Voici, chers amis (s'il en reste), les extraits du livre "Les cyniques grecs" qui m'ont touché, qui m'ont marqué, qui m'ont ébloui.
Je me suis totalement retrouvé dedans, excepté bien sur pour les passages un peu trop provocateurs et qui peuvent montrer un certain manque de tempérance et de modération.
Les cyniques grecs
Avant-propos
Les idées morales d’Antisthène étaient simples, mais fortes. La vertu relève des actes, elle est fondée sur l’effort. Il suffit de désapprendre ce qui est mal, faire table rase de toutes ces coutumes et conventions de la société. La philosophie d’Antisthène demande une force qu’on peut appeler la volonté. Grâce à elle, l’homme peut acquérir ces qualités maitresses du cynisme que sont l’endurance, la maitrise de soi et l’impassibilité.
Le but de l’ascèse est de vaincre les ponoi, souffrances physiques, mentales, de toutes sortes.
« La vertu suffit au bonheur ; elle n’a besoin de rien de plus, si ce n’est de la force socratique. »
Une vocation du cynisme est de déranger.
Une morale de l’apathie :
L’échelle des êtres selon le cynique : l’homme en bas, le divin en haut, l’animal entre deux.
Si l’homme est malheureux, c’est essentiellement pour deux raisons ; d’une part il est cet être de tous les désirs, qui sans cesse part en quête de ce qu’il n’a pas ; de l’autre il est cet être de toutes les angoisses, qui traverse l’existence en compagnie de la peur : angoisse à l’égard des revirements subits que peut lui infliger la fortune, la Tychè cruelle qui règne en maitresse absolue sur le monde, angoisse aussi à l’égard des dieux et de ces châtiments de l’Hadès.
Le bonheur réside dans l’apathie, c’est-à-dire dans un état de sérénité totale qui permet d’affronter l’adversité sans éprouver le moindre trouble.
Le cynique propose comme modèle théorique la divinité et comme modèle concret l’animal.
Au fondement de l’apathie diogénienne se situe l’autarcie, le fait de se suffire à soi-même.
Autarcie, liberté, apathie, telle est bien la triade constitutive du bonheur diogénien. Mais la falsification est de taille ! A un premier niveau, parce que le renversement des valeurs est total : pour être heureux, il n’est plus question de se réfugier dans l’avoir, la possession de biens matériels, de richesses, mais il faut se montrer apte à se suffire à soi-même, privilège de qui ne possède rien ou presque rien ; à un second niveau, parce que ce qui fait traditionnellement la grandeur de l’homme, à savoir l’intelligence, la pensée, se trouve sinon nié, du moins dégradé, dévalorisé par la référence au modèle animal, ce qui est extrêmement troublant et choquant.
En fait Diogène reproche à l’homme de ne pas savoir utiliser suffisamment sa raison et de n’être qu’un jouet entre les mains de ses passions.
Diogène insiste davantage sur la tension morale que sur les aptitudes intellectuelles et Cratès son disciple, résume parfaitement leur état d’esprit en deux vers bien frappés qui pourraient servir de définition au bonheur cynique, un bonheur où n’intervient pas de composante intellectuelle :
« Tu ne sais pas quelle force ont une besace,
Un chénice de lupins et l’absence de soucis. »
Il suffit de regarder un chien, une souris ou encore l’animal du troupeau qui sait boire l’eau de la source ; ils sont heureux ; en revanche à l’homme stupide il faut du bon vin, il faut la couronne de lauriers qui sanctionne la victoire aux Jeux, il faut la richesse, la gloire, la renommée !
[…] la voie rude et simple des disciples d’Héraclès, la voie de l’ascèse qui ramène l’homme au plus près de la nature, loin de tous les artifices de la vie civilisée que sa folie l’a amené à inventer.
Le cosmopolitisme en politique :
Quels sont les qualificatifs revendiqués par Diogène ?
A-polis, sans cité, a-oikos, sans maison, et, de façon apparemment plus positive, kosmopolitès, citoyen de l’univers. Dans cette optique, l’exil ne présente aucun inconvénient et Diogène à aucun moment ne regrette Sinope. Cratès dans une de ses poésies déclare :
« Ma patrie n’est pas faite d’une seule muraille ni d’un seul toit ;
Mais c’est la terre entière qui constitue la cité et la maison
Mise à notre disposition pour que nous y séjournions. »
Dans la logique du cosmopolitisme, le cynisme ancien préconise l’abstention à l’égard de tout engagement politique, qui, au même titre que l’engagement familiale ou social, se révèlerait une entrave à la liberté individuelle.
Le cynique est pour la liberté individuelle en rapport avec la nature de l’être, les lois passant après : anthropophagie, inceste communauté des femmes et des enfants (?), sport pratiqué nu par les femmes, liberté sexuelle totale. Les armes doivent disparaitre et l’argent, monnaie d’échange est remplacé par des osselets qu’on pouvait trouver n’importe où à l’époque.
L’agnosticisme religieux : il y a surement quelque chose en haut mais l’homme ne peut y accéder ou le comprendre, il vaut mieux privilégier son bonheur ici sur Terre en attendant l’au-delà. Il n’y a pas besoin d’inventer des rites et des cérémonies de toute pièce pour se donner bonne conscience. C’est absurde. Le cynique laisse davantage en suspend le divin et vit sa vie pleinement.
L’ascèse comme méthode philosophique :
Une fois l’échappatoire religieuse rejetée, il restait encore une possibilité : l’échappatoire doctrinale, le refuge dans la construction d’un système bien cohérent, satisfaisant au moins pour l’esprit. Mais Diogène se refuse à se poser des questions qu’il sait par avance insolubles. Il récuse les systèmes comme les idéologies. D’où cette falsification de la philosophie elle-même qui embarrassa tant Platon, et plus tard les philosophes des Lumières, car elle débouchait sur une pratique philosophique où semblaient se mêler à la fois sagesse et folie, lumière et ombre.
[…]
Il ne reste qu’une solution : les actes ! La philosophie devient ascèse, non pas une ascèse spirituelle stoïcienne mais une ascèse du corps à finalité morale, une ascèse simple, rude, terriblement exigeante, comparable à l’ascèse de l’athlète du stade olympien !
L’ascèse pour ligne directrice le retour à la nature, donc le rejet de tous les plaisirs néfastes de la civilisation. En effet, la nature ne nous a-t-elle pas donnée, à nous les hommes, tout comme aux animaux, une vie facile que dans notre démence nous nous sommes empressés d’abandonner pour rechercher les raffinements du luxe ? Il convient donc de faire marche arrière, de retrouver un état de nature qui finalement prend des allures de paradis perdu, en limitant nos besoins aux seuls besoins naturels et nécessaires, c’est-à-dire en menant une vie de frugalité et de pauvreté.
De la sorte, le cynisme « falsifie la monnaie » puisqu’il donne une voie directe et accessible à tous pour se réaliser et atteindre l’ataraxie.
La pédagogie cynique :
Il est évident que pour faire passer son message le Cynique ne pouvait user des moyens ordinaires de l’enseignement et de la persuasion. De fait, il prit un double parti : celui d’aboyer, de mordre même, et celui de choquer pour réveiller les gens de leur léthargie bien-pensante. Ces attitudes ne sont que l’expression de la qualité la plus chère aux yeux des cyniques : la parrhèsia, cette franchise qui invite à tout dire, même ce qui scandalise le plus. Mais ce n’était pas pour choquer, pour juste choquer et faire le bouffon, c’était la méthode pour taper droit dans le mille et soigner les gens de leurs troubles.
Introduction
Le mouvement est né au 4e siècle avant Jésus Christ, autour du personnage mi-légendaire de Socrate, personnage contestataire remettant en question des idées reçues au nom de l’homme et de la justice. Un des disciples de Socrate fut Antisthène. On le connait d’abord en tant que disciple de Gorgias, ardent rival sophiste de Platon. Sa pensée se résumait ainsi : le bonheur est fondé sur la vertu, qui dépend de la connaissance et peut donc être enseignée. En même temps, Antisthène s’opposait aux théories hédonistes d’Aristippe de Cyrène, un autre disciple de Socrate. La plupart des plaisirs sont trompeurs, affirmait-il : ce sont de vains mirages qui n’apportent que déceptions. Seul le plaisir qui est le fruit de l’effort (résultat d’une « ascèse ») jouit d’une certaine durée et peut ainsi contribuer au bonheur. Et si l’on cherche un modèle inspirant dans la mythologie, nous avons comme modèle Héraclès (Hercule en romain) ! L’homme fort d’Argos qui, au prix de peines et de travaux proprement herculéens, s’employait à libérer les pauvres gens de la tyrannie des puissants et de l’arbitrage des forces naturelles. C’est à ce titre qu’Antisthène a pu passer à l’histoire comme le père, ou du moins l’instigateur du Cynisme.
Antisthène discourait au gymnase de Cynosarges, en banlieue d’Athènes. Le nom de Cynosarges signifie « chien agile » ou « à l’enseigne du vrai chien », parfait pour identifier de façon mi-humoristique, mi-sérieuse, le genre de vie du cynique : vrai chien, toujours prêt à aboyer contre la médiocrité ou l’hypocrisie des gens bien, et déchirant à belles dents toute forme d’aliénation, de conformisme ou de superstition. En plus de ce nom rocambolesque et parfait pour eux, le gymnase était dédié à Héraclès, fils d’un dieu et d’une humble mortelle et, de surcroit, « patron céleste ». (Antisthène n’était pas non plus un athénien pur-sang et donc prenait de temps en temps des sobriquets et insultes d’athéniens d’origine.)
Le plus grand disciple d’Antisthène fut le grand Diogène de Sinope. C’est lui qu’on retiendra comme le plus grand cynique voire le père du véritable cynisme. Par la suite, il y aura Cratès qui a bien marqué les esprits et d’autres. Cratès eut pour disciple Zénon, père du stoïcisme.
Petit à petit le cynisme s’est propagé dans le bassin méditerranéen. Il y eut des dérives par ci par là vers une vie libertaire oubliant surement quelques préceptes essentiels au courant de pensée.
Antisthène
D’elle-même, la vertu suffit à procurer le bonheur, sans exiger d’autre chose que la force d’âme d’un Socrate. En fait, elle réside dans l’action, et elle n’a aucunement besoin de l’abondance des paroles ou des connaissances. Le sage se suffit à lui-même, puisqu’il possède en lui tout ce qui appartient aux autres.
Diogène
Diogène vit un jour une souris qui courait ça et là, sans chercher de lieu de repos, sans prendre de précautions contre l’obscurité, et ne désirant rien de ce qu’on qualifie de jouissances : il y découvrit aussitôt, au dire de Théophraste […], la façon de s’adapter aux circonstances.
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Voyant un jour un petit garçon boire dans ses mains, il jeta son gobelet hors de sa besace en s’écriant :
« Un gamin m’a dépassé en frugalité ! »
Il se débarrassa aussi de son écuelle quand il vit pareillement un enfant qui avait cassé son plat prendre ses lentilles dans le creux d’un morceau de pain.
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Note d’une citation :
Nauck, T.G.P., Adesp. 284. Cf. Epictète III, 22, 45 :
« Comment est-il possible à un homme qui n’a rien […] de passer ses jours avec sérénité ? Voici que Dieu vous a envoyé quelqu’un pour vous montrer par l’exemple que c’est possible : « Voyez-moi, je suis sans abri, sans patrie, sans ressources, sans esclave. Je dors sur la dure. Je n’ai ni femme, ni enfants, ni palais de gouverneur, mais la terre seule et le ciel et un seul vieux manteau. Et qu’est-ce qui me manque ? […] Ne suis-je pas libre ? »
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Le succès et la bonne fortune des gens malhonnêtes réduisent à l’absurde toute la puissance et la force des dieux.
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Il était en train de déjeuner sur la place publique : quand il entendit les badauds lui crier « Chien ! », il reprit aussitôt : « En vérité, vous êtes vous-mêmes les chiens, car ce sont les chiens qui tournent les yeux vers les convives en train de manger. »
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Il pensait en conséquence que les enfants doivent aussi appartenir à tous. Il ne voyait rien non plus de déplacé à s’emparer des biens d’un temple ou à manger la chair de quelque animal ; pas plus qu’il ne trouvait d’impiété particulière à dévorer de la chair humaine, comme l’attestent certaines coutumes de peuples étrangers. D’ailleurs, en accord avec la saine raison, on peut dire que tout est dans tout et partout : dans le pain, il y a de la viande, dans les légumes, il y a du pain, et tous les autres corps, par le truchement de pores et de particules invisibles, pénètrent en tout et s’unissent à tout sous forme de vapeur. C’est ce que Diogène met en évidence dans le Thyeste – si toutefois les tragédies sont des œuvres et non la production de son ami Philiscos d’Egine ou de Pasiphon, le fils de Lucien, qui, d’après Favorinus […], les aurait écrites après la mort de Diogène. Le cynique soutenait encore qu’il ne faut faire aucun cas de la musique, de la géométrie, de l’astronomie, et autres sciences toutes aussi inutiles et non nécessaires.
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Je suis charmé par la répartie de Diogène qui, voyant son hôte à Sparte dépenser un zèle particulier à préparer une fête, lui dit : « Un homme de bien ne considère-t-il pas chaque jour comme une fête ? »
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A quelqu’un lui demandant comment on pouvait être maître de soi, Diogène répondit : « En se reprochant fortement à soi-même ce que l’on reproche aux autres. »
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Certains le tournaient en ridicule parce qu’il déambulait à reculons sous un portique. Diogène leur répliqua : « N’avez-vous pas honte de me reprocher d’aller à reculons en marchant, vous qui parcourez à reculons le chemin même de votre vie ? »
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Diogène déclarait : « Il n’est rien de plus vil que l’adultère qui cède son âme contre des denrées vénales. »
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« Comment peut-on se venger d’un ennemi ? » demandait-on à Diogène. Il répondit : « En faisant de lui un honnête homme. »
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La vantardise est comme une arme plaquée or : l’intérieur est bien différent de la surface.
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Quelqu’un lui demandait quels étaient les hommes les plus nobles. Diogène lui répondit : « Ceux qui méprisent la richesse, la gloire, le plaisir et la vie, et qui dominent par ailleurs leurs contraires, la pauvreté, l’obscurité, la peine et la mort. »
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La pauvreté, selon Diogène, est, pour la philosophie, une aide qu’on n’apprend pas dans les livres : ce que la philosophie tente d’inculquer par des discours, la pauvreté, par les faits, contraint l’esprit à le saisir.