A l'échelle de la France et de l'Occident, les mangas ne sont pas une culture, mais une sous-culture, et sont jugés dans leur ensemble. On ne peut rien y faire, mais c'est comme ça : la BD franco-belge aussi, comme les comics d'ailleurs, malgré leur diversité et le fait qu'ils se trouvent un peu plus haut dans l'opinion publique parce qu'il y a moins de barrières culturelles, sont jugées "dans leur ensemble" et pas individuellement. Il faut faire partie de cette sous-culture pour pouvoir juger chaque oeuvre individuellement, et vous ne pouvez pas exiger du reste du monde qu'il s'y soumette parce que ça demande une sensibilité particulière.
Concernant sa démocratisation, il y a deux aspects.
Idéalement, pour notre ego, pour qu'on se sente bien avec nous même et avec notre monde, il faudrait la rehausser au niveau de la culture populaire, et pour ça c'est trop tard, les premiers à avoir vénéré les mangas ont trop bien fait le boulot pour bien faire comprendre que c'est des mangas et non de la BD, que ça vient du Japon, que c'est différent, que c'est etc. etc.
Et puis soyons sérieux : nos prédécesseurs savaient ce qu'ils faisaient, mils savaient que le manga gardait sa saveur justement en tant que sous-culture. Parce que ce que nous appelons "culture populaire" aujourd'hui n'en est absolument pas une, c'est de la culture de masse que vous parlez. Et si, pour être considéré comme un français moyen, il faut lire du Franz-Olivier Giesbert, vous comprenez bien l'attrait que constitue la sous-culture manga.
(Ah oui au passage, pour les analphabètes : ce n'est pas de la sous-culture parce que c'est qualitativement en-dessous de "la culture", mais parce que c'est un anglicisme traduit de subculture : http://en.wikipedia.org/wiki/Subculture
a subculture is a group of people within a culture (whether distinct or hidden) which differentiates them from the larger culture to which they belong.
En gros c'est de la culture geek).
Ce qui s'est passé ces derniers temps, par contre, c'est que la sous-culture est devenue "une forme de culture". C'est pour ça que je trouve les messages sur ce topic surréalistes : la sous-culture manga s'est entièrement démocratisée, tout en restant une sous-culture. C'est-à-dire que de plus en plus de gens "normaux" ont commencé à s'y intéresser (pour des raisons qui m'échappent, j'ai des intuitions mais j'éviterai de les poster pour ne pas choquer les couilles molles qui ne veulent pas être jugées) en tant que sous-culture. En fin de compte, la sous-culture nous appartient encore (parce qu'on y est attaché et qu'elle fait depuis trop longtemps partie de notre identité, ce qui explique que je suis encore sur ce forum par exemple), mais les gens dont on voulait se différencier au départ commencent à y entrer, et à former un marché. Les rayons mangas dans les librairies n'ont jamais été aussi pleins, ça ne s'est jamais autant vendu, et des boites ont même ces derniers temps le culot d'éditer de la vieillerie comme les mangas de Shotaro Ishinomori à coût de production et de vente énorme même si déjà à l'intérieur de la sous-culture ça n'intéressait pas grand monde. Si avez ça vous n'êtes pas contents, je sais pas ce qu'il vous faut.
Personnellement, je n'ai pas honte de regarder des animes à mon échelle, mais je n'ai pas pour autant envie de partager ça avec les gens autour de moi ; et récemment, le fait que de plus en plus de gens (ceux que nous appelons les "normaux") essaient de partager leurs trouvailles animiesques avec moi me rend extrêmement mal à l'aise. Pour les raisons sus-explicitées. Ma position se résume à ça.
"Car je veux regarder un dessin animé. Si j'ai envie d'avoir une véritable réflexion intéressante, je vais lire un livre car c'est bien plus pratique pour transmettre et étayer une idée, n'en déplaise à certains."
Problème numéro 2. Non, les animes ne sont pas profonds, psykologiks, filosofiks, ça ne parle pas de science, ça ne propose pas de réflexions sur la justice. Ce sont des dessins qui bougent, un doublage qui donne vie aux personnages, et de la musique qui rend ça über-méga-fucking cool (et les Japonais foirent rarement leur musique).
C'est reconnu par à peu près tout le monde : oui, les dessins animés sont faits pour les enfants, parce que le simple fait de voir des dessins bouger crée un émerveillement. C'est pour ça qu'il n'y a rien de plus ennuyeux que des animes so serious, sans couleur, sans humour, qui en plus se croient profonds.
Vous regardez des DESSINS ANIMÉS, les amis. Tout est en artifices, les dialogues et l'histoire, c'est secondaire, les scripts sont chiés pour donner un squelette au truc, le gros du boulot, le gros du budget, c'est des prolétaires qui s'enculent les poignets à faire des milliers de dessins, qui seront ensuite colorisés puis qu'on fera défiler devant vos yeux. Il y aura derrière des types qui vont faire les guignols devant un micro, et quand on superpose les deux, vous aurez l'impression que le personnage est une personne réelle, existe réellement, parle, etc., même si tout ça est uniquement dans votre tête. Et puis derrière encore, vous avez une musique qui, bien rythmée et bien timée, vous fait venir dans le calbute.
C'est ça un dessin animé. C'est quelque chose qui requiert une imagination, une capacité d'abstraction et de suspension of disbelief incroyable pour que ça fonctionne, et oui, c'est différent d'un film ou d'une série parce que la caméra récupère les images in vivo, images que votre cerveau process tout le reste de la journée, et qui correspondent pour lui à la "réalité". Il y a beaucoup moins d'effort d'abstraction à faire, on arrive donc à dégager plus de concentration pour réfléchir, même si le cinéma implique encore de combler les trous entre les différents cuts, et implique une certaine concentration sur ce qui à l'écran, souvent incomplet, pour lui donner un sens (Scorsese a dit un truc intéressant un jour : "Cinema is a matter of what's in the frame and what's out." ; ce qui est difficile à interpréter parce que le cinéma ne concerne QUE ce qui est à l'écran, et ce qui ne l'est pas sert justement à tronquer l'image et la réalité et à manipuler le spectateur, puisque c'est lui qui devra "compléter" ce qu'il voit à l'écran et il ne peut se baser que sur ce qui est montré justement). La littérature, c'est encore autre chose : les stimuli se réduisent au strict minimum, une tache d'encre sur du papier, TOUT le reste est intellectuel, donner un sens au mot, le placer dans le contexte de la phrase, du paragraphe, de la page, du livre, pour en extraire un SENS global.
Le média est déjà le message.
Je sais que vous avez envie d'avoir l'air de vous cultiver, mais vous êtes en train de regarder des dessins animés, malgré vous et malgré ce que vous avez envie de croire, non un dessin animé n'est pas l'équivalent d'un livre, la réflexion qu'il est capable de transmettre se résume souvent au strict minimum pour donner une espèce de plausibilité et de noeud au truc, passé ça c'est maximum spectacle.
Non, jamais vous ne verrez des animes de la trempe de The Wire, au grand jamais. Faites-vous à l'idée.
Vous passez pour des couillons, des ados crétins qui se croient matures à parler de réflexion, de philosophie, de psychologique, de science dans un DESSIN ANIMÉ. Tout ce que vous prenez pour de la science, c'est de la lolscience, tout ce que vous prenez pour de la philo, c'est de la lolphilo, c'est des artifices et ça fait partie du spectacle. Non Death Note ne propose aucune réflexion sur la justice, et non ce n'est pas un mauvais anime, mais ce n'est rien de plus que "je sais que tu sais", et "je sais que tu sais que je sais donc je vais faire ça parce que je sais que tu ne sais pas que je sais que tu sais".
C'est ça le problème de la Japanimation : c'est fait pour ados un peu crétins, un peu geignards, qui ont au fond d'eux envie de rester des gamins, mais ne le supportent pas parce que leur corps et leur environnement les pousse à essayer de paraître "matures", inconstants et limités, mais très imbus d'eux-même et autosatisfaits.
C'est ce qui lui permettait au départ de rester une sous-culture, ce côté attardé, le fait que "le monde normal" en percevait en ayant en tête les discours moralisateurs et intellectualisants des prétendus fans et les images de Love Hina, et à côté les geeks qui bouffaient du putain de bon DA qui en jette (Gurren-Lagann).
Et le problème récent, c'est que sa démocratisation ne s'est pas faite sur des critères d'élévation de la qualité, mais de multiplication des individus avec ce profil psychologique, qui méprisent Bleach et bandent sur le lolscience et le lolhistoire de Steins;Gate, regardent One Piece en y voyant une réflexion politik filosofik sur le gouvernement, et prétendent en masse qu'ils n'ont jamais rien vu de mieux construit et de plus profond que Madoka. C'est juste consternant.
Je comprends même pas pourquoi vous tenez tant à ce que votre produit qui a un potentiel ludique infiniment supérieur aux livres et au cinéma avec caméra sur 35mm, soit "reconnu" comme porteur de "réflexion".