NIHEI, UN FUTUR OBSEDANT
Les spécialistes des religions connaissent ces textes désespérés annonciateurs de fin du monde que sont les Apocalypses. Le besoin de rédemption que suscite la proximité du Jugement Dernier, aussi prégnante qu´ancienne dans notre histoire, est renforcé aujourd´hui par ce constat que faisait Paul Valéry : celui que même les civilisations sont mortelles.
La biogénétique est à peine arrivée dans nos assiettes à coup de maïs transgéniques et autre vache folle que Nihéi nous ouvre, à raison, des perspectives de fin du monde et imagine une terre où l´essentiel des êtres vivants seraient clonés, transformés partiellement en robot, voire totalement cybérisés . Cette thématique, assez commune dans les BD du seul pays au monde qui a reçu deux bombes nucléaires sur la caboche, est complètement renouvelée par Nihéi dans Blame . Killy, son héros, progresse dans un univers fait de noirceur et d´étouffement, peuplés de cyborgs glauques et meurtriers. Accompagné d´une scientifique génétiquement reconstituée nommée Shibo -la seule touche un peu sensible de cet univers de monstres qui tirent la gueule, il est à la recherche de l´unique denrée qui vaille encore dans cet univers décrépi : un terminal de gènes qui n´ont pas été contaminés par un virus informatique qui a infecté la terre entière.
Même si la série n´est pas achevée, on pressent le chef d´œuvre. Il est clair que, graphiquement, Nihéi est un marginal par rapport à la production japonaise ( on le sent durablement influencé par les grands auteurs japonais comme Otomo ainsi que par nos mangakas européens ; d´ailleurs, dans ses interviews, il les cite volontiers. Il est en tout cas repéré par les spécialistes comme l´un des auteurs de la BD japonaise les plus prometteurs de sa génération.
INTERVIEW DE TSUTOMU NIHEI
Didier Pasamonik : - Comment démarre une carrière de mangaka ?
Tsutomu Nihei : En général, les gens envoient leurs mangas aux magazines qui chacun organise des concours et délivre des prix aux jeunes auteurs. Moi, j´ai été distingué par le magazine Afternoon qui est mon éditeur aujourd´hui.
-Les éditeurs vous imposent-ils leurs vues, ou bien, comme pour Blame, par exemple, vous arrivez à imposer votre propre concept et votre propre développement d´univers et de personnage ?
J´ai été totalement libre et j´ai décidé moi-même de mes concepts.
-Dans Blame, on a l´impression de se trouver dans un jeu de plateau, un jeu vidéo où le héros progresse épreuve après épreuve...
Je suis un fana de jeux vidéo et effectivement, même inconsciemment, je suis influencé. C´est une influence importante dans mes histoires.
-Pour vous, c´est quoi une BD de science-fiction moderne ?
- Il n´y a pas vraiment d´ingrédients. J´aimerais bien les connaître. Je suis encore en recherche d´une telle définition.
-Quelles sont vos influences majeures au niveau graphique?
Bilal certainement. Moebius. La BD Franco-Belge, Schuiten, Gimenez…
-Et au niveau des auteurs de romans de science-fiction ?
Gregory Ben Porter.
- Clive Barker me semble une référence évidente...
Oui, bien sûr. J´aime beaucoup. Autant ses œuvres littéraires que cinématographiques d´ailleurs.
Propos recueillis par Didier Pasamonik à Angoulême en janvier 2001, pour le compte de Chronicart - http://www.chronicart.com.
