Partie 5 (suite) :
Cette fois-ci, je voulais voir si je pouvais accélérer la progression en utilisant des mèches de perceuse plus grosses. J’en avais acheté de bonnes à la quincaillerie (pour un bon prix). L’une d’entre elle était plus large en diamètre que toutes les autres. L’autre était plus petite, mais plus longue. J’avais conclus que la grosse serait peut être trop grosse, et j’ai eu raison. Nous avons essayé de l’utiliser pour forer la pierre, mais nos progrès étaient lents. Nous avons essayé de forcer autant que nous avons pu, mais tout ce que nous avons obtenu a été de la fatigue en plus. La mèche créait trop d’espaces de friction pour notre force. Ça aurait pu marcher avec un marteau-piqueur, mais nous n’en avions pas. La plus longue a bien marché avec notre perceuse. Nous l’avons utilisé pour la plus grande partie de notre travail cette fois. Je pensais que la mèche, la perceuse et ma main allaient lâcher quand elle s’est cassée vers un des bouts. J’étais en train de pousser aussi fort que je pouvais sur la perceuse lorsque c’est arrivé. J’ai presque fait taper la perceuse dans le mur tellement je poussais fort. On a pu retrouver la mèche et continuer à l’utiliser, moins quelques pouces. Ça marchait toujours bien. Juste une fois, pendant un long moment, nous avons du recourir au marteau et au ciseau. Le travail avançait normalement, jusqu’à ce que nous arrivions à notre quatrième batterie.
J’étais agenouillé et faisais rentrer doucement la perceuse dans le mur. J’avais mes bouchons d’oreille, mes lunettes de sécurité, et j’étais perdu dans mes pensées. Et tout d’un coup, à travers le crissement de la perceuse qui forait la pierre, j’ai entendu un bruit étrange. Assez fort. Je pouvais l’entendre au-dessus du bruit du matériel, alors que j’avais mes bouchons d’oreille. Au début j’ai pensé que c’était simplement la mèche qui faisait son travail. Elle ponctuait souvent notre travail forcé de grincements pénibles à entendre. Mais là, c’était différent. J’ai eu besoin de quelques secondes pour comprendre que ça venait de l’intérieur du trou, et non de la mèche. J’ai arrêté de percer et ai retiré mes bouchons d’oreille, pour entendre le cri le plus horrible que j’avais jamais entendu se répercuter et s’éteindre dans les ténèbres de la grotte. J’ai regardé le trou en écarquillant les yeux. Pendant un long moment, je n’ai ni bougé, ni respiré. Je me suis tourné vers B. Quelques instants plus tôt, il était étendu sur le sac de corde et piquait un roupillon. À présent, il était debout, la bouche ouverte, avec un air très inquiet sur son visage ! Je me suis retourné et ai regardé de nouveau dans le trou, m’attendant presque à voir un visage démoniaque me rendre mon regard. Rien n’était différent dans la Tombe de Floyd. J’ai fixé mon regard dans le fond du passage, là où la lumière atteignait sa limite. Rien ne bougeait, on ne voyait que les ténèbres derrière le règne de la lumière. Dans le silence qui suivit, j’ai pu entendre le sang battre à mes oreilles. Aucun autre son ne se faisait entendre dans la grotte. J’ai soudain entendu un grattement derrière moi et me suis redressé. Je me suis presque assommé en me cognant contre le rebord. C’était juste B qui s’était déplacé pour allumer sa lampe, mais j’étais tellement sur le qui-vive que ça m’a presque fait faire un infarctus. B a parlé et j’ai sursauté. Il a dit de mettre quelques pierres dans le trou. Il a expliqué que peu importe l’animal qui avait poussé ce cri, il était peut-être capable de passer par le trou. J’en ai immédiatement attrapé quelques unes et les ai jetés par l’ouverture. En me servant du manche du marteau, j’ai poussé les pierres aussi loin que j’ai pu dans le passage, créant un mur entre nous et l’autre côté. Vu comme l’ouverture était petite, ça n’a pas mis longtemps. Pendant tout le temps où j’ai fait ça, cela dit, j’ai pensé que le bruit ne venait certainement pas d’un animal ! Je ne savais pas si B croyait réellement que c’en était un, ou s’il essayait de s’en convaincre lui-même. Je ne lui ai rien dit à propos de ce que je pensais.
Du moment où c’est arrivé jusqu’au moment où j’ai écrit cette entrée (deux jours après), j’ai essayé de réfléchir aux possibles sources de ce bruit. Pour le décrire, je dirais que c’était un croisement entre un homme criant de terreur et un couguar hurlant de douleur. On aurait dit que ça venait du trou, à environ 100 pieds de là. Cet affreux son s’est réverbéré à travers la grotte, et mes oreilles. B a estimé qu’il a duré entre 8 et 10 secondes. J’aurais plutôt dit 5 secondes (3 secondes pendant que je forais, une seconde et demie pour lâcher la perceuse et enlever les bouchons d’oreille, et une demi seconde pour céder à la terreur). C’est difficile de dire combien de temps passe quand tu écoutes un solo venant des profondeurs d’Hadès.
Après avoir rempli le passage de cailloux, on s’est juste assis à écouter le silence. Ma respiration était bien plus rapide qu’habituellement. Aucun de nous n’a parlé pendant un bon moment. Enfin B a suggéré que l’on se remette au travail, mais en gardant un œil sur le trou, au cas où quelque chose bougerait. Nous avons mis une lampe dans l’ouverture qui éclairait jusqu’au bout de la Tombe de Floyd. C’est seulement à cet instant que nous avons réalisé que le vent avait de nouveau cessé et que le grondement s’était tu. Dire que j’étais nerveux aurait été un euphémisme. Je n’ai rien dit à B, pas plus que lui ne m’a dit quelque chose. Retour au forage. B a pris le tour de travail, ce qui m’a très bien convenu. Je n’étais pas vraiment épuisé, mais mettre un peu de distance entre moi et le trou ne me posait pas de problème. B s’arrêtait de temps en temps pour écouter. Je restais simplement assis, à le regarder, avec ma lampe allumée. Je n’étais pas très près de l’entrée du trou, mais je me surprenais toujours à surveiller derrière moi le passage menant à l’eau dormante. À chaque fois que ma lumière rencontrait une ombre inhabituelle, mon cœur sautait dans ma poitrine. Mon imagination me jouait des tours. Curieusement, B avait l’air moins affecté par le bruit étrange que moi. Après un petit moment, il a eu l’air d’être entièrement concentré sur le passage à travers le trou. Je m’astreignais toujours à écouter par-dessus le son de la perceuse. Je n’ai rien entendu à part le son maintenant familier du carbure sur la roche. Alors que j’imaginais les possibles scénarios qui pouvaient se jouer de l’autre côté du mur, je me suis rendu compte que j’étais étrangement très excité à l’idée de réussir à passer. Mon esprit devait commencer à payer le prix de la fatigue. Ou de la perspective de quelque chose de valeur de l’autre côté.
Mes pensées furent interrompues par un cri de B. Probablement un juron. Il disait que la batterie de la perceuse ne tenait plus, mais qu’il n’avait pas foré assez loin dans la section sur laquelle il travaillait. Il a posé la perceuse devenue inutile à terre et a pris le marteau et le ciseau. Il a commencé à frapper dans le trou créé par la mèche. Après dix bonnes minutes, il s’est assis contre la roche, transpirant et à bout de souffle. Le ciseau dépassait toujours du mur de la grotte. Il a poussé le marteau vers moi, m’invitant à m’y mettre aussi. J’ai levé la main et secoué la tête. J’étais prêt à partir de la caverne depuis un moment. Il ne s’est pas pressé sur le chemin du retour, et nous avons commencé à rassembler le matériel que nous allions emporter sans un mot. Une fois de plus, nous en avons caché une partie dans le passage. J’ai ouvert la marche vers la sortie de la grotte. J’ai du m’arrêter plusieurs fois pour attendre B. Pas parce qu’il était lent. Il n’avait juste pas envie de sortir. Je me suis déjà senti mieux que cette nuit, sortant dans l’air calme de la nuit.
Mon journal parle du reste de la soirée. Notre dîner, notre décision de trouver un motel et de revenir le jour suivant, notre longue discussion à propos du son étrange que nous avions entendu, une autre mauvaise nuit de sommeil. Je ne PEUX PAS croire que nous souhaitions tellement retourner dans la grotte après y avoir entendu ce cri. La raison qui m’est venue à l’esprit était que B avait l’air absolument insensible à tous les dangers possibles. Même si c’était un animal (ce que je ne croyais pas, mais je ne pouvais pas donner de meilleure explication), n’étions-nous pas en train de nous mettre en danger ? Rétrospectivement, j’ai toujours du mal à comprendre notre manière de penser à ce moment. Nous étions juste trop excités de découvrir des portions inexplorées de la grotte. Je pense maintenant que ça peut se résumer en un mot : testostérone !