Je hais le froid. Vraiment.
Je hais la morsure glaciale du vent froid qui s’insinue au travers de ma cape de fourrure. Pourtant, j’étais bien en train d’errer sur cette étendue blanche, accompagné de mes collaborateurs, tout en maudissant Jormund de nous avoir entraînés sur cette désolante steppe, qui était par ailleurs, en plus d’être froide, sinistre à souhait sous la lumière pâle de la lune.
Et comme si cela ne suffisait pas, une bête féroce à la fourrure dorée -comme nous l’avaient décrite le client- était supposée hanter les lieux. C’était donc la main crispée sur mon arme et les sens en éveil que je progressais, à l’affut d’une quelconque toison d’or. Mes compagnons n’avaient guère l’air plus serein.
Un hurlement rauque fusa soudain dans l’air. Il semblait provenir de l’Echine du Serpent, une chaîne de montagne marquant la frontière entre le plateau de Furahiha –endroit dans lequel nous errions, et la capitale du Nord.
L’endroit d’où vociférait la bête était jonché de carcasses d’animaux gelés ou encore tièdes.
Nous ne tardions pas à apercevoir une forme sombre. Les ombres furent dissipées par la lueur de la lune pleine, dévoilant la bête. Je retins un cri de stupéfaction à sa vue.
Car elle n’était ni plus ni moins qu’une mécanique noire de griffes et de crocs. Ses muscles noueux roulaient sous sa fourrure de jais, et deux cornes tortueuses ornaient sa tête pourvue de mâchoires effrayantes dont on présageait la puissance.
Jormund me fit signe de tirer une munition à fragmentation. Je m’exécutai, engagea la large cartouche dans le chargeur, approcha le viseur de mon œil, pressa la détente. L’instant d’après, la balle…
…resta bien au chaud dans la chambre de tir.
L’habituelle explosion de poudre avait été remplacée par un « clic » mécanique. Ce « clic », signe de l’enrayement de l’arme, était un bruit qu’aucun artilleur ne désir entendre, surtout face à un monstre pareil.
A notre vue, il poussa un rugissement tonitruant amplifié par l’écho et sa fourrure sombre pris des teintes dorées, semblant s’immoler dans un feu ardent. De petits arcs électriques parcouraient sa tignasse aux couleurs du soleil.
De leurs coté, mes compagnons dégainaient. L’affreuse créature se rua sur nous.
La lame de Bauer se fondit dans sa chair, tandis que le marteau de Jormund broyait, et que la lance de Bjorn perçait. Face aux assauts de mes frères d’armes, le Rajang ne tressaillait même pas.
J’essayais quant à moi de tirer, mais le mécanisme ne voulait, semblait-il, rien entendre.
D’un simple coup de patte, la bête envoya valdinguer me sabreur, avant de se tourner vers moi.
J’appuyais désespérément sur la gâchette, tandis que le monstre sa ruait sur moi. Soudain, mon arme tressauta dans mes mains, et le canon cracha une bouffée de poudre ardente. L’instant d’après, une explosion retentissait, accompagnée d’une odeur de poils calcinés.
Il était à terre, le bras blessé, tentant vainement de se relever, acte que son membre endommagé lui empêchait de réaliser. Jormund se rua sur lui, arme au clair, et ancra sa gigantesque masse dans son crâne. Profitant de l’étourdissement momentané de notre adversaire, je chargeai et vida tout un chargeur de munitions emplies d’un neutralisant puissant spécialement élaboré pour les monstres de grande taille dans la plaie béante causée par mon acolyte. Le Rajang perdit son pelage doré, signe de son inconscience, et un ronflement sifflant émanait de sa gorge. Tandis que les balles déchargeaient l’agent chimique dans les veines de la bête, Bjorn accourait vers Bauer, qui était encore sonné par la violence du coup.
Fusil au dos, je m’approchais du corps gigantesque de l’animal endormi, regardant la blessure béante qui trônait à présent sur sa tête massive.
-« Alors ? S’enquit Jormund. »
Je reniflai avec dédain.
-« Alors inutile d’espérer le vendre. Ton coup de marteau la quasiment réduit à l’état de légume. Il ne vivra pas plus de deux jours en captivité. De plus mon tir à brûlé une bonne partie de la fourrure. Nous n’en tirerions même pas de quoi nous payer un lait de chèvre.
-Bien. Bauer ? »
Notre sabreur avait pleinement récupéré. Sur ces mots, il s’approcha et souleva sa lame titanesque au dessus de sa tête, tâche facile pour ce golem de presque deux mètres de hauteur.
La grande épée trancha sans grande peine le cou pourtant massif du Rajang, libérant une fontaine de sang qui macula la neige du liquide écarlate.
Nous nous attelions ensuite à dépecer notre proie. Crocs, griffes, cornes, morceaux de peau… Tout serait vendu dans les villages qui jalonnaient le chemin du retour –sauf évidemment la queue, preuve de notre forfait.
Voilà en quoi consistait ma vie. A courir les routes, décrochant quelques contrats ça et là. Sauf que je n’agissais plus seul. Je collaborais avec d’autres chasseurs, devenus plus ou moins des amis. Une fois notre sanglante tâche accomplie, il ne nous restait plus qu’a partir, et vite de préférence, avant que l’odeur du sang n’attire les quelques créatures tout aussi amicales que celle que nous avions affrontée.
Je ne rêvais plus que de la chaleur d’un bon feu et de plonger le nez dans une tasse d’infusion brûlante.