On ne parle que de ça à la télé, à la radio, dans les pubs, entre voisins. Il fait froid, du jamais vu; le thermomètre est coincé sous zéro. Moi le froid je n'en parle pas, je le vis. Ma fenêtre est simple vitrage, ma douche n'est plus tiède mais à sec, à gel précisément. Les conduits ont gelés et, sans toilette, mon odeur corporelle se développe comme un champignon. Les autres me scrutent, c'est mon odeur, c'est sûr. Il ne voit pas en moi le grand auteur mais seulement la forte odeur. Vermines incultes et vénaux, vous n'avez pas le dixième de mon vocabulaire et me jugez? Cela ne me touche pas.
Aussi, j'ai pris une décision. Je resterai reclu, à écrire, jusqu'à ce que Dame nature me rende ma douche et ma dignité. Mais avant cela, je dois trimballer mon effluve malodorante jusqu'à la papeterie "Wolcraft".
Quatre blocs, un paquet de fiches bristol, des stylos. Equipé pour écrire, je me rend à la bibliothèque municipale. Les livres ont l'air de moins craindre le froid que la vieille bibliothécaire au nez crochu derrière son IBM. Elle est laide et le froid lui donne un aspect statue de cire.
Je fonce vers la littérature américaine et me choisit quatre bouquins. Sans hésiter, je prélève un bukowski trop isolé à mon goût. Faussement distrait, j'arrache "les joueurs" à ses petits frères et je finis par Harrison et London. Je ne serai pas enfermé mais libre. Plus libre que tous les petits soldats que j'entendrai vivre autour de moi. Je chasserai l'ours, je braverai les océans, je dormirai à la belle étoile, loin de la frénésie des villes, des imprésarios et des clochards et des groupies. Le vrai bonheur, le bonheur d'être soi-même; dans la nature.
J'ai bien vu la vieille dame au nez crochu se détourner de moi pour respirer pendant qu'elle tabulait les codes numériques des chefs d’œuvre que j'avais choisi dans l'ordinateur. "Les joueurs" : 1B426. J'ai failli pleurer.
Il ne me restait plus qu'à faire un stock alimentaire. Avant cela, comme je ne savais pas combien de temps d'isolement m'attendait, je fis une halte au café de paris.
Iain était derrière le bar, George à sa place habituelle et marion, la patronne, me sauta dessus. Elle sentait la cigarette mentholé, le porto, le Chanel 5 et le chewing gum.
"Salut mon chooooouuu!
-J't'embrasse pas, je pue. Met moi une Harp plutôt."
Iain lacha un rictus malin que je perçus malgré la cicatrice de son bec de lièvre. Cela me fit chaud au coeur, étrangement.
Iain était arrivé pour la saison il y a 6 ans, il voulait gagner un peu d'argent pour faire son école d'architecture. Aujourd’hui il a trente ans mais parle toujours de la prochaine rentrée, des matériaux qu'il aime, de la sagrada familia et de Berlin. Quand nous nous rencontrâmes, j'ai tout de suite apprécié Iain. Il parle avec les yeux, pas la bouche ou la langue ou le diaphragme. Ca fonctionne aussi voire mieux. Iain avait cru en moi, de suite, avant les autres. Avant même mes parents...
Ma harp fini, je pris la route du retour avec une pointe au cœur. C'était comme un départ en vacance, le temps était freiné, comme ankylosé; la rue déserte accompagnait mes pas, le vent chantait dans les gouttières, le ciel était gris et des jeunes fumaient en riant.
Il faisait froid, je puais mais j'étais heureux
"de belles robes, d'acteurs et d'écrivains." 
J'ai une trame globale, quelques moments importants sont déjà définis. En espérant que cela plaise, c'est la première fois que je rend public des textes 
), mais ça ne pose en rien problème pour te lire. J'ai aimé.