Thanks Aristi et Marty. La suite demain, normalement.
(oui, on est demain)
Les terrasses. Si Idioglossia est – comme elle en est persuadée – le pire endroit sur terre, alors les terrasses sont un concentré d’Idioglossia. Un Idioglossia miniature, où tout ce que la ville a de sombre et de dégueulasse est présent, exacerbé, démultiplié, grotesque. Ici, même les bâtiments semblent avoir abandonné l’espoir de s’élever un peu plus loin de tout ça ; ils sont bas, lourds, se succédant ridiculement sans la moindre cohésion architecturale. Des blocs de béton encadrent des pyramides approximatives de bois et d’acier, qui surplombent de longs pavillons en brique décrépits, lesquels se dressent tant bien que mal sur un sol irrégulier, recouvert de poussière, de tessons, de terre, de Paradis, de pisse, de sperme, de dégueulis, de sang, de peau, d’alcool, de clochards, de glosses défoncés, de restes de bouffe, de capotes usagées, de cadavres d’animaux et de cadavres tout court, dans des états de décomposition très variables.
Ca, c’est pour ce qu’elle voit tout autour d’elle. Ce qu’elle entend, quoique assez peu rassurant, s’accorde toutefois plutôt bien avec le tableau.
Idioglossia est rarement calme en général ; les terrasses ne le sont jamais. Un peu partout, des dealers adossés aux coins des rues ou assis sur le trottoir gueulent le nom et le prix de leur marchandise, interpellent d’autres vendeurs d’anges, insultent ceux qui passent sans acheter, insultent ceux qui passent après avoir acheté, s’insultent entre eux. Des voitures passent en vomissant et en toussant de la fumée. Des mobylettes crachotent et bourdonnent en tournant dans les rues mal éclairées. Des gens pas encore trop ravagés marchent en petits groupes, se serrant les uns contre les autres pour échapper aux cris des dealers, aux moqueries des glosses, au racket des gamins, qui courent sans cesse en gueulant. Des glosses démontés tentent désespérément d’aligner trois mots, ahanant des syllabes hachées et dénuées de sens, faisant voltiger leurs bras en tous sens pour s’exprimer. Des glosses, quoi. Idioglossia faite homme – enfin, "homme"… Depuis son arrivée, Scar en a vu des dizaines, de ces misérables hommes et femmes, l’œil vide, la bouche baveuse, l’air perdu, le pantalon taché. Le Paradis les a expédié droit dans leur propre enfer, et la plupart n’arrive même plus à sortir une phrase intelligible. Alors ils parlent avec leurs bras, articulant leurs gestes saccadés et indiosyncratiques, au bord du désespoir quand personne ne les comprend et que tout le monde les ignore. Finalement, ils achètent plus de Paradis et partent se défoncer dans quelque allée obscure, seuls ou en petits groupes d’ombres recroquevillées sur un fix, pathétiques. Elle n’est pas là depuis longtemps, mais Scar le pressent : un jour, tous les habitants de ce trou seront des glosses, zombies incontinents à moitié muets et débiles s’entretuant pour toucher les cieux.
Trois coups de feu viennent ponctuer une série de cris ; s’ensuit un hurlement qui s’éteint lentement ; des têtes vaguement intéressées se tournent vers l’origine du bruit et s’en détournent de façon aussi peu concernée. Après quelques secondes, c’est comme si rien ne s’était passé.
Scar avance sur le trottoir défoncé, les yeux suivant les méandres des fissures. Elle reste sourde aux dealers qui l’interpellent, aux glosses qui lui aboient leurs bouts de mots, aux gosses qui lui demandent une pièce. Flesh lui a dit de trouver un certain Blood, et elle lui a précisé où le trouver. En attendant, il faut qu’elle traverse la moitié des terrasses, et le trottoir semble aspirer ses semelles pour l’immobiliser là, au milieu des putes et des monstres.
Elle arrive enfin, mâchoires crispées, devant la fosse. Des lampions pendouillent sur des cordes passées d’immeubles en pavillons et attachées à la base de lampadaires mornes, et donnent à l’endroit un cachet curieusement apaisant. Les lumières dispensées par les boules de papier durci sont chaudes et rassurantes. Du moins, elles le seraient sans doute si elles n’éclairaient pas une dizaine de mecs en tabassant trois autres.
Un garçon caché sous une capuche s’avance vers elle. Elle se tend, réalise qu’elle respire fort, aspire une grande goulée d’air pour se calmer. Le garçon la dévisage de la tête aux pieds et des pieds à la tête, toujours dans l’ombre de la capuche.
— Tu veux quoi ? demande-t-il
— Est-ce que euh… Je voudrais voir Blood… s’il vous plaît.
— C’est à quel sujet ? repart l’autre, sortant les mains de ses poches.
— C’est toi, Blood ?
— Ca se pourrait… rétorque l’autre en lui caressant une joue. Pourquoi tu viendrais pas avec moi dans une allée, bébé… J’suis sûr qu’on s’entendrait toi et moi. J’tapprendrais plein d’trucs…
Il laisse descendre sa main, empoigne sans ménagement son sein, et lui pose son autre paume sur les fesses. Elle sursaute et se dégage violemment ; le type se pare d’un air menaçant.
— Ecoute, dit Scar, je viens voir Blood, il m’attend, et… Et Sick aussi.
Le cendre se dégonfle. Il regarde autour de lui, s’assure que personne n’a vu ou entendu le semblant de conversation, puis s’éloigne en marmonnant un truc à propos de Blood qui arrive. Scar attend quelques minutes, assise sur un bidon en plastique. Quelques personnes lui jettent un regard en passant et s’en désintéressent. Le type encapuchonné revient avec un autre, un peu balourd, la montre du doigt, hausse les épaules de façon exagérée, crache au sol et fait demi-tour. L’autre s’approche d’elle.
— Paraît que tu veux me voir ?
Scar est surprise. Ce jeune homme, bien qu’il fasse tout pour essayer de le cacher (sourcils froncés, posture menaçante, visage fermé) semble foncièrement… et bien, gentil. Et donc pas à sa place. Elle l’imagine très bien penché sur un gros bouquin, une paire de petites lunettes rondes en équilibre sur son nez fin, un bout de langue dépassant de ses lèvres en un geste attendrissant de concentration. En d’autres circonstances, Scar, assez portée sur l’introspection, se demanderait ce qu’il fait dans ce jeu, dans cette vie. Mais ce soir elle s’en fout et, avant d’ouvrir la bouche, la seule pensée qui lui traverse l’esprit est que Blood a typiquement la tête du type qui finira par mourir, et quand ce sera le cas, ce sera moche.
— C’est Flesh qui m’envoie, dit Scar.
Elle se sent moins effrayée, plus sûre d’elle. Elle a de l’argent dans sa chaussure, le nom de Flesh en bouclier, un haut placé en interlocuteur : elle n’est pas menacée. Du moins l’espère-t-elle.
— J’vois pas pourquoi, dit Blood. T’es pas mon genre.
— Non ! Je suis pas une pute ! Je viens acheter !
Elle a crié et des gens se sont tournés vers elle. Ils retournent rapidement à leurs occupations.
— J’te demande pardon, dit Blood en se grattant le haut du crâne. J’voulais pas te vexer. Bon, il t’en faut combien ?
— Douze, répond Scar.
Le dealer ouvre de grands yeux. Il se gratte de nouveau la tête, perplexe.
— Ecoute, fait-il d’un ton empreint d’une savante conciliation, je sais que Flesh t’envoie, mais ici on fait pas de prix réduits ou de crédit, et douze, ça va te coûter -
— J’ai l’argent, le coupe Scar. Apporte-moi mes doses et je te le donne.
Elle croise les bras sur la poitrine. Blood sourit. Il hoche la tête et repart vers la fosse. Elle le suit du regard tandis qu’il s’arrête près de deux cendres, leur indique la jeune fille du menton, puis disparaît au coin d’un pavillon. Pendant quelques minutes, elle reste assise sur son bidon, ignorant consciencieusement les sifflets et clins d’oeils masculins. Blood revient finalement, un sac en papier à la main. Scar tire les billets poisseux de sa chaussure et les lui tend, en même temps qu’elle prend et ouvre le sac. Juste pour la forme – Blood pourrait être en train de l’arnaquer qu’elle ne le saurait pas. Au fond sont posée une vingtaine de capsules en plastique transparent, pleine d’une poudre blanche. Celle-ci diffuse une faible lueur qui s’écrase sur les parois crasseuses du sac, soulignant des tâches dont elle préfère ignorer la nature.
Blood fait courir le coin des billets entre ses doigts, et les plonge, satisfait, dans son pantalon.
— Bon, eh bien, ce fut un plaisir. Tu euh… Tu reviendras ? Je veux dire, t’es la nouvelle coursière de Flesh ?
— Je crois, oui, murmure Scar.
Le sac dans sa main a l’air anormalement lourd, et elle est pressée de s’en débarrasser.
— En tout cas, conclue le dealer comme s’il a perçu l’impatience de la jeune fille, t’es ici chez toi. Dis ton nom et demande moi, je m’assurerai que tout se passe comme il faut.
— D’accord… Bon, ben, merci alors…
Il hoche la tête et repart vers la fosse, ou quatre colosses traînent par les pieds deux types en sang. Elle rebrousse chemin.
pas mal ce chapitre mais je crois que à un moment dans ta description au présent tu utilises soudain de l'imparfait...
faudrait que je retrouve le passage. sinon j'adhère
Thanks. Personne d'autre?
la suite
Up.
Il traduit les citations maintenant...
L'Epitaph nouveau est arrivé! Tu as cette façon d'écrire hobbit, tu pourrais tomber dans le cliché, dans l'écriture orale, un peu rebelle, énervante... mais pas du tout, je te lis avec plaisir. Et tu sais toujours attirer le lecteur. Refais tu des nouvelles au passage?
Et je n'ai toujours pas fini Nirvanaphobia ( est ce fini d'ailleurs ? )... Honte a moi.
Je n'ai pas tout lu, mais tant pis, la suite!
( un mois et demi d'écart... insatisfait du nombre des lecteurs? )
OMG un revenant
Beh alors ?
qu'est-ce qui ce passe à Idioglossa ?
Bon ben deux mois après, je vais continuer finalement. Merci à Igor d'avoir lu. Je t'aime.
J'ai lu le deuxième post
Mais c'est comme calcium equum, faut que j'y repense, et c'est pas facile
Je vais me mettre à faire des petits post-it pour me rappeler de toussa.
Et pourquoi je raconte ma vie ici?
Elle s’est perdue. La rue dans laquelle elle marche n’est pas du tout la même que celle par laquelle elle est venue. Ses immeubles sont carrément penchés au-dessus d’elle, et il est difficile pour Scar de ne pas y voir un piège qui se referme sur elle. Un chapelet de voix résonne derrière elle ; la jeune fille se retourne pour voir une demi-douzaine d’ombres se faufiler en riant et gueulant hors d’un bâtiment.
Ce sont des dealers, ou des soldats – elle a encore du mal à opérer cette subtile distinction. Quoi qu’il en soit, leurs vêtements propres, leur démarche sûre et leur voix forte expriment ce que tout le monde sait déjà : ici, le pouvoir, c’est eux.
Ils avancent d’un côté à l’autre de la rue, et semblent ne pas l’avoir remarquée. Puis l’un d’entre eux s’arrête, crie un truc qu’elle ne comprend pas et la montre du doigt. La bande converge vers elle, s’arrêtant à quelque pas. Elle se met à trembler et, avant même que l’un d’eux ait dit ou fait quoi que ce soit, sent les larmes lui monter aux yeux. Elle est épuisée. Elle va craquer, si ça continue comme ça.
Avec tact, celui qui semble être le meneur des six demande :
— T’es une pute ?
Elle secoue doucement la tête, murmure un « non » étranglé.
— Tu suces ? insiste le type, plus jeune qu’elle de deux ou trois ans.
Elle secoue de nouveau la tête, se forçant à ne pas la tourner vers les autres, qui maintenant l’encerclent.
— Je veux juste rentre chez moi, dit-elle d’une voix piteuse. S’il vous plaît…
— C’est où, chez toi ?
Bonne question. Même en y réfléchissant, elle doute de pouvoir y apporter une réponse.
— Je… Je vis chez une amie… Elle s’appelle Flesh.
L’un des garçons s’approche, lui souffle son haleine sur la nuque, et susurre :
— Ouais, donc t’es une pute. J’suis sûr qu’t’assures.
Des rires gras accueillent cette pertinente saillie. Une main passe sous son pull et sous son T-shirt, joue avec la bretelle de son soutien-gorge. Elle se dégage brusquement et, ce faisant, tombe pratiquement dans les bras ouverts du chef de la bande qui demande :
— Alors, tu suces salope ?
Sans le moindre ménagement, il la pousse contre un mur, lui enserre les poignets au-dessus de la tête, lui attrape la jambe et la relève au niveau de sa hanche à lui. Sa langue, horriblement longue, darde entre ses dents jaunes et vient lui frotter le cou – le contact lui évoque une traînée de morve froide. La main qui ne la plaque pas au mur entreprend de défaire son pantalon. Poussant un petit cri, Scar parvient à se libérer à moitié et lui décoche une gifle retentissante. Les rires de ses potes s’éteignent aussitôt tandis qu’il considère, incrédule, la fille haletante toujours dos au mur.
— Espèce de sale pute, grogne-t-il avant de lui décocher un revers du droit qui l’envoie s’écraser sur le trottoir.
Des petits points brillants dansent entre elle et le sol poussiéreux, et sa tête semble être faite de petits morceaux qui se détachent l’un après l’autre. Une brusque traction sur ses cheveux lui arrache un cri de douleur, et les rires repartent de plus belle.
— Tu fais quoi, là ?
De nouveau, les rires s’interrompent. La voix qui vient de s’élever est calme, tranquille, teintée d’une perplexité feinte qui accroît son assurance.
Le meneur, les jambes campées de part et d’autre d’une Scar toujours à quatre pattes, ses cheveux dans la main gauche, se tourne comme les autres vers l’endroit d’où vient la voix. Un type s’avance tranquillement vers eux, d’une démarche empreinte de la même assurance que sa voix calme.
— Eh mec, j’te préviens, fous le camp. Si tu veux t’amuser, t’as qu’à te trouver une autre pute, hein ?
— J’ai dit : tu fais quoi, là ? répète calmement le jeune homme.
Le type lâche Scar et s’avance vers le nouveau venu.
— Putain connard t’as mal choisi ton moment pour… Oh merde ! J’suis désolé Sick, j’tavais pas reconnu, j’te jure ! Merde mec, désolé…
Il s’est arrêté d’un coup, à quelques mètres de ses camarades immobiles et hésitants, mais Sick continue d’avancer sur lui, le forçant à reculer jusqu’à être acculé au mur, à côté de Scar.
— J’ai dit : tu fais quoi, là ?
La jeune fille a reculé, le sac de drogue serré contre elle. Elle regarde non sans une certaine joie mesquine son agresseur se passer la langue sur les lèvres.
— Eh, ça baigne Sick, ça baigne… Tu peux la prendre si tu veux, on te la laisse, hein les gars ?
Les gars évitent soigneusement de répondre ou même de croiser le regard de Sick.
— T’as pas compris, reprend Sick, toujours aussi impassible. Je t’ai demandé de me dire ce que tu faisais. Tu serais pas un peu attardé ?
Le minable, Scar s’en rend bien compte, exsude la peur de tous ses pores. Ce qu’il faisait ? C’était plutôt évident, non ? Il s’apprêtait à enfoncer sa queue dans la bouche de Scar, sans doute aussi dans d’autres endroits plus sensibles, alternant – s’il était d’humeur – avec ses cinq copains. S’il était d’humeur, il l’aurait peut-être aussi gratifiée d’une faciale, histoire de finir la soirée en beauté.
Il a du mal à répondre, cela dit. Et n’a plus l’air si imposant, bien que plus grand et plus épais que Sick.
— Je… Je voulais juste m’amuser, y’a pas d’mal à ça, quoi… (Il baisse la tête vers Scar.) C’est qu’une des filles à Flesh… C’est juste une pute !
Le coup de poing, monstrueusement sonore, semble venu de nulle part. La mâchoire du type se déchausse dans un bruit parfaitement audible et, alors même qu’il glisse en gémissant le long du mur, son sang lui coulant le long du menton et sa pisse le long de la cuisse, sa bande se barre en courant.
Sick l’attrape par le col, le relève, et lui décroche une autre mandale – dans l’autre sens, cette fois. Sa mâchoire va pendre lamentablement, incapable de se soulever pour empêcher la bave et le sang de couler. Le type pousse un long gémissement incompréhensible. Il pleure, maintenant. Sick le relève de nouveau et lui envoie son front en pleine face ; le nez se brise en un craquement long et sec, qui fait sursauter Scar. Puis le dealer laisse tomber le type inanimé au sol, s’approche de Scar, lui tend une main. Elle n’hésite pas très longtemps avant de la prendre pour s’aider à se remettre debout.
— On ferait mieux de pas rester ici, dit Sick. Je sais pas où sont partis ses potes, mais c’est possible qu’ils soient allés chercher du muscle.
Elle le suit le long d’un dédale de ruelles et de venelles. Avec des sentiments mêlés, elle se rend compte que la présence de Sick, qu’elle connaît pourtant à peine – elle n’a pas dû lui parler plus de trois fois – la rassure. Quand ils débouchent du labyrinthe, elle réalise qu’il l’a ramenée à la fosse.
— Oh non, murmure-t-elle en se laissant tomber sur un muret.
Sick fait quelques pas en avant, puis vient s’asseoir à côté d’elle. Un silence relatif s’installe.
— Ca faisait longtemps que je t’avais pas vue… Blood m’a dit que t’as acheté une sacrée quantité, tout à l’heure…
— C’est pas pour moi !
— Je sais, je sais… Flesh et ses copains. Si t’es sa nouvelle coursière, on… on sera amenés à se revoir assez souvent. Elle consomme pas mal.
Scar se tourne alors vers Sick, les yeux pleins d’un désespoir qui lui remue – littéralement – le cœur. Quant à elle, elle ne sait pas vraiment ce qui la pousse à parler comme ça à ce jeune homme – ce dealer, qui vient de tabasser un gars sous ses yeux – que finalement, elle ne connaît pas. Malgré tout, il y a quelque chose en lui qui est l’antithèse même d’Idioglossia et de tous ceux qu’elle a pu y croiser ; malgré l’énorme cicatrice qui lui zèbre le front et les traces de coups qui lui minent le visage, malgré les tâches de sang sur son T-shirt et sous ses ongles, malgré le déchaînement de violence dont il vient de faire preuve. Malgré tout ça, elle sent qu’elle pourrait l’apprécier, Sick, voire davantage. Raison de plus pour foutre le camp d’ici au plus vite. Ne pas se laisser bouffer. Avaler.
— Je peux pas retourner là-bas… Je peux pas travailler pour Flesh, quelque soit le travail, je… Merde, je suis pas faite pour ce jeu-là.
Sick sourit.
— Ouais, c’est ce que je me suis souvent répété au début… Que j’étais pas fait pour ce jeu.
— Et ?
Il hausse les épaules.
— On s’y fait. Je veux dire, c’est pas comme si j’avais vraiment le choix, de toute façon… Quand t’es né dans cette merde, soit tu t’étouffes avec, soit t’en sors le nez suffisamment pour voir que tout autour est pareil, et que la seule façon de faire, c’est avec cette merde. Moi je la refourgue. C’est pas une vocation, encore moins un choix, mais bon… (Il hausse de nouveau les épaules. Parler comme ça, relâché, presque détendu, le fait paraître maladroit et attendrissant, comme un enfant qui tente de s’exprimer avec un vocabulaire qui n’est pas le sien.) Toi par contre, t’as encore le choix, tu sais ? T’es pas d’ici, et rien t’oblige à y rester. Retourne d’où tu viens avant de te faire bouffer. Tu peux encore faire quelque chose de ta vie, tant que tu te perds pas au mauvais endroit. Retourne d’où tu viens, Scar.
La jeune fille pleure en silence. Retourner chez elle, l’option brillait chaque jour, et elle devait lutter contre l’impulsion de la choisir. Sick ne pouvais pas comprendre. Pour lui, elle venait d’un vague ailleurs doré, loin de la merde d’Idioglossia. Il n’avait pas entièrement tort, bien sûr, mais retourner là-bas… Revenir ramper devant sa mère indifférente… et son père qui… non, Sick ne comprenait pas, mais Scar ne pouvait pas rentrer. Pourtant… Elle avait beau essayer de toutes ses forces de trouver une raison, une lumière accueillante ici, il n’y avait jamais rien. Les battements sourds du cœur de pierre des trottoirs le lui rappellent sans cesse : elle n’est pas à sa place.
— Sinon, reprend doucement Sick en posant sa main sur la sienne, je suis là…
Elle se dégage vivement, pose sur lui ses yeux mouillés.
— Non je… je…
— Je t’aime vraiment, Scar, chuchote-t-il.
L’entendre dire ça, lui, ici, a quelque chose de totalement surréaliste. Le dernier à lui avoir dit ça a abusé de ses privilèges et l’a salie à vie. Mais lui… C’est différent ici. Si elle reste ici, Sick sera peut-être la seule personne en qui elle pourra avoir confiance. La seule qui la protégera. Mais même ça, aucun moyen d’en être sûr. Quelle certitude peut bien exister dans un monde pareil ?
Elle le dévore des yeux, ouvre la bouche avec difficulté, et articule :
— Dis moi que tu m’aimes. Dis-le moi encore.
— Je t’aime, répond-il aussitôt, d’un ton d’une sincérité désarmante.
— Tu me connais pas…
— Je te connais bien. Tu réfléchis trop. Tout est simple, ici. Je sais qui tu es, je sais que tu fuis, et je sais que t’as trouvé aucun refuge. Que tout ce qu’il te reste, c’est ta maison, mais que ce que tu fuis viens de là. Je sais que tu es forte, aussi, quoi que tu en dises. Et… Tu es magnifique, Scar.
Il voudrait continuer, lui exprimer ce qu’il ressent dès qu’il la voit, dès qu’il pense à elle ; lui dire qu’il n’a jamais rien ressenti de pareil – qu’il n’a jamais rien ressenti tout court –, qu’ils sont tous les deux aussi abîmés l’un que l’autre ; il veut lui dire plus de choses qu’il n’en sera jamais capable. Maudite soit cette vie qui le diminue ainsi.
— T’es plus obligée de fuir. Tu peux rester. Avec moi. On est pareils, toi et moi, Scar, on… On est pareils.
Scar se lève lentement du muret. Reste immobile quelques secondes. Tend la main vers Sick.
— D’accord.
J'ai bien aimé. Il faudrait que j'écoute le fond sonore pour voir un peu ce que ça donne avec, vu qu'à la base la "nouvelle" (il manque un terme intermédiaire en terme de longueur) est quand même basée sur ça. Il n'empêche toutefois que ça reste très bon, quoiqu'on retrouve l'astuce un peu facile à mon sens des phrases courtes + présent qui, allié avec les moments intenses, donnent parfois un peu dans le cliché. Ceci dit, l'histoire mais surtout l'ambiance que tu arrives à faire ressortir de ton texte sont assez impressionnantes.
J'attends la suite, et en moins de six mois cette fois :p
ahhhh !!!!!
c'est toujours aussi bon Epitaph . J'ai rien de plus à ajouter que les autres, si ce n'est que c'est toujours aussi délicieux de se baffrer ton texte en grande tranche.
Bref, joli travail Epitaph
Merci à vous deux
Pour la suite cette fois y'aura pas longtemps à attendre, j'en ai déjà écrit une petite partie.
Hé, les newfags, vous voulez du sombre, du dark, du tortured ??
Alors lisez ce texte
Avant de le proposer à la lecture, as-tu seulement vérifié qu'il n'avait pas été affecté par la Purge? S'il manque des chapitres, ça va pas être simple à lire... Tout texte antérieur à novembre 2017 est susceptible d'avoir été touché.