Commençons par présenter trois acteurs : l’éthique, la charité et l’Etat.
L'éthique, un thème débattu depuis plusieurs siècles et depuis notre chère antiquité, vous savez l'époque où des philosophes se trimbalaient encore à poil sous des draps blancs. L'éthique a été un sujet majeur qui nous a poursuivis jusqu'à notre époque actuelle où il disparaît peu à peu sous une sorte de matelas de poussière étatique.
On sait que l'éthique existe, on pense qu'on devrait l'utiliser mais finalement on ne l'utilise jamais, quitte à se fourvoyer dans ses fondements idéologiques les plus profonds.
Avant de me faire pincer les fesses j’expose ce que j’entends par cette notion. L'éthique est donc une notion qui se rapporte à la morale dans le sens où celle-ci soutiendrait une vocation pratique et normative. Les courants de pensée possèdent leurs propres principes moraux qui sont censés faire fonctionner la société. Ces principes moraux, l’éthique, sous-tend la conception de la pratique et de la norme. Par exemple pour un libéral l’éthique de la liberté amène à la propriété privé et aux droits de l’homme, pour un socialiste l’éthique de l’égalité conduit à la juste répartition des richesses, etc..
Je divise donc l’éthique en deux parties : l’éthique pure qui consiste dans une idée construite et l’éthique pratique consistant dans la mise en place de l’éthique produite précédemment, par la création et l’application de mécanismes techniques et/ou normatifs.
La charité, dans le sens occidental du terme, est un principe inhérent à la chrétienté où le don chrétien et l’assistance au plus faible est une nécessité. Récupérée par le socialisme, elle devient essentiellement la charité sociale où la logique est l’assistance aux pauvres nés du capitalisme et du patronnât.
L’Etat, ce petit poisson utile devenu un poulpe obèse mobilisant tout l’espace publique de la société, est omniprésent mais n’est pas très mouvant. Du coup, il est nécessaire de composer avec lui pour survivre… Vu par les auteurs classiques comme un espace politique où les élites de courants différents pouvaient discuter, il est devenu une machine productive de tracasseries administratives et de normes écrasantes pour ceux qui y sont soumis. Sa légitimité provient en réalité de la centralisation de l’éthique et de la charité à son endroit.
Ma théorie est la suivante : l’Etat détient maintenant le monopole de l’application éthique, en s’assurant que son emprise sur la société se légitime par elle-même. Ce monopole de l’éthique et de la charité est doublement légitimé, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Etat.
À l’intérieur l’Etat se présente comme le seul acteur possible de réguler ce qui ne fonctionne pas, ou du moins pas bien, dans nos sociétés mais aussi dans le reste du monde. Toujours en laissant un petit trou de souris aux acteurs privés, il régule et gère toutes les questions relatives à l’éthique et à la charité. L’environnement, la finance, la dépression, la dictature, le commerce, le chômage… il régule ce qu’il veut sans laisser un bout de chair aux autres, en se légitimant par lui-même dans son action. Il se représente par exemple comme seul garant crédible de la lutte contre la pauvreté, et cela sans jamais avoir réussi à l’éradiquer et en ayant réussi à se faire reconnaître un statut d’acteur unique et crédible par les élites politiques et administratives.
À l’extérieur, toute la légitimité est donnée à l’Etat, par les citoyens et autres intellectuels, par son omniprésence spatiale et temporelle. Les citoyens, les entrepreneurs, les idéologues, les universitaires… tous ont donné à l’Etat le monopole de la réglementation pratique de l’éthique selon une logique irrationnelle identique à celle qui a permit le sauvetage des banques, le «Too Big to Fail » qui s’est transformé pour la perception de l’Etat en « trop grand pour ne pas l’utiliser ». Le débat d’idées et le débat éthique n’est donc tourné que vers l’action étatique alors ce dernier peine à donner des résultats probants dans différentes matières. Par exemple la charité n’est plus un don de soi mais consiste dans une demande d’intervention de l’Etat.
Ce double mouvement est clairement visible et son origine vient, à mon avis, de l’élitisme sociétal. Actuellement toute question d’actualité, toute question économique et sociale, toute question de société se trouve centrée sur l’action de l’Etat et/ou de ses agents administratifs (ministres, administrateurs publics, hauts fonctionnaires, …). Un reportage télévisé qui ne ferait aucune référence à l’Etat ou ses administrations serait exceptionnel.
Revenons à la création de l’éthique, l’éthique pure donc. La formation de l’éthique pure a été historiquement donnée aux intellectuels dont l’activité est souvent considérée, à tord, comme trop incompréhensible et trop élitiste pour la populace à qui on vend toujours plus la régulation étatique comme seule chose pratique et probable dans la société. Les intellectuels qui étaient donc les seuls à pouvoir produire cette éthique pure ont eux aussi tourné dans un élitisme qui conduit tôt ou tard à un rapprochement avec l’Etat. Actuellement le bon philosophe et le bon intellectuel est celui qui se trouve toujours proche du pouvoir et qui le cautionne, à l’image de Bernard-Henri Levy, un philosophe sans aucune contribution ou fondement philosophique, dont la parole se rapproche de la parole divine de textes religieux. Cet étatisation du discours intellectuel reflète en réalité l’étatisation de l’élite tout entière, où les intellectuels les plus écoutés sont ceux qui prônent partout (universités, médias, production scientifique, …) et dans tous les domaines (économie, social, sociétal, environnement, …), l’interventionnisme étatique.
Non content de s’être approprié la pratique de l’éthique, l’Etat s’est approprié également la production de l’éthique pure.
La charité n’échappe pas non plus à cette « élitisation » et donc étatistation croissante. Le simple don est considéré de plus en plus comme un acte exceptionnel issu d’une philanthropie admirable, rendant ainsi certains riches donateurs comme des personnes bienveillantes, merveilleuses et chaleureuses. Elles sont tellement admirables qu’on en oublie que la donation permet essentiellement à ces personnes d’échapper en partie à la pression fiscale. C’est la pression fiscale qui incite ces individus à faire des dons (parfois sous couvert de fonds d’investissement, coucou Billou) et non pas une « bonne pensée » philanthropique. La surexploitation des revenus par la fiscalité dans la classe moyenne rend de plus en plus difficile le principe du don individuel et charitable de la part des individus de cette classe sociale. Cette classe moyenne se tourne donc une fois de plus vers l’Etat pour satisfaire une pensée charitable qui aurait pu s’organiser au niveau domestique.
En guise de conclusion je dirais que l’Etat s’est érigé peu à peu le statut de « personne la plus vertueuse du monde » en s’offrant le monopole de la pratique éthique et de la charité. La pratique éthique est devenue essentiellement un sujet d’élite dont le cadre indispensable est l’Etat (Ministres, intellectuels proches du pouvoir, universitaires, …). Il n’est donc pas surprenant que les principales références actuelles en matière d’éthique non-étatisées, sont le plus souvent issues d’auteurs du passé (St-Thomas, Bastiat, Marx, …).
Une logique étrange circule et elle énonce que l’individualisme bouffe le don interpersonnel, la solidarité et la charité, au sens chrétien du terme, alors que c’est justement la collectivisation forcée par l’Etat acceptée par tous qui supprime la solidarité et la charité. C’est cette logique de collectivisation forcée qui contribue également de plus en plus à transformer la charité, qui était un acte désintéressé, en un acte intéressé. C’est bien le collectif qui contribue à créer l’égoïsme comme le démontre le phénomène psychologique de l’apathie du témoin ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_du_t%C3%A9moin ).
La charité, qui était un acte par essence individuel, a été tuée par le collectif.