-Vous avez fait vite, dites-donc..." fis-je en contemplant l'énorme assemblage de troncs, de barils de poudre et de cordages qui dominait la clairière déboisée par Kor.
-En effet." Confirma Kazey. "Nous avons dû utiliser cinq troncs pour le corps, mais Kor s'étant servi de son "instrument" pour les abattre et les élaguer, cela s'est fait assez rapidement.
-Ca explique pour la détonation, tout-à-l'heure...
-Oui. En réalité, il voulait nous jouer un air augmentant la force physique, mais... Nous avons tous les trois failli laisser la vie dans l'explosion - quoique le terme le plus exact soit en fait "éclatement"- qui a suivi. Autrement, tes calculs avancent-ils?
-Pas vraiment..." avouai-je. "Par contre, j'ai découvert comment calculer la longueur de l'un des cotés d'un triangle rectangle à partir de celle des deux autres.
-Je doute que cela soit utile dans un cas pareil..." pouffa Zack. "Et pis t'a Gore qui l'a découvert il y a plus de six-cent ans!
-Gore?
-Patchef Gore. Un mathématicien de Dondruma.
-Ah...
Je fixai d'un œil mauvais les sombres nuages qui recouvraient le ciel, déchargeant leur provision d'eau sur la région. Pourvu que les tonneaux soient bien étanches, sinon, la poudre serait mouillée, et je l'aurais bien dans l'os.
-LE RAGOÛT EST VIVAAAANT!!!
Je sursautai, et me retournai juste à temps pour voir le couvercle de la marmite décoller, emportant Nak -qui avait visiblement essayé de le maintenir fermé- avec lui. Une chose énorme en sortit, croisement improbable entre un tas de boue et morceau de viande géant, s'enfuit en rampant, renversant Mart au passage, et disparut sous les arbres en poussant un "ABOULABOULABOULA!" pâteux.
Cette scène fût suivie par long moment silence.
-C'ÉTAIT QUOI, CE TRUC?!?" finit par hurler Zack.
-Aucune idée." fit Nak en se massant les reins.
-Aucune idée?!? C'est quand même toi qui l'as créé! Faut plus te laisser cuisiner!
-Je proteste." se défendit Nak.
-BOULA." ajouta le ragoût.
-IL EST REVENU!!!
Nak se jeta sur le coté, esquivant l'attaque sautée du tas de ragoût, qui atterrit quelques mètres plus loin et se mit à foncer sur le Système Explosif Autopropulsé Coronoïde.
-Hé!" m'exclamai-je. "Le laissez pas toucher à ma bombe! C'est dangereuuux!
Kor s'interposa, dégainant son cor de chasse. La chose bondit sur lui, s'agrippa à l'embouchure de l'instrument, et... Bien mal lui en prit, car Kor souffla, et dans un "SCHPOM" sonore, le ragoût disparut dans les cieux, éjecté par la pression phénoménale contenue dans les entrailles du cor.
-Nakaëriel lui a donné la vie, Kor lui a offert des ailes." ironisa Zack.
-Et moi, j'allume ma bombe volante avant qu'il n'arrive quelque chose de pire..." grommelai-je.
-Hein? Tu... AH, NON!" s'exclama Kazey. "Tu n'as aucune idée d'où ça va retomber! Je peux me charger de refaire les calculs, donne-moi juste quelques heures!
-En quelques heures, il peut se passer n'importe quoi. Et avec cette pluie, plus longtemps on attendra, plus on prendra le risque de voir la poudre se mouiller. Recule, j'allume" fis-je en portant un fagot rougeoyant tiré au feu de Nak sur l'entrelacs de mèches dépassant de la base des barils.
-NON, NE... AUX ABRIIIIIS!!!
Dans un ouragan de flammes et de fumée qui balaya tout ce qui se trouvait dans la clairière, le tronc explosif s'éleva lentement à la verticale. Prenant de la vitesse, il continua son ascension jusqu'à traverser les nuages, et disparaître par là-même de notre champ de vision.
Je me relevai, toussant et crachant, et attendis que la fumée se dissipe. Comme je l'avais dit précédemment, cet endroit de la forêt avait particulièrement été défiguré par les facéties de Kor. Et bien au final, elles n'étaient pas grand chose à coté des ravages causés par l'envol de ma bombe. Une épaisse croûte de cendre recouvrait tout dans un rayon d'une cinquantaine de mètres, et l'endroit d'où elle était partie était littéralement vitrifié. Plusieurs rangées d'arbres étaient maintenant au sol, couchées par la déflagration.
-Asura toute puissante..." fit Kazey en s'époussetant. "Je plains sincèrement ceux sur qui ça va tomber. Ne reste qu'à espérer qu'il s'abîmera dans un endroit désert.
-...ou sur la forteresse de Schrade." complétai-je.
-Ach! Mais que z'est-il pazzé, izi?!?
Me tournant vers l'origine de cette voix, j'eus la surprise de découvrir Kaï. Et il était vivant. Logique, d'un coté, car si il avait été mort, il n'aurait pas pu parler. A moins qu'il n'aie parlé d'abord puis soit mort avant que j'ai le temps de me retourner, mais dans ce cas-là, je n'aurais pas écrit qu'il était vivant. Et là, je suis donc en train d'écrire pour rien.
-Kaï?" m'étonnai-je. "Qu'est-ce que tu fais là?
-Che zuis parfenu à m'éfater. Che zuis tompé tu huitième étage te la forterezze, mais heureuzement, ma chute a été amortie par un Achent te la Kilte qui tentait t'ezcalater la muraille. Enzuite, che me zuis enfui à la nache, par le lac, et me foilà!
-Ah." fis-je, satisfait. "Content de voir, tu tombes bien.
-Content?" s'étonna-t-il. "Et pien, quand à moi, che n'oublie pas que tu m'as lifré contre une pouteille te limo*GLURK*
-Oui, oui, mais on en discutera plus tard." affirmai-je en le traînant par le col, courant dans la direction du camp.
- ********************************
Shibe rajusta le morceau de toile lui servant de protection contre la pluie, et continua à fixer le bouchon de sa canne à pêche. Au final, il n'avait trouvé nulle part où dormir, et s'était donc résolu à aller pêcher sur les quais de Lafstzk en compagnie de Raoul.
-C'est calme." fit-il machinalement.
-Camarade," répondit Raoul, "chez moi, il y a un proverbe qui dit: "Ne rappelle pas le destin à ton bon souvenir lorsque tu as la chance de te faire oublier de lui ne serait-ce que pour quelques heures."
-Moui, c'est vrai qu'un voyage avec Ksaï n'est pas de tout repos. Alors lorsque rien ne se passe, autant en profit... C'est quoi, ça?
Raoul plissa les yeux, fixant l'objet oblong tombant du ciel, quelques kilomètres plus loin. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaître l'engin qu'il avait déjà pu voir en action à Schrade. Sauf que celui-ci paraissait beaucoup plus gros. Il blêmit.
-Je crois que c'est le destin qui se rappelle à notre bon souvenir." soupira-t-il. "Ou Ksaï qui trouve que l'on s'est assez reposé, c'est selon.
La bombe s'écrasa sur la rive opposée du lac et explosa dans un flash éblouissant, soulevant une vague immense, qui se dirigea vers la ville à toute vitesse.
-...c'est peut-être le moment de courir, là, non?" tenta Shibe en lâchant sa canne à pêche.
-Tout à fait d'accord." fit Raoul en se levant.
-ABOULABOULABOULA*SPROTCH!*" ajouta le ragoût en s'écrasant sur Shibe.
Ce dernier se débattit, ne comprenant pas ce qui venait de choir sur sa personne, ni d'où cela avait chu, et ils se firent tous emporter par la vague.
- ******************************
-Qu'est-ce qui s'est passé?" demanda Firior. "On a vu une boule de feu énorme jaillir de la forêt, et là, il vient d'y avoir une explosion et une vague énorme qui a emporté tout ce qui se trouvait sur le rivage. Tu n'as quand même pas...
-Là n'est vraiment pas l'important." coupai-je en désignant Kaï. "Tu vois cette homme? Si je l'avais amené à l'auberge, c'est parce qu'il est linguiste. Montre-lui ta tablette, et finissons-en. Quand à moi, il y a quelque chose qu'il faut que je voie.
Les laissant aux prises, je me dirigeai vers le centre du camp. A ce qu'il paraissait, la fille que j'avais livré allait se faire exécuter. Condamnée au bûcher comme traître au royaume
Le bûcher en question avait déjà été dressé. Un gros tas de bois arrosé d'huile -pour être sûr que la pluie ne gâche pas le spectacle du bûcher en l'éteignant- et agrémenté d'un poteau métallique à chaînes -pour être sûr que les suppliciés ne gâchent pas le spectacle du bûcher en s'enfuyant.-. De nombreux soldats s'étaient déjà regroupés autour, attendant que l'on amène la victime.
Elle finit par sortir d'une grande tente, mains liées, et encadrée par deux gardes. Passant devant moi, elle s'arrêta un instant, me lança un regard où ne transparaissait que le mépris, et me cracha au visage.
-Économise ta salive." dis-je avec un sourire. "Tu en auras besoin pour tenter d'éteindre les flammes! MOUAHAHAHAHAHAAAAA!
Elle fut menée sur le bûcher, et enchaînée au poteau. Durant tout ce temps, son regard resta fixé sur moi.
-Je suppose que ça te procure un certain plaisir." dit froidement Mart.
-Pas vraiment." avouai-je, me demandant quand il était arrivé. "J'ai agi par colère. Mais à y réfléchir, si les rôles avaient été inversés, aurait-elle agi différemment, elle qui comptait torturer Firior, et faire de même en ce qui me concernait?
-C'est en apprenant à faire abstraction de ce genre de considération qu'un homme se place au dessus des autres.
-Je ne prétends pas être au dessus des autres. Je suis comme je suis, point. Et si j'ai bien appris une chose, au cours de ma vie, c'est qu'il n'y a pas de bon samaritain.
Un soldat jeta prudemment une torche dans le tas de bois, qui s'enflamma instantanément. La fille ne poussa pas un cri lorsque les flammes l'entourèrent.
-Juste. Il n'y en a pas." fit Mart en posant la main sur le manche de son sabre. "Mais certaines personnes pensent que chacun devrait pouvoir mourir comme il l'entend. Et j'en fais partie.
Et il s'élança sans un mot, écarta la foule, franchit l'espace qui le séparait du bûcher, et se jeta à travers les flammes. Des cris s'élevèrent parmi les soldats, qui saisirent tous leur arme, comprenant que la fête était terminée. Un coup de sabre. La chaîne vola en éclat. Mart prit la fille désorientée dans ses bras, et jaillit hors des flammes, se retrouvant encerclé, les vouges de tout un bataillon pointées sur lui. Portant au monde un regard las, il s'agenouilla, déposant délicatement le corps de la fille au sol. Ce fut cet instant que les soldats choisirent pour attaquer. Les lances s'abattirent. Le sang gicla. Quatre vies s'éteignirent.
Mart se trouvait maintenant debout, sabre pointé vers le firmament. Le coup de taille avait été porté si rapidement que personne ne l'avait vu venir. Un instant d'immobilité suivit. Puis la lame retomba, et deux autres hommes mordirent la poussière.
Dans une suite de taillades meurtrières, le sabreur traversa la foule, fauchant les vies comme d'autres fauchent le blé, avec la résolution de ceux qui ne craignent personne parmi les hommes. Parvenant à la charrette ayant été utilisée pour amener le bois, il fit volte-face, et me lança un regard lourd de significations avant de disparaître derrière une marée d'adversaires.
Des soldats arrivaient de toutes parts, se joignant à la mêlée, posant de seconde en seconde le fait que Mart n'était ni plus ni moins qu'en train de faire face à un Chapitre de l'Armée Royale.
Mais d'entre nous deux, c'était lui qui avait raison. J'avais commis la pire des fautes, et il venait de m'inviter à me racheter. Au final, il était peut-être temps que je me décide à être digne du qualificatif de "héros". Ca faisait malheureusement longtemps que cela n'avait pas été le cas. "Fais de ton mieux" disait la gravure sur ma lame. Et faire de mon mieux, ce n'était pas me laisser aller à être aussi je-m'en-foutiste, mais plutôt aller chercher moi-même les qualités que j'avais fait sombrer en décidant de rire à la face du monde, au lieu de lieu de ne les laisser que refaire surface régulièrement. Alors, quoi? Mart maniait un sabre à deux mains, et il en fallait une de plus pour s'occuper de la fille. Ne me restait plus qu'à m'élancer.
Je traçai un sillon dans foule compacte de soldats, frappant comme un démon, tentant de rejoindre l'endroit ou Mart avait déposé le corps inerte. Elle n'avait pas bougé, et s'était peut-être même fait piétiner, mais je ne pris pas le temps de me formaliser sur son état, et la ramassai, passant mon bras tenant le bouclier sous les siens. Plus de protection, et une deuxième personne à défendre. Qui avait dit que racheter une faute pareille était facile?
Avançant vers la charrette, je tâchai d'ignorer les coups m'atteignant, et fis seulement en sorte qu'aucun n'atteigne ma protégée. Je franchis enfin le dernier rang de soldats. Mart avait taillé une véritable clairière jonchée de cadavres. En me voyant apparaître, un sourire satisfait traversa son visage. Je chargeai le corps dans la charrette, me hissai à l'intérieur, sortis une bombe fumigène de ma sacoche, et la lançai dans la foule. En quelques secondes, la confusion fut totale. Mart bondit à la place du cocher, et lança les herbivores au galop.
-Chacun devrait pouvoir mourir comme il l'entend, hein?" grommelai-je à l'adresse du sabreur. "Tu l'as dit aux hommes que tu viens de tuer, au moins?
-En décidant de devenir soldats, ils s'étaient engagés à mourir pour défendre les valeurs de Gardemine, et ce, quelles qu'elles soient. Leur choix était déjà fait. S'ils rêvaient de périr héroïquement dans un assaut glorieux contre une armée ennemie maléfique et supérieure en nombre, ils n'avaient qu'à se tenir à l'écart. Au lieu de ça, ils sont morts bêtement aujourd'hui, en défendant le droit du Royaume de brûler vif ceux qu'il considère comme ses ennemis...
-Hm... Va savoir pourquoi, je m'attendais à cette réponse." soupirai-je. "Et moi? De quoi j'ai l'air?
-En te retirant les quelques pointes de lances plantées dans ton dos et en soignant les quelques belles plaies que tu as au flanc droit, tu aurais presque l'air en bonne santé. Tu dois vraiment avoir une bonne armure, cela dit.
-...
-Non. Au final, je crois que je t'ai mal jugé. Ou disons plutôt que c'était mon impression de départ en te rencontrant qui était la bonne. Et encore une fois, ce serait un honneur pour moi de pouvoir t'affronter en duel.
-Même pas en rêve... Maintenant tu m'excuseras..." fis-je en saisissant un des rouleaux de cordes entreposées dans la charrette. "...mais je dois récupérer Firior.
Je fis un solide nœud coulant, fis tournoyer la corde au dessus de ma tête, et la lançai vers Firior, qui, ayant assisté à toute la scène, poursuivait maintenant la charrette. Le nœud passa autour de sa tête, et se resserra sur son cou. Il eut juste le temps de placer ses mains sous la corde pour ne pas finir étranglé, et trébucha, se retrouvant traîné comme... Heu... * Note d'Elektro: comme le ski nautique n'existe pas en Gardemine, et que de toutes façons, il ne se pratique ni sur la terre ferme, ni sur le dos, je ne trouve pas de comparaison. Zut. *
-TU VAS ME TUEEEER!!!" hurla Firior.
-Chassez le naturel..." soupira Mart.
-...il revient au galop." complétai-je. "Et alors? Je m'amuse bien plus ainsi...