Allez-y, faites vous plaisir, et dites-moi ce que vous en pensez.
Prologue :
Il s’agissait peut-être de son dernier bain de soleil couchant à l’île de Iona. Sael était arrivé à la fin de son périple. Allongé sur le dos, il savourait le fait de sentir sa paume sur l’herbe verdoyante et sauvage de cette plaine, plaine qu’il connaissait depuis tout petit. Il savourait aussi cette vue magnifique, avec ce soleil orangé qui paraissait s’immerger dans la mer. Pour lui, il n’y avait pas plus bel endroit pour mourir, si cela arrivait. Sael avait toujours en tête ces événements qui le malmenaient depuis bientôt trois mois. Tout cela partit de cette lame noire et pourtant étincelante, où un long trait rouge sang s’y trouvait. Il savait qu’il n’oublierait jamais cette épée qui avait détruit son innocence infantile. Sa bulle de sérénité comme Sael avait l’habitude de dire. Sur le moment, le jeune homme se demandait ce qu’il avait fait pour que ce soit lui qui lui enlève tout ceci. Celui qu’il aimait le plus lui avait presque tout pris. Sa famille, ses proches, ses amis de voyage… Il ne lui restait presque rien à part ses vêtements blancs comme neige, cette arme divine, et ce besoin incontrôlable de tuer la personne la plus chère à ses yeux. Pourquoi voulait-il absolument faire ceci ? La vengeance, la justice… et aussi surprenant que cela puisse paraître, la compassion et l’envie de vivre. Au cours de ces trois mois de haine profonde, tellement de choses s’étaient produites. La vie eut raison de Sael, lorsqu’il croyait que plus jamais il ne pourrait lier de contacts avec un humain. Son aventure l’avait amené à refaire sa vie avec d’autres, tous aussi attachants les uns que les autres. Mais il avait fallu que ce même être lui prenne tout cela. Malgré le fait qu’il détestait celui qu’il aimait, Sael s’était rendu compte que cet homme avait eu une vie bien plus éprouvée que la sienne. Etait-ce par pure jalousie qu’il avait fait tout ça ? Durant ces trois mois, cet homme avait détruit petit à petit les bases qui lui permettaient de reconstruire sa nouvelle vie. Sa douleur devait être insurmontable pour un humain normal. Pris de pitié, Sael avait pris conscience qu’il faudrait le tuer pour apaiser son esprit. Il gardait en tête que celui-ci n’avait vu que la souffrance depuis sa naissance. A quoi bon vivre si l’on ne connaissait que la douleur ? Le jeune homme savait qu’il le soulagerait en l’envoyant dans l’autre monde. Ses pensées s’adoucirent lorsqu’il considéra ce bracelet en or accroché à son poignet avec tendresse. Un petit rubis de forme hexagonale s’y trouvait, sublimée par la lumière faiblissante du soleil. Il ne lui restait que cette fille. Ce n’était que pour elle s’il aspirait encore à la vie. Sael ne supporterait pas qu’elle souffre s’il mourait. Le jeune homme leva ses yeux émeraude plus haut dans le ciel, au dessus de l’astre qui continuait toujours de s’enfoncer dans cette mer azur avec laquelle il était né. Le jeune homme aux cheveux couleur de blé aperçut un point noir, l’aura puissante et familière qui s’en dégageait ne pouvait être que celle d’une personne. Sael commença à se remémorer pour la dernière fois toutes les péripéties qui l’avaient amené à ce jour fatidique, ce dix-sept août qui marquerait la fin d’une époque ou la fin d’une vie courte pour cet humain de dix-neuf ans.
La fatalité était vraiment une farceuse. De même que le hasard. Il y avait au mieux une chance sur trois cent cinquante-quatre millions que Sael se retrouve ici, à attendre le combat le plus important de sa vie. Pourquoi ? Qu’avait-il demandé pour que Dieu décide de décimer sa famille ? Qu’avait-il fait pour que sa vengeance tant souhaitée se porte sur… l’essentiel même de sa vie !? Et tout cela débuta d’une manière si anodine…
Rentrant de l’université, comme à son habitude, il savoura cette odeur à la fois iodée et florale, dès qu’il sortit de l’avion familial. Comme à son habitude, il soupira à la vue de ce monstre de métal blanc, qui se tenait sur ce long trait de couleur crasseuse et quelconque, chose que l’on nommait piste d’atterrissage. Tout cela gâchait l’harmonie dégagée par l’île de Iona. Pour l’énième fois, il se répéta que le monde sombrait aussi vite que la technologie progressait. Triste paradoxe. Plus rien n’était authentique dans ce bas monde, de la fleur la plus insignifiante, aux pensées d’un simple enfant. Le soleil était maintenant le seul cadeau de Dieu qui ne soit pas sous l’emprise de l’homme. D’ailleurs Sael ne trouvait plus aucun sens de mentionner « Dieu » au présent : l’humanité avait pris sa place. Solidarité, esprit de révolte, notion même de valeur et de sentiments… Tout cela avait disparu, oui tout cela. Chaque geste maintenant était dicté par une seule chose : le besoin de posséder. Un monde égocentrique et égoïste, tout simplement. La preuve : l’Afrique, berceau du monde, était laissé à son propre compte dorénavant. Ça devait coûter trop cher d’aider les gens dans le besoin, et puis ça n’apportait rien en retour. Où était passée la fraternité de ce début du vingt-et-unième siècle ? Il fallut un peu plus de cinquante ans pour que notre planète devienne la plus ridicule de toutes. Et comme à son habitude, Sael soupira une deuxième fois en regrettant de ne pas être né un demi-siècle plus tôt. Puis, son regard s’éclaircit, et ses yeux se tournèrent vers son chauffeur. Barbe aussi noire qu’hirsute, forte carrure, yeux bruns perçants voilés par son chapeau, uniforme sobre… Décidément, en dix-huit ans, Bart n’avait vraiment pas changé. Peut-être qu’il était immortel, qui sait ? Quoi qu’il en soit, le chauffeur ouvrit la portière arrière de la citadine de luxe. Il en profita pour prononcer ces paroles, de sa voix toujours aussi grave :
« Content de vous voir de retour, Monsieur.
- Merci Bart. Pourrais-tu me dire ce que font Yann, Papa et Maman ? demanda le jeune blond tandis qu’il se faufilait dans le véhicule. »
- Votre petit frère et vos parents sont partis se recueillir dans le monastère de l’île voisine, répondit le chauffeur, à présent à sa place de prédilection. D’ailleurs, cela fait quelques temps qu’ils sont partis… »
La voiture de couleur crème démarra silencieusement.
« Depuis combien de temps ? Il faudrait qu’ils soient revenus avant la tombée de la n… »
Sa vue se troubla. Sael ne percevait aucun son, à part ce bourdonnement incessant. Pendant une éternité, lui semblait-il, il ressentit une douleur vive, irradiant tout son corps. Il avait l’impression que tout son être était devenu une plaie béante. Une peur subite se manifesta dans son cœur, battant à une force insoupçonnée. Pourquoi entendait-il son père pleurer ? Cette musique, qui l’assaillait, laissait maintenant place à un rire aussi cristallin qu’infernal, aussi familier qu’insoutenable. De plus, le jeune homme crut entendre les gémissements contenus de sa mère, elle aussi souffrait. Sael ne supportait pas cette sensation opprimante. Il essaya de crier, en vain. Le voilà contraint de subir un phénomène atroce, devenait-il fou ? Un choc sonore le soulagea de cette torture mentale. Sael ne savait pas pourquoi, ni comment, mais il était persuadé que sa famille courait un grave danger.
« Monsieur ! Est-ce que ça va aller !? »
Cette phrase lâchée brusquement par son chauffeur surprit Sael, l’effraya même. En tout cas, cela lui permit de retrouver ses esprits. Mais cette angoisse ne le quittait plus depuis cette affreuse impression, au point d’en avoir des sueurs froides et le souffle saccadé. Alors, de sa voix la plus calme et décidée possible, il pointa doucement du doigt l’île voisine. Le jeune blond ne pouvait pas s’empêcher de trembler tout en déclarant ceci :
« Conduis-moi au port.
- Mais êtes-vous sûr que vous al…
- Conduis-moi au port, répéta Sael de manière plus insistante, et inquiétante par la même occasion.
- Oui Monsieur, murmura Bart. »
La voiture beige vira à droite, en direction d’un ponton et d’un bateau à moteur, le tout situé en pente. Durant tout le trajet, jamais la peur de Sael ne faiblit.