Chapitre 64 : l’Alliance
En contrebas de la ville de Kvatch, 23 Soufflegivre dans la nuit.
-Non, la seule solution est de les affamer en continuant le siège.
-Un siège serait trop long….
-Un assaut trop couteux.
Selwen observait l’officier Impérial avec une mine agacée. Ce dernier lui rendit la pareille, pinçant ses lèvres minces et lançant avec ses yeux noirs de geai des éclairs d’antipathie. Les deux hommes restèrent ainsi quelques instants, plantés autour d’une table en bois rudimentaire sous la tente de commandement de l’armée elfe et humaine. Tout autour d’eux était silencieux, et la seule trace de vie aux alentours était la silhouette des quatre gardes qui barraient l’entrée. La Lame posa lentement ses mains sur la table, en poussant un long soupir.
-Kvatch n’a jamais été prise par une armée humaine de toutes son histoire, commandant Valerian, et ce pour la simple et bonne raison qu’elle est imprenable. Tenter un assaut serait beaucoup trop dangereux….
-Mais c’est le seul moyen de prendre la ville vite, le coupa Selwen.
L’Impérial leva des yeux exaspérés au ciel, tout en se passant une main sur les yeux et le visage en signe de profonde lassitude. Sa mâchoire carrée se crispa, et il secoua plusieurs fois sa tête, remuant sa masse de cheveux sombres et auburn.
-Pourquoi s’entêter à aller vite ? Depuis leur défaite à Rivebois et la sécession de trois de leurs provinces, les Pénitiens sont coincés. Inutile de se presser. Cela nous couterait des hommes, et du matériel.
-Nayliin m’a donné l’ordre de le rejoindre une fois qu’il aurait pris Bravil, et ça va bientôt arriver, contra Selwen en agitant une missive devant l’officier.
-Tout ce qu’il vous dit sur dans ce message, c’est qu’il s’est résigné à utiliser ce… procédé. Pas qu’il va prendre la ville, je vous le répète.
-Dans deux semaines, c’est fait, Cenucia. Ces choses-là vont vite, d’après ce que j’en sais.
Un violent coup de vent interrompit les deux hommes, tandis que les pans de la tente se soulevaient brusquement, et que la carte posée sur la table s’envolait pour aller s’étaler sur le sol. Selwen lança un regard courroucé à l’Impérial, puis se pencha pour la ramasser. Après l'avoir récupéré sur le sol, il l'observa avec une mine soucieuse, le front déformé par sa réflexion. Maintenant qu'il se trouvait réellement devant Kvatch, il se rendait compte qu'elle était bien plus qu'un moyen efficace pour lui d'accéder à la gloire. C'était surtout un énorme obstacle, qui, il le réalisait désormais, pouvait le mener lui et son armée, à leur perte. Pour la première fois, il entrevoyait l'échec au bout du chemin avant d'avoir même d'avoir pris la route.
Toutes les difficultés qu'il avait connu jusqu'ici avaient surgi dans le feu de l'action, sans qu'il ait beaucoup de temps pour s'y attarder. Il avait réagi comme son instinct lui avait dit d'agir sur le moment. La prise d'Anvil avait failli être un échec, mais simplement parce que son plan comportait une faille qu'il n'avait identifié qu'au moment où l'ennemi avait été sur le point de l'exploiter. Or, a ce moment, chaque plan qu'il ébauchait dans son esprit, chaque idée qui jaillissait de son cerveau, lui semblaient bancals au vu des dizaines de failles qui sautaient directement aux yeux. Il voulait prendre la ville par la force, et non par l'usure, mais la Lame avait raison. Un assaut, tel qu'il l'envisageait pour l'instant, était impossible.
-D'autant plus que depuis votre tentative ratée, les Pénitiens ont eu le temps de se préparer, de combler chaque faiblesse dans la défense des enceintes, et de préparer leurs troupes aux combats, ajouta l'Impérial devant le silence de l'Altmer.
-A ce propos, vos agents ont-ils appris quelque chose sur nos agresseurs ?
-Pas grand-chose de plus que ce que vous aviez déjà découvert. Seulement un fait étrange....
-Qui est ?, demande Selwen, attentif.
-Et bien, voyez-vous, les traces des différents groupes de soldats qui vous ont assailli ont évidemment disparu depuis le temps, mais ... ces hommes devaient avoir un point de rendez-vous, quelque part. Ils n'auraient pas pu attaquer de façon aussi simultanée et efficace, et se soient ainsi repliés sans être repéré, sans qu'au moins les chefs de groupe ne se soient rencontrés. Ce qui, au vu des différents témoignages de vos hommes survivants, fait plusieurs milliers d'hommes et donc au moins plusieurs centaines d'officiers. Un tel rassemblement ne passe pas inaperçu, et laisse des traces pour une longue durée.... Mais nos agents ont arpenté la moitié de la Colovie, ils n'ont rien vu de tel....
Selwen eut un petit rire nerveux, s'attirant un haussement de sourcil de la part de l'Impérial. Il lui lança en retour un regard amusé, puis ironisa:
-Attendez, vous n'allez pas le dire que j'ai été attaqué par des spectres ?
-Au vu des faits.....
Un lourd silence retomba sur la pièce. Selwen observait les traits de l’Impérial, cherchant vainement à déceler l’ironie, mais le masque grave de la Lame ne bougea pas d’un pouce. L’Elfe n’avait plus tellement envie de rire, parce que son interlocuteur avait frappé juste. L’attaque surprise qu’il avait subi non loin d’ici lui avait toujours laissé une impression de surnaturel, mais il persistait à mettre ça sur le compte de la fatigue, et de la montée d’adrénaline qui lui avait permis de s’en sortir.
-Mouais, finit-il par lâcher pour clore de sujet. En parlant de spectres, j’aurais aimé en avoir pour rentrer dans cette foutue ville.
-Parce qu’essayer de rentrer par la force est une erreur, insista encore l’Impérial. Pourquoi s’évertuer à chercher une solution qui n’existe pas, Valerian ?
-Parce qu’il y en a bien une, le coupa une voix.