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Savoir & Culture

Histoire

Sujet : Le peuple aimait son roi ?
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iDemeter
Niveau 7
15 juillet 2018 à 12:43:34

J'entends souvent que le peuple en 1789 s'élevait contre les privilèges de la noblesse et du clergé, largement compréhensible, mais qu'il tenait encore à son roi, que les révolutionnaires bourgeois ont finalement déchu et décapité.

Comment sonde-t-on en 1789-1793 l'amour d'un peuple pour son Roi ? Est-ce vrai et comment le sait-on ?

Francocuck
Niveau 7
15 juillet 2018 à 15:18:11

La chouannerie dans l'Ouest de la France illustre bien le fait qu'une partie de la population française était royaliste et contre-révolutionnaire. Après, c'est compliqué de connaître l'avis général de la population à cette époque, il n'y avait pas encore d'étude statistique.
Mais tu peux regarder la proportion de prêtre constitutionnel, proportion très faible en Bretagne par exemple.
https://www.noelshack.com/2018-28-7-1531660292-rhmc-0996-2743-1906-num-8-2-t1-0108-0001-1.png
La source de la carte : https://www.persee.fr/doc/rhmc_0996-2743_1906_num_8_2_4501

Si cette période t'intéresse, il y a la chaîne Histony qui en parle :
https://www.youtube.com/channel/UCt8ctlakIflnSG0ebFps7cw/videos

Dark_Bisou
Niveau 8
16 juillet 2018 à 12:53:27

En 1789 les cahiers de doléances ne s'élèvent pas contre la personne royale mais effectivement contre les privilèges qu'on ne comprend plus. L'Ancien Régime n'est plus compris par une élite intellectuelle au devant de laquelle beaucoup de professions comme les avocats, les juristes, les médecins ou journalistes qu'on retrouve dans les Parlements. Et pour cause, les frondes parlementaires sous Louis XV ne sont pas dénuées de lien avec la Révolution. La plupart des révolutionnaires que l'on connait sont issus de professions libérales. Ce qu'ils ne comprennent plus, ce sont les privilèges inégaux d'une province à une autre, les inégalités entres les ordres, le droit d'user du pouvoir absolu, et la sacralité de la personne du roi a perdu de son sens. Pour caricaturer, au XIIIe siècle on se hâtait devant un roi qui soigne les écrouelles, au XVIIe on en rigole un peu. Certains membres de l'entourage de Louis XVI ont même tenté de ne pas sacrer le roi, on y croit de moins en moins à cette idée de monarchie divine. Après, c'est surtout chez les professions intellectuelles. Les paysans qui représentent la masse de la population française s'inquiètent moins de cela que des injustices de la province voisine ou des calamités naturelles dans les doléances de 1789. La personne du roi n'est pas attaquée à ce moment là, il n'y a pas idée de détruire la monarchie mais de la réformer. C'est lorsque les choses vont s'envenimer par la brutalité et la radicalité des journées du 14 juillet et du 4 août, puis par la fuite du roi que la minorité républicaine aura un argument pour dévaloriser les partisans de la monarchie constitutionnelle : le roi a fuit, c'est un traître, vous aviez tort...c'est assez impressionnant car, la Révolution est régulièrement un renversement de vapeur entre ceux qui sont les moins nombreux mais les plus actifs et ceux qui sont les plus nombreux qui se laissent dépasser voir dominer par cette minorité. Il n'y a pas de partis politiques, ce sont des tendances idéologiques versatiles.

Bonapartiste_
Niveau 6
16 juillet 2018 à 19:21:22

La Révolution à été faite par une minorité d'intellectuels, et les parisiens essentiellement.

Tout l'Ouest de la France et les campagnes plus généralement étaient pro royalistes et très ancrées dans le catholicisme. D'ailleurs peu de monde n'a oscillé lorsque Bonaparte a pris les rênes ni à la Restauration.

iAphrodite
Niveau 7
20 juillet 2018 à 13:00:04

Intéressant merci pour ces pistes !

PaulAlexandre
Niveau 15
20 juillet 2018 à 18:36:07

En soi le peuple était royaliste, il était impensable de s'en prendre à sa personne avant la révolution et même après la prise de la Bastille en 1789 ! (Je prends cette date pour la symbolique bien entendu).

Louis XVI n'était pas mal aimé, c'était un homme simple, gentil, mais qui passait plus de temps à s'occuper des serrures de Versailles qu'à gouverner son pays. Il faut aussi rappeler que le royaume sort victorieux de la guerre d'indépendance américaine, mais affaiblit, endetté, connaissant des famines, et de nombreux idéaux révolutionnaires rentrent en France avec les volontaires.

De plus, le pauvre bougre passe après Louis XIV; le roi Soleil qui fit rayonner la France mais laisse un pays endetté; et Louis XV; le bien aimé mais qui sort perdant de la guerre de 7 ans et perd une grande partie des colonies françaises (celle d'Amérique du Nord et de l'Inde, à l'exception de quelques îles sucrières) (au passage la France et ses alliés sont passés très près de la victoire, la désillusion est telle que Voltaire inventera l'expression "se battre pour le Roi de Prusse").

Au contraire la Reine, Marie-Antoinette, n'était vraiment pas appréciée du peuple. Déjà, elle est autrichienne, ce qui n'aide pas. C'est surtout sa réputation de femme coquette et dépensière, ainsi que le fameux "Ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche" (historique ou pas). Marie-Antoinette a vraiment mauvaise réputation.

Supprimer la famille royale n'a jamais été le point de départ de la révolution, les esprits des lumières (Montesquieu, Diderot, Voltaire, Rousseau) prône une monarchie constitutionnelle et non la mort de la royauté. Malgré la révolution, le peuple ne veut pas perdre son Roi (qui devient Roi des français) comme le montre l'instauration d'une monarchie constitutionnelle, seule une fraction de radicaux souhaite sa mort (y compris dans les révolutionnaires, ce sont les montagnards, dirigés par Robespierre, et non les girondins qui sont le plus hostiles à la royauté). C'est l'incident de Vincennes qui trahit vraiment la confiance et qui justifie la mise à mort.

Burgou
Niveau 2
20 juillet 2018 à 20:51:17

Le peuple, c'est la paysannerie française qui représente l'écrasante majorité des sujets du roi. J'imagine que c'est d'eux dont l'auteur parle.

Ces derniers ont pour préoccupation première des choses bien terre à terre : la survie, faire des enfants pour disposer de bras et bien les marier, la récolte, se préserver des maladies malignes et de la guerre...Et dans le meilleur des cas, espérer une ascension sociale même minime.

Les médias n'existant pas, et les paysans étant en majorité illettrés, le principal vecteur d'information non officiel c'était la sortie de l'église où il était possible de se rencontrer légalement entre classes sociales mélangées et d'apprendre, dans une version considérablement modifiée des fais réels, quelques informations sur le roi, sa cour, les événements rythmant la vie de la monarchie et du monarque.

Le prêtre quand à lui fait partie de l'Eglise, pilier essentiel du régime monarchique, il délivre donc la bonne parole qui n'a pas lieu d'écorner l'image du roi du moment que ses moeurs soient de bonne moralité (encore faut-il le savoir).

Hormis le passage à l'église, obligatoire à une époque où l'on ne pouvait vivre en dehors de Dieu, le paysan pouvait s'informer via la rumeur publique colportée par les commerçants, les gens de passages, les "étrangers" etc.

Par conséquent en dehors des décisions royales qui elles étaient pour le moins fidèlement retranscrites, la plupart des gens vivaient dans la rumeur et l'image qu'ils pouvaient avoir du roi dépendait du colportage bienveillant ou non de l'information. C'est ce qui pouvait, dans l'esprit, déterminer l'attachement à la personne royale.

Dans le grand siècle, je ne suis pas persuadé qu'au fin fond des provinces isolées les gens aient entendu parler de Louis XIV en roi soleil, de Louis XV en coureur de jupons, ou de Louis XVI en passionné des sciences.

Notez aussi que lorsqu'un profil est visible sur une pièce de monnaie, cela induit à minima le respect de la valeur qu'on lui porte.

iAphrodite
Niveau 7
23 juillet 2018 à 22:02:22

Je parle bien des manants oui. J'imagine sans peine qu'ils fussent davantage préoccupés par l'injustice locale et la subsistance que par les affaires politiques éloignées, d'où une posture royaliste par défaut, résultat d'un conditionnement ancestral.

Cela dit, la figure du roi devait rester très abstraite pour la plupart. Je me demandais surtout ce qu'un paysan moyen pouvait trouver à redire sur une monarchie absolue, constitutionnelle ou une république du moment que les impôts étaient supportables et la justice rendue. Vos interventions m'aident à mieux me représenter la psychologie de l'époque merci, je vais me lire l'autobiographie d'un paysan de l'époque en complément.

Pseudo supprimé
Niveau 10
01 août 2018 à 04:14:52

Paulalexandre, Robespierre aussi était favorable à la monarchie constitutionnelle sous la constituante.

Le truc quand on parle de la Révolution (et pas uniquement) c'est qu'il faut bien comprendre que les mentalités, les opinions, évolulent avec les événements.

le_litchi01
Niveau 47
02 août 2018 à 11:17:59

La Vendée et la Chouannerie c'est surtout une révolte antifiscale et anti-conscription. C'est la levée de 300 000 hommes qui déclenche le soulèvement. Plus que l'amour du roi en tout cas.

jadebahwhat2
Niveau 2
09 août 2018 à 23:20:13

Je pense que oui.En effet,la France était habitué à avoir une monarchie et au fils des générations,le roi était de mieux en mieux percu notemment lors de l'apogée de la monarchie francaise;Louis XIV.La révolution a été faite par une minorité de francais.

Regarde en Angleterre,le peuple est énormement attaché a sa reine et à la monarchie.

S0N_EMINENCE
Niveau 7
10 août 2018 à 10:54:59

Si Louis XVI n'avait pas fait la connerie de Varennes, la France serait peut-être aujourd'hui encore une monarchie.

Par ailleurs, savez-vous si l'on pouvait s'adresser au roi directement ? Par exemple quand il passait dans la rue, lors d'audiences, en le croisant dans les jardins des Tuileries (j'ai lu qu'ils étaient ouverts à tous) ?

Jerry_Kissinger
Niveau 30
10 août 2018 à 11:13:57

Avec les protocoles d'un monarque absolu, je ne pense pas.

Ethologie
Niveau 6
07 février 2019 à 23:48:41

Je up mon vieux topic pour apporter un complément. J'ai trouvé une étude des cahiers de doléances de 1789 assez complète sur ce blog : https://books.openedition.org/pur/23375?lang=fr

On dénombre 60 000 cahiers de doléance à cette époque, mais sur un échantillon de 661 cahiers, 42,6% rendent hommage au roi et 57,4% s'abstiennent. L'état des lieux sur l'image du roi est la suivante :
https://image.noelshack.com/fichiers/2019/06/4/1549579081-3672-noelpush.jpeg https://image.noelshack.com/fichiers/2019/06/4/1549579263-3076-noelpush.jpeg https://image.noelshack.com/fichiers/2019/06/4/1549579377-0791-noelpush.jpeg https://image.noelshack.com/fichiers/2019/06/4/1549579447-8336-noelpush.jpeg

Ainsi, il n’y a pas une assemblée sur deux pour rendre hommage au souverain : 57,3 % des communautés se plaignent et revendiquent sans la moindre allusion au souverain. Le compliment n’est certes pas obligatoire, la fonction du cahier est de porter les plaintes et non éloges, mais la prétendue unanimité des Français est pour le moins discutable. Voilà un roi qui réunit des États généraux attendus de tous, qui restaure une pratique oubliée depuis 1614, qui déclare dans sa lettre de convocation vouloir travailler au bonheur de tous. Et ce prince idéal ne reçoit des éloges que de 42,6 % des assemblées rurales !

Si le silence n’est pas désapprobation, l’apparente unanimité des Français mérite pour le moins quelques nuances. L’image intacte de la toute puissance royale est fragilisée.

Chaque indice – le caractère impératif des demandes, le fait que les compliments soient minoritaires, la « sacralité » partagée – est certes ténu. Mais avec une tenace convergence, ils témoignent tous de la fragilité de l’image du roi construite depuis Louis XIV. La popularité de Louis XVI, quoique moins unanime qu’on ne l’ait dit, est à peu près certaine au printemps 1789. Les Français aiment leur roi à l’aube de la Révolution, mais ce n’est plus le père transcendant et sacré de ses sujets à qui ils rendent un culte.

Et le billet soulève une mutation de la figure du roi dans l'esprit collectif,

Le roi qui est vénéré et aimé dans les cahiers de doléances est le roi proche de ses sujets, qui veut faire leur bonheur, qui les consulte, bref qui se « rend digne d’être aimé ». Si les ancêtres de Louis XVI ont su imposer la seule légitimité comme signe d’essence royale, celle-ci ne suffit plus au siècle des Lumières. La popularité du monarque au crépuscule de l’Ancien Régime ne tient pas à la légitimité de son ascendance mais à son charisme du moment. Jugé sur ses actes, et non sur ses pouvoirs surnaturels, il est plus proche de nos modernes politiques, qui doivent des comptes à la nation, que de son ancêtre qui régnait encore à l’aube du xviiie siècle. La popularité se fait critique et vigilante. Le charisme est en train de devenir la première source de légitimité. Les sujets se sont arrogé le droit de juger leur souverain.

Pour nombre de Français, la rédaction des cahiers de doléances a sans doute été une occasion de témoigner de leur fidélité au souverain : en 1789, l’attachement à la monarchie et au prince est indéniable. Mais les cahiers montrent aussi que la manière d’aimer a changé : l’amour du roi n’est plus aveugle mais citoyen. Dans les campagnes, au printemps 1789, la mutation n’est pas pleinement consommée mais elle n’est plus une nouveauté. Le prédécesseur avait déjà fait l’expérience de l’usure du temps : aux états de grâce prometteurs succèdent les critiques et les haines des fins de règne. Être bien aimé n’est plus un surcroît de légitimité, il devient la légitimité.

Un éclairage intéressant.

bebe-red
Niveau 17
09 février 2019 à 10:47:03

Le 07 février 2019 à 23:48:41 Ethologie a écrit :
Je up mon vieux topic pour apporter un complément. J'ai trouvé une étude des cahiers de doléances de 1789 assez complète sur ce blog : https://books.openedition.org/pur/23375?lang=fr

On dénombre 60 000 cahiers de doléance à cette époque, mais sur un échantillon de 661 cahiers, 42,6% rendent hommage au roi et 57,4% s'abstiennent. L'état des lieux sur l'image du roi est la suivante :
https://image.noelshack.com/fichiers/2019/06/4/1549579081-3672-noelpush.jpeg https://image.noelshack.com/fichiers/2019/06/4/1549579263-3076-noelpush.jpeg https://image.noelshack.com/fichiers/2019/06/4/1549579377-0791-noelpush.jpeg https://image.noelshack.com/fichiers/2019/06/4/1549579447-8336-noelpush.jpeg

Ainsi, il n’y a pas une assemblée sur deux pour rendre hommage au souverain : 57,3 % des communautés se plaignent et revendiquent sans la moindre allusion au souverain. Le compliment n’est certes pas obligatoire, la fonction du cahier est de porter les plaintes et non éloges, mais la prétendue unanimité des Français est pour le moins discutable. Voilà un roi qui réunit des États généraux attendus de tous, qui restaure une pratique oubliée depuis 1614, qui déclare dans sa lettre de convocation vouloir travailler au bonheur de tous. Et ce prince idéal ne reçoit des éloges que de 42,6 % des assemblées rurales !

Si le silence n’est pas désapprobation, l’apparente unanimité des Français mérite pour le moins quelques nuances. L’image intacte de la toute puissance royale est fragilisée.

Chaque indice – le caractère impératif des demandes, le fait que les compliments soient minoritaires, la « sacralité » partagée – est certes ténu. Mais avec une tenace convergence, ils témoignent tous de la fragilité de l’image du roi construite depuis Louis XIV. La popularité de Louis XVI, quoique moins unanime qu’on ne l’ait dit, est à peu près certaine au printemps 1789. Les Français aiment leur roi à l’aube de la Révolution, mais ce n’est plus le père transcendant et sacré de ses sujets à qui ils rendent un culte.

Et le billet soulève une mutation de la figure du roi dans l'esprit collectif,

Le roi qui est vénéré et aimé dans les cahiers de doléances est le roi proche de ses sujets, qui veut faire leur bonheur, qui les consulte, bref qui se « rend digne d’être aimé ». Si les ancêtres de Louis XVI ont su imposer la seule légitimité comme signe d’essence royale, celle-ci ne suffit plus au siècle des Lumières. La popularité du monarque au crépuscule de l’Ancien Régime ne tient pas à la légitimité de son ascendance mais à son charisme du moment. Jugé sur ses actes, et non sur ses pouvoirs surnaturels, il est plus proche de nos modernes politiques, qui doivent des comptes à la nation, que de son ancêtre qui régnait encore à l’aube du xviiie siècle. La popularité se fait critique et vigilante. Le charisme est en train de devenir la première source de légitimité. Les sujets se sont arrogé le droit de juger leur souverain.

Pour nombre de Français, la rédaction des cahiers de doléances a sans doute été une occasion de témoigner de leur fidélité au souverain : en 1789, l’attachement à la monarchie et au prince est indéniable. Mais les cahiers montrent aussi que la manière d’aimer a changé : l’amour du roi n’est plus aveugle mais citoyen. Dans les campagnes, au printemps 1789, la mutation n’est pas pleinement consommée mais elle n’est plus une nouveauté. Le prédécesseur avait déjà fait l’expérience de l’usure du temps : aux états de grâce prometteurs succèdent les critiques et les haines des fins de règne. Être bien aimé n’est plus un surcroît de légitimité, il devient la légitimité.

Un éclairage intéressant.

Oui, vraiment. Merci. :cimer:

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Sujet : Le peuple aimait son roi ?
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