Qui peut se targuer de n’avoir jamais entendu parler du complotisme ? Illuminatis, mouvements occultes, franc-maçonnerie, reptiliens…
Il suffit de taper dans les barres de recherche des sites de streaming, ces exemples de théories complotistes pour trouver des vidéos correspondantes nous prouvant le côté sataniste de Rihanna ou encore l’adhésion totale de Jay-Z à la communauté des illuminatis.
- Caractéristiques des théories complotistes
Plusieurs caractéristiques peuvent être mises en avant pour appréhender ces théories du complot. J’en ai repris trois qui, selon moi, sont liées entre elles.
Premièrement, ces théories ont une certaine cohérence historique et scientifique. Elles expliquent l’histoire, donc le passé, elles expliquent le présent et elles expliquent également de quoi sera fait le futur. Elles permettent donc d’expliquer par exemple la signification de tout fait historique important tel que la révolution française ou encore les deux guerres mondiales. Ensuite le savoir est la perception du fonctionnement de l’environnement dans lequel l’individu évolue. C’est la cohérence scientifique. La théorie complotiste faisant preuve d’un certain savoir sera donc acceptée car elle permet la connaissance d’un savoir théorique concernant un phénomène, mais aussi d’un savoir théorique concernant un évènement passé, présent ou futur. Il est intéressant de remarquer que généralement les principales théories complotistes consistent à : soit expliquer, grossièrement, un fait connu de tous (nous verrons dans la suite pourquoi), soit donner une valeur explicative supérieure à un évènement anodin, très souvent peu connu des personnes intéressées par ces théories en question.
Deuxièmement ces théories sont simplistes et méthodologiquement cohérentes. Elles permettent de faire un lien direct et causal entre un évènement et son explication. L’existence éventuelle d’intermédiaires, parfois contradictoires, entre un évènement et l’explication adossée est minimisée, occultée voire réfutée par le fait que les intermédiaires ne sont en réalité pas de vrais intermédiaires. Le fait que la théorie soit simpliste permet, à celui qui y adhère, de ne pas avoir à se compliquer la tâche en réfléchissant ou en nuançant la théorie. Souvent l’excuse mise en avant par le théoricien complotiste réside dans le fait que même la simplicité d’une théorie complotiste, puisque reposant sur une réflexion solide et immuable déjà effectuée par d’autres, n’altère jamais le caractère omnipotent de la théorie en question.
Troisièmement elles apportent une connaissance holiste du monde. Elles expliquent tout ce qui se déroule au sein des sociétés et tout ce qui se déroulera dans ces sociétés. Elles n’auront d’intérêt, aux yeux des complotistes, que si elle permet de comprendre le fonctionnement du monde dans sa totalité.
- Analyse de l'impact des théories complotistes
À partir de la mise en lumière de ces trois caractéristiques, nous pouvons tenter d’analyser leur impact.
Premièrement la cohérence historique et scientifique touche en réalité à la connaissance intrinsèque que chaque individu possède vis-à-vis d’un évènement historique ou vis-à-vis de structures existantes. Comme les théories complotistes considèrent agir en tant que « chevaliers blancs » éclairant la population, elles se doivent de toucher au plus grand nombre de personnes, chose qu’elles essayent de faire en rendant leurs théories compréhensibles du plus grand nombre. C’est donc la raison pour laquelle ces théories mettront en avant, le plus souvent, des évènements connus plus ou moins de tous (11/9, la tendance actuelle vers la gouvernance mondiale ou « continentalisée », la mondialisation économique, le réchauffement climatique, le mensonge des élites politiques, etc.). Lorsque les théories se tarderont à expliquer des évènements plus précis, donc moins connus, c’est lorsqu’elles voudront éblouir le public par une information, sois-distante inconnue de tous et décisive, démontrant in fine l’implication des instigateurs du complot. L’utilisation de ces évènements précis se fait plus rare de par le fait que ce sont des évènements qui sont connus, le plus souvent, d’individus spécialistes pouvant donc facilement émettre une explication solide et contradictoire. La réfutation consistera alors, dans le chef du complotiste, à dire que l’individu, même spécialiste, pratique le mensonge en faveur de l’instigateur du complot soit par intérêt ou, simplement, soit par lacune intellectuelle (le comble).
Deuxièmement la simplicité et la cohérence méthodologique permettent de mettre en lumière l’existence d’une logique méthodologique profonde dans les théories complotistes. Cette logique méthodologique est en réalité celle d’un conte, tel que les contes que nos parents nous contaient avant le dodo. La théorie complotiste est donc un conte qui a un début, un développement et une fin. C’est l’explication d’un schéma cognitif précis, bien disposé, voire enfantin, où tout élément interne s’explique seulement par l’histoire contée. En réalité cette logique « scientifique » du « conte » présente deux facilités intellectuelles. Premièrement elle permet de saisir en quoi tous les éléments du conte sont unis et ne peuvent être compris que dans cette unicité, donc dans la façon par laquelle le conte explique ces éléments. Deuxièmement elle permet de rejeter tout élément entrant en contradiction avec l’histoire contée. Tout élément entrant en contradiction, apportant une nuance, est considéré alors comme « hors du roman ». L’élément contradictoire n’existe pas ou ne mérite tout simplement pas d’être pris en compte, considéré soit comme un mensonge de l’instigateur du complot, soit comme trop minable et marginal que pour être réellement contradictoire.
Troisièmement il s’agit de comprendre la prétention holiste des théories complotistes dans un objectif clair qui est celui de donner, au théoricien complotiste, une certaine vision d’un monde finalement cohérent et simple. L’intérêt du théoricien complotiste est d’acquérir une certaine gratification psychologique par la transcendance théorique qu’apporte la théorie complotiste, car la théorie complotiste peut tout expliquer et, en plus, elle le fait de manière cohérente. Dès lors le rejet systématique de toute contradiction provient en réalité de cette transcendance théorique complotiste qui, au final, lui donne sa supériorité et son omnipotence. Les théories complotistes se permettent alors de répondre, parfois sans fondements, ou de ne tout simplement pas répondre à toute explication contradictoire et pourtant souvent dialectique.
- Analyse sociologique des théories complotistes
La vision historique et scientifique est en réalité destinée à un certain type d’individu. C’est l’individu peu informé et peu intéressé au final par l’étude ou la compréhension des phénomènes économiques, politiques et sociologiques. C’est l’individu qui est clairement spectateur du monde qui l’entoure et qui croit faussement s’intéresser essentiellement à la survie de l’espèce humaine. Je ne dis pas que le théoricien complotiste est un idiot. Je dis que le théoricien complotiste n’a souvent pas les connaissances suffisantes dans certains domaines. Parallèlement à cela il refuse également d’acquérir ces connaissances car elles pourraient entrer en contradiction avec son schéma cognitif simple qui a été créé chez lui par la théorie complotiste.
La vision simpliste et méthodologiquement cohérente permet de donner, au théoricien complotiste, une certaine vision du monde qui est unique et immuable. C’est « cette vision » ou « rien ». C’est une vision qui permet, grâce à son mécanisme tautologique, d’appréhender le monde et sa propre vie que d’une certaine manière. Ainsi la source de tout problème, sociétal ou personnel (chômage, précarité, santé, …), trouve sa source chez l’instigateur du complot. La cohérence méthodologique, quant à elle, pousse le vice plus loin en refusant littéralement la contradiction. La contradiction n’est alors vue, grâce au mécanisme tautologique, que comme un nième agissement de l’instigateur du complot. Souvent la méconnaissance du théoricien complotiste par rapport aux sujets abordés, sert de bouclier servant à refuser et à décrédibiliser, parfois au nez et à la barbe de la dialectique, tout élément contradictoire à la théorie. Il y a donc un net refus de la nuance, et donc un refus total de la complexité des sujets abordés. La théorie complotiste est simple et n’est correcte que parce qu’elle est simple. L’exposition de la complexité n’est alors vu que comme une tentative de manipulation psychologique de la part d’austères acteurs, vendus aux instigateurs du complot.
Enfin la vision holiste est plutôt destinée à des personnes souvent déçues par des élites qu’elles ont pourtant et parfois soutenues dans le passé. Ces élites, précédemment alliées, sont devenues des ennemis bien identifiés et responsables des principaux méfaits à travers le monde et dans la vie personnelle des théoriciens complotistes. La vision holiste sert en réalité à opposer le théoricien complotiste à un système global et conspirationniste qu’il est un des seuls à connaître. C’est alors que, contrairement à ce que préconiseraient normalement les théories complotistes, le théoricien complotiste basique devient inactif face à des structures qui le dépassent et qui agissent contre lui et la société dans son ensemble. Pire, il devient apathique car agir pourrait faire de lui un individu déviant. C’est ensuite que le manque de courage et de volonté à lutter contre un système conspirationniste surpuissant fait qu’il se rétracte de tout engagement et refuse l’intégration à la communauté citoyenne qu’il considère comme une « communauté de vendus ». Il se désensibilise de la politique, il se détache de tout fondement idéologique et il prend parfois même des distances avec ses anciennes croyances religieuses, s’il en avait. En effet, à quoi cela servirait-il de prendre part à des structures dont il connait la médisance et la mascarade ? C’est alors qu’au lieu de chercher à alerter le monde pour agir, il cherche essentiellement à convaincre, non dans un but d’action sociale comme l’avancerait Max Weber, mais dans un but de ne plus être seul face au monde médisant qui l’entoure. Cette volonté de ne plus être seul est tellement forte qu’il essaye littéralement de « convertir » d’autres individus, parfois au mépris pur et simple de la dialectique et du raisonnement. Le théoricien complotiste considère alors que l’autre, incroyant, est baigné dans une bêtise qui le rend déplorable.
- Conclusion
C’est ce mouvement holiste qui rend de plus en plus la vraie explication critique, correctement argumentée, caduque. Des conspirations existent, ce sont des structures qui agissent ensembles ou séparément dans un système qui peut parfois les opposer. Il n’y a donc pas un complot unique et centralisé dans l’autorité d’une seule ou d’un petit groupe de personne. Il y a des complots au sein de structures qui sont souvent parfaitement identifiables. Ce sont ces composantes, qui ont parfois des objectifs contradictoires, qu’il faut analyser dans le but de mettre en lumière certains problèmes.
Au final et contrairement à ce que beaucoup de théoriciens complotistes pensent, ces théories servent plus à rendre les gens complètement idiots et apathiques et, l’idiot apathique et devenu pleinement un croyant conspirationniste, est alors inutile et attend gentiment que l’instigateur du complot agisse et applique son plan final.