obtiendrai jamais de réponse à cette question, et à vrai dire, je m’en moque éperdument. Mon corps évacue le whisky par tous mes pores, je suinte. Ivre d’amour, je décide de prendre ces types sous mon aile. C’est dingue comme parfois je ne suis que partage.

Leur hygiène approximative et leur accent grossier ne les rends pas très sympathique, cependant je me fiche de tout : nous devons être un mardi ou un mercredi mais cette journée sonne comme un chouette dimanche, en fait c’est tout ce qu’il y a de plus sensuel.

« Allons, bon, les gars, venez chez moi, j’ai tout ce qu’il faut pour décoller. »

C’est à cet instant que mon ami décide de me prendre entre quatre yeux. Ce n’est pas sérieux, il me dit. Ils me tirent par l’épaule et m’entraîne un peu plus loin, en aparté des deux marginaux qui empestent à quinze kilomètres.

« Tu es sûr que tu veux les ramener chez toi ? »

En même temps que j’essuie ces quelques remontrances, j’épie le manège des deux garçons et leurs gestuelles bizarres. Je veux en savoir plus. Demain j’aurai tout oublié, mais au moins je les aurais connus, et peu importe le lieu de notre rencontre. Dans cette dimension ou dans une autre, chez moi ou dans une fosse septique, qu’est-ce que ça change, en fin de compte ?

Cette question, je l’envoie à mon ami comme un parpaing sur ses orteils. Il hausse mollement les épaules en retour. Je lui ai coupé le sifflet et il ne sait plus quoi dire.

« Comme tu voudras, en tout cas ils ne sont pas nets.
— Je n’ai pas décuvé depuis environ soixante-douze heures… »

Et je lui demande de me foutre la paix, avant de retourner vers les deux clodos pour leur proposer un petit délire dans mon appartement situé à quelques pas d’ici. Ils veulent me défier ? C’est maintenant ou jamais.

Suite à ma proposition, les deux traine-savates se replient. Leur conciliabule semble mouvementé. Moi et mon pote, on se regarde : bizarre, on dirait que c’est nous, les deux fous que les gens hésitent à suivre.

Quoiqu’il en soit, leur aparté tourne au vinaigre. Ils sont un peu plus loin, derrière un arbre en retrait du parc public dans lequel nous étions installés. En les observant, je vois que ça commence à chauffer entre eux. Pire, la droite du premier part et s’écrase sur la joue du second, qui sort un couteau papillon et plaque la lame sur celle de son compère.

Je cours vers eux et les invite à la clémence. Tout rentre dans l’ordre, après quoi nous nous dirigeons vers chez moi. Durant le trajet, je sens toujours le regard réprobateur de mon ami dans mon dos. Comme ça devient pesant, je ralentis le pas et marche à côté de lui pendant que les deux autres descendent une bouteille de rhum agricole en expectorant ces trucs qu’ils ont au fond de la gorge et qui se mettent à ramper sur le sol ensuite.

« Si tu as un problème, si tu ne te sens pas de le faire, tu peux toujours rentrer chez toi.
— Qu’est-ce qu’ils vont faire au juste, me demande mon pote. Et toi, qu’est-ce que tu vas faire ? »

J’avoue qu’à ce moment-là je suis tout à fait dans l’expectative. Cela dit l’alcool me rend serein et sûr de moi. J’ignore ce qu’il va découler de cette confrontation, mais la petite voix dans ma tête me susurre que ça restera gravé à jamais dans ma mémoire.

Nous arrivons chez moi et les deux types vont pisser tour à tour. C’est là qu’une odeur d’ammoniaque emplit mon salon ; leur urine est tellement forte qu’elle me pique les yeux. Désorienté par une telle puissance olfactive, mon pote ouvre les fenêtres.
Quand il se retourne, je remarque sa pâleur et ça me fait rire, parce que je suis encore loin de me douter ce qui nous attend ensuite ; je me dis juste qu’ils ont dû manger des asperges. Jusqu’alors inconscient du poids que peuvent exercer certains mots sur le destin des hommes, je leur dit :

« Les gars, vous êtes ici chez vous, mettez-vous à l’aise.
— Pas de problème, me dit celui qui articule le mieux. On va le faire. »

Et ils le font.

Ils délacent les lacets de leurs souliers.

Ils sont dégoûtants, leurs souliers, ils sont complétements encrassés. Ils les jettent dans un coin de la pièce et c’est là que le fumet nous embaume.

Que dis-je : ce fumet nous frappe et nous met K.O.

Je n’ai jamais reniflé une odeur plus infernale que celle-ci.
Je me souviens : je me suis laissé tomber dans une chaise et je n’ai plus rien dit.
J’ai simplement humé autant que faire se peut. Oh, oui. J’ai humé à mort.
J’ai respiré de tout mon être les arômes corsés qui émanaient de leurs pieds pourris, jusqu’à en perdre haleine, cependant que mon pote a couru aux gogues pour y déverser ses tripes.

Honnêtement, il m’est impossible de définir mon état à cet instant précis.
C’était la sidération totale.

Le temps s’est arrêté et je les voyais, ces deux SDF en jogging, comme je voyais leurs baskets défoncées qui diffusaient une indicible puanteur dans les moindres recoins de mon salon. Les deux clodos ont imprégné durablement mon intérieur, si bien que de temps en temps, je respire mes rideaux pour me souvenir d’eux.

Et pourtant, ça date d’il y a plus de cinq ans.

Je n’ai jamais connu leur prénom et je ne les ai jamais recroisé.
Ils m’ont défié, ils ont gagné.

FIN

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