Dans le sujet sur le principe de clôture causale du monde physique https://m.jeuxvideo.com/forums/42-68-51400464-1-0-1-0-le-principe-de-cloture-causale-du-monde-physique.htm j’ai soutenu que les sciences cognitives offrent les outils et le cadre théorique nécessaires pour naturaliser la conscience en l’expliquant de manière causale et physique.
La conscience a longtemps été vue comme un phénomène éminemment subjectif résistant à toute approche scientifique. Cela s’explique par son caractère privé vu que tout se passe dans mon esprit. Je vais soutenir ici que la science peut surmonter ces difficultés grâce à :
- La clarification du concept de conscience afin de distinguer (a) le degré de vigilance, (b) l’attention et (c) l’accès à la conscience
- Le traitement de l’expérience subjective (ce que rapportent les sujets) comme des données brutes
- Des paradigmes expérimentaux permettant de contraster le conscient de l’inconscient
- L’utilisation des outils des neurosciences
(1) La définition de la conscience
Dans le langage courant, le mot conscience est ambigu. Il est utilisé pour désigner dans différents sens.
(a) Le degré de vigilance (état de conscience)
Il a perdu conscience après avoir reçu un uppercut. Il n’était plus conscient.
Dans ce contexte, le terme “conscience” désigne “une faculté que nous perdons durant le sommeil, lorsque nous nous évanouissons, ou lorsque nous subissons une anesthésie générale” (Dehaene). Le degré de vigilance varie sur divers degrés : éveil, sommeil, état végétatif chronique… On peut noter que le mot “conscient” dans ce sens est intransitif.
(b) L’attention
Le mot “conscient” peut aussi être utilisé de manière transitive : “il est conscient de…”, “conscience de…”. Notre conscience dans ce sens a un contenu. A un moment donné, nous ne sommes conscient que d’une toute petite partie de choses. Cela s’illustre facilement avec la cécité au changement. Exemples où il faut trouver tout ce qui change :
https://www.youtube.com/watch?v=ubNF9QNEQLA
https://www.youtube.com/watch?v=v3iPrBrGSJM
https://www.youtube.com/watch?v=Ui-bBSva8RE
Parmi ce qui nous entoure, il y a donc des choses qui sont sélectionnées pour devenir ou non conscientes. Dans la vie de tous les jours, nous dirigeons notre attention en fonction de nos attentes. S’il y a deux conversations autour de moi, je ne peux pas être conscient des deux en même temps, mais je peux diriger mon attention pour sélectionner laquelle je souhaite écouter.
(c) L’accès à la conscience
Ca y est, je suis dans un état de vigilance suffisant, mon attention a sélectionné certains objets dont je deviens conscient. Je suis par exemple conscient de la voiture rouge dans ma rue. Avec mon attention, je peux prendre conscience de son bruit, de son odeur, de son conducteur, de son prix etc. Ce qui est caractéristique de cette “conscience de…”, c’est que son objet est rapportable. Je peux en parler, je peux le mémoriser etc.
(2) Le traitement de l’expérience subjective (ce que rapportent les sujets) comme des données brutes
Le critère de rapportabilité implique que les sujets d’expériences peuvent rapporter ce dont ils sont conscients. Cela n’en fait pas des données objectives, ils peuvent pas exemple se tromper. Mais ce que disent les sujets, ce sont des données expérimentales qui peuvent être traitées scientifiquement.
(3) L'utilisation de paradigmes expérimentaux permettant de contraster le conscient de l’inconscient
Maintenant qu’on a distingué ce qu’on souhaite expliquer et étudier, il faut définir des paradigmes expérimentaux afin de voir ce dont la conscience et l’inconscient sont capables. Je vais détailler ici deux exemples.
Le masquage permet de rendre une image invisible (image subliminale). Si une image est présentée pendant un temps très court (mais pas trop), celle-ci est traitée par le cerveau de manière inconsciente mais n’est perçue de manière consciente par le sujet. Le principe c'est qu'une image subliminale congruente avec la prochaine image non subliminale nous permet de commencer à préparer une réponse et donc d'obtenir des meilleurs temps d'exécution pour la tâche consciente (par opposition au cas où l'image subliminale est non congruente). Ces expériences permettent par exemple de définir un seuil de conscience à partir duquel une image peut être perçue. Le masquage permet ainsi d’identifier des processus inconscients à l’oeuvre dans notre cerveau (inconscient cognitif) qui préparent des représentations mentales pouvant ou non être rendues conscientes.
L’expérience de Sperling consiste à présenter à un sujet sur une image 3 lignes comportant chacune 4 lettres (12 lettres au total). L’image est perçue pendant un temps bref puis disparaît. On demande alors au sujet de rapporter le maximum de lettres. En moyenne, ils en rapportent 4 ou 5 sur l’ensemble de l’image. Sperling a alors modifié l’expérience en produisant un bruit (parmi trois bruits possibles) après que l’image ait disparu de l’écran. Pour le bruit 1, le sujet doit rapporter les lettres de la première ligne. Pour le bruit 2, le sujet doit rapporter les lettres de la deuxième ligne. Même chose pour le bruit 3 avec la ligne 3. Dans ces conditions, alors que les sujets ne pouvaient pas anticiper quelle ligne on allait leur demander de rapporter, ils arrivent à rapporter les 4 lettres de la ligne. Cette expérience montre que notre cerveau traite bien les 12 lettres quelque part, que ces 12 lettres sont disponibles pour notre attention pendant un bref laps de temps et que notre attention peut en sélectionner 4 pour accéder à la conscience alors même que l’image a disparu.
D’autres paradigmes existent comme la rivalité binoculaire qui est le fait de présenter des images distinctes à chacun de nos yeux.
(4) L’utilisation des outils des neurosciences
Les paradigmes expérimentaux vus précédemment ont permis de trouver différentes caractéristiques à la conscience et à l’inconscient cognitif, mais cela ne permet pas d’expliquer comment physiquement ces mécanismes opèrent.
Les neurosciences disposent de différent outils pour faire le lien entre notre cerveau et nos capacités mentales (inconscient, conscience). On peut citer l’IRM fonctionnelle, l’électroencéphalographie, ou des électrodes directement reliées à des neurones. Ces outils couplés aux paradigmes expérimentaux précédents permettent alors d’identifier les aires du cerveau reliées à la conscience. Grâce à l’imagerie cérébrale, on voit quelles zones cérébrales s’activent dans les cas où l’information devient consciente.
Les cas cliniques offrent aussi de nombreuses possibilités pour isoler certains mécanismes. La vision aveugle (blindsight) est une pathologie où les gens sont aveugles. Ils n’ont pas de perception visuelle consciente. Par contre, leur cerveau traite de l’information visuelle et ils sont capable de deviner certaines choses. Un protocole expérimental consiste par exemple à leur demander d’introduire une enveloppe dans une fente. L’orientation de la fente est modulable. Quand on leur demande de deviner, alors qu’ils n’ont pas conscience de l’orientation de la fente, ils obtiennent des résultats supérieurs au pur hasard. On peut aussi citer en passant les agnosies d'une manière générale ou les patients split-brain.
Conclusion
Je n’ai pas décrit ici une théorie de la conscience. Je n’ai fait que décrire comment en clarifiant le concept de conscience, la science est capable de traiter de ce sujet grâce à de nouveau outils et à de nouveaux paradigmes expérimentaux. Ces nouveaux supports sont à même de fournir une explication physicaliste de la conscience comprise comme la capacité à avoir des choses à l’esprit (avoir conscience de X). Des phénomènes comme la conscience de soi ou la conscience phénoménale peuvent poser question. La théorie de Dehaene (l’espace neuronal de travail global) permet d’expliquer ces phénomènes. Ce n’était pas l’objet de ce topic, mais ça pourra être l’objet d’un prochain topic.
Références
Dehaene, Le code de la conscience
Dehaene, S., Lau, H., & Kouider, S. (2017). What is consciousness, and could machines have it?. Science, 358(6362), 486-492.