Titeuf est un gamin turbulent. A la récré il est toujours le premier à
préparer les mauvais coups. Ses copains ne sont pas en reste et
l´accompagnent dans tous ses déboires. Et puis il y a Nadia, l´amour
impossible... Dans cette série ZEP dépeint un univers enfantin très loin
des clichés, un petit univers pas si doux que ça, porteur d´une certaine
cruauté, mais neanmoins réconfortant. Sa manière humoristique d´aborder des
sujets actuels lui a fait rencontrer un public de plus en plus large. il a
récemment publié ´Les filles électriques´, un one-shot tout aussi drôle
mettant en scène un ado qui cherche désespérement le grand amour, mais qui
se ramasse plutôt des baffes. Rencontre avecc un dessinateur suisse ´bien
dans sa peau´...
- En Suisse il y a une tradition BD qui tend vers le réalisme avec Derib,
Cosey, entre autres. N´avez vous pas l´impression que, avant Titeuf, il y
avait un manque au niveau de l´humour ? Ou alors y-a-t-il dans la
Confédération des auteurs dont nous ignorons tout ?
ZEP : Oui, il y a une certaine production dans le domaine. beaucoups de
dessinateurs en Suisse se réclame de la BD, mais font en définitive peu de
bandes dessinées. Je ne sais pas si vous le savezmais en Suisse, à cause de
la Constitution, nous votons tout le temps, à peu près une fois par mois.
Et tous les partis font des affiches et sollicitent souvent les
dessinateurs pour la réfection d´un bâtiment culturel, pour la construction
d´une route... La majorité des dessinateurs vivent de ça. Même si certains
ont fait des tentatives en BD (un ou deux albums), ils restent là-dedans
parceque c´est plus confortable. Il y a donc une habitude de ça, entre
l´engagement social et politique. Ce qui est assez différent de la Belgique
où la BD semble parfaitement intégrée et où il y a un goût très marqué
pour l´âge d´or de la BD : les gens restent très attachés à ce monde des
années 50 dessiné par Franquin avec les livreurs de lait, les vieilles
voitures et les réverbères au gaz. En Suisse on ne dessine pas ça,
parceque, de toute façon, on dessine déjà des choses en prise avec
l´actualité.
- Attribueriez-vous le succès de Titeuf aux sujets abordés, des sujets qui
captent assez bien l´air du temps ?
ZEP : Au début c´était surtout une pierre d´achoppement parceque je voulais
raconter mes souvenirs d´enfance par le biais de ce personnage. il allait
donc parler comme on parlait : s´il devait dire ´merde´ il ne dirait pas
´saperlipopette´ le fait qu´il ait ce langage-là posait problème pour la
publication. Les magazines et même les chaînes de magasins ont refusé de le
prendre en diffusion au début. A cause de ce langage, un public s´est créé
parce que c´était une série qui traitait, non pas de thèmes d´adultes avec
un personnage d´enfant, mais au contraire, d´un univers enfantin avec tout
ce que cela contient de perversité. Et il y a tout un public de jeunes qui
a ´accroché´ sur Titeuf, ce qui était inattendu. je pensais que ce serait
pltôt des gens de mon âge, les 25-30 ans, qui allaient retrouver leur
enfance et s´amuser avec ça. Mais plein de gamins se sont identifiés à lui.
il leur permet de justifier toutes les conneries qu´ils font et c´est
pratique (rires)... Et, en même temps, c´est une série qui peut aborder des
sujets de société. Titeuf est curieux, donc il excuse (et met même en
valeur) la curiosité des enfants.
- Le succès de la série est-il venu rapidement ?
ZEP : La publication reste une difficulté. je ne sais pas pour la Belgique,
mais en Suisse et en France, la presse ne publie pratiquement plus de BD.
Or c´est dur de placer un album si il n´a pas été prépublié, d´arriver à
trouver une place parmis les 800 sorties annuelles. En France, il a fallu
attendre 3 ou 4 album pour que Titeuf se fasse une place. En Suisse, ça a
été un peu différent parceque j´avais déjà 3-4 albums derrière moi et
j´étais déjà connu des libraires et du public, donc Titeuf a été accueilli
comme le nouvel album de ZEP
- Quand vous avez commencé chez Spirou ? A l´époque de Germais& ?
ZEP : C´était la fin de Germain&, la période où il y a eu pas mal de
tentatives comme Sulitzer en BD. Ca a été un coup dur pour tous les jeunes
auteurs parceque Dupuis a gelé beaucoup de nouvelles séries, vu l´échec de
cette collection à laquelle ils croyaient beaucoup . je suis resté pendant
plusieurs années chez Spirou à faire des pages pour le magazine, mais sans
espoir d´album...
- D´un autre côté ce devait être passionant au niveau de l´apprentissage...
ZEP : C´était génial. Et puis c´est formidable de dessiner dans un journal
qui a autant de lecteurs. c´est un labo, suivi par des lecteurs qui
connaissent la BD et qui écrivent énormément pour vous dire qu´ils sont
contents, ce qui est assez rare car, en général ils vous écrivent pour dire
qu´ils veulent vous tuer. Comme aucun album ne sortait je me suis mis à
travailler davantage pour la Suisse, dans des fanzines. Un d´entre eux m´a
proposé de faire la série des Titeufs. Alors tout est venu très vite.
Souvent on tourne dans années avec le même projet. Dans mon cas, il s´est
écoulé très peu de temps entre l´idée de la série et la sortie du premier
album
- Ca donne un peu l´impression que le personnage est plus connu que son
auteurs...
ZEP : Oui. C´est aussi dû au fait que j´habite en Suisse et que je ne suis
pas un fan des tournées et des festivals... Je trouve que, quand on
travaille sur un album, c´est difficile de s´interrompre pour aller à
gauche, à droite, tous les WK. Mais quand l´album sort, c´est agréable
d´aller le présenter. C´est aussi un moment où on a fini un travail et où
on a besoin de savoir comment il est reçu. Attention : il y a des festivals
très sympas. Et puis c´est l´occasion de rencontrer les autres auteurs,
parceque nous n´avons finalement que peu d´occasions de nous retrouver. Il
y a en Suisse toute une génération d´auteurs qui sont déjà assez vieux, et
ceux de ma génération travaillent plus les affiches, les fanzines... les
petites choses.
- Dans Spirou, le personnage de Victor que vous ainimiez au début me
semble plus doux, plus romantique que Titeuf qui est assez violent.
ZEP : C´était au tout début. Je faisais mes gammes. Je n´avais pas grand
choses à raconter. Alors j´ai choisi un personnage d´imprimeur dans une
imprimerie moyenâgeuse. Cela me permettait pas mal de dérives un peu
poétiques, et puis selon les BD que je lisais, la page était plus ou moins
imprégnée de ce que je venais de lire (rires)... Ce n´étaits pas vraiment
personnel, ça se cherchait...
- Titeuf est reconnaissable au premier coup d´oeil. Est-ce venus assez vite
ou cela a-t-il été un travail de longue haleine ?
ZEP : C´est venu d´un coup. je suis vraiment instinctifs, donc je ne sèche
pas sur un personnage. J´en dessine des pages et des pages, de manière
automatique, et après je trie. Dans un coin de page, il y avait Titeuf...
Je n´ai jamais tr_s bien pu dessiner les cheveux. Alors j´ai trouvé cette
mèche. C´est d´ailleurs souvent ça qui ´fait le style´ d´un dessinateur :
les combines qu´il cherche pour éviter les truc compliqués et contourner
tout ce qu´il ne sait pas faires (sourires)
- Dans le dernier album titeuf apprend que sa mère est enceinte. Alors petit
frère ou petite soeur ?
ZEP : J´ai pas encore reçu l´échographie. Je préfèregarder la suprise. Même
pour moi. j´aime bien ce côté feuilleton. je reçois beaucoup de courrier de
gamin qui m´écrivent ´Faites une petites soeur à titeuf´ ´Faites lui un
petit frère qui porte le même prénom que le mien´ ils m´envoient des
photos, veulent être dans le prochain album. ils racontent des histoires
abominables de vengeance personnelle sur leur professeur. Ils voudraient
que Titeuf fasse ce qu´ils n´oseront jamais faire. Ces enfants ne sont pas
innocents et candides; leurs sentiments sont abominables... mais géniaux.
C´est ce qui fait la vie. Il y a plein d´impertinence aussi. Je reçois des
trucs dégeulasses que je n´oserais jamais utiliser dans un album. Puis il y
a les parents qui m´écrivent aussi : ´J´ai vécu cela avec mon fils... ça ne
vous ferait pas une hiostoire géniale ? ´ Souvent ce sont des histoires
assez chou... Et NON ! Cela ne ferait pas une bonne histoire pour Titeuf
(rires)... Mais les gamins écrivent souvent des choses assez crues... Cela
prouve que leur monde est ainsi fait.
- C´est tellement vrai avec les Barbies, par exemple... c´est bien observé
!
ZEP : il y a vraiment un fossé marrant entre les filles et les garçons à
cet âge-là (8-9 ans). ils ne se comprennent pas. c´est avant qu´ils ne se
rejoignent et commencent à vouloir faire des trucs ensemble. mais c´est
encore l´ennemi juré ! Il y a déjà la curiosité sur les filles, ce qui se
passe, pourquoi elles sont comme ça... Elles commencent à porter des
soutifs, le physique change... Alors que chez les garçons il ne se passe
encore rien... C´est amusant. J´aime bien travailler avec des choses comme
ça.
- Vous avez d´autres réactions à votre travail ?
ZEP : Il y a beaucoups de centres de loisir, de maison de quartioer,
d´endroit où traîne beaucoups d´adolescents qui me sollicitent pour faire
des trucs, des affiches avec Titeufs. J´ai été invité à un spectacle avec
les personnages de Titeuf. J´aime bien cette idée que, tout à coup, un
personnage ait sa vie propre, en dehors des albums : ça prouve qu´il est
proche des enfants. Ceux-ci ont beaucoups de choses à raconter et parfois
ils trouvent que cela ne va pas assez vite. Ils voudraient qu´il y ait
davantage d´album, mais ils mettent moins de temps que moi à les imaginer !
Cela donne parfois des trucs marrants. je suis allé un jour à un spectacle
de marionnettes. C´était très joli, style ´Hsitoire du petit Indien qui
part dans la prairie´, traditionnel... Puis il y avait un spectacle avec
titeuf imaginé par des gosses de 10-12 ans, avec des préservatifs. les
parents étaient là et trouvaient ça bien. Ils réalisent que c´est l´âge de
leurs enfants. C´est aussi un moyen d´en parler avec eux.
- L´album ´Les filles électriques´ correspondait-il à une volonté de
s´adresser à un public plus adolescent ?
ZEP : Ce n´est pas tellement une question de public, mais j´avais envie de
parler d´adolescence, des premiers rapports un peu forts entre filles et
gars... Je ne pouvais pas emmener Titeuf dans ce monde-là, parceque ça
allait casser quelque chose et je n´aurais plus pu retourner en arrière.
J´ai donc créé le personnage de Robert; chaque page de l´album porte le
prénom d´une fille et raconte ses tentatives amoureuses. C´était une
expérience intéressante mais cela ne deviendra pas une série. J´aimerai en
faire d´autres, sur d´autres thèmes, dans la même collection. Là j´ai
commencé à préparer un album sur les concerts et tout ce qu´il y a trait.
j´ai d´autres projets pour plein d´albums et aussi un magazine BD autour de
Titeuf, ainsi que le prochain album de Titeuf.
- Vous tenez un certain rythme avec la sortie de deux albums cette année...
ZEP : Oui je suis assez impatient quand j´ai une idée d´un album. il faut
que ça sorte. Après, il faut le temps de dessiner les planches en story
board, de monter le projet de l´album, de choisir le gag que l´on va placer
au début et celui de la fin.
- Et vous allez conserver le format d´une page ?
ZEP : Oui. Je suis tellement habitué à cela que je suis incapable de faire
plus long. j´aime bien parceque cela fait 46 sujets différents par album.
et on peut les lires en une fois ou en 46 fois... Il y a parfois quelques
pages qui se suivent sur un même thème, mais cela ne va jamais plus loin...
Et puis, je ne vois pas quel sujet peut-être intéressant sur 20 pages ou
plus ! C´est surtout une excellent excuse parceque je ne sais pas faire ça
(rires). Il y a des romanciers qui peuvent étirer leur propos sur 500
pages, d´autres préfèrent rédiger des nouvelles de quelques feuillets,
parceque ça ne sert à rien de les étirer. J´aime bien que chaque case amène
quelque chose, qu´elle ne soit pas là pour ´faire durer´ la planche. Et
puis je dois changer de sujet à chaque page, ce qui me force à essayer
d´aborder la diversité des émotion qu´on ressent à cet âge là... Comme ça
j´espère que les lecteurs s´y reconnaissent s´ils sont enfants ou s´en
rappellent s´ils sont plus âgés... que Titeuf soit un peu leur madeleine de
proust ! .
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