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Sujet : [nouvelle] Un dernier voyage
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Docteur11
Niveau 7
25 septembre 2023 à 19:00:00

Sujet : Le voyage le plus fou !

Les cheveux blancs lâchés au vent, un uniforme de marin fièrement porté, une pipe, et une boule au ventre m’empêchant de respirer librement, j’étais sur le point de faire l’expédition la plus folle et la plus loufoque de ma vie. Le rythme de mes pas, convaincu à émettre une rupture dans mon rituel quotidien, m’anima d’une énergie juvénile que mon corps ne pouvait rompre et que mon esprit embrassa mécaniquement à la vue de la cabane en bois que son air triste et moucheté faisait fuir les touristes, pourtant très nombreux à Sainte-la-Croix. Seuls quelques corbeaux faisaient de cette épave leur bonheur, et, disposant leur bec là où la charpente du toit était jugée solide, ils rendaient à cette carcasse un air macabre bien voulu. Je franchis la porte.

« Un lubrifiant, deux durcisseurs et un pot de peinture tout blanc chef ! lançai-je d’une traite à peine la porte franchie juste avant de déglutir (il faut dire que j’en avais pour mon argent).
- Ah ! Ça pour être une surprise, c’en est une ! répondit le vendeur derrière son comptoir. Comment tu vas ?
- Comme un bouchon de liège ballotté par la mer.
- Hmm... ça fait un bail en tout cas. Toujours en train de réparer ta carcasse on dirait.
- Oui, mais aujourd’hui c’est différent. »

Je tendis les quelques sous qui demeuraient noyés dans ma poche et il fit de même pour ma commande qu’il glissa avec délicatesse dans une boîte verte, comme pour appâter son seul client vers un achat supplémentaire. Je saisis alors la boîte par excitation, elle qui m’avait déjà fait perdre assez de temps avec sa préparation minutieuse et son ajustement maniaque, et détalai furieusement vers chez moi.

J’habitais seul dans une grande maison entourée par les bois qui donnait juste en face de la mer. Le genre de maison que les touristes, arrosés par la giclée des vagues et le vin blanc, s’amusent à photographier lors de leurs marches inlassables le long de la mer. Pour ne pas les inquiéter davantage de mon absence, et surtout, parce que j’avais une énigme bien plus importante à résoudre, j’activai le pas.

Arrivé chez moi, je fis une douloureuse expérience qui n’échappa pas à mon premier regard. Le bord de mon jardin était toujours bien occupé par un ananas, une noix de coco et 3 goyaves, mais venait s’ajouter un bout de canne à sucre fraichement déposé par la marée. L’aspect insolite de cette farce, car à ce jour encore je portais à croire que c’en était une, me piqua d’une colère rouge vif convaincue que ma stupeur devait susciter l’euphorie de quelques lointains regards moqueurs. C’était donc décidé : il fallait que je sache qui était l’auteur de ce manège ! De mon premier geste, je déposai la boîte verte qui commençait à peser sur mes épaules, et de mon second, j’attrapai la toile dissimulant ma vieille pirogue d’antan. A première vue, elle ne manquait pas d’allure, mais sa voile était en fait parsemée de coupures et ses longs flotteurs en bois épais cachaient en vérité quelques crevasses qui donnaient au bois mouillé un aspect râpé très fragile. Muni d’un durcisseur, je recouvrai la plaie d’une énergie nouvelle ranimant mes expéditions passées. Les crevasses que je revivifiais avec l’intention la plus charnelle me dévoilaient des souvenirs douloureux coulant dans mon esprit : la soif, les commotions des vagues, la coque griffée par la roche, brisée par l’éclair, la perte… ; aujourd’hui tous engloutis dans mon cœur de marin.

« Et regardez ! C’est le vieux Maurice qui a abandonné son équipage il y a 30 ans ! Toujours occupé à nettoyer son épave ! » s’écria avec moquerie un passant sur la baie.
D’autres individus aux mêmes habits, impatients d’assister au spectacle que j’animais, se joignirent à sa raillerie. Leurs regards contemplatifs laissaient entrouvrir des bouches rieuses qui, sottement, s’écrièrent : « Encore un voyage qui va mal se finir. » Cette déclaration me couvrit d’une honte mêlée de quelques sanglots, mais mes larmes séchèrent lorsqu’un bruit de porte sauveur attira mon attention. C’était Chantal, ma bonne de chambre, revenue avec des draps blancs que je lui avais demandés d’acheter ce matin. Je couvris alors les fruits d’une longue toile pour qu’elle ne s’inquiète de rien, et partis la chercher jusqu’à la porte d’entrée.

« Ah ! Bonjour monsieur Maurice, comment vous vous portez aujourd’hui ? Vous m’avez l’air bien pâle dîtes-moi, c’est la marche de ce matin qui vous a rendu dans cet état ? Peut-être qu’un petit remontant vous fera le plus grand bien… Non ! J’ai mieux ! Un chocolat crème sans sucre comme vous les aimez ! Ah ! J’oubliais… tenez vos draps monsieur Maurice, tout beaux tout propres ! »
Je l’aimais beaucoup Chantal, et elle m’aimait encore plus. Mon tempérament de solitaire était parfois obligé de se rattacher à ce lien honnête et débonnaire que nos deux âmes, l’une triste et l’autre vide, avaient forgé sans retenue comme deux aimants qui ne peuvent se compléter que lorsqu’ils sont unifiés. C’était ainsi que Chantal s’occupait du moindre teint pâle un petit peu plus prononcé sur ma peau, du moindre essoufflement lors d’un effort, du moindre manque d’appétit, et du moindre ronflement trop important chez moi qui pouvait être synonyme d’une rhinopharyngite.

Je la débarrassai de ses longs draps tout en déguisant ma bouche d’un faux sourire lui montrant que tout allait pour le mieux, avant de repartir à mon occupation. Ma surprise fut entière quand je vis que la marée avait gagné quelques mètres supplémentaires sur mon jardin, et qu’une seconde noix de coco avait fait son apparition sur la toile renfermant les autres fruits. Sans plus attendre, j’ôtai à ma pirogue sa voile trouée pour y brandir les longs draps blancs qui, à peine installés, se gonflèrent et se courbèrent au cri du vent. A l’aide de la tempête, je poussai mon navire vers l’eau dans un dernier effort qui fit trembler mes muscles endoloris sous ma vieille peau. Il était temps de partir.
Sous le vent qui balayait le sable et rasait la surface de l’eau, je rendis à l’air ce qui semblait être mon ultime souffle avant le grand départ. A ma droite, sur la rive, les cris des touristes, violents, volaient dans le ciel avant d’être raflés par le vent tandis que Chantal venait d’ouvrir la fenêtre de ma chambre du dernier étage à travers laquelle elle hurlait :
« Monsieur Maurice ! Pourquoi !? C’est l’orage qui s’abat sur la mer ! Revenez !
Un éclair tomba sur le bord de mon jardin que je venais de quitter. Elle continua malgré le bruit :
Non monsieur, pas encore ! C’est une mort douce que vous vouliez ! Pas ça ! »
Un autre éclair, bien plus puissant que le premier, chuta sur le sable et troubla mon ouïe par la pluie claquant sur les vagues, et ma vue par un épais brouillard. Les bruits disparaissaient lentement pour résonner tout bas jusqu’à me plonger dans un silence d’océan que je ne pensais jamais revivre qu’en souvenir… Une pureté qui annonçait une mer d’huile sur laquelle se tenaient en rang des fruits exotiques bercés par le léger mouvement des vagues. Je pouvais deviner une ligne droite reliant le bord de mon jardin à une terre lointaine que les rayons du soleil noyés dans l’horizon me refusaient de voir. Je me tenais agrippé à la voile, pleurant à chaudes larmes la douleur de mes expéditions passées que j’oubliais vite en repensant à la tristesse que pouvait avoir Chantal, la seule personne qui me restait et que je venais de perdre. En rythme, comme une légère danse, se déposèrent des gouttes fines, d’abord ciblées sur mon navire qui, par à-coups, tremblotait, puis se multiplièrent dans l’espace, avec précaution, puis sans relâche elles percèrent la mer par milliers ; dans le ciel, bâtait, grondait, l’orage ! Par un seul souffle la mer s’effondra sous l’épais brouillard dans lequel les fruits flottaient en haut, en bas, sans aucun sens : ma belle pirogue n’était plus qu’une petite barque émoussée sur le dos de la Terre, basculée par les vagues, brisée par l’orage, puis recrachée par la mer.

Dans un noir absolu, une petite lumière vive s’échappait d’un coin. Elle couvrit peu à peu toute ma vision à mesure que la chaleur regagnait mon corps. Je découvris par les sens un sable fin qui grattait le dessous de ma peau, puis par l’imagination une plage ornée de cocotiers sur laquelle ma pirogue, écrasée sur la rive, montrait ses éclats. Proche d’elle, me scrutèrent des silhouettes fines aux ventres creusés par la faim. Nez à nez, j’entrevis mes camarades matelots perdus en mer, échoués sur cette île depuis bien des décennies, qui, avec tout leur amour et leur nostalgie du passé m’avaient envoyé des fruits exotiques depuis leur île pour que je les rejoigne. Je les dévisageais comme mille regards, fier d’avoir reconquis leur sourire, moi qui ne vivais plus que pour cela. Je pensais à ce qu’on aurait à se raconter sur nos expéditions, il fallait déterrer le vrai du faux, évoquer les erreurs qui avaient été commises lors du naufrage, et aborder tout leur passé que je me devais de réparer. Lorsque je m’efforçai de me relever, ils partirent tous dans l’eau, l’affrontant pas à pas de leurs tailles qui se laissaient baigner, puis, avançant tout droit vers l’horizon, ils furent engloutis par la mer qui ne me rendit que quelques vagues bruyantes claquant sur le sable.
Sur la plage, aucun arbre fruitier.

Docteur11
Niveau 7
08 octobre 2023 à 00:06:40

Le up de l'espoir

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