A l’occasion d’Halloween, et puisque cela coïncide bien avec ma lecture de l’ouvrage, voici une présentation d’un bouquin un peu particulier, peu mis en avant, mais qui témoigne plutôt bien d’une époque du comics.
Four Color Fear : Comics d’Horreur des années 50
Auteurs Divers, l’anthologie est proposée par John Benson et Greg Sadowski
Dessinateurs Divers
Nombre de tomes 1 (One Shot)
Editeur Fantagraphics Books (VO), Diabolo Editions (VF)
Registre Anthologie, Horreur
Origine USA
Dates de publication 07/11/2013 (VF)
Synopsis :
« It wasn’t just EC, see ? » (4ème de couverture de la première edition VO)
Difficile de faire un synopsis sur un ouvrage anthologique. Comme le nom l’indique si bien, il s’agit d’un recueil d’histoires courtes (entre une et une douzaine de pages), 40 pour être précis, qui se situent toutes dans le registre de l’horreur à l’américaine. On y trouve des histoires de morts-vivants, de vampires, de diables, de magiciens, de vengeance morbide, de culpabilité, etc. Tout est bon prétexte pour exprimer la cruauté des auteurs. La majorité des récits, comme il était coutume dans le genre à l’époque, proposent un petit retournement de situation final qui fait l’ironie de la trame.
L’élément important à prendre en compte est qu’il s’agit d’œuvres publiées avant l’arrivée du CCA (Comic Code Authority), le comité de censure des comics américains qui a sévit durant de longues décennies pour éviter que des contenus jugés choquants soient proposés aux plus jeunes. Ce comité a été formé notamment en réponse à des publications telles que celles qu’on peut trouver dans ce livre.
Un autre point important à souligner est que l’ouvrage ne contient AUCUN récit provenant de chez EC Comics, l’éditeur phare du genre à l’époque avec Crypt of Terror (Tales from the Crypt), Vault of Horror et Haunt of Fear. On retrouve néanmoins des artistes qui ont travaillé un jour chez EC. Ce que propose ce recueil est donc un panel d’histoires moins connues, parfois même oubliées, mais qui faisaient pourtant la joie des enfants américains de l’époque. Les histoires sont également proposées en Couleur, là où la tendance habituelle est plutôt à la réimpression en N&B de ce type d’histoires.
Où le trouver (en VF) ?
Le livre a été édité à la fin de l’année 2013, il est donc encore récent. Etant donné son public ciblé assez restreint, il devrait en rester pas mal sur le marché à mon avis. Par contre, je doute que la majorité des librairies le possède, et si c’est le cas le stock est probablement restreint. L’idéal est peut-être de le commander ou de passer par internet.
Visuels :
(couverture française, reprise de la deuxième édition VO)
Avis :
Voilà une publication assez surprenante. Ce livre est l’adaptation d’un TPB américain qui a été édité par Fantagraphics plusieurs fois dans les années 2000. Fantagraphics pour ceux qui ne connaissent pas, c’est l’un des principaux éditeurs de comics plutôt axés indépendants avec notamment des auteurs comme Chris Ware, Daniel Clowes, les frères Hernandez, mais aussi Lewis Trondheim. Il s’agissait probablement déjà d’un ouvrage un peu de niche aux USA (malgré un succès critique et commercial plutôt bons au final), c’est pourquoi son arrivée en France est étonnante. Mais la petite maison d’édition espagnole Diabolo Edition a jugé que le public français pourrait être au RDV, et on les en remercie. Effectivement, les vieux comics d’horreur ont la côte en ce moment avec la réédition chez Akileos des Tales from the Crypt d’EC et la réédition chez Delirium des anthologies Creepy et Eerie de chez Warren. Pourquoi ne pas essayer de capter un lectorat avec un ouvrage qui a plutôt bien marché aux USA ? Je n’ai aucune idée si le pari de Diabolo a été payant, mais en tout cas c’est intéressant de se plonger dans ce bouquin.
Qu’est ce qu’on trouve là dedans ? Outre les 40 histoires qui sont compilées, Four Color Fear propose également un cahier central de très bonne qualité qui reprend plus d’une vingtaine de couvertures des publications de genre de l’époque (pas forcément liées aux histoires) sur un très beau papier glacé, et un dossier final d’une dizaine de pages qui revient sur les équipes créatives derrière chacune des histoires avec un petit commentaire. On y apprend plusieurs anecdotes sur chacun des auteurs et le milieu des maisons d’édition de comics dans les années 50. En résumé, un panel assez complet pour se faire une bonne idée de ce qu’était l’industrie du comics au moment où ce genre était le roi, quand les super-héros étaient un peu à bout de souffle avant leur renouveau des années 60 (arrivée de Fantastic Four et des principaux héros Marvel).
Alors, ces histoires, que valent-elles concrètement ? N’ayant pas lu les principaux récits de EC Comics, je n’ai pas beaucoup de points de comparaison par rapport à d’autres récits du genre et de la même époque, mais il me semble que le style est très classique au fond. La violence n’est pas abusive, et aujourd’hui cela fait tout de même un peu sourire d’entendre que ces histoires ont fait l’objet d’une croisade et étaient vues comme une sérieuse menace au développement des enfants qui les lisaient. Autre temps, autres mœurs que voulez vous. Mais ce n’est pas pour autant que ces histoires sont dénuées de violence ni d’intérêt ! Si vous voulez des corps putrides, des ghoules, des tripes, du sang et de la rancœur, vous serez serivs. Sur la 40aine qui sont présentes, une petite quinzaine me semble vraiment au dessus du lot, avec une originalité ou une qualité d’écriture qui m’ont interpellé plus particulièrement (Colorama, The Man who out-distanced Death, The Corpse that came to dinner, Nightmare,…). Le reste étant divertissant aussi mais pouvant peut-être d’avantage accuser le poids des années. De manière générale, le dessin est de bonne facture, avec certains auteurs mythiques (Basil Wolverton, Joe Kubert,…) et la coloration est d’époque avec la technique des petits points de couleur qui donne son nom au livre. Plus qu’une véritable claque scénaristique, l’intérêt de cet ouvrage se trouve avant tout dans son côté historique ; un très bon témoignage d’une industrie un peu oubliée aujourd’hui et largement méconnue en France.
Plutôt que de conserver le format souple de l’édition américaine, Diabolo a choisi un format cartonné pour la France, avec des dimensions proches de l’original de Fantagraphics (17*24 cm). Le résultat est d’une très bonne qualité physique. Malgré tout à la lecture je pense que les dimensions ne sont pas celles des publications originales dans les années 50 et c’est dommage. Sur beaucoup d’histoires, il me parait clair que le dessin était plus grand à l’origine, car le dessin est fin et les détails sont un peu trop discrets sur la présente édition. Peu importe, ces histoires n’ayant jamais été éditées en France auparavant, c’est de toute façon le seul moyen de les découvrir. Etant donné l’âge de ces pages, un gros travail de remasterisation a été nécessaire, et sur certaines planches cela se ressent car elles apparaissent un peu flou. Les couleurs sont un peu fades et c’est dommage, mais cela ne nuit pas à la lecture heureusement. Le cahier central qui propose des couvertures est magnifique par contre, et les couleurs ressortent parfaitement.
De manière générale, cette lecture m’a bien plu. Ceux qui sont adeptes des histoires de chez EC Comics ou Warren Publishing et qui désirent aller plus loin, découvrir des récits moins reconnus devraient apprécier pleinement cette lecture également. Si certains d’entre vous veulent s’initier au genre, c’est un candidat intéressant aussi car il permet de découvrir de nombreux récits assez différents les uns des autres pour ne pas être redondants dans un seul bouquin. Il n’eclipsera pas les rééditions des Tales from the Crypt qui restent le haut du panier, mais gardez son nom dans un coin de votre tête et qui sait, peut-être tomberez vous dessus en librairie et le feuillèterez vous ?
Bonus :
En bonus, je vous propose le reportage d’époque suivant :
https://www.youtube.com/watch?v=GI8IJA8kdkI
A regarder si certains veulent voir un peu le genre de dénonciation qui était faite à la télé sur le sujet. C’est d’ailleurs en partie ce reportage qui a conduit à la création du CCA, le présentateur étant l’un des fervents détracteur des comics dans les années 50.
Voici également un lien qui permet de lire 4 histoires complètes du recueil (en VO par contre), pour ceux qui voudraient avoir un meilleur aperçu du contenu :
http://www.fantagraphics.com/images/stories/previews/fofear-preview.pdf