– Je crois que je vais commencer…
Et il commença un discours. Il n’aurait pas su dire si oui ou non, il avait parlé longtemps ou dit beaucoup de choses, l’un pouvant aller sans l’autre. Les jours précédents, il avait essayé d’écrire quelque chose, mais après avoir gâché beaucoup de parchemin pour rien, il avait décidé de parler directement le moment venu – et maintenant il le regrettait peut-être… Ses idées s’étaient tellement embrouillées qu’il ne savait plus exactement ce qu’il avait dit ; il savait seulement qu’il avait parlé du caractère de tigresse de Ginny, de sa capacité à lui dire ses quatre vérités quand il dépassait les limites, et aussi de sa beauté. Ce fut ensuite au tour de Ginny qui, avec un sourire, raconta la façon dont elle avait appris à connaître Harry – d’abord comme l’icône d’un personnage célèbre qui avait permis la fin de la première guerre, puis comme quelqu’un de bien réel, courageux, qui avait toujours combattu avec acharnement les forces du Mal, et tout ce qui pouvait menacer de détruire des vies, des familles… et à la fin, elle ajouta d’un air amusé que, elle aussi, elle le trouvait beau.
– Bien, dit le prêtre-sorcier. Maintenant, veuillez sortir vos baguettes magiques et les mettre bout à bout, s’il vous plaît.
Harry et Ginny s’exécutèrent, sans cesser de se regarder.
– Ginevra Molly Weasley, reprit le prêtre, acceptez-vous de prendre Harry James Potter pour époux, de l’aimer, de le chérir, dans la joie ou dans la peine, jusqu’à ce que la mort vous sépare ?
– Oui, répondit Ginny d’une voix plus sérieuse et solennelle, et aussi légèrement tremblante.
– Harry James Potter, acceptez-vous de prendre pour épouse Ginevra Molly Weasley, de l’aimer, de la chérir, dans la joie ou dans la peine, jusqu’à ce que la mort vous sépare ?
– Oui, dit Harry d’un ton devenu tout aussi solennel, les joues en feu, même s’il n’arrivait pas à s’enlever ce stupide sourire…
Le prêtre leva sa propre baguette magique et la pointa vers la jonction des deux autres baguettes. Puis son sourire s’élargit davantage lorsqu’il déclara d’un ton enjoué :
– Je vous déclare donc unis par les liens sacrés du mariage !
Une lumière blanche jaillit et vint frapper la jonction des baguettes, avant d’illuminer les deux mariés.
– Allons ! fit le prêtre, amusé. Embrassez-vous, mes enfants.
Harry saisit Ginny par la taille tandis que deux bras lui entouraient le cou, et ils s’embrassèrent sans retenue devant tous les invités. Il les entendit se lever et applaudir ; des « Bravo ! » ou des « Vivent les mariés ! » retentissaient à droite à gauche, mais il n’y faisait plus tellement attention – il éprouvait une sorte d’euphorie indéfinissable. Du côté de Ginny, Hermione – qui avait été son témoin avec Luna – essuyait ses larmes et allait imiter les mariés en rejoignant son propre mari. Mrs Weasley rayonnait et pleurait dans les bras de son fils George qui, lui-même, contrairement à ses habitudes, paraissait très ému avec Fred et ses autres frères.
Une demi-heure plus tard, tout le monde se trouvait dans le jardin du Terrier, pour une grande réception en l’honneur des mariés. Des tables s’alignaient, débordantes de nourriture, et tous discutaient ou dansaient autour. Hermione retenait toujours Ron le plus longtemps possible sur la piste de danse improvisée, et Harry se demanda vaguement si elle n’essayait pas simplement de le détourner du buffet. Lui-même avait beaucoup dansé avec Ginny – puisqu’ils étaient à l’honneur, plutôt que d’être timide, autant en profiter – lorsqu’il vint se reposer, hors d’haleine, près d’un plat qui contenait une tarte à la mélasse au diamètre peu commun. Il était seul, car celle qui depuis quelques heures était « sa femme » ne se sentait pas encore assez épuisée à son goût, et avait pris le relais d’Hermione pour forcer son frère exténué – cela faisait près d’une heure que Ron se trémoussait dans tous les sens avec Hermione – à danser encore, sous le soleil qui tapait, haut dans un ciel azur dépourvu de nuages.
Tandis qu’il buvait un verre de jus de citrouille bien frais, accoudé à la table, les yeux fermés et la tête levée vers le ciel, Harry se disait qu’il devrait prendre une bonne douche le soir s’il voulait que sa nuit de noce se déroule comme il l’espérait…
– Harry Potter…
Il sursauta et se retourna sur le champs, redressé, les yeux grands ouverts. Il était certain qu’une voix grave et dure venait de l’appeler dans son dos, mais il ne voyait rien. Il remarqua alors une silhouette indécise qui s’éloignait d’un pas rapide à l’ombre des arbres, de l’autre côté de la clôture qui entourait le jardin bondé.
Il jeta un coup d’œil rapide autour de lui : apparemment, tout le monde était occupé et personne ne l’avait encore repéré pour entamer une conversation. Il contourna rapidement la table près de laquelle il se trouvait et sortit du jardin avant d’accélérer encore l’allure. Après avoir parcouru plusieurs dizaines de mètres, le brouhaha des conversations s’était beaucoup atténué, et il n’était plus entouré que d’herbe sèche et d’arbres. Il commença à se demander s’il n’avait pas rêvé lorsque la voix résonna de nouveau :
– Harry Potter…
Il se retourna et crut avoir une crise cardiaque lorsqu’il vit un visage osseux lui faire face. La personne qui se trouvait devant lui avait beaucoup changé, mais Harry n’avait eu aucun mal à la reconnaître.
– P… professeur ? dit Harry, incrédule. Professeur Trelawney ? C’est vous ?
Sibylle Trelawney se trouvait là, devant lui, près du Terrier et du village de Loutry Ste Chaspoule. Elle était devenue très maigre, et ses cheveux avaient blanchi ; elle portait toujours les mêmes vêtements, elle s’était recouverte des mêmes châles et les mêmes lunettes lui grossissaient horriblement les yeux, mais elle paraissaient étrangement ternie, salie. De plus, Harry savait une chose… le professeur Trelawney avait complètement perdu la raison depuis que Voldemort l’avait enlevée cinq ans plus tôt, et elle était censée se trouver aujourd’hui encore dans la salle Dai Llewellyn de l’hôpital Ste Mangouste. Elle s’était donc enfuie.
Ses yeux déjà grossis par ses énormes lunettes étaient exorbités, dans une expression démente… Elle souriait.
– Vous l’avez fait ! s’exclama-t-elle de sa voix habituelle, mais d’un ton qui ne présageait rien de bon quant à sa santé mentale. Vous avez réussi l’épreuve qui vous était impartie et maintenant tout est accompli !
Elle s’avança vers Harry et lui saisit les deux bras avec force.
– Qu’est-ce que ?… fit-il, saisi d’une panique qu’il ne s’expliquait pas lui-même.
– Les deux prophéties se sont réalisées ! continua le professeur Trelawney en le fixant de ses yeux exorbités, avec un sourire quelque peu édenté. Celui qui a le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres l’a emporté et le Seigneur des Ténèbres est mort ! hurla-t-elle, sa voix se dédoublant d’une manière inquiétante en descendant dans les graves. Le sorcier le plus puissant de tous les temps est né à partir de cela ! Une terrible lutte s’engagera…, murmura-t-elle. Les forces du Mal ont été vaincues… le Seigneur des Ténèbres est mort… le Mage blanc a repris sa place…
Sa voix devint alors plus grave et plus dure que jamais ; elle baissa les yeux et acheva :
– Mais le Seigneur… des Ténèbres… RENAÎTRA !
Elle relâcha soudain sa prise et s’affala sur le sol, visiblement évanouie. Harry, lui, regardait sa silhouette avachie sans la voir. Les mots qu’il venait d’entendre résonnaient dans sa tête et lui martelaient le crâne tel un assaut de coups de fouet et de massue…
Il était minuit passé. Dehors, il faisait une nuit noire, et Harry attendait patiemment que Ginny sorte de la salle de bain. Ils avaient pris une chambre assez confortable dans un hôtel, près du Mont Saint Michel, en France, où ils étaient partis à peine deux heures plus tôt en voyage de noce après la fête donnée au Terrier. Harry repensait à ce qui s’y était passé.
Il était resté près d’une minute avant de se ressaisir et de faire apparaître un brancard sur lequel il avait ramené Sibylle Trelawney, évanouie, au Terrier. Si les invités avaient paru extrêmement surpris, ils n’en avaient pas été suffisamment choqués pour que la fête soit gâchée ; et Harry avait fini par convaincre ses amis et sa jeune épouse que rien d’étrange ne s’était produit hormis le fait que leur ancien professeur de divination se soit enfui de Ste Mangouste ce jour précis, pour se retrouver comme par hasard tout près de l’endroit où il se mariait… Mais lui-même se souvenait très bien de ce qui s’était vraiment passé, et il n’arrivait pas encore à bien déterminer dans quelle mesure il devait ou non s’inquiéter…
De toutes manière, pensa-t-il, il était inutile de s’en préoccuper ce soir ; mieux valait se concentrer sur autre quelque chose d’immédiatement plus intéressant. Toujours allongé dans son très confortable lit à deux places, il tourna la tête vers le mur de gauche, où une porte de bois verni était désespérément close…
– C’est parce que je t’ai fait attendre ce matin que tu mets autant de temps ? Tu te venges ? lança-t-il d’un ton amusé.
– Peut-être bien, répondit Ginny. Mais te plaindrais-tu qu’une demoiselle se fasse belle pour toi ?… demanda-t-elle d’un ton faussement surpris.
– Euh… non, ça me convient très bien, répondit Harry en sentant un sourire se dessiner malgré lui sur son visage – il avait hâte que cette porte s’ouvre enfin. Parlons d’autre chose, je ne veux pas que tu me joues un sale tour… Quand est-ce que tu vas entrer au bureau des Aurors, déjà ?
– Tu le sais très bien, répliqua Ginny. En septembre, quelques jours après notre retour. Et ne t’en fais pas, monsieur le protecteur, ils ne me donneront pas tout de suite des missions dangereuses. Je crois que je vais d’abord commencer par faire la stagiaire, m’occuper de la paperasse pour les types expérimentés comme Kingsley… Je déteste ça, dit-elle avec agacement.
– C’est toi qui devrais moins t’en faire. Ils finiront forcément par te donner des missions – importantes ou pas –, et là ils verront forcément ta valeur. Je suis certain que tu t’en sortiras très bien, assura Harry, qui savait à quel point ce sujet pouvait tenir à cœur à sa femme, sa femme…
– Tu aurais sans doute été meilleur que moi.
– Ne dis pas ça. Tu as été meilleure que moi en potion, et c’était obligatoire pour réussir chez les Aurors, répondit Harry, même s’il n’avait pas encore totalement oublié sa déception.
– C’est vrai, admit Ginny, je m’en suis rendu compte. C’est surtout que tu aurais été meilleur en duel. Tu es bien plus doué pour les sorts que moi. Même si le ministère refuse de le reconnaître officiellement et que tu ne veux le dire à personne, tout le monde sait très bien que c’est toi qui as vaincu Voldemort. C’est aussi grâce à toi que je ne suis pas morte définitivement. Tu devais sûrement penser à l’utilité que ça pourrait avoir pour un jour comme celui-ci…
Harry éclata de rire. Puis il conclut d’un ton plus détendu :
– De toutes façons, c’est toi qui as choisi d’être Auror, et tu sais très bien que tu n’auras aucun problème pour faire partie des meilleurs. Je ne sais pas lequel de nous deux est plus doué pour jeter des sorts, mais une chose est certaine, tu es très douée. Alors je ne vois pas où est le problème.
– Il n’y en a pas, assura calmement Ginny, c’étaient juste des remarques. Enfin…, marmonna-t-elle d’une voix un peu gênée.
– Oui ? s’étonna Harry.
– Ce n’est pas vraiment le moment de parler de ça, s’empressa de répondre Ginny.
– Et ce n’est surtout pas le moment de mettre une gêne entre nous, fit observer Harry.
– Oui… Eh bien… tu comptes… continuer encore longtemps à faire tes petits boulots ? Je veux dire… tu vas chercher un travail… stable ? demanda-t-elle, hésitante.
Harry éclata à nouveau de rire. Il comprenait beaucoup mieux pourquoi Ginny s’inquiétait, et heureusement, il avait une réponse à lui donner qui devrait la satisfaire…
– Ne t’inquiète pas pour ça, répondit-il d’un ton serein, je sais déjà ce que je vais faire. Et moi aussi, je vais commencer après notre retour – le 1er septembre.
– C’est vrai ? demanda Ginny, d’une voix étonnée. Pourquoi tu ne m’en as pas parlé plus tôt ?
– Disons que je voulais te faire la surprise, répondit tranquillement Harry. Je ne sais pas vraiment pourquoi, d’ailleurs…
– Et qu’est-ce que tu vas faire ? demanda Ginny, d’un ton curieux et plus enjoué.
– Je vais remplacer le type du Département de la justice magique que le ministère a bien voulu envoyer à Poudlard pour être professeur de défense contre les forces du Mal. Il devait partir si le professeur McGonagall arrivait à trouver quelqu’un de volontaire. Et justement, je me suis porté volontaire.
Il y eut un court silence puis, quelques secondes plus tard, la porte s’entrebâilla et le visage de Ginny apparut, les yeux ronds.
– Tu es sérieux ? Tu vas enseigner à Poudlard ?
– Oui, répondit Harry. Ça pose un problème ?
– Pas du tout ! assura Ginny avec un sourire. Tu serais parfait pour ça. Déjà, tu étais un excellent prof pour l’A.D., et les connaissances qu’il fallait avoir pour être un vrai professeur à Poudlard, tu les as acquise ces quatre dernières années, je pense. Mais attends une minute… Ça fait combien de temps que tu as décidé ça ? demanda-t-elle d’un air soupçonneux.
– J’ai eu l’idée peu de temps après avoir reçu les résultats des ASPIC, avoua Harry, mais je ne me suis vraiment décidé et je n’en ai parlé au professeur McGonagall qu’il y a un mois environ.
– Je vois… Pour la surprise, c’est réussi, dit Ginny en retrouvant son sourire, même si je trouve que c’est une très bonne idée. Je pense quand même à quelque chose… Pendant l’année, tu dormiras toujours à Poudlard ?
– J’y avais pensé aussi. Comme je voulais pouvoir habiter une maison bien à nous toute l’année et qu’un professeur est censé se trouver à Poudlard pendant l’année scolaire, le professeur McGonagall m’a dit qu’on pouvait aménager une porte spéciale dans mon bureau, et une autre dans notre maison. Les deux portes serviront de passage entre la maison et mon bureau à Poudlard, donc je pourrais passer de l’un à l’autre en instant. L’idée lui est venue des deux armoires à disparaître qui avaient créé un passage entre la boutique de Barjow et Beurk et Poudlard.
– Ça veut dire que je pourrai te déranger dans ton travail ?
– Et moi dans le tien, dit Harry sans pouvoir s’empêcher de rire. Tu ne vas pas faire un métier de tout repos, je te rappelle…
– Il y a autre chose qui ne va pas être de tout repos, alors j’espère qu’après cette longue journée, tu es encore en forme et que tu t’es bien préparé…
Et Ginny acheva d’ouvrir la porte dans un grand geste que Harry trouva plein de grâce.