Bonjour,
Je vous présente le début d'une nouvelle qui est écrite dans le cadre d'un mini-atelier. La seule contrainte était qu'elle devait commencer par "Le troll était là, devant moi. Il était inaccessible, personne ne pouvait l'avoir. Enfin, personne à part moi, évidemment."
Je verrais bien cette nouvelle faire une quinzaine de pages au maximum, dix au minimum. Mais vu que j'hésite encore sur la direction à suivre, j'aurais voulu avoir vos avis sur des trois premières pages. Si je l'écris ce soir (comme je compte le faire), je vous mettrai la suite demain
Il y a, je pense, des soucis de concordance des temps, donc n'hésitez pas à les soulever si vous en voyez.
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De la bière et des trolls
Le troll était là, devant moi. Il était inaccessible, personne ne pouvait l'avoir. Enfin, personne à part moi, évidemment. Faire un concours de bière avec ce genre de créature était voué à l’échec. De part sa masse, sa résistance à l’alcool était bien plus grande que la mienne, ou que celle de n’importe quel autre humain. Il n’y avait que deux manières de battre un troll dans un jeu de boisson ; être compétent dans le domaine magique, ou être de mèche avec lui. Et je n’avais rien d’un magicien.
- Fais attention cette fois, me chuchota Elise à l’oreille, je n’ai pas l’intention de revoir la même chose qu’hier.
Elise, c’était le troisième homme. Ou la troisième demi-humaine. Je n’ai jamais compris pourquoi les gens disaient « demi-elfe ». Ca me semble aussi logique de dire « demi-humaine », lorsqu’on est soi-même elfe. Elle a pris un risque, en m’avertissant. Et ça ne sert à rien. Je n’ai pas l’intention de faire la même erreur que la veille. Repartir en même temps que Jorg, c’était une mauvaise idée. Ca a mis la puce à l’oreille d’un gars, et ça a failli terminer en bagarre générale. Si Elise n’avait pas eu l’éclair de génie de l’embrasser, ça aurait mal terminé. C’est peut-être pour ça qu’elle me le rappelle ; il ne devait pas être son type.
Il fallait que j’attende un peu, au moins cinq minutes, avant de provoquer Jorg. Je n’avais pas envie qu’on fasse le lien entre nous. Il est impressionnant, Jorg, quand on ne le connait pas. Deux fois plus haut que moi, et quatre fois plus large. Il a pris de l’embonpoint ces derniers mois.
- Eh le troll, ta mère l’a fait exprès ou ce sont les dieux qui ont foutu ton cul à la place de ta tête ?
Et c’était parti. Aussi simple que ça. Crédibilité, efficacité. J’essayais d’apparaître aussi éméché que possible. Jorg prit son expression la plus menaçante, en faisant ressortir toutes ses dents, me parla de boire ma moelle épinière une fois qu’il aurait pressé mes os, et m attrapa à la gorge. Quand j’ai sorti ma dague, le patron est intervenu. Comme toujours.
- Vous deux, si vous voulez vous massacrer, c’est dehors ! Le premier qui me fait une trace de sang ira s’expliquer avec la garde !
Près de la porte d’entrée, un des serveurs était sur le point de piquer un sprint pour alerter les autorités. Ca c’était une nouveauté. Généralement, ils sont un peu désemparés, mais lui, il avait l’air habitué à ce genre de problèmes. Jorg n’était sûrement pas le premier troll qui passait sa porte. Le fait d’avoir une si haute salle n’est pas anodin.
Mon complice me lâcha après avoir poussé un grognement de dégoût. Une seconde après, il me poussa violemment en arrière. Je sentis à ce moment que mon épaule resterait endolorie le lendemain ; si le public n’était pas dupe, ça suffirait à le convaincre.
- Je maintiens ce que j’ai dit, foutue tête de pierre. Ta sale gueule pue autant que mes chiottes.
Jorg poussa un hurlement. Ca devait être pour l’empêcher de rire. Quand nous nous étions entraînés à rester le plus convaincant possible, c’était le seul moyen qu’il avait trouvé pour ne pas s’esclaffer. Je ne sais toujours pas pourquoi il trouve mes insultes aussi hilarantes. Elles doivent lui paraître ridiculement douces comparées aux injures de sa langue d’origine.
A côté de la porte, le serveur était sur le qui-vive, et n’attendait que le premier coup pour décamper. Il fallait jouer serré, et Jorg l’avait compris. Alors, il avait pris sa plus grosse voix pour déclamer sa réplique suivante.
- Tu sais quoi, l’elfe ? Je te laisse une chance. Tu aimes boire. Moi aussi. Si tu arrives à boire plus de bières que moi en moins d’une minute, ta tête restera sur ses épaules ce soir. Sinon, je te laisserai trois autres minutes pour écrire ton testament.
Et les paris avaient commencé. Directement après l’annonce, les habitués avaient posé de l’argent sur la table. Tout le monde me jouait perdant, et puis Elise était arrivée, en jouant les riches mécènes excentriques. Elle avait misé une petite somme sur moi, de quoi rendre les paris intéressants, et augmenter les enchères. Elle prenait souvent les mêmes justifications. Cette fois-ci, c’était parce qu’elle me trouvait mignon, et qu’elle me promettait un baiser si je réussissais à gagner. Sans vouloir me vanter, je trouve ça assez crédible. Je ne suis pas si mal dans mon genre, et puis j’aime la fin de cette version.
Et comme d’habitude, tout le monde s’était moqué d’elle. Pas un n’avait osé prendre sa défense, ou parié avec elle. C’était presque trop facile. Restait que grâce à elle, nous nous partagerions tout ce qui serait posé sur la table des paris. Et puisque quasiment tout l’établissement pariait, ça nous ferait de belles parts à chacun. L’équivalent d’un mois de labeur pour un quidam normal, gagné en quelques minutes. Presque honnêtement.
Le tavernier préparait la table et alignait les chopes. Tout était quasiment prêt, le dernier verre allait être servi, quand l’autre avait misé. Dès le premier coup d’œil, je l’avais trouvé bizarre. Ses lunettes rondes, son chapeau haut de forme, son joli manteau… Ce type était le cliché du bourgeois. Pas celui qui était très haut placé, mais qui avait de l’argent. Il devait avoir un patron qui le payait bien. Et il avait misé sur moi. C’était étrange, et frustrant. A cause de lui, on allait devoir partager la somme. Pas une si bonne nuit que ça, en fin de compte… Il avait instillé le doute parmi les parieurs, et si le défi n’avait pas été si proche de commencer, certains auraient retiré leur argent. Ou pire, l’auraient placé sur moi.
Mais nous nous étions posés, rapidement, devant les rangées de bières. Jorg me regardait droit dans les yeux. Comme dans les histoires de duels, où les deux adversaires restaient imperturbables, sous un silence de plomb. Sauf que dans notre cas, il y avait tous les hurlements d’encouragement qui venaient meubler l’air.
Le tavernier avait lancé sa pièce en l’air, et lorsqu’elle était retombée, ma main avait agrippé la première anse. J’avais toujours été bon à ce genre de jeux, et ma descente était réputée là d’où je venais. Mais ici, personne ne me connaissait, évidemment. Jorg avait posé sa chope en même temps que moi, et avait agrippé la deuxième. Il avait pris de l’avance sur celle-là, et entamait la cinquième alors que je terminais la troisième.