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Sujet : Le scepticisme radical
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toto_au_bistro
Niveau 10
14 octobre 2017 à 09:13:30

Pour une petite introduction sur le scepticisme et le scepticisme radical, je vous propose de visionner cette vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=Gqu6Di353ok

Ici, je souhaite étudier le scepticisme radical. Dans la vidéo, il est bien expliqué qu’il y a différentes formes de scepticisme. Par exemple, la science construit de nouvelles connaissances par le doute et le questionnement. Il y a une forme radicale de scepticisme qui élimine toute possibilité de connaissance. Or, cette forme radicale de scepticisme ne demande aucune prémisse extravagante. Cela semble tout à fait raisonnable.

Le défi sceptique

On peut le résumer de cette manière :

  1. Pour savoir que p, il faut que j’élimine toutes les possibilités de non-p
  2. Je ne peux pas éliminer toutes les possibilités de non-p
  3. Donc je ne peux pas savoir que p

A l’exception de quelques cas particuliers comme le cogito de Descartes où il y a un privilège épistémique (quand je suis en train de douter que je doute, il ne semble pas possible de douter que je suis en train de douter), il semble qu’il y a toujours une possibilité pour que non-p soit vrai.

Si je vois une voiture rouge, je peux acquérir la connaissance qu’il y a une voiture rouge si et seulement si j’arrive à éliminer toutes les possibilités d’erreur. Or, c’est impossible. Je peux être sous le coup d’une illusion d’optique. Je peux être en train de rêver ou même être un cerveau dans une cuve qui reçoit certaines stimulations. Donc, je ne peux pas savoir qu’il y a une voiture rouge et en fin de compte je ne peux rien savoir du monde, ni même savoir qu’il y a un monde extérieur.

Il y a plusieurs manières de résoudre le trilemme d’Agrippa. Il suffit d’avaler une des trois couleuvres (infinitisme, cohérentisme ou fondationnalisme). Personnellement, je défendrais le cohérentisme https://m.jeuxvideo.com/toto_au_bistro/forums/message/886561696 Cependant, sur ces trois positions le sceptique radical ne sera pas satisfait. Pourquoi ? Je pense que le sceptique radical se trompe de contexte. Le contextualisme nous dit qu’une phrase est vraie dans le contexte où l’a énoncé la personne. C’est différent du relativisme puisque le contextualisme ne dit pas que la vérité change selon le contexte.

Le contextualisme

Quand un sceptique radical commence à ouvrir la bouche, il se situe dans un contexte avec des contraintes très fortes qui font que nous ne savons pas grand chose. Dans ce contexte là, alors oui je suis d’accord avec le sceptique radical. Mais ce contexte radical est peu pertinent. Il ne présente que peu d’intérêt et n’est pas opérationnel pour soigner des gens, s’amuser ou acheter une baguette. Une manière de résoudre le défi sceptique est donc de ne rien faire et de laisser le sceptique radical dans son coin.

Mais si on va trop vite en besogne, le sceptique pourra toujours nous demander pourquoi on devrait privilégier notre contexte et pas le sien. En fait, le problème du sceptique c’est que sa position s’apparente à une position sans contexte. Le sceptique radical refuse tout contexte. Il en déduit alors qu’il n’y a pas de connaissance, mais c’est justement dans un contexte minimal qu’une proposition peut être une connaissance (valeur épistémique). Il y a de bonnes raisons de douter au sein de contextes. Mais refuser tout contexte et en déduire qu’il n’y a pas de connaissance possible est une bien mauvaise position. Malgré l’attrait de la démonstration vu plus haut (l’impossibilité de savoir que p sous prétexte qu’on ne peut pas éliminer toutes les possibilités de non-p), il faut plutôt refuser de savoir que p, si et seulement si on ne peut pas éliminer toutes les possibilités de non-p dans le contexte donné.

Pour approfondir :
https://www.college-de-france.fr/site/claudine-tiercelin/course-2011-05-25-14h30.htm
https://www.college-de-france.fr/site/claudine-tiercelin/course-2011-06-15-14h30.htm

toto_au_bistro
Niveau 10
14 octobre 2017 à 11:08:10

Le 14 octobre 2017 à 11:03:07 Ideationn a écrit :
Le problème avec ta position c'est qu'il y a pas mal de contexte ou le scepticisme radical est légitime.
Je dirais même plus que les moments ou il n'est pas légitime se compte sur les doigts d'une main. Ce ne sont que des exceptions ou il vaut mieux se créer des dogmes arbitraires (pour des raisons pratiques).

Je pense exactement l'inverse. Douter du fait qu'on est un cerveau dans une cuve alors qu'on perçoit un camion en train de nous foncer dessus me semble justement être un truc hors de tout contexte qui n'est pas légitime pour moi. Peux-tu donner des exemples plus précis ?

Pseudo supprimé
Niveau 10
14 octobre 2017 à 11:28:34

Il y a une forme radicale de scepticisme qui élimine toute possibilité de connaissance. Or, cette forme radicale de scepticisme ne demande aucune prémisse extravagante.

Oui, tout ce qu'elle sait c'est qu'elle ne sait rien, donc elle ne sait pas rien. Même le scepticisme radical, qui prétend éliminer tous les dogmes, en est un lui-même. Être sceptique radical devrait conduire à être sceptique du scepticisme.

C'est la raison pour laquelle le scepticisme n'est pas la base de la connaissance, mais plutôt une étape dans l'élévation de l'ignorance à la connaissance. Le mouvement de la connaissance commence toujours par une vision du monde qui est assez fausse. Là le scepticisme est utile, il permet de nier les erreurs, mais il doit être lui-même nié dans la mesure où il faut conserver ce qu'il y a de vrai dans la connaissance initiale. C'est comme ça que progresse la connaissance.

C'est la fameux débat Kant - Hegel où Kant croit que le monde est fait de "choses en soi" inconnaissables, il rabaisse la raison alors que Hegel critique le scepticisme et vraiment scientifique dans sa méthode, même si pour lui le monde est "l'Idée". Je renvoie à Critique de la raison pure de Kant et au troisième tome de Science de la logique de Hegel où il critique le scepticisme.

philoarnaquelg
Niveau 7
14 octobre 2017 à 11:35:08

C'est la raison pour laquelle le scepticisme n'est pas la base de la connaissance, mais plutôt une étape dans l'élévation de l'ignorance à la connaissance.

Le scepticisme de base ou celui de l'op ?

Car le scepticisme, bien utilisé permet d'évité certaine forme d'embrigadement.

On peut aussi dire que c'est grâce au sceptique, qu'il y a pu y avoir débat concernant la forme de la terre. Avant d'avancer une preuve, il faut que le prochain soit ouvert à ta proposition de débattre.

Le scepticisme peut avoir son coté bénéfique, pour évité les erreurs ou les mensonges.

Le mouvement de la connaissance commence toujours par une vision du monde qui est assez fausse. Là le scepticisme est utile, il permet de nier les erreurs

Autant pour moi je m'étais arrêté trop vite.

thelastofus2
Niveau 25
14 octobre 2017 à 12:23:53

Tu veux dire que le scepticisme pourrait être de la parano si il est porté à un trop au degré ? De base l'humain simplifie son environnement afin d'être capable de le percevoir, et il fait la même chose quant à la conclusion déterminée par les données qu'il perçoit, donc le septique radical éviterait de simplifier tout court les données perçues et de tenter de créer une infinité de liens logiques (ou émotionnels ?) afin de remettre en question constamment les données et les contextes pour créer une arborescence sans fin de conclusion ? A partir d'un certain degré ça me parait être comme de la paranoïa.

Sachant que les contextes sont des ensembles de données qui peuvent à la fois avoir des données en commun avec un ou plusieurs autres contextes, être complètement séparés d'autres contexte et être inclus dans des contextes plus larges (sauf le contexte incluant toutes les données de l'univers), alors le sceptique radical serait celui qui prendrait un contexte trop large pour pouvoir être capable de porter des conclusions ? Et donc le bon sceptique sera celui qui prendrait le contexte le plus large possible avant d'être enseveli sous un nombre trop important de données et de lien logique, juste assez pour se lancer dans un exercice de recherche en espérant découvrir un nombre acceptable de variables inconnues. Il y aurait donc un seuil unique à chaque individu correspondant à nombre d'inconnues "acceptable" pour qu'une conclusion puisse être donnée en un temps convenable, et si l'on dépasse ce seuil (qui est différent pour chaque individu), alors on pourrait passer pour un sceptique radical, voir un névrosé.

Seulement les contextes et les seuils sont différents pour chaque individu. Pour simplifier on pourrait parler de "contexte similaire", mais quand bien même les seuils varient en fonction de l'intelligence, de la sensibilité émotionnelle, du contrôle émotionnel (donc de la sagesse), etc...

Donc on peut dire de quelqu'un qu'il est sceptique radical seulement si son contexte, et éventuellement ses idéaux, est radicalement différent de 99% de la population. Autrement c'est trop subjectif d'admettre qu'un individu est un sceptique radical. Peut être que quelqu'un qu'on pourrait percevoir comme un sceptique radical percevrait des choses que nos émotions émanant de notre personnalité nous empêcheraient de voir, et donc son contexte pourrait nous paraître très éloigné. Et inversement, lui même pourrait nous percevoir comme radical.

Etant donné qu'à part l'intelligence, seules nos émotions peuvent nous faire omettre des données, le bon consensus serait qu'on tende à ignoré nos émotions émanant de notre personnalité, c'est à dire qu'il faudrait (au moins tenter) utiliser de ne pas utiliser autre chose que les émotions archétypales (ce qui est censé nous faire faire preuve de bon sens). Simplement pour avoir le même contexte émotionnel pour percevoir des données similaires, et on peut toujours envisager d'enseigner les données perçues grâce à une intelligence (ou des connaissances) plus élevée. Enfin dans la pratique c'est loin d'être aussi simple.

toto_au_bistro
Niveau 10
14 octobre 2017 à 12:33:24

Le 14 octobre 2017 à 11:28:34 droid-3B3 a écrit :

Il y a une forme radicale de scepticisme qui élimine toute possibilité de connaissance. Or, cette forme radicale de scepticisme ne demande aucune prémisse extravagante.

Oui, tout ce qu'elle sait c'est qu'elle ne sait rien, donc elle ne sait pas rien. Même le scepticisme radical, qui prétend éliminer tous les dogmes, en est un lui-même. Être sceptique radical devrait conduire à être sceptique du scepticisme.

Le sceptique radical qui va jusqu'au bout n'a pas ce dogme. Il faut garder à l'esprit que c'est dynamique (tout comme le cogito). Si je reprends le raisonnement formalisé plus haut, quand le sceptique déduit la prémisse 3 il aboutit à une connaissance qu'on va nommer q. Soit q, la connaissance qu'il ne peut pas savoir p.

En bon sceptique, il va reprendre le raisonnement initial :

  1. Pour savoir que q, il faut que j’élimine toutes les possibilités de non-q
  2. Je ne peux pas éliminer toutes les possibilités de non-q
  3. Donc je ne peux pas savoir que q

Encore une fois, il ne peut pas éliminer toutes les possibilités de non-q. Un malin génie lui a peut-être insufflé de fausses règles de logique dans son esprit. Bref, le sceptique n'aboutit pas à un dogme sceptique, mais à une régression à l'infini.

C'est la fameux débat Kant - Hegel où Kant croit que le monde est fait de "choses en soi" inconnaissables, il rabaisse la raison alors que Hegel critique le scepticisme et vraiment scientifique dans sa méthode, même si pour lui le monde est "l'Idée". Je renvoie à Critique de la raison pure de Kant et au troisième tome de Science de la logique de Hegel où il critique le scepticisme.

Quelle est la réponse d'Hegel au défi sceptique ? Je veux bien un résumé pour éviter de lire le tome en entier.

toto_au_bistro
Niveau 10
14 octobre 2017 à 12:39:30

Le 14 octobre 2017 à 12:23:53 thelastofus2 a écrit :
Donc on peut dire de quelqu'un qu'il est sceptique radical seulement si son contexte, et éventuellement ses idéaux, est radicalement différent de 99% de la population.

J'ai pas tout compris ton message et je ne sais pas si on parle de la même chose. Par contre, je sais que le sceptique radical est différent de ce que pense 99,99 % de la population. Je rappelle que le sceptique radical doute de l'existence du monde extérieur. Donc les vrais sceptiques radicaux ils sont dans des hôpitaux psychiatriques. Les faux sceptiques radicaux, ils sont dans les universités de philosophie.

Pseudo supprimé
Niveau 10
14 octobre 2017 à 13:47:58

Le sceptique radical qui va jusqu'au bout n'a pas ce dogme.

Je te parle de la méthode elle-même, la théorie de la connaissance du scepticisme (qui est plutôt une théorie de l'ignorance). Le scepticisme affirme qu'on ne sait pas, je dis simplement qu'en étant sceptique jusqu'au bout, tu tu ne peux pas non plus être certain de ne pas savoir. Rien ne prouve que le scepticisme soit vrai. On peut aussi être sceptique vis à vis du scepticisme. Donc si ça se trouve, tu sais des choses.

C'est tout le problème de vouloir séparer la théorie de la connaissance de la connaissance. Hegel en parle dans son introduction de Science de la logique (on apprend à philosopher en philosophant).

Pour la question de Kant, sa théorie est en fait un relativisme, une forme de scepticisme qui prétend que ni l'observation ni la raison ne peuvent amener à la connaissance. En effet l'observation ne nous donnerait que l'apparence des choses, mais la raison serait impuissante à comprendre le fond (la "chose en soi"). Kant donne des exemples d'antinomies, des propositions logiques contradictoires qu'il utilise pour rejeter la raison de la connaissance, et donc la possibilité même de la connaissance.

Hegel reproche à Kant de s'être arrêté au scepticisme, d'être subjectiviste. Pour Hegel, la méthode de la connaissance consiste à aller de l'apparence des choses à leur essence, grâce à la réflexion, à la raison. Pour Hegel, la connaissance s'élève des représentations sensibles (les observations) à la pensée, de représentations abstraites (mais à la forme concrète, comme par exemple un dessin), à la vérité, concrète (bien que celle-ci ait une forme abstraite, un langage parfois complexe). Il faut s'élever du particulier à l'universel.

Donc Hegel ne croit pas que les antinomies de Kant soient sans solution. Il y a une méthode pour s'élever de l'ignorance à la connaissance. Dans cette méthode, le scepticisme (la négation) joue un rôle, c'est à dire que la première connaissance est niée, non pas pour laisser du vide, mais niée au sens qu'elle se confronte à son contraire. Cela vient du fait que la connaissance n'est pas vrai / faux binaire, mais un chemin, des degrés entre le vrai et le faux. Et donc pour passer du faux au vrai, il faut élever progressivement la connaissance. Ce qui veut dire que toute vérité relative contient du vrai et du faux, et donc qu'il faut opposer cette vérité à elle-même pour la faire progresser. Donc, là, le scepticisme est utile, c'est à dire que c'est une remise en question d'une vérité partielle dans le but de la faire progresser. Mais si on érige le scepticisme en absolu, il n'y a aucune progression. Il faut donc à nouveau être critique, vis à vis de la négation, d'où la fameuse formule, thèse, antithèse, synthèse, qui est en fait thèse, négation, négation de la négation.

La théorie de Hegel est entourée de mystique, mais sa méthode est scientifique. Par exemple il ne sépare pas l'analyse de la synthèse. Il montre comment comprendre le monde de façon totale, là où Kant par son scepticisme, ne croit pas à la connaissance. Par exemple, étudier d'abord les choses séparément pour les classer (analyse) puis étudier les choses dans leur totalité, les parties et le tout comme inséparables, le liens entre les parties, le passage du particulier à l'universel. C'est une vraie méthode scientifique, qui intègre le scepticisme pour élever la connaissance et non pour la nier absolument.

toto_au_bistro
Niveau 10
14 octobre 2017 à 13:57:34

J'ai pas l'impression qu'on parle de la même chose. Tu parles de la méthode sceptique, mais là je parle du défi sceptique et ce que tu nommes la théorie de l'ignorance.

Hegel peut dire qu'il se sert d'outils sceptiques pour arriver à la connaissance. Très bien. Les scientifiques font pareil. Mais qu'est-ce que Hegel répond à celui qui tient le raisonnement que j'ai formalisé ?

Pseudo supprimé
Niveau 10
14 octobre 2017 à 14:35:53

Le 14 octobre 2017 à 13:57:34 toto_au_bistro a écrit :
J'ai pas l'impression qu'on parle de la même chose. Tu parles de la méthode sceptique, mais là je parle du défi sceptique et ce que tu nommes la théorie de l'ignorance.

Hegel peut dire qu'il se sert d'outils sceptiques pour arriver à la connaissance. Très bien. Les scientifiques font pareil. Mais qu'est-ce que Hegel répond à celui qui tient le raisonnement que j'ai formalisé ?

En réalité Hegel ne répond pas à ça, il est disons un "sceptique soft" selon la définition de la vidéo.

Mais ni Hegel, ni Kant, ni la vidéo ne répond au trilemme d'Agrippa.

En réalité cela tient à la question du critère de la vérité d'une théorie, et la la vidéo dit une connerie. Une connaissance est une "croyance vraie justifiée", mais au lieu de chercher la justification dans le monde réel, il se perd dans le royaume de la logique. C'est de la scolastique.

Le critère de la vérité d'une théorie est quoi qu'il arrive l'observation, l’empirisme. D'ailleurs, la logique elle-même n'est vraie que parce qu'elle découle du monde réel. Et oui nous pouvons y croire, puisque nous avons chaque seconde une preuve pratique que c'est vrai. Le critère ultime de la vérité n'est donc pas dans la théorie mais dans la pratique. ça ne se démontre pas, ça se prouve, concrètement, on peut se fier à nos sens, car ils nous prouvent en permanence qu'ils reflètent bien (quoi que façon approximative) le monde extérieur.

La théorie scientifique de la connaissance utilise la méthode hégélienne pour décrire le mouvement de la pensée mais met à la base de tout le critère de l'observation, de l'expérience, la pratique.

Ne pas croire à nos sens, cela conduit à ce qu'on appelle empiriocriticisme, qui est une théorie des néo-kantiens en physique, qui a conduit d'ailleurs au déclin de la science, comme à l'époque de Rome après le déclin du matérialisme de Lucrèce, ou en Grèce, après Démocrite, le scepticisme de Protagoras.

toto_au_bistro
Niveau 10
14 octobre 2017 à 15:02:21

Je pense que la réponse précise au sceptique est un mélange de différentes solutions comme le fait Tiercelin dans le lien que j'ai posté. Oui, nos sens sont faillibles et donc tombent sous le coup du défi sceptique. Mais en même temps, il y a comme tu le dis quelque chose de fondateur. Sans tomber dans du pur fondationnalisme on peut attribuer un statut particulier à nos sens. À côté, le contextualisme et l'externalisme apportent aussi chacun quelque chose.

Jooord
Niveau 10
14 octobre 2017 à 15:53:40

Connaissez-vous le paradoxe de Ftich?

Avec la proposition : P = "Il existe une forme de vie extra-terrestre et l'Homme ne le sait pas"

On a le paradoxe : Le jour où l'Homme apprend que P est vraie, alors P devient fausse.

De ceci, et de sa formalisation et généralisation logique, Fitch en déduit que soit il existe des vérités qui seront pour toujours inconnues de l'Homme, soit il connait déjà toutes les vérités. https://en.wikipedia.org/wiki/Fitch%27s_paradox_of_knowability

De ce genre de paradoxe, à rapprocher des théorèmes de Gödel, il ne faut pas tirer des conséquences sur la nature du réel, mais plutôt sur notre façon de le représenter. La logique modale est la conséquence des premiers gros efforts pour théoriser les différentes modalités du savoir, distinguer ce qui est nécessairement vrai de ce qui est potentiellement vrai, et distinguer les vérités connues des vérités inconnues, les vérités connaissables des vérités inconnaissables; et comme toujours malgré une efficacité indéniable elle n'a pas pu échapper aux paradoxes comme celui là. https://fr.wikipedia.org/wiki/Logique_modale

Bref, tout ça pour dire que, que ce soit philosophiquement ou mathématiquement, on est encore très loin d'avoir des visions claires et solides de ce que sont le savoir, la vérité de ce savoir, la connaissance de ce savoir, la connaissance de la vérité de ce savoir...

Donc scepticisme, pyrrhonisme, réalisme, scientisme, positivisme, logicisme et compagnie, moi à part tâcher de comprendre les arguments de chacun, j'ai bien du mal à trouver une position, car on pourra toujours être aussi bien convaincu de la solidité que de la fragilité de leurs doctrines et raisonnements. Alors oui, moi aussi je tombe dans la spirale sans fin du doute, et comme Descartes il me semble bien qu'il n'y a que dans celle-ci que tout existe sans que rien ne me paraisse vrai.

Connaître, c'est moins buter contre un réel que valider un possible en le rendant nécessaire

La connaissance de la vie, George Canguilhem

Pseudo supprimé
Niveau 10
14 octobre 2017 à 17:40:02

Le problème quand on cherche la base de la vérité dans la théorie, c'est qu'on ne la trouve pas. Il faut effectivement une base à toute connaissance, et cette base ne peut pas être autre chose que la réalité elle-même. C'est dans la pratique qu'on trouve la base de la connaissance, pas dans la théorie.

Bien sur, nos sens ne suffisent pas à nous donner la vérité. Il faut la réflexion, la logique, la raison. Autant de choses qui viennent elles-mêmes de la réalité. Par exemple 1 + 1 = 2 est une vérité objective pour tout le monde parce que dans le monde réel, une pomme et une autre pomme font bien deux pommes, "1 + 1 = 2" n'est qu'une généralisation de ces représentations particulières (qu'on peut répéter avec les pommes, les poires, etc.).

Donc en quelque sorte, pour atteindre la vérité concrète, il faut s'éloigner de nos sens, et élaborer des théories. Dans cette étape, a raison à sa place, c'est à dire qu'elle commence avec ce que nos sens nous donnent pour s'élever peu à peu du particulier au général, en mettant les choses en lien les unes avec les autres, en comprenant les choses dans leur globalité.

Simplement une fois qu'on a une théorie, et même si on a bien suivi la méthode rationnelle décrite plus haut, on ne peut être certain que la théorie est vraie qu'en la confrontant à la pratique, au monde réel. Il faut faire des prédictions et des expériences, qui ne sont pas arbitraires, mais logiques (la logique elle-même étant valable uniquement parce qu'elle nous vient du monde réel). Le critère de la vérité, c'est l'observation.

C'est donc un mouvement qui part de nos sens, qui va vers la théorie, et qui revient vérifier dans la pratique. Le scepticisme a sa place dans la mesure où la vérité d'une théorie n'est jamais complète, il faut donc savoir remettre en question les théories pour les faire avancer et se rapprocher de la vérité absolue.

Le scepticisme a tort de croire qu'en élaborant des théories on s'éloigne de la vérité. La théorie a une forme abstraite (langage scientifique, formules, etc.) mais la vérité qu'elle exprime est très concrète, parce qu'elle est globale, directe et représente donc bien la réalité.

Jooord
Niveau 10
14 octobre 2017 à 19:56:59

Ce positivisme à la Comte, il est quand même un peu dépassé. L'idée d'une vérité absolue, l'idée d'un état définitif du savoir et l'idée que l'empirique est seul critère de vérité, ça a longtemps été la conception dominante des sciences, mais ça ne l'est plus depuis le XXème siècle, et ce pour le meilleur, car elle donnait lieu à un dogmatisme particulièrement paralysant pour le progrès scientifiques (suffit de voir les sciences de Descartes).

Des critères de vérités en science, il n'y en a plus, il n'y a plus que des critères de validité, qui sont donc relatifs. Si un scientifique observe un phénomène qui contredit sa théorie, il ne la déclarera pas pour autant fausse. Newton n'a pas prétendu que sa théorie optique, reposant sur l'hypothèse d'une lumière corpusculaire, était fausse quand il observa des aberrations lumineuses sous forme d'anneaux qui portent son nom, et notre époque lui donne raison puisque le paradigme en vogue est celui d'une dualité onde-corpuscule. Newton n'avait donc ni tort, ni raison, son hypothèse était une représentation valide dans certains cas, invalide dans d'autres, mais ni vraie ni fausse.

Il en va aujourd'hui de même pour toutes les théories scientifiques dans lesquelles il n'est plus question d'énoncer des vérités que l'on espère corroborées par l'expérience.

Pseudo supprimé
Niveau 10
14 octobre 2017 à 21:13:31

Ce que j'ai décrit est l'exact inverse du positivisme. Le positivisme, c'est le subjectivisme, le scepticisme est donc l'exact inverse de la science. ça n'a rien d'une amélioration de la science, le positivisme n'est qu'une forme de scepticisme parmi d'autres, et le scepticisme existait déjà en Grèce antique (Pyrrhon, Protagoras) et à Rome (Sextus Empiricus). Il arrivait d'ailleurs dans les périodes de déclin et de doute, alors que les doctrines scientifiques (Héraclite, Démocrite, Épicure, Lucrèce) se sont développées à l'apogée de la civilisation.

Le scepticisme est le produit de la pourriture de la société, et la société actuelle, comme d'autres par le passé, produit le scepticisme à la place de la science.

La démarche scientifique ne peut pas se réduire à l'empirisme. La démarche scientifique inclut dans son premier moment l'empirisme, c'est à dire qu'elle part de l'observation. Elle l'inclut aussi comme critère de la vérité d'une théorie, c'est à dire que le cycle de la connaissance commence et s'arrête avec l'observation. Mais entre les deux, il y a la partie où la réflexion, la raison, la pensée, l'induction, la déduction, l'analyse, la synthèse, bref la logique, jouent clé pour passer des représentations particulières à l'universel, à la totalité.

Accuser la démarche scientifique d'être dépassée, c'est n'importe quoi. La démarche scientifique peut produire des vérités temporaires, mais la démarche elle-même, telle qu'elle a été formulée par les plus grands scientifiques, est et reste vraie à toutes les époques, et elle n'a pas besoin d'être améliorée, surtout par le scepticisme, qui n'a quant à lui rien d'une chose nouvelle, récente, moderne. Refuser le critère de la connaissance de l'observation, c'est se condamner soit à l'agnosticisme et au scepticisme, soit à la foi et à la religion. L'observation est le critère de la vérité, pas la méthode en elle-même, qui inclut aussi d'autres étapes. De même que le scepticisme est une étape dans la progression de la connaissance, il n'est pas question d'en faire un absolu (ce qui, comme je l'avais rappelé au début, conduit à une contradiction, puisque le scepticisme est lui-même une "croyance dogmatique" dont on peut être sceptique, ce qui nous ramène à la connaissance).

Jooord
Niveau 10
14 octobre 2017 à 22:13:03

Le positivisme dans ton message, il se retrouve comme je l'ai dit dans l'idée d'un état définitif du savoir et que seul dans le domaine empirique il puisse y avoir valeur de vérité absolue. Mais il est vrai que tout ton propos ne relève pas du positivisme.

En tout cas c'est intéressant, je n'arrive pas vraiment à savoir si l'on est réellement en contradiction, je pense que c'est davantage un jeu de nuances que d'arguments. Par exemple lorsque tu dis :

L'observation est le critère de la vérité, pas la méthode en elle-même, qui inclut aussi d'autres étapes.

Nous sommes d'accord, et ceci je le résume en disant que l"expérience scientifique n'est pas un critère de vérité, et ce parce que l'expérience scientifique est précisément la conjonction d'une observation et d'une méthode.

Il n'est pas non plus question d'affirmer que la démarche scientifique est dépassée, mais qu'elle a pris de nouvelles formes et dans celles-ci l'expérience à changée de rôle. Je ne sais pas comment ceci pourrait être nié en lisant la mécanique d'Aristote, puis celle de Newton, pour finir sur celle d'Einstein, on ne peut qu'y voir des approches vraiment différentes et une place donnée à l'expérience bien différente.

Pseudo supprimé
Niveau 10
14 octobre 2017 à 22:35:17

Le positivisme dans ton message, il se retrouve comme je l'ai dit dans l'idée d'un état définitif du savoir et que seul dans le domaine empirique il puisse y avoir valeur de vérité absolue. Mais il est vrai que tout ton propos ne relève pas du positivisme.

C'est en fait exactement l'inverse que je dis, la vérité "absolue" ne se trouve que dans des théories, des idées qui expriment sous une forme abstraite des vérités concrètes, elles saisissent le fond des choses. Bien loin de nous donner la vérité absolue, l'observation ne fait que servir de base à une théorie, et à la vérifier une fois celle-ci élaborée.

Le positivisme au contraire, ne croit pas qu'une théorie puisse être vraie. Comme d'ailleurs il se limite à l'empirisme, il finit par douter de l'empirisme lui-même et de la possibilité de la connaissance en général.

Nous sommes d'accord, et ceci je le résume en disant que l"expérience scientifique n'est pas un critère de vérité, et ce parce que l'expérience scientifique est précisément la conjonction d'une observation et d'une méthode.

L'expérience scientifique n'est pas le critère de la vérité. L'expérience est un moment de la méthode scientifique qui permet de confronter une théorie à la pratique. La pratique en science signifie l'observation. Sans raccrocher une théorie à l'observation, on a aucune idée de la validité d'une théorie. L'observation est le critère et l'unique critère de la vérité d'une théorie. Car chercher ailleurs un critère, c'est soit : dans ta tête (le fameux trilème dont on parlait, qui ne mène à rien ou au dogmatisme), soit dans dieu, dans la religion, etc. La vérité d'une théorie ne peut pas être prouvée autrement que par la pratique, la validité de la démarche scientifique elle-même nous vient de la pratique (la démarche scientifique ne se justifie par aucune théorie, elle se justifie par la pratique). Ce n'est pas un détail, c'est même la principale question de la philosophie depuis 2000 ans entre matérialistes et idéalistes.

Il n'est pas non plus question d'affirmer que la démarche scientifique est dépassée, mais qu'elle a pris de nouvelles formes et dans celles-ci l'expérience à changée de rôle. Je ne sais pas comment ceci pourrait être nié en lisant la mécanique d'Aristote, puis celle de Newton, pour finir sur celle d'Einstein, on ne peut qu'y voir des approches vraiment différentes et une place donnée à l'expérience bien différente.

Aristote n'est pas tout à fait un scientifique. Quand au rôle de l'expérience, il ne touche pas à la forme, mais au fond de la question. On ne peut pas négocier sur ça. La science a pris bien sur différentes formes au cours de l'histoire, mais dans le fond, elle est inséparable du critère de la pratique, du critère de l'observation, sans lequel il n'y a aucune science possible. Voilà le fond qui sépare la science autant du scepticisme que de la religion.

Pseudo supprimé
Niveau 10
14 octobre 2017 à 22:43:49

Dire que le monde existe, qu'il suit un cours déterminé et compréhensible indépendamment de notre conscience, ce n'est pas une croyance théorique que l'on peut opposer à d'autres croyances théoriques, mais une certitude qui nous est confirmée par la pratique. Cette "croyance naïve" dans nos sens et dans l'observation, la science la met à la base de sa méthode. Voilà sur quelle base la science arrive à faire progresser la connaissance, à ne tomber ni dans le scepticisme absolu, ni dans la foi religieuse. La certitude pratique que le monde existe et suit des lois objectives dont on peut approcher la compréhension, et que nos sens sont fiables car ils sont un reflet du monde, voilà ce qui éclaire la science depuis des milliers années.

Non ce n'est pas négociable, et ça ne peut même pas être mis sur le même plan que les autres théories de la connaissance, qui elles se basent sur des théories sans fondement. On peut reparler du trilème et l'appliquer à la religion ou au scepticisme lui-même. Sur quoi repose le scepticisme ? Il repose essentiellement sur lui-même, il est suspendu dans le vide.

Seule la science lève bien haut le drapeau de la raison et la connaissance, de la confiance dans la possibilité de comprendre le monde.

toto_au_bistro
Niveau 10
15 octobre 2017 à 10:23:08

Jooord : Merci, je ne connaissais pas ce paradoxe. Pour revenir au défi sceptique, je pense que le contextualisme permet d'éviter le scepticisme radical. Le contextualisme ne dit pas que le sceptique a tort de tout remettre en cause. Il dit que dans sa bulle très particulière, le sceptique radical a raison de tenir ce raisonnement. Par contre, le sceptique radical a tort d'utiliser ces critères dans d'autres contextes où on a pas du tout les mêmes exigences épistémiques.

droid-3B3 : Ce que tu dis est bien beau, mais je trouve que ça tombe à côté pour un sceptique radical qui met en doute nos sens. Tant qu'on ne parle pas de contextes, ce doute semble légitime car nos sens sont faillibles. Pour moi, le problème dans le défi sceptique c'est qu'on a des exigences extravagantes dans la prémisse 1.

De même que le scepticisme est une étape dans la progression de la connaissance, il n'est pas question d'en faire un absolu (ce qui, comme je l'avais rappelé au début, conduit à une contradiction, puisque le scepticisme est lui-même une "croyance dogmatique" dont on peut être sceptique, ce qui nous ramène à la connaissance).

Je ne suis pas d'accord concernant la croyance dogmatique. C'est ce que j'ai essayé de montrer avec le défi sceptique qui s'applique à la connaissance qu'on ne sait pas que p. Le sceptique cohérent n'a pas de croyance dogmatique pour moi, il est dans une régression à l'infini. C'est guère mieux, mais ce n'est pas la même chose.

Pseudo supprimé
Niveau 10
15 octobre 2017 à 18:56:05

toto_au_bistro, tu essaies d'admettre le principe de base du scepticisme (douter des sens), tout en sortant du scepticisme. Il n'y a que deux issues, ou tu acceptes le scepticisme, ou tu tombes dans la foi. En essayant d'évacuer la question du critère de la vérité par l'observation, tu passes complètement à côté de la démarche scientifique.

Car précisément, tu cherches encore la base de la vérité dans ta tête au lieu de la chercher dans le monde réel. Douter de nos sens n'est pas une "croyance raisonnable" ou acceptable, ni même compatible avec la science. La confiance à avoir dans nos sens ne doit pas nous être prouvée par la théorie, mais par la pratique, c'est dans la pratique, dans le monde réel, que nous avons la preuve irréfutable que nos sens sont suffisament fiables pour vérifier une idée, c'est dans la pratique car encore une fois nos sens reflètent dans notre cerveau la réalité, d'où la certitude pratique, cette certitude qui est à la base de toute la connaissance scientifique et rationnelle, et non je ne sais quel trilème et autre problème théorique.

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Sujet : Le scepticisme radical
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