(partie 2/4)
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- Allons, tu peux faire beaucoup mieux ! dit Bobipineman à Karismatik.
La Gardienne souffla sur une mèche qui venait lui gêner la vision, la faisant retourner là d'où elle venait. Elle s'élança ensuite vers son adversaire et frappa de sa lame en bois mais à chaque fois, Bobi bloquait les coups.
- Tu es trop prévisible. Et tu frappes trop fort, économise tes forces !
- Je sais tout ça !
Le petit entraînement se révélait plus complexe que d'habitude, surtout à cause de son bras en écharpe. Le Gardien anticipait tous ses mouvements. Karismatik se mit à feinter et, rassemblant ses forces, mit Bobi au tapis. Celui-ci grogna et lui dit que c'était « injuste ».
- J'ai été déconcentré...
- Par quoi ? Mes beaux yeux ? plaisanta la jeune fille.
- Par elle, dit-il avec un sourire en pointant une troisième personne.
- Neliel ! s'exclama Karismatik.
Elle s'élança vers son amie puis s'arrêta subitement quand une main vint lui barrer le passage. Certes, Neliel n'aimait pas le contact physique, mais cela semblait s'être aggravé depuis son départ de l'organisation. Plus étrange encore, un petit sourire éclairait le visage pâle de l'ex-Gardienne.
- Euh... Contente de te revoir quand même, marmonna Karismatik.
- Je dois vous parler de choses importantes, dit Neliel.
- Ah ?
- Salut, Neliel, lui souhaita Bobi qui s'était remis sur ses deux jambes.
Ils allèrent s'asseoir sur un banc, Neliel entre les deux gardant une distance de sécurité.
- Est-ce que vous avez déjà entendu parler des Bijûs ?
- Pas vraiment... avouèrent les Gardiens.
Neliel leur en parla de manière posée, comme si c'était une histoire lointaine qui ne la concernait pas. Le moment des confidences approchait et elle n'aimait pas ça, mais alors là, pas du tout. Cependant, force était d'avouer quelle n'avait pas le choix. Et elle ne voulait pas non plus mettre les deux Gardiens en danger en leur cachant cette vérité. De toute façon, Scot les mettrait au courant si elle ne le faisait pas. Alors autant que ce soit elle.
- Voilà, je sais que ça va vous paraître dingue mais je suis une Jinchûriki.
- Oh, Neliel... dit doucement Karismatik.
- Je porte Nibi en moi. C'est pour ça que je ne peux pas vous toucher, sinon je risque de vous tuer sans le faire exprès. J'ai... j'ai eu ce problème avec ma soeur.
- Je comprends pourquoi tu n'as pas voulu nous approcher... dit Bobipineman. On ne peut pas comprendre ce que c'est mais on te soutiendra, crois-moi.
Les deux Gardiens en parlèrent avec elle mais bien vite, ils se heurtèrent aux barrières mentales de leur ex-camarade, qui l'empêchaient de totalement s'ouvrir. Intérieurement, Karismatik se dit que si Neliel n'avait pas été Jinchûriki, peut-être qu'elle lui aurait dit bonjour en la prenant dans ses bras ; elle semblait avoir fait des progrès mais ceux-ci étaient freinés par ses nouvelles souffrances. Pourquoi le destin s'acharnait-il sur elle ainsi ?
***
Cela faisait maintenant plusieurs heures que Scot et les deux prêtres étaient aux côtés de la vieille Katô. Elle n'avait dit mot, et semblait déjà morte. Seule sa poitrine se soulevant difficilement à intervalles de plus en plus éloignés montrait qu'elle vivait toujours. Le baxter auquel elle était reliée la nourrissait, tandis que les trois autres personnes étaient forcées de se priver pour ne pas que leur esprit dévie de leur tâche.
Les incantations récitées par les prêtres devaient forcer le Bijû à quitter le corps de son hôte. La vieille femme elle-même participait à l'opération en se plongeant dans un demi-sommeil et en chassant le démon de son monde intérieur. Celui-ci ressemblait à des plaines en alternance avec des vallées, avec de grandes marres de boue et d'imposants rochers. Il n'y avait pas une trace de vie, juste un murmure qui parfois venait hanter l'endroit. Le sol remuait parfois, les buissons s'agitaient parfois, mais jamais le Bijû ne se montrait. Il se camouflait partout, jouant à cache-cache avec son hôte. C'était sa nature, et cela rendait l'opération d'autant plus longue.
Après une journée entière de traque, la vieille femme se courba tandis que le Bijû était forcé de sortir de sa cachette. Il n'était pas encore extrait mais cela commençait. L'un des prêtres vint retourner l'hôte de Shichibi pour qu'elle soit sur le ventre.
- Le démon blaireau a tendance à se réfugier dans le dos de ses victimes, expliqua-t-il. Quand on se trouve dans votre dos, comment voulez-vous qu'on vous voie ?
La parole avait le désavantage de déconcentrer mais elle permettait aussi d'extérioriser ce que l'on ressentait. Dans le vide du silence, la vie perdait son sens et devenait insupportable. Scot avait en même temps envie de crier au prêtre de la fermer et de continuer à parler. Dans le doute, mieux valait s'abstenir.
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Sanephar s'ennuyant, elle avait entrepris de compter le nombre de fleurs de lotus peintes sur les murs du restaurant chinois dans lequel elle se trouvait. Mais ils s'entremêlaient trop les uns les autres et cela l'irrita bientôt plus qu'autre chose. Elle voulut jeter un coup d'oeil à sa montre mais un homme s'assit en face d'elle.
- Madame Sama ? demanda-t-il.
L'homme lui parut vite antipathique. Il partageait les yeux noisette et les cheveux blonds de l'interprète qu'elle avait rencontré au Japon. Mais son visage était beaucoup moins fin, ses yeux plus enfoncés dans leurs orbites et cachés par des sourcils touffus. Ses cheveux longs et délaissés pendaient sur sa veste brune. En-dessous, il portait des habits fort conventionnels et beaucoup moins chics que son probable parent. Aussi, Sanephar se permit une petite remarque :
- C'est « Mademoiselle », Monsieur Desnake.
- Oh, excusez-moi ! Je ne savais pas. Je n'ai pas hérité des bonnes manières de mon jumeau !
« Sûrement des faux jumeaux », pensa l'archéologue vu les différences physiques et mentales entre les deux.
- Et puis je suis plus habitué aux appellations japonaises.
- Je me posais justement la question sur votre lien de parenté, dit Sanephar, préférant ignorer la discrète requête de Toshirô Desnake.
- Eh bien, vous avez la réponse ! dit-il avec un grand sourire. Dites, si on s'appelait par nos prénoms, ça serait mieux, non ?
- Comme vous voulez, Toshirô !
- Oh, je préfère aussi qu'on se tutoie, Sanephar.
Il la gratifia d'un sourire charmeur qui la laissa aussi froide qu'un glaçon.
- Bon, si nous commandions ? finit-il par dire.
- Pas de problème. Au fait, je me demandais pourquoi avoir choisi un restaurant chinois ?
- Je me suis d'abord passionné pour leur mythologie avant de m'intéresser à celle du Japon. Elles ont des liens entre elles, et c'est ce qui les rend si passionnantes.
Après qu'ils aient commandé (Toshirô voulant d'ailleurs beaucoup d'alcool fort pour accompagner les plats), la discussion commença réellement.
- Les Bijûs étaient de puissants démons ayant une grande influence sur le Nippon. Ils étaient neuf, dont les cinq dieux élémentaires, Kaku de la Terre, Isonade de l'Eau, Shukaku du Vent, Raijuu de la Foudre et Kyûbi du Feu.
Après de nombreux détails sur les Bijûs de manière plus précise, Sanephar en arriva à la conclusion que ce qui lui était arrivé dans la forêt d'Aokigahara Jukai était sûrement dû au Bijû à cinq queues, Gobi, qui maîtrisait les cinq éléments et les illusions. Il aurait été impoli de sa part, même avec quelqu'un comme Toshirô, de lui demander s'il y croyait, ce qui était de toute façon fort probable. A la place, elle demanda donc :
- Existe-t-il un moyen de les emprisonner ?
- Oui, les Outils de Pouvoir, répondit-il avec un petit sourire différent de ceux qu'il faisait habituellement.
- Les Outils de Pouvoirs ?
- Ce sont des récipients magiques qui viendraient de huit immortels chinois, ayant transféré leur énergie dans ceux-ci. Ils ont la capacité de donner la vie ou de supprimer le Mal. D'où la fonction de prison pour les Bijûs, qui ne sont que des démons particulièrement puissants.
- Donc il n'y en a que huit.
- C'est pour ça que Kyûbi ne peut être enfermé ainsi, parce qu'il n'y en a aucun qui lui corresponde. Il existe un autre moyen d'emprisonner un Bijû, bien que cela ne le prive pas de ses pouvoirs : il faut le sceller dans un humain.
Toshirô laissa planer un petit silence pour que sa phrase fasse effet mais devant l'absence de réponse, il reprit, un peu déçu de ne pas avoir de commentaire admiratif.
- Si l'on tente d'extraire le démon, le porteur, le Jinchûriki comme on l'appelle, meurt.
A nouveau, silence qui cette fois-ci fut tout de même comblé par un commentaire de l'archéologue :
- Alors Kyûbi doit forcément se trouver dans un humain puisqu'on ne peut pas l'enfermer dans un Outil de Pouvoir.
- Excellentes déductions, Sanephar ! Depuis des siècles, il est transmis d'humain à humain même si nous ne savons pas qui ses Jinchûrikis sont.
- Y a-t-il moyen de les reconnaître ?
- Visuellement, non, mais on peut sentir l'aura du Bijû si l'on a acquis cette capacité.
N'obtenant pas de réaction et voyant son interlocutrice perdue dans ses pensées, il agita la main dans son champ de vision. Sanephar s'excuse et se pencha vers son sac. Elle n'aimait pas cet homme mais ce serait peut-être sa seule chance. Elle sortit l'Outil de Pouvoir. Le visage de Toshirô fut instantanément modifié. Il tâta l'objet puis demanda où elle l'avait trouvé.
- Dans un temple près de la forêt d'Aokigahara Jukai.
- Vraiment ? C'en est un et si je ne me trompe... Les dessins dessus sont ceux de l'Outil du cinquième Bijû, Gobi !
Sanephar savait bien qu'elle n'aurait aucun reproche sur le fait d'avoir pris un objet sans même le déclarer. Mais le secret resterait-il intact ?
- Puis-je te demander de garder ça pour toi, Toshirô ? demanda-t-elle gentiment.
- Bien sûr, bien sûr, Sanephar...
Il contempla encore l'objet avant que Sanephar ne le remette dans son sac, le prenant délicatement. Toshirô l'enviait, cela sautait au yeux, mais il avait aussi l'air d'être prêt à respecter la propriété de l'Outil de Pouvoir.
- Je suis intimement convaincu que la légende dit vrai à propos de Bijûs... Cet objet est donc extrêmement puissant, si l'on y songe.
- C'est pourquoi je veux vraiment que tu ne le dises à personne.
- Je serai muet comme une carpe ! promit-il en levant les deux mains.
Cela ne plaisait pas à Sanephar de manipuler cet homme mais c'était une mesure de sécurité. Il en savait beaucoup et mieux valait que la possession de cet objet reste secrète.
Au terme du repas, ils continuèrent à discuter encore un peu, Sanephar prenant des notes sur un calepin afin de ne rien oublier, bien qu'elle ait une bonne mémoire. A la sortie du restaurant, Toshirô lui souhaita au revoir en lui faisant un baise-main - coutume archaïque s'il en est. Elle lui fit remarquer que cela n'était pas très japonais et il répondit avec un sourire qu'il adorait l'Occident.