Chapitre 21 :
Zimo fit signe à Sandre se remettre à nager. Les deux hommes s’enfoncèrent au fond du lac sans cesser de jeter des coups d’œil méfiants autour d’eux, régulièrement. Mais l’eau était si obscure qu’il était déjà difficile de distinguer la forme de ses propres mains.
Dans tous les cas, il était maintenant évident que quelque chose les suivait. La question était : Leur voulait-elle du bien ou… du mal ?
Peu désireux de s’arrêter pour vérifier, Sandre accéléra, battant des jambes plus rapidement et gardant les bras le long du corps, comme le faisait Zimo.
Le Khajiit plissa les yeux en apercevant une faible lueur, une dizaine de mètres plus bas, en profondeur. Sandre la remarqua aussi.
En s’approchant, la lumière devint de plus intense. Ils se rendirent compte qu’il y en avait plusieurs. Des petites sphères lumineuses éparpillées un peu partout. Alors Sandre comprit.
C’étaient les œufs de mermaïd. Ils étaient arrivés au fond !
En effet, continuant à nager, Sandre tendit le bras et sentit le bout de ses doigts entrer en contact avec le sol sous-marin. Il était recouvert de rochers et de galets. La seule source de lumière provenait des œufs.
Ceux-ci éclairaient faiblement les alentours, mais assez pour que Sandre puisse voir assez bien autour de lui. Le spectacle était saisissant.
Il voyait des petites lueurs un peu partout, au loin, et des formes s’en approcher. Des participants. Il y en avait des dizaines, qui descendaient ou remontaient, un œuf coincé sous le bras. Bien évidemment, Sandre n’avait pas pu s’en rendre compte dans les ténèbres mais Zimo et lui n’étaient pas les seuls dans le lac.
Ils se retournèrent et regardèrent vers le haut. Rien. La chose qui avait frôlé Zimo avait disparue.
Rassuré, Sandre se propulsa légèrement en avant d’un battement de jambe et arriva au niveau des œufs. Il y en avait une vingtaine, le long de la paroi d’un rocher. Le jeune homme toucha l’un d’entre eux et se rendit compte avec surprise qu’il était… chaud.
Et qu’il palpitait.
En collant son visage contre l’œuf translucide, on pouvait voir un être minuscule, au centre de la sphère lumineuse. Une sorte de têtard blanchâtre, recroquevillé sur lui-même. C’était donc ça, un mermaïd ? Du moins, sous forme de fœtus.
Sandre n’avait aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler un adulte. Etait-ce un poisson ? Ou une autre créature ?
Zimo s’approcha à son tour.
Le nombre d’œufs sur le rocher attira plusieurs autres participants qui surgirent de l’obscurité pour entrer dans la zone éclairée, faisant sursauter Zimo et Sandre. L’un d’entre eux était le Rougegarde qu’ils avaient croisé au début de l’épreuve, devant le panneau.
Ses branchies étaient grandes ouvertes et lui permettaient de respirer. Il fit un clin d’œil à Sandre et posa sa main sur un œuf. A ses côtés, un mage apparut et fit de même. Sa tête était entourée d’une bulle d’oxygène qui l’englobait, lui permettant ainsi de communiquer.
-Magnifique, dit-il en contemplant un œuf. Eh bien, l’épreuve était plus simple que je ne l’imaginais.
Les autres concurrents approuvèrent. Le mage saisit l’œuf le plus proche à deux mains et leur sourit.
-Bon, eh bien bonne chance messieurs. Moi, je remonte.
D’un coup sec, il tira sur l’œuf et le détacha du rocher auquel il était fixé. La sphère n’opposa aucune résistance. Les participants le regardèrent faire. Le mage soupesa l’œuf en haussant un sourcil.
-Tiens, c’est plus lourd que je ne l’imagin…
Il n’eut même pas le temps de terminer sa phrase. Une main monstrueuse jaillit des ténèbres et se referma sur la cheville du mage avant de le tirer violemment en arrière, hors de la zone éclairée. Il ne cria même pas. Il disparut simplement, en lâchant son œuf au passage.
Celui-ci coula lentement et alla heurter le sol.
Les participants restèrent interdits, paralysés. Sandre avait eu le temps de détailler la main.
Elle était hideuse, recouverte d’écailles grises, et aux doigts noueux prolongés par des griffes recourbées. Il avait aussi remarqué des palmures entre ses phalanges.
Personne ne parlait –et personne ne le pouvait, sous l’eau- mais tous pensaient la même chose :
« C’était quoi, ça ?! »
Sandre vit le Rougegarde porter la main à son dos pour attraper le manche d’un harpon, dépassant d’entre ses épaules. A côté, d’autres participants l’imitèrent et dégainèrent leurs armes.
Puis, sans que personne ne s’y attende, la lumière des œufs s’éteignit. Brusquement. Sans prévenir.
Ils se retrouvèrent plongés dans le noir le plus total, à soixante mètres de profondeur, dans l’eau glaciale.
Sandre serra sa chaîne à s’en faire blanchir les phalanges. Il venait de comprendre.
Les œufs de mermaïd ne brillaient pas par hasard. Le jeune homme avait déjà entendu parler d’une espèce de poisson, ne vivant qu’en haute mer, qui possédait une excroissance sur la tête, terminée par une lanterne. Celle-ci ne servait pas à éclairer son chemin et à l’aider à se repérer. C’était un appât. Les œufs avaient la même fonction.
Les fœtus de mermaïd brillaient pour attirer leurs proies. Et les dites proies étaient capturées par… les adultes.
Un piège. Ils étaient tous tombés en plein dedans.
Sandre, dans l’obscurité, crut voir une main écailleuse le frôler. Mais elle attrapa un concurrent à côté de lui. Le Rougegarde.
Le jeune homme ne vit pas exactement comment se déroulèrent les évènements mais il vit des bulles apparaître et sentit de violents remous dans l’eau, signe que le Rougegarde se débattait. Puis, plus rien. Sandre sentit un goût amer dans sa bouche.
Du sang. L’eau était pleine de sang.
Autour, il parvenait à distinguer quelques silhouettes. Ils s’agitaient dans tous les sens, combattant des adversaires invisibles, leurs mouvements ralentis par l’eau. Cela avait quelque chose d’effrayant. Assister à une bataille aquatique, dans le silence le plus total.
Alors la main écailleuse qui avait attaqué le Rougegarde ressurgit, et prit cette fois Sandre pour cible.
Celui-ci garda sa chaîne accrochée à sa ceinture mais la déroula à moitié et saisit la faucille à son extrémité. La main fusa vers lui et ses griffes s’enfoncèrent dans son épaule. Sandre grogna de douleur, mais personne ne l’entendit.
Il attrapa à son tour le membre du monstre, de sa main libre, tout en abattant sa faucille de l’autre. Sa lame heurta quelque chose de mou, puis crissa sur une matière dure. Visiblement, il avait tranché le bras de la créature jusqu’à l’os.
Celle-ci le lâcha, et Sandre crut entendre un hurlement aigue, dans l’eau.
Il battit vivement des jambes pour s’éloigner, paniqué. Autour de lui, le combat entre les mermaïd et les participants faisait rage. Mais les bulles, qui illustraient les efforts des concurrents pour se défaire de leurs assaillants, étaient de moins en moins nombreuses, et le goût du sang dans l’eau du lac, de plus en plus prononcé.
Sandre ne savait pas où était Zimo, ni comment il s’en sortait.
Au loin, il voyait des lueurs s’éteindre aussi, un peu partout, signe que d’autres participants se faisaient également piéger.
Le jeune homme tressaillit quand deux autres mains se refermèrent sur ses jambes et les serrèrent avec force. Au moment où il levait sa faucille pour s’en débarrasser, la zone fut de nouveau éclairée. Mais pas par la lueur des œufs, cette fois.
Par une sphère lumineuse flottant au-dessus de la tête du mage qui avait été happé par un monstre. Il avait vraisemblablement réussit à s’en sortir, mais il était blessé. Son épaule était ouverte et un nuage de sang s’en échappait.
Le fait d’illuminer de nouveau la zone eut un effet plutôt pervers.
Certes, les quelques derniers participants encore en vie purent voir clairement leurs adversaires et leurs positions, mais ils purent également se rendre compte du nombre de cadavre qui flottait autour d’eux.